La Rue de Jérusalem/Partie 2/Chapitre 02
II
Aventures de Pistolet.
M. Badoît regardait son ancienne mouche avec une admiration croissante. Il murmura :
— Dire que nous avons cherché pendant trois ans !
— Et quatre mois, patron ! C’est que je n’étais pas là. Et pendant ces trois ans et quatre mois j’ai cherché aussi quelque chose que je n’ai pas trouvé : une position sociale pour me ranger ; mais là, à fond, avec femme légitime, enfants, table ouverte, rentes sur l’État, décoration et autres. À Paris, je m’étais déjà coupé en quatre, à votre insu, j’avais remué ciel et terre. Néant. Ma dernière visite fut pour le notaire de la rue Vieille-du-Temple qui ne voulut pas de moi pour saute-ruisseau. La machine de la veille m’avait un peu fatigué, et les dames que je fréquentais à Bobino n’aimaient pas la police.
Voyez-vous, patron, dans le monde, je n’ai jamais avoué que je tenais à la préfecture par un petit bout de bricole. Ça m’aurait ravalé. J’avais dit à Mèche… Vous savez, Mèche, Mme Pistolet ? Je ne l’ai pas retrouvée à Paris. Je lui avais dit, et aux autres aussi, que j’étais employé dans les Habits-Noirs, pour me faire un peu mousser avantageusement.
— On aime donc mieux les voleurs que les archers, dans ton monde, Clampin ? demanda Badoît.
— Parbleu ! répliqua le gamin. Mèche me regardait avec respect. Elle aurait bien voulu que je la présente aux Habits-Noirs, et les autres aussi, ça plaît aux dames. Alors donc, ayant honte de l’état, je me dis : Faut se nettoyer !
Faut être par exemple officier de marine, remarquable par l’uniforme, la bravoure et l’instruction. J’allai donc attendre la malle-poste du Havre hors barrière, et j’y montai par-derrière.
En route, je mangeai ma chemise et mes chaussettes : pas gras.
Au Havre, je tombai justement sur un navire en partance : celui qui avait amené d’Amérique le frère de M. Paul, et celui qui emmenait le général de Champmas en Angleterre. Est-ce curieux ?
— Alors ! fit M. Badoît, tu dois en savoir long, petit !
— Je sais que le général avait du bon tabac, et qu’il n’était pas fier. Je sais que le Bas-Breton de capitaine Legoff n’avait jamais vu, disait-il, un si joli passager que M. Jean Labre.
Je ne restai pas longtemps dans la marine, voyez-vous, patron. Il y avait un polisson de maître qui m’aimait comme ses yeux, et qui voulait faire mon éducation. Je lui passai la jambe, un jour qu’il m’avait allongé un coup de filin.
Dans la marine, faut jamais plaisanter. Au bloc !
On m’avait dit que je serais obligé d’attendre cent sept ans avant d’être nommé amiral, et je n’avais mis que trois jours à me faire flanquer au cachot. Vous concevez ? J’étais venu à bord du Robert Surcouf à la nage, à la nage je m’en allai, entre deux eaux, bien gentiment, et j’abordai à Liverpool, où je m’engageai comme déchargeur de charbon, à trois shillings la journée.
Ça paraît bon : 3 francs 15 sous, mais dans ce pays-là, la soupe coûte aussi cher qu’ici le pâté de foie gras : en plus que j’eus des raisons avec un camarade qu’était boxeur de son état.
Il avait dit que Wellington avait plus de jugeote que Bonaparte. Moi, au fond, ça m’est inférieur, mais y a la patrie, pas vrai ? Je répondis : des choux ! Votre Wellington, c’est deux sous le tas, à Paris, dans la saison des primeurs. Il me fit cadeau d’un coup de poing à tuer le rhinocéros du Jardin des Plantes. Je l’éborgnai d’un coup de talon.
« — ’Tis to be sold-out, boys ! regular fun indeed ! » Qui veut dire en français : « Garçons, faut y aller ! invitez vos dames ! »
On nous entoura. Ils avaient tous une envie rouge de voir comment le boxeur allait m’assommer. Tâche ! C’était son œil droit et mon talon gauche qu’avaient travaillé ; je lui fourrai mon talon droit dans son œil gauche et ça fut fini.
