La Société future/Chapitre 14

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P. V. Stock (p. 212-225).

XIV

LA VALEUR


On sait que messieurs les économistes ont la prétention de s’appuyer sur la science pour étayer leurs théories bourgeoises, justifier l’exploitation du travail des masses par la minorité. Ils s’évertuent d’une façon, on ne peut plus touchante, à démontrer aux travailleurs que, s’ils sont exploités, misérables, crevant de faim, ils le sont, du moins, d’une façon tout à fait « scientifique ! » et n’ont, par conséquent, rien à réclamer.

« Vous êtes volés ! » s’exclament-ils, « exploités, dépouillés de toutes les jouissances de la vie, mais, sachez-le, au nom de la science qui vous refuse ces jouissances, vous devez courber la tête, et vous incliner devant ses décrets. Vous subissez des « lois inéluctables », contre lesquelles, il n’y a pas à s’insurger. — Tout ce que nous pouvons faire pour vous être agréables, c’est de vous en expliquer le mécanisme, afin de vous prouver qu’il est impossible de vous y soustraire » !

Ce n’est, certes, pas la tournure littérale des discours de ces messieurs qui, ayant un dédain très aristocratique de la « vile multitude, » n’aiment pas s’adresser directement à elle. Ils se contentent, d’ordinaire, d’affirmer aux capitalistes que les travailleurs sont faits et mis au monde, tout exprès, pour faire fructifier les capitaux des premiers ; que ceux-ci n’ont pas à tenir compte des réclamations importunes et inopportunes de ces envieux qui ne sont jamais satisfaits. Mais si ce n’en est pas la forme exacte, c’en est du moins l’esprit, c’en est l’aveu positif, dépouillé de ses fleurs de rhétorique.

Pourvu qu’ils aient « prouvé », par des arguments plus ou moins spécieux, appuyés de citations grecques, latines, algébriques, que le travailleur doit se contenter de vivre de pommes de terre et coucher dans des taudis, ils se redressent, fiers comme des poux sur une gale, et nous disent : « C’est la science qui l’affirme ! c’est la nature qui le décrète ! nous ne faisons qu’enregistrer leurs lois. »

Seulement, à des mécréants comme nous, leur façon de faire de la science, nous paraît fort discutable et nous réclamons. À ce compte-là, l’astrologie, la chiromancie et la cartomancie pourraient réclamer, à égal titre, le droit de figurer comme science dans les connaissances humaines. Et le sâr Péladan, pourrait lui aussi, revendiquer l’introduction, à l’Université, au milieu des sciences exactes, de l’enseignement de la fumisterie.


Voici leur façon de procéder : ils prennent trois ou quatre faits qui sont la conséquence de l’organisation sociale actuelle, ils déclarent ces faits des « lois naturelles, » c’est-à-dire des faits découlant de lois physiques naturelles, ou résultant de la nature même de l’homme.

Ces faits qu’ils prennent ne sont que des effets de l’organisation sociale vicieuse que nous subissons ; eux, en font des causes, ils n’ont pas de peine à démontrer que, supprimés, ils ne tarderaient pas à se reproduire — puisque, les véritables causes, ils les mettent hors discussion. — Et, une fois cette inéluctabilité admise, sinon prouvée par eux, les voilà partis à faire pivoter tout leur système autour de ces « lois naturelles » si désinvoltement décrétées, de par leur propre autorité.

Si l’on ne discute pas les faits sur lesquels ils basent leurs raisonnements, si l’on accepte leurs prémisses, leurs conclusions semblent absolument logiques ; mais, si l’on dissèque leurs pseudo- « lois naturelles », on a vite fait de s’apercevoir que le point de départ de leur raisonnement est faux, que ce qu’ils veulent nous faire prendre pour des lois inéluctables ne sont que les conséquences d’un état social vicieux, mal équilibré, basé sur la violation des véritables « lois naturelles ». Alors, tout leur échafaudage de mensonges s’écroule, ne laissant debout que leur ignorance, leur vanité et leur mauvaise foi.

Nous allons voir qu’il n’en est pas autrement pour la « valeur » dont ils ont fait le pivot de leurs relations, de leur commerce, de leurs échanges.


