La Tentative amoureuse/01

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Stock (p. 19-32).


Poussière légère qui se disperse.
Cualquier viento que sopla.


I


L’aube vint. Chargé de fleurs, Luc sortit du bois encore nocturne et transi un peu de fraîcheur matinale, il s’assit au talus de l’orée pour attendre le lever du soleil. Devant lui s’étalait une pelouse humide, de fleurs diaprée et d’eau vaporeuse et brillante. Luc attendait tout le bonheur, confiant, et pensant qu’il viendrait comme un essaim volant se pose et que pour lui déjà tout s’était mis en route. L’aurore frémissait d’une joie infinie et le printemps naissait d’un appel de sourires. Des chants vibrèrent et parut une ronde de jeunes filles.

Folles et par l’herbe trempées, et les cheveux encore défaits de la nuit, elles cueillirent des fleurs toutes, et, levant leur jupe en corbeille, laissèrent danser leurs pieds nus. Puis, de leurs rondes vite lassées, elles descendirent au bas du pré, vers les sources, s’y laver, s’y mirer, s’apprêter pour les plaisirs du jour.

En se quittant, chacune oublia ses compagnes.

Rachel revint seule et songeuse ; elle reprit les fleurs tombées et se baissait en geste d’en cueillir de nouvelles, pour ne pas voir approcher Luc. Elle cueillait les boutons d’or, les sauges et les marguerites, et toutes les fleurs des prairies. Luc apportait les digitales des ravins et les jacinthes violettes. Il était tout près de Rachel ; maintenant elle tressait les fleurs. Luc voulait, mais n’osait joindre ses fleurs à la guirlande ; et soudain, les jetant à ses pieds :

— Ce sont les fleurs sombres des bois, dit-il, et je les ai cueillies dans l’ombre, pour vous, puisque c’est vous qui parûtes ; j’avais cherché toute la nuit. Vous êtes belle comme le printemps cette année, et plus jeune encore que moi-même. J’ai vu ce matin vos pieds nus. Vous étiez avec vos compagnes et je n’osais pas m’approcher ; maintenant vous êtes là seule. Prenez mes fleurs et venez je vous prie ; apprenons-nous des joies charmantes.

Rachel souriait attentive ; Luc l’ayant prise par la main, ce fut ensemble qu’ils rentrèrent.


Le jour passa dans les jeux et les rires, Luc s’en retourna seul au soir. La nuit vint, pour lui, sans sommeil ; souvent, quittant son lit trop chaud, il marchait dans sa chambre, ou se penchait à la fenêtre ouverte. Il souhaitait d’être plus jeune et d’une bien plus grande beauté, pensant qu’entre deux êtres, l’amour a la splendeur de leurs corps. Toute la nuit Luc désira Rachel. Au matin il courut vers elle.

Une allée de lilas menait à sa demeure ; puis c’était un jardin plein de roses, enclos d’une barrière basse ; dès l’abord, Luc entendit Rachel chanter. Il resta jusqu’au soir, puis il revint le lendemain ; il revint chaque jour ; à l’éveil il partait ; dans le jardin, Rachel attendait souriante.

Des jours passèrent ; Luc n’osait rien ; Rachel se livra la première. — Un matin, ne l’ayant pas trouvée sous la charmille accoutumée, Luc décida de monter à sa chambre. Rachel était assise sur le lit, les cheveux défaits, presque nue, couverte seulement d’un châle déjà presque retombé ; certes elle attendait. Luc arriva, rougit, sourit, — mais ayant vu ses jambes exquises si frêles, il y sentit une fragilité, et s’étant agenouillé devant elle, il baisa ses pieds délicats, puis ramena le pan du châle.

Luc souhaitait l’amour mais s’effrayait de la possession charnelle comme d’une chose meurtrie. Triste éducation que nous eûmes, qui nous fit pressentir sanglotante et navrée, ou bien morose et solitaire, la volupté pourtant glorieuse et sereine. Nous ne demanderons plus à Dieu, de nous élever au bonheur. — Puis, non ! Luc n’était pas ainsi ; car c’est une dérisoire manie que de faire toujours pareil à soi, qui l’on invente. — Donc Luc posséda cette femme.

Comment dirai-je leur joie, à présent, sinon en racontant, autour d’eux, la nature pareille, joyeuse aussi, participante. Leurs pensées n’étaient plus importantes : ne s’occupant que d’être heureux, leurs questions étaient des souhaits, et des assouvissements les réponses. Ils apprenaient les confidences de la chair et leur intimité devenait chaque jour plus secrète.

