La Route fraternelle/5

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 18-19).


DIPTYQUE MÉDITERRANÉEN

À dona Andriano.


I


Mer, l’histoire du monde est écrite en ton sein !
Ton domaine est borné, mais ta gloire est unique,
Car la rive romaine et la rive hellénique
D’un cercle de splendeur encadrent ton bassin.

Des caps au nom sacré dentellent ton dessin,
Car près d’eux ont rêvé Platon, prié Monique,
Et tes poètes à la chantante tunique
Ont empli l’univers de leur sonore essaim.

Sur tes eaux cheminait l’Harmonie en voyage ;
Et tes pages d’azur, comme un divin missel,
D’un Homère ont gardé le conte universel ;

Et l’Atlantique fier serait encor sauvage,
Et le grand Pacifique encor serait cruel,
Si l’étoile Idéal n’eût lui sur ton rivage.




II


Rien d’exclusif pourtant. — Un matin sur tes flots
Sous un ciel d’Élysée, en rade de Marseille,
Un passager chanta — c’est Dieu qui le conseille —
La chanson qu’à Paimpol disent les matelots ;

Et cet air, traversé de rêve et de sanglots,
Et de si loin venu si doux à notre oreille,
Nous montrait qu’en tout lieu l’âme humaine est pareille,
Et de pleurs fraternels mouillait nos yeux mi-clos.

Ô sainte parenté de l’aède et du barde !
Et là-haut, mère et sœur, la Dame de la Garde
Sourit de sa colline à la Dame d’Auray ;

La romance bretonne, au soleil fredonnée,
Rapproche en un moment les pôles, et paraît
Unir à l’Océan la Méditerranée.