« Créer de la valeur », disent-ils, « est le premier phénomène naturel que nous rencontrons au seuil de l’économie politique[1]. » Mais, demandez-leur ce que c’est que la valeur ! Est-ce une bête qui va par terre ou par eau ? — « Créer de la valeur, » disent-ils, « c’est fabriquer des objets échangeables contre d’autres objets. »

Vous leur faites observer que cela vous explique bien, comment on « fabrique » de la valeur, mais ne vous donne aucune notion de la valeur, elle-même. Ils reprennent, alors, « que, ces objets « échangeables », étant, en même temps, consommables, ils « prennent » de la valeur, selon leur abondance ou rareté. Plus ils sont rares, plus ils ont de la valeur ; plus ils sont abondants, moins ils valent. »

— Oui ! mais, qu’est-ce… ?

— Attendez, attendez ! Ces objets, leur manutention, leur fabrication exigent un certain temps, n’est-ce pas, pour les rendre prêts à être consommables par l’acheteur ? Eh bien, ce temps nécessité à leur production, c’est encore de la valeur qu’ils s’incorporent ! Ajoutez-y l’intérêt de la valeur d’achat, les risques encourus par le capitaliste qui en a fait l’avance, ses voyages, ses transbordements, et vous aurez la valeur définitive, formée de toutes ces valeurs dépensées pour amener l’objet, en état d’être échangé ou consommé.

Cela ne vous a pas expliqué du tout, pourquoi un objet se transforme en valeur, pourquoi du travail est de la valeur, mais devant une accumulation de tant de « valeurs, » vous êtes forcés d’accepter la définition telle quelle, et vous poursuivez votre enquête.

Dans les stades primitifs de l’humanité, on dut se préoccuper fort peu de la théorie de la valeur. Les débuts du commerce durent être plus modestes. Un individu avait besoin d’un objet, il devait l’emprunter au camarade qui pouvait en disposer, quitte à lui rendre un autre service plus tard, sans s’occuper s’il recevait ou donnait plus ou moins. Ce ne dut être que plus tard, l’esprit d’appropriation s’étant fait jour, peut-être aussi parce que le possesseur éprouvant lui-même une forte passion pour l’objet désiré, ne consentait à le céder que contre un autre objet, éveillant chez lui une tentation plus forte à posséder cet objet différent. On en vint à échanger objet contre objet, et à désirer quelque chose en retour de ce que l’on donnait.

En fin de compte, on en vint à éprouver le besoin de fixer aux objets une valeur déterminée, afin de régulariser les transactions, de faciliter les échanges. Certains objets furent désignés comme étalon de la tarification des choses échangeables. C’est ainsi que la compagnie de la baie d’Hudson, demande tant de peaux de castors pour un fusil, une hache, etc., et qu’il faut tant d’autres peaux de qualité inférieure, pour une peau de castor.

Dans certaines régions de l’Afrique, un esclave vaut tant de mètres de cotonnade, tant de colliers de perles ou de cauris, ailleurs, c’est la vache, la dent d’éléphant, en d’autres, même, c’est la femme qui servent de valeur d’échange. Les économistes affirment que ce fut un grand progrès quand on eut trouvé une mesure de la valeur. — Puisqu’on ne trouva pas mieux, évidemment, cela fut un progrès sur ce qui existait auparavant, mais quand l’outil devait être perfectionné, ce fut un joli moyen d’exploitation que l’on avait trouvé là.

Aussi ne tarda-t-il pas à devenir insuffisant. Dépecée, une vache conserve bien encore une certaine valeur marchande, mais elle ne reste pas, sous cette forme, indéfiniment échangeable ; et une femme, un esclave, quelle que soit leur valeur sur pied, bien vivants, ils n’en ont plus si on s’amuse à les fragmenter ; il fallait trouver une valeur représentative plus pratique, qui pût se diviser, rester incorruptible, tout en changeant indéfiniment de mains, et on en arriva, ainsi, aux coquillages, aux instruments de guerre ou aratoires, aux métaux plus ou moins précieux, puis, après bien des essais, des tâtonnements, à la monnaie d’or, d’argent ou de cuivre, frappée à une effigie quelconque, avec une valeur plus ou moins fixe qui devait, dorénavant, servir de base aux transactions.