Un soir qu’il la quittait selon son habitude : Pourquoi partez-vous ? lui dit-elle ; si c’est pour quelque amour, c’est bien — allez — je ne suis pas jalouse. Sinon restez, — venez : ma couche vous convie.

Il resta dès lors chaque nuit.

L’air était devenu plus tiède, les nuits si belles, qu’ils ne fermaient plus la croisée : ils dormaient ainsi sous la lune — et comme un rosier plein de fleurs montait, entourait la fenêtre, ils en avaient emprisonné des branches ; l’odeur des roses se mêlait à celle des bouquets dans la chambre. À cause de l’amour ils s’endormaient très tard ; ils avaient des réveils comme ceux de l’ivresse — très tard, encore fatigués de la nuit. Ils se lavaient dans une source claire, qui coulait à l’extrémité du jardin, et Luc regardait Rachel se baigner nue sous les feuilles. — Puis ils partaient en promenade.

Souvent ils attendaient le soir, assis dans l’herbe et sans rien faire ; ils regardaient le soleil s’abaisser ; puis lorsque l’heure enfin s’était faite plus douce, ils regagnaient lentement la demeure. La mer n’était pas loin ; par les fortes marées, la nuit, on entendait faiblement le bruit des vagues. Parfois ils descendaient jusqu’à la plage ; c’était par une vallée étroite et sinueuse, sans ruisseau ; des ajoncs, des genêts y croissaient et le vent y chassait du sable ; puis la plage s’ouvrait : c’était un golfe, sans barques, sans navires ; pourtant la mer y était calme. L’on voyait, presque en face, sur la côte recourbée et qui semblait au loin former une île, en ce point même, l’on apercevait comme la grille fastueuse d’un parc ; au soir elle luisait comme de l’or. — Bientôt Rachel ne trouvait plus de coquilles dans le sable ; ils s’ennuyaient devant la mer.

Non loin aussi était un village, mais ils n’y passaient pas souvent à cause des pauvres.

Lorsqu’il pleuvait ou que, par nonchalance, ils n’allaient même pas dans les prés, Rachel étendue, Luc étant à ses pieds, le priait de lui dire une histoire : Parlez, disait-elle, j’écoute à présent ; ne cessez pas si je sommeille : racontez-moi des jardins au printemps, vous savez bien, et ces hautes terrasses.


Et Luc racontait les terrasses, les marronniers en enfilade, les jardins suspendus sur la plaine : — au matin, des fillettes y venaient jouer et danser les rondes, et le soleil était encore si bas sur la plaine, que les arbres ne faisaient pas d’ombre.

Un peu plus tard, de grandes jeunes filles tranquilles entrèrent parmi les plates-bandes et préparèrent des guirlandes — comme vous en tressiez, Rachel. Vers midi des couples survinrent, — et, le soleil ayant passé sur les arbres, la voûte opaque des ramées fit l’allée, semblait-il, plus fraîche ; ceux qui s’y promenaient ne se parlaient plus qu’à voix basse. Un peu plus tard, comme elle était moins éblouie, on commença de voir la plaine où l’Été semblait épandu. Des promeneurs s’accoudèrent, se penchèrent aux balustrades ; des groupes de femmes s’assirent ; les unes dévidaient des écheveaux de laine que d’autres employaient en ouvrages. Les heures s’écoulèrent. Vinrent des écoliers, les écoles finies ; des enfants jouèrent aux billes. Le soir tomba ; les promeneurs devinrent solitaires ; quelques-uns pourtant encore réunis, parlaient déjà du jour comme d’une chose finie. L’ombre de la terrasse descendit sur la plaine, et tout au bout de l’horizon, dans le ciel clair, la lune parut très fine et pure. — Je suis venu, la nuit errer sur la terrasse déserte… — Luc se tut et regarda Rachel, endormie au bruit des paroles.


Ils firent encore une promenade plus longue ; c’était à la fin du printemps. Ayant gravi la colline où leur maison se trouvait sise, ils trouvèrent à mi-côte, sur le versant opposé, un canal. Une rangée de peupliers le bordait ; un chemin en talus le suivait, puis le terrain continuait sa pente. Ayant pu traverser le canal sur un pont, le soleil qui brûlait les fit suivre le bord de l’eau. De la vallée une chaleur montait par vagues ; l’air vibrait sur les champs ; une grande route au loin poudroyait quand y passait une charrette ; ils virent l’Été sur la plaine. Le chemin, les arbres, le canal suivaient assidûment les courbes de la colline ; eux donc suivaient le canal sur la berge ; vers l’autre berge un petit bois venait finir. — Ce fut tout. Ils marchèrent ainsi très longtemps : mais voyant que ça continuait indéfiniment, quand ils en eurent assez, ils revinrent.