En France, on m’aurait mis au violon. Voilà la supériorité des Anglais. Je fus porté en triomphe et on m’offrit vingt-cinq guinées, qui fait six cent vingt-cinq francs, pour aveugler un boxeur noir qu’arrivait de Londres en représentations. Ça me dégoûta dans ma fierté. Je voyageais pour me ranger, pas vrai, et que non point pour servir de pâture aux spectacles publics de l’ennemi.
En conséquence de quoi, j’entrai dans le commerce des cotons, où je mis le feu en m’y endormant dessus avec ma pipe.
C’est la chance qui manque.
Heureusement, c’était assuré à une compagnie qui voulut me faire pendre. Je m’y opposai par la fuite. En chemin, je plus à une demoiselle anglaise qui buvait cent sous de madère à son déjeuner. Elles n’aiment pas la barbe chez notre sexe. J’étais son fait, mais je fus chassé pour avoir dit le nom de mon pantalon, sans ajouter révérence parler et me voilà jouant la tragédie française à Manchester.
J’apportais les lettres, en vers, sur la scène.
L’acteur à mille francs par soirée m’appela imbécile et je l’assis sur les planches au milieu du rôle d’Hippolyte qui causait d’amour avec Aricie. Ça déplut. On me logea au pénitencier : vous voyez, je ne me rangeais toujours pas.
Dans la prison, on me demanda si je voulais aller voir l’Inde et les bayadères. Avec plaisir. Deux mois de traversée et des coups de garcette. C’est pas l’embarras, j’essayai le chausson habituel, mais on me donna la cale qui fait drôlement le caractère de la marine anglaise !
Les bayadères, c’est la pluie : ça danse dans un sac avec des dents noires comme du café.
Ah ! par exemple, j’eus du bon temps quand je fus pirate, là-bas, sur les brasses du Bengale ; mais j’ai le naturel trop doux, la vue du sang m’incommode, et puis on ne se range pas dans cet état-là.
J’entrai donc au service d’un lord qui voulait grimper au sommet de l’Himalaya ; je le lâchai à mi-côte pour suivre des marchands d’opium.
Parole, si je voulais retrouver tous les chemins par où j’ai passé, je m’égarerais !
La Chine n’est pas mal. Un mandarin et sa femme se battirent pour moi dans la banlieue de Canton. J’aurais pu rapporter bien des bagatelles.
Mais ce qui est long, c’est la route royale de Pékin à Saint-Pétersbourg. Et pas d’auberges ! Je vivais à Moscou en vendant des cigarettes. Il y fait froid ; les fiacres n’ont pas de roues. Je sus m’y concilier comme partout la faveur des dames, mais j’avais l’idée de me ranger : ça m’a perdu.
L’Allemagne n’est pas un vilain pays pour la bière et les Tyroliennes. Mais concevez, Monsieur Badoît, le temps se passait et je me disais : Tu n’as plus qu’un moyen de te ranger, c’est la gloire militaire. Dans ton pays, le soldat a un bâton de maréchal au fond de son sac.
J’abrège, pas vrai, ça m’étouffe.
Je tombe donc en Alger où j’obtins le grade de fantassin. Quinze jours après, je passe, au choix, dans une compagnie de discipline. Oui, Monsieur Badoît, j’ai le droit de mettre sur mes cartes de visite : Ancien zéphyr.
Ça ne dura pas tout à fait trois semaines. Je n’avais jamais eu de sabre ; le mien me démangeait. Mon sous-lieutenant me regarda de travers un jour qu’il faisait chaud. Je lui dis qu’il avait le nez plein de lait. Il tira son épée, je le désarmai, et puis…
N’ayez pas peur, Monsieur Badoît. Toujours la douceur ! Je lâchai mon coupe-choux quand il n’eut plus rien dans la main, et je me bornai à le piétiner, j’entends mon sous-lieutenant… un petit peu trop, car le conseil de guerre me condamna à mort.
Va te faire fiche ! cette façon-là de me ranger ne m’allait pas. J’entrai Bédouin dans la troupe d’Abd-el-Kader, qui voulut me couper la tête, parce que j’avais bu la part de mon chameau.
