La Science (Verhaeren)

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Les Forces tumultueusesSociété du Mercure de France (p. 87-92).


LA SCIENCE




Qu’ils soient sacrés par les foules, ces hommes
Qui scrutèrent les faits pour en tirer les lois,
Qui soumirent le monde à la mesure, et, comme
Un roc hérissé d’or, ont renversé l’effroi.

Jadis, c’était la mort, son culte et son délire
Qui s’emparaient de l’homme et l’entouraient de nuit
Pour lui masquer la vie et maintenir l’empire
Debout du dogme et du péché ; mais aujourd’hui

Le mystère géant n’est plus même funèbre,
Ombre après ombre, il disparaît dans les clartés
Si bien qu’on songe au jour où toutes les ténèbres
Choiront, mortes, sous les pieds clairs des vérités.


La fable et l’inconnu furent la double proie
D’un peuple de chercheurs aux fulgurantes mains
Dont les livres ont dit comment la force ondoie
Du minéral obscur jusqu’aux cerveaux humains ;

Comment la vie est une, à travers tous les êtres,
Qu’ils soient matière, instinct, esprit ou volonté,
Forêt myriadaire et rouge où s’enchevêtrent
Les débordements fous de la fécondité.

Ô vous, les éclaireurs des tragiques visages
Tournés du fond des temps vers nos âges vermeils,
Dressez votre splendeur, comme, en tels paysages,
Luisent, de loin en loin, des tours dans le soleil.

A-t-il fallu scruter sous l’examen les choses
Pour limiter d’abord et affirmer après
Ce qui dans l’univers fut origine ou cause,
Sans s’égarer encor dans le dédale abstrait !

Ô les contrôles sûrs ! les batailles précises !
Les vieux textes croulés sous des arguments clairs !
L’âme de la réalité qu’on exorcise
Et qu’on libère enfin dans la santé de l’air !

 
Tout l’infini peuplé d’hypothèses logiques !
Le fourmillement d’ombre et d’or des cieux hautains
Soustrait lui-même aux puissances théologiques
Et dominé par des calculs froids, mais certains.

Les neuves vérités ainsi que des abeilles,
Pour une ruche unique et pour le même miel
Peinant et s’exaltant et saccageant la treille
Des beaux secrets cachés qui joint la terre au ciel.

Les recherches foulant le sol des consciences ;
Ordre et désordre unis et beaux comme la mer ;
Le germe humain reproduisant en sa croissance,
Les grands types de vie au cours des temps amers.

Et chaque élan vainqueur de la pensée entière
Qui n’a qu’un but : peser, jauger et définir,
Se confondant comme une flamme dans la lumière
Et la lucidité, qui seront l’avenir.

L’homme s’est assigné, sur le globe, sa place
Solidaire, dans l’attirant affolement
Et le combat entre eux des atomes rapaces
Depuis les profondeurs jusques au firmament.

 
Chaque âge exige enfin du temps son rapt de flamme
Et s’il est vrai qu’après mille et mille ans, toujours,
Quelque inconnu nouveau surgisse au bord de l’âme,
Les poètes sont là pour y darder l’amour,

Pour l’explorer et l’exalter avant les sages,
Sans que les dieux s’en reviennent comme jadis
Introniser leur foi dans les vallons des âges
Pâles encor d’éclairs et d’oracles brandis.

Car maintenant que la voie est tracée, immense,
Droite et nette, tout à la fois ; car maintenant
Qu’on regarde partir, robuste et rayonnant,
Vers son travail, l’élan d’un siècle qui commence ;

Le cri de Faust n’est plus nôtre ! L’orgueil des fronts
Luit haut et clair, à contre vent, parmi nos routes,
L’ardeur est revenue en nous ; morts sont les doutes
Et nous croyons déjà ce que d’autres sauront.