Les progrès s’étant continués, les opérations commerciales s’étant faites sur des quantités considérables d’objets, il a fallu trouver des valeurs représentatives de ces monnaies — valeurs représentatives, elles-mêmes, déjà — plus facilement transportables, et moins encombrantes : les billets de banque, chèques, traites, actions et autres valeurs, ont fait leur apparition. Nous verrons plus loin que cela a compliqué les échanges sous prétexte de les simplifier et a servi, à ceux qui avaient déjà réussi à imposer leur exploitation, à tromper ceux auxquels ils servaient d’intermédiaire, et à prélever, à leur profit, sous le titre de « bénéfice, » la part de valeur dont ils frustraient producteurs et acheteurs.


Mais, tout ce qui sert à l’usage de l’homme, n’est pas le produit exclusif de son seul travail. Métal, bois, fruit, viande, etc., pour avoir subi le travail de l’homme, et s’en être incorporé la valeur, n’en possédaient pas moins, auparavant, une valeur intrinsèque qu’ils tenaient des seules forces naturelles toujours actives sur notre globe terraqué ; libre combinaison chimique des éléments constitutifs qui se trouvent épars dans la terre, l’air et l’eau. Il s’ensuit que celui qui s’empare des produits naturels pour en trafiquer, s’empare d’une valeur qui ne lui appartient pas, car il ne peut le faire qu’en vertu du droit de propriété, droit fictif, artificiel, qui lui permet de détenir une portion de notre globe, en vertu de contrats non consentis, droit qui prend sa source dans la force brutale, la conquête, la spoliation, le vol et la fraude.

Celui qui s’empare de ce qui ne lui est pas d’une nécessité immédiate commet un vol au détriment de celui qui en a besoin. L’on peut nommer bénéfice le profit que tire l’intermédiaire de ses services, si l’accumulation desdits bénéfices lui permet de thésauriser, ce bénéfice n’en est pas moins un vol qu’il commet au détriment de ceux qui ont recours à ses services.

La propriété et la valeur ne sont pas des « lois naturelles », mais des conséquences arbitraires d’une organisation sociale vicieuse, et les conclusions des économistes qui leur paraissaient si logiques manquent de bases. Ce que le capital tire — sous le nom de rente ou d’intérêt — des moyens de production qu’il s’est accaparé, ne se justifie que par la légitimation d’un premier vol. Quand ils auront prouvé le droit d’appropriation, ils auront encore à prouver le droit d’exploitation, mais, jusqu’à présent, comme ils ont beaucoup ergoté, mais rien prouvé, ils nous permettront de leur dire que leur système est à terre.

Ils essaient de s’en tirer, en affirmant la nécessité d’une valeur d’échange pour faciliter les relations et les échanges. L’impossibilité, pour une société, d’exister sans pouvoir pondérateur, la perte de toute activité humaine, sans possibilité d’appropriation. Nous avons vu et nous verrons encore, dans ce travail ce que valent toutes ces affirmations.


Les économistes étant les défenseurs avoués, — sinon brevetés et patentés — de l’ordre bourgeois, nous aurions le droit de ne pas trop nous attarder à leurs affirmations ou dénégations, mais certains socialistes voulant paraître, eux aussi, très scien…cés, se sont appliqués à vouloir nous resservir le même mets à une autre sauce. Pour eux aussi, il est hors de doute que l’humanité ne puisse exister, si elle ne possède pas une valeur d’échange, et un pouvoir chargé de régler les différends. Voyons donc un peu comment, jusqu’à présent, on a réglé la valeur.

Nous venons de voir que dans la production d’un objet, il entrait une part de forces naturelles qui n’appartiennent à personne, — à tout le monde, par conséquent — c’est donc un premier vol qu’accomplissent ceux qui s’en accaparent le monopole pour les revendre aux autres. Nous verrons dans le chapitre suivant, que la force de travail dépensée pour ouvrer un objet est également impossible à évaluer, et qu’elle varie selon la volonté du capitaliste et les circonstances dans lesquelles se meut le travailleur.

Selon que le produit abonde ou se raréfie sur le marché, cette valeur baisse ou monte. Or, on sait que ces hausses ou ces baisses artificielles sont provoquées à volonté par des agioteurs qui inondent le marché ou font la rafle des produits sur lesquels ils veulent spéculer, ou tout simplement pour écraser le concurrent qui les gêne. La valeur des objets est donc purement arbitraire et ne repose sur rien de logique.