C’est des vilaines bêtes, mais fidèles à l’amitié et qui gardent une poire pour la soif dans l’intérieur de leur tempérament… Est-ce que vous dormez, papa Badoît ? Hé ! là bas ! Mon narré n’est pas de votre goût, peut-être ?
— Quand tu auras fini tes menteries, petiot, nous causerons, répondit l’ancien inspecteur paisiblement. Je connais les couleurs.
Pistolet le regarda avec indignation.
— Patron, dit-il, ma parole d’honneur la plus sacrée, j’ai passé sous silence 75 pour 100 de mes malheurs les plus romanesques. C’est pas vous que je voudrais teindre jamais. Et alors, je revins à Alger avec une caravane et je sus obtenir passage pour ma patrie comme marchand de nougat rouge, dont j’ai fait effectivement le commerce dans une boutique à louer du boulevard, avec l’accent du pays, un burnous, et un turban d’occase.
On pouvait s’y ranger, quoique ça manque de stabilité, étant impossible d’avoir un bail sans payer six mois d’avance. Mais Paris m’a monté tout d’un coup à la tête avec ses voluptés brillantes et ses entraînements pour toutes nos passions.
La première fois que j’ai vu une affiche de Bobino, j’ai été perdu.
J’ai mis mon turc au mont-de-piété pour acheter le vrai costume du jeune Parisien populaire, et je me suis élancé vers mon théâtre ! Ah ! patron ! Mèche était partie, et bien d’autres, mais c’est égal, celles qui restaient m’ont toutes reconnu. Les anciennes avaient parlé de moi aux nouvelles. On m’a fait une rentrée… un triomphe ! et je me suis replongé dans ma vie d’artiste, composée du jeu, du vin, des belles, avec quoi je la passe douce, piquant les matous qui se sont reproduits à foison dans le quartier, car mon absence a valu une loi sur la chasse, et racontant mes malheurs périodiques avec plaisir aux amis.
Pistolet se tut et avala une bonne lampée de Joigny. Badoît lui dit :
— As-tu fini ?
— Pour le moment, oui, patron.
— Veux-tu parler sérieusement ?
— Si ça vous va, j’y consens. Faites monter le café… quoique j’en ai humé de meilleur qu’ici dans l’Arabie heureuse, capitale Moka-Corcelet.
Quand le café fuma dans les demi-tasses, M. Badoît se leva et ferma la porte au verrou. Après quoi, il reprit sa place et mit ses deux pouces sur la table.
— Petiot, dit-il, tu as une grande capacité et beaucoup de défauts ; on te prend comme tu es. Ne rions plus. Tu avais quelque chose dans le temps pour M. Labre ?
— M. aul ! s’écria Pistolet. Un brave jeune homme ! Je me mettrais au feu pour lui, si j’étais l’homme incombustible !
— Voilà qui est bien, mais M. Paul est comme toi, il a ses défauts, et il est difficile à servir.
— Pourquoi cela ?
— Parce qu’il ne dit pas tout ce qu’il sait. Tu comprends qu’il m’a fallu des obstacles de plus d’une sorte pour m’empêcher, pendant trois ans, de trouver ce que je cherchais.
— Dites ce que vous cherchez, patron.
— La question a l’air bien simple, repartit Badoît qui semblait soucieux, et pourtant on n’y peut répondre d’un mot. Quand Mme Soulas m’a embauché pour le service de M. le baron, car c’est elle qui m’a fait quitter ma place d’inspecteur, c’était droit comme un I. M. le baron, qui venait de faire un bon héritage, n’était pas millionnaire, mais il avait de quoi payer.
— Quand les choses me gantent, fit observer Pistolet, je me moque pas mal d’être payé, moi.
— Moi, continua l’ancien agent doucement, je vis de pain et de viande. J’ai besoin d’un fixe pour solder le boucher et le boulanger.
— Est-ce que M. Paul, ou M. le baron demande du crédit ? questionna Pistolet.
— Jamais. Ne me coupe pas le fil, petit. M. le baron paie recta ; mais ce que j’ai à te dire n’est pas déjà si facile à détailler. Fais le mort. J’en étais à te spécifier qu’au début tout ça était clair comme de l’eau de roche. Mme Soulas, pour qui tu connais mes sentiments affectueux, me disait de marcher, je marchais. Depuis, Mme Soulas a changé pas mal.
