La Semaine de Mai/Préface

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Maurice Dreyfous (p. v-viii).


PRÉFACE


Les pages qui suivent ont paru dans le journal la Justice. Je n’ai eu, ni le désir, ni le temps de les refaire. Sauf de rares corrections, ou l’addition de quelques faits qui m’étaient arrivés trop tard, je donne ici la série d’articles publiés pendant les mois de février, de mars et d’avril. J’avais réuni depuis longtemps, sur les terribles événements de la prise de Paris, un assez grand nombre de documents ; il m’en est venu plus encore, à mesure que la publication avançait. Les témoignages affluaient. Il fallait à la fois les comparer, les classer, les utiliser, au milieu des nécessités quotidiennes de journalisme. La Semaine de Mai se ressent, pour la composition du livre, de cette production hâtive, au jour le jour. L’essentiel, c’était de ne point dépasser la vérité : j’ai l’assurance de ne l’avoir point dépassée.

Tous ceux qui ont fait du journalisme, savent dans quelle mesure le public se mêle à l’œuvre de la presse. De tout côté, les encouragements, les démentis, les éloges et les injures, arrivent aux journaux. Ce sont des lettres, des visites, sans compter les réponses’des feuilles adverses. On pense bien qu’un sujet aussi brûlant que le mien devait passionner les lecteurs. J’ai reçu d’innombrables communications ; il y a eu, dans le nombre, un démenti, en tout et pour tout.

C’était une lettre relative à la cour martiale du Châtelet. L’auteur prétendait qu’il avait assisté à une de ses séances ; que tous les condamnés étaient de grands coupables ; qu’il avait pu, par son crédit, en sauver quelques-uns. Certains détails me mirent en garde. Mon correspondant affirmait que les hommes de la Commune avaient badigeonné de pétrole les Tuileries et l’Hôtel-de-Ville huit jours à l’avance (sans doute pour leur donner le temps de sécher). L’auteur du démenti signait et répétait la signature en marge, avec deux adresses pour garantie, sa demeure actuelle, et sa demeure en 1871. Je pris la précaution de faire vérifier l’existence de ce correspondant ; il était également inconnu aux deux adresses qu’il indiquait. Voilà l’unique contradiction que j’aie reçue. Dans la presse, je fus en butte à des attaques assez vives : personne ne tenta de réfuter un seul des faits précis allégués par moi.

On a essayé de faire croire que je reproduisais les récits partiaux de proscrits, de déportés, les « légendes de Nouméa et de l’exil ». — Rien de plus inexact. Je n’ai cité, en fait de documents imprimés, que les journaux de Versailles, la presse anglaise, l’enquête de l’Assemblée, et les livres d’historiens acquis à la cause de la répression. Je n’ai emprunté qu’un récit d’exécutions à un écrivain communaliste (M. Lissagaray) ; et la pièce qu’il cite était confirmée par les témoignages que j’avais pu recueillir.

Quant aux renseignements inédits qui m’ont été fournis de divers côtés, ils me viennent presque exclusivement de Parisiens étrangers à la Commune, de médecins, de négociants, etc., qui ont vu de leurs yeux ce qu’ils m’ont raconté. Un certain nombre de récits me sont fournis par l’armée : par d’anciens soldats, d’anciens caporaux et sous-officiers, et même par des officiers.

On a tort de croire que le massacre n’a été qu’une répression féroce contre les « fédérés » : il s’est trouvé, en fait, dirigé contre Paris entier, et non pas contre le seul parti de la Commune. Paris en a gardé la mémoire : et l’on n’a pas besoin de chercher beaucoup, pour en retrouver les souvenirs encore vivants même dans la portion la plus paisible de la population.

Tous ceux qui voudront s’informer de ce qui s’est passé en mai 1871, seront forcés de reconnaître que je n’ai pas cherché à exagérer l’horreur du massacre, et que j’ai, au contraire, gardé la plus grande réserve.

Non seulement je me suis refusé à dramatiser les faits très pathétiques que j’avais en main, et je me suis borné presque toujours à les exposer le plus froidement possible : mais encore j’ai écarté systématiquement des séries entières de faits. On le sait bien ; et c’est ce qui m’explique que mon récit n’ait soulevé aucune contestation. La discussion aurait révélé au pays, sur tous les points, plus que je n’ai dit.

J’ai été à une école de critique historique trop sévère, pour ne point savoir qu’il est impossible de ne pas laisser échapper, dans une étude de quelque étendue, des inexactitudes de détail ; mais ce que je puis affirmer, c’est que, dans l’ensemble, la vérité a été plus affreuse que je ne l’ai montrée.