Jusqu’à présent, nous voyons que créer de la valeur c’est prélever une certaine somme sur le travail d’autrui, en servant d’intermédiaire entre le producteur et le consommateur, somme que l’on baptise « bénéfice » pour se justifier de la mettre dans sa poche, et parce que l’organisation sociale est ainsi constituée, que cet intermédiaire dont on pourrait se passer dans une société normalement constituée, est rendu inévitable, par le fait que quelques-uns se sont approprié le capital qui manque aux autres.


Pour légitimer ce bénéfice que le capitaliste retire de son commerce, de son industrie ou autres opérations, les économistes nous font entrer en ligne de compte « les risques courus par le capital dans l’entreprise. » Nous n’avons pas besoin d’insister sur ce fait que le capital ne produit rien par lui-même ; qu’après avoir été acheté, un objet ne vaut intrinsèquement que ce qu’il valait auparavant ; il n’y a que le travail qui puisse ajouter à sa valeur, puisque valeur il y a.

S’il y avait des risques à courir et qu’il dût y avoir une prime à payer pour ces risques, en toute logique, c’est au travail qu’elle devrait être payée, puisque c’est lui qui a fourni le capital nécessité par l’achat. Mais ce sont les capitalistes qui font la loi. Ils en ont décidé autrement. Passons.

« Le capital que l’on aventure dans une entreprise, court des risques », disent les économistes. « L’entreprise peut ne pas produire ce que l’on en attend, ou même échouer tout à fait, le capitaliste est, par suite, exposé à perdre ses avances. Il est donc de toute justice qu’il prélève un certain intérêt de son argent pour se couvrir de ses risques ! »

Voilà bien de la logique capitaliste ! Parce qu’il est exposé à perdre son capital, celui qui lance son argent dans une entreprise doit réclamer un intérêt qui le couvre de ses risques. Mais, de deux choses l’une, ou le capitaliste récupérera les fonds qu’il aura avancés, ou il les perdra. Dans le premier cas il n’aura pas couru de risques, alors il prélève indûment une assurance qui ne lui revient pas ; dans le second cas, le risque était bien réel, puisque l’accident est arrivé, mais il nous semble que s’il y perd le capital, il ne doit pas tirer grand’chose de la prime d’assurance. Il aura beau élever cette prime d’assurance, ce n’est pas cela, bien au contraire, qui le fera rentrer dans son capital perdu.

La prime d’assurance n’est donc payée que par les entreprises qui réussissent ? Le capitaliste n’empoche sa prime que lorsqu’il n’a pas couru de risques ? Il s’ensuit donc que ce sont les opérations qui ne courent pas de risques qui paient les aléas des opérations véreuses. Le capital se récupère toujours sur le produit du travail ; c’est ce dernier qui paie les pots cassés.

Mais, à ce compte-là, le gargotier qui marque « à la fourchette », ferait donc sans le savoir « de l’économie politique ? » En faisant figurer deux fois le même article sur la même note, on fait payer au client solvable pour celui qui « oublie » de le faire, c’est la mise en pratique du système cher aux Leroy-Beaulieu et aux Molinari. Voilà une application naturelle de leurs lois économiques que ces derniers n’avaient pas encore invoquée, et que nous nous faisons un plaisir de leur signaler.


Du reste, est-ce que dans la société actuelle, tout n’est pas organisé de cette façon. Les maisons de vente par abonnement, ces « œuvres si éminemment philanthropiques », ne sont-elles pas basées sur ce système. Tout le monde connaît les sommes énormes qu’elles sont « censé » perdre, par la mauvaise paye de nombre de clients qui, une fois en possession de l’objet désiré, ne veulent plus du tout entendre parler de liquider leur compte. Nous avons dit censé perdre, et le mot est exact, car ordinairement, l’objet n’est livré que lorsqu’il est déjà à moitié soldé, mais comme la maison a le soin de le tarifer quatre fois sa valeur, il s’ensuit qu’elle gagne encore dessus cent pour cent, sans compter des avances de fonds dont elle a joui sans rien débourser. Et voilà comment on fait crédit aux travailleurs !