— Ah ! ah ! fit le gamin. Mme Soulas est-elle maintenant contre M. Paul ?
— Ni pour, ni contre, mon bonhomme. Mme Soulas a un chagrin, un secret, je ne sais pas quoi. J’ai cessé de la comprendre, il y a déjà du temps.
— On tâchera de vous le déchiffrer, patron.
— M. le baron a changé aussi.
— Et vous ne le comprenez plus ?
— Pas si bien qu’autrefois.
— Présent. Nous essuierons vos lunettes.
— Au début, il voulait deux choses : trouver les parents d’une jeunesse qu’il a autant dire adoptée, et mettre la main sur les assassins de son frère.
— Et au jour d’aujourd’hui ?
— Aujourd’hui, on ne parle plus de la jeune personne.
— Pourquoi ?
— C’est là le hic. Pourquoi ?
— Est-ce sa maîtresse, patron ?
M. Badoît rougit, tant il était éloigné de cette idée, qui fit naître en lui une sorte d’indignation.
— On te dit : C’est sa fille d’adoption, répliqua-t-il. M. le baron est un honnête homme des pieds à la tête. Et d’ailleurs…
— Et d’ailleurs ?
— M. le baron est amoureux fou de Mlle Ysole de Champmas.
— Ah ! bigre ; une belle fille, celle-là ! fit Pistolet d’un ton de connaisseur ; je parle de trois ans. Si Mèche n’avait pas rempli mon âme tout entière à l’époque…
— Depuis trois ans, elle a embelli, interrompit M. Badoît.
— Bravo ! Mais quand vous avez dit pour la première fois : d’ailleurs, ce n’était pas de Mlle Ysole de Champmas que vous vouliez parler, patron.
— C’est vrai, petiot. On ne peut rien te cacher. Je voulais parler de Blondette.
— Blondette, c’est la fille d’adoption ?
— Blondette, c’est le mystère ! Je voulais ajouter : d’ailleurs, quoiqu’elle soit plus jolie que les anges, Blondette ne peut pas inspirer d’amour à M. le baron, ni à personne.
— Trop jeune ?
— Quinze à seize ans.
— Hé ! hé ! s’il n’y a que cette raison-là…
— Il y a une autre raison bien triste : Blondette est, à ce qu’il paraît, un malheureux être privé d’intelligence, et, de plus, elle est muette.
Pistolet garda un instant le silence.
— Vous la connaissez, patron ? reprit-il ensuite.
— Jamais je ne l’ai vue.
— Alors, qui vous a dit qu’elle était idiote et muette ?
— Mme Soulas.
Pour la seconde fois, Pistolet resta un instant sans parler.
— Celle-là était une bonne personne autrefois, murmura-t-il. Je veux vous conter un détail, pendant que j’y pense, patron. Le lendemain du grand jour, car, en définitive, pour nous, tout part de ce jour-là, je rencontrai Mme Soulas, vers les dix heures du matin, sur le quai des Orfèvres. Elle avait l’air d’une folle. Vis-à-vis de la maison au foulard rouge, vous savez bien ce que je veux vous dire, elle rencontra une autre folle : la vieille Jeannette, servante des demoiselles de Champmas…
— Jeannette sortait de me parler, interrompit ici M. Badoît, et je venais lui dire que la fille cadette du général avait disparu. Elle s’était écriée, je m’en souviens comme si j’y étais encore : C’est la fille naturelle qui a fait cela !
— Possible. Voici mon anecdote. Mme Soulas accosta Jeannette et lui demanda :
— Est-ce que Mlle Suavita de Champmas était ?…
Elle n’acheva pas, mais elle planta son doigt au milieu de son front.
Jeannette l’écarta violemment et comme si elle eût voulu repousser une insulte adressée à la fille de son maître.
Mais Mme Soulas s’attacha à ses vêtements et lui demanda encore :
— Est-ce que Mlle Suavita de Champmas était muette ?
La vieille Jeannette déchira sa robe en l’arrachant de ses mains, et s’éloigna d’elle avec horreur.
Mme Soulas, et c’est ce qui me frappa, murmura en passant près de moi :
— Non, non ! ce n’est pas elle !
M. Badoît secoua la tête et dit avec découragement :
— J’ai cherché assez de ce côté. Mme Soulas avait raison : Blondette ne peut pas être la fille du général. M. le baron habite à quelques lieues du château de Champmas, là-bas, dans l’Orne. D’ailleurs, pourquoi la cacherait-il ?… Non. Il y a là un mystère, et je sais bien que Mme Soulas pourrait le dire. Ce que j’ai pensé, le voici : les Habits-Noirs ont essayé d’assassiner cette enfant-là, c’est un fait. Quelle qu’elle soit, ils ont un intérêt à cela. Le baron la cache pour la soustraire à quelque danger dont il connaît mieux que nous la nature.
— Ainsi soit-il, dit Pistolet. Alors, cette Blondette est bien mon petit paquet de soie blanche ?
— Il y a des motifs pour le croire.
— Après ?
— La chose certaine, c’est que le baron semble ne plus chercher les parents. De deux choses l’une : ou il les a trouvés, ou il désespère de les trouver. Désormais, ma besogne unique auprès de lui est d’éventer la piste des assassins de son frère.
— Et vous voulez m’embaucher, patron, pour courir sus à Coyatier, à Landerneau et à Coterie ?
M. Badoît semblait rêver.
— Quant au marchef, reprit Pistolet, je l’ai assez malmené pour une fois. Landerneau est un pauvre diable, Coterie ne vaut pas la corde pourrie qui le pendrait. Vrai, ça ne me va pas. C’est trop facile. J’aime mieux me ranger.
— Petiot, reprit Badoît, moi je me plains que c’est trop difficile. Coterie, Landerneau et le marchef n’ont été que les instruments du crime.
— Bravo ! fit le gamin. Montons ! ça va devenir intéressant. Causez.
— Landerneau, Coterie et le marchef doivent nous servir seulement à trouver le véritable auteur du crime : la tête qui a mis en mouvement ces trois paires de bras.
— Les Habits-Noirs, parbleu ! s’écria Pistolet, pourquoi mâcher les mots ! Ils ne me font pas peur. Mon tic est de me batailler avec ceux qui sont plus forts que moi. Va comme je te pousse ! L’affaire me plaît d’autant plus que je n’aurai pas besoin de quitter Paris, mes amours.
Badoît l’arrêta ici.
— C’est ce qui te trompe, petiot, murmura-t-il. Ta première expédition aura lieu à la campagne.
— Parce que ?
— Parce que si le fretin est à Paris, le gros gibier voyage en ce moment. Regarde-moi ça.
Il avait tiré de sa poche un papier écrit au crayon.
C’était un extrait des talons du bureau des passeports. Le gamin lut : « … 21 septembre 1838… »
— C’est aujourd’hui, dit-il.
— Oui, c’est aujourd’hui, va toujours.
« … Le colonel Bozzo… M. Lecoq de La Perrière… Mme la comtesse de Clare… » connais pas celle-là.
— Si fait, répliqua M. Badoît ; l’ancienne Marguerite de Bourgogne de la rue de l’École-de-Médecine : Mme Joulou du Bréhut.
— Oh ! oh ! s’écria Pistolet, la particulière à Lecoq ! ça se dessine. Ils sont partis ensemble ?
— Tous les trois, ce matin.
— Et ils vont ?
— Au Château-Neuf-Goret, en Mortefontaine, par la Ferté-Macé, département de l’Orne.
— Qui est-ce qui demeure là ?
— Un homme qui envoie chaque mois trois mandats de 100 francs sur la poste de Paris : un à Maclou, chiffonnier…
— C’est le faux nom de Landerneau, interrompit le gamin.
— Un au nommé Boitard…
— C’est Coterie !
— Un troisième à Joseph Moynet, cabaretier, passage Saint-Roch.
— Ce doit être le marchef ! s’écria Pistolet. Je m’amuse comme un cœur ! Je parie que l’homme du château est…
— Si je savais cela aujourd’hui, nous partirions ce soir, dit M. Badoît.
Pistolet se mit sur ses pieds.
— Zéphyr ! à la baïonnette ! se commanda-t-il à lui-même : Chargez !
Il sortit en courant sans dire gare.