Dans les sociétés de secours mutuels, associations pour l’achat ou la création de rentes, est-ce que le système n’est pas le même ? Ne sont-ce pas les cotisations de ceux qui ne seront pas malades qui paient les médicaments de ceux qui le seront ? Les versements de ceux qui mourront avant l’âge fixé qui formeront les rentes des survivants ? Et toute la société est ainsi basée au rebours du sens commun, où la solidarité est bien mise en œuvre, mais pour profiter tout aux uns en exploitant les autres. Organisée, surtout, de façon à faire désirer à chacun la perte de son concurrent puisqu’il doit profiter de ses dépouilles.


Nous avons dit plus haut que c’était le travail seul qui était le producteur de toute richesse. En effet, on pourrait entasser toutes les pièces d’or, d’argent, toutes les valeurs financières, combiner tous les transfèrements et tous les virements possibles, brasser le tout, tant que l’on voudra, le temps ne les augmentera pas d’un gramme, les espèces ne feront pas de petits. Les spéculations les plus abstraites et les plus fictives supposent toujours un produit naturel, une certaine dose de travail sur lesquels puissent se baser leurs calculs.

Que l’on supprime ces valeurs, les relations, certainement seront modifiées, les conditions d’existence et du travail prendront une autre tournure, à coup sûr, mais, somme toute, il n’y aura pas un gramme de moins de viande, un grain de blé de moins. L’humanité pourrait continuer de vivre, tandis que du jour où les producteurs refuseraient le travail, la bourgeoisie avec son capital ferait triste mine. C’est donc le travail qui est le vrai producteur de richesses. Le capital représente toute la valeur et le produit dont le travail a été frustré.

Si les premiers trafiquants s’étaient contentés d’échanger des objets de consommation contre d’autres objets de consommation, ils n’auraient pu se créer de capital. Si deux individus échangent deux objets d’égale valeur, ils ne sont pas plus riches après qu’avant. Ils peuvent être davantage satisfaits l’un et l’autre, en possédant un objet qui éveille davantage leur affection, mais c’est le seul avantage qu’ils en tirent. S’il y a bénéfice matériel pour l’un, c’est qu’il y a perte pour l’autre, c’est qu’alors il y a tromperie, le « marquage à la fourchette » a fait son apparition.

À l’aurore de l’humanité, lorsque toutes les facultés de l’homme étaient concentrées sur la possibilité de vivre, l’homme pouvait bien échanger un objet contre un autre, mais ce n’était qu’un échange de services, qui s’opérait, il n’y avait encore aucune place pour le commerce, ni le capital. Ceux-ci ne firent leur apparition, que lorsque certains individus eurent appris à spéculer sur les désirs de leurs semblables et à se faire payer leurs services plus qu’ils ne valaient réellement. Ce dut être la survivance d’un souvenir semblable qui, chez les anciens grecs et romains, leur avait fait donner aux voleurs et aux marchands un dieu commun : Mercure !

L’évolution ayant pris cette direction, plus l’homme s’est développé, plus la spécialisation s’est accentuée, c’est ce qui fait que le commerce est devenu une institution que l’on retrouve déjà complètement établie dès l’aurore de l’époque historique. Plus les échanges se sont multipliés, plus les capitaux se sont concentrés entre les mains de ceux qui avaient formé la classe mercantile, mais l’ancienneté du vol ne peut justifier le vol actuel, et ceux qui en sont victimes ont le devoir de s’y soustraire.

La création de la valeur d’échange, c’est-à-dire la monnaie, a permis à ce vol de s’établir parmi les associations humaines, en faisant croire aux individus à une rémunération de services, tandis qu’on les spoliait d’une partie de leur production, en les trompant sur la valeur réelle des objets. Le capital n’est que le produit accumulé des vols que les générations passées de spéculateurs ont fait subir aux producteurs, et c’est ce vol que l’on prétend nous faire accepter comme la conséquence d’une « loi naturelle », pour légitimer les vols que l’on voudrait continuer de faire subir aux générations présentes et futures.

Nous venons de voir que l’on n’avait pas pu établir une véritable mesure de la valeur, nous allons voir maintenant que, jusqu’à présent, on ne nous a présenté que des conceptions arbitraires de la valeur, que cette mesure est impossible à créer et que, par conséquent, la prétention des économistes et des socialistes de vouloir établir une société où chacun serait rémunéré selon son travail n’est qu’une fumisterie, et qu’une règle établie en ce sens ne sera que la continuation de la spoliation légale des uns au détriment des autres.


  1. Les Lois naturelles de l’Économie politique, par G. de Molinari, page 1.