La Théorie physique/SECONDE PARTIE/Chapitre VII/1

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Chevalier & Rivière (p. 361-364).

§ I. — À quoi se réduisent les conditions imposées par la logique au choix des hypothèses.

Nous avons soigneusement analysé les diverses opérations par lesquelles se construit une théorie physique ; nous avons, en particulier, soumis à une sévère critique les règles qui permettent de comparer les conclusions de la théorie aux lois expérimentales ; il nous est loisible maintenant de revenir aux fondements mêmes de la théorie et, sachant ce qu’ils doivent porter, de dire ce qu’ils doivent être. Nous allons donc donner réponse à cette question : Quelles conditions la logique impose-t-elle au choix des hypothèses sur lesquelles doit reposer une théorie physique ?

D’ailleurs, les divers problèmes que nous avons examinés dans nos précédentes études, les solutions que nous en avons données, nous dictent, pour ainsi dire, cette réponse.

La logique exige-t-elle que nos hypothèses soient les conséquences de quelque système cosmologique ou, du moins, qu’elles s’accordent avec les conséquences d’un tel système ? Nullement. Nos théories physiques ne se piquent point d’être des explications ; nos hypothèses ne sont point, des suppositions sur la nature même des choses matérielles. Nos théories ont pour seul objet la condensation économique et la classification des lois expérimentales ; elles sont autonomes et indépendantes de tout système métaphysique. Les hypothèses sur lesquelles nous les bâtissons n’ont donc pas besoin d’emprunter leurs matériaux à telle ou telle doctrine philosophique ; elles ne se réclament point de l’autorité d’une École métaphysique et ne craignent rien de ses critiques.

La logique veut-elle que nos hypothèses soient simplement des lois expérimentales généralisées par induction ? La logique ne saurait avoir des exigences auxquelles il est impossible de satisfaire. Or, nous l’avons reconnu, il est impossible de construire une théorie par la méthode purement inductive. Newton et Ampère y ont échoué, et, cependant, ces deux génies s’étaient vantés de ne rien admettre dans leurs systèmes qui ne fût entièrement tiré de l’expérience. Nous ne répugnerons donc point à accueillir, au nombre des fondements sur lesquels reposera notre Physique, des postulats que l’expérience n’a pas fournis.

La logique nous impose-t-elle de ne point introduire nos hypothèses, si ce n’est une à une, et de soumettre chacune d’elles, avant de la déclarer recevable, à un contrôle minutieux qui en éprouve la solidité ? Ce serait encore une exigence absurde. Tout contrôle expérimental met en œuvre les parties les plus diverses de la Physique, fait appel à des hypothèses innombrables ; jamais il n’éprouve une hypothèse déterminée en l’isolant de toutes les autres ; la logique ne peut réclamer que l’on essaye à tour de rôle chacune des hypothèses que l’on compte employer, car un tel essai est impossible.

Quelles sont donc les conditions qui s’imposent logiquement au choix des hypothèses sur lesquelles doit reposer la théorie physique ? Ces conditions sont de trois sortes.

En premier lieu, une hypothèse ne sera pas une proposition contradictoire en soi, car le physicien entend ne pas énoncer des non-sens.

En second lieu, les diverses hypothèses qui doivent porter la Physique ne se contrediront pas les unes les autres ; la théorie physique, en effet, ne doit pas se résoudre en un amas de modèles disparates et incompatibles ; elle entend garder, avec un soin jaloux, l’unité logique, car une intuition que nous sommes impuissants à justifier, mais qu’il nous est impossible d’aveugler, nous montre qu’à cette condition seulement la théorie tendra à sa forme idéale, à la forme de classification naturelle.

En troisième lieu, les hypothèses seront choisies de telle manière que, de leur ensemble, la déduction mathématique puisse tirer des conséquences qui représentent, avec une approximation suffisante, l’ensemble des lois expérimentales. La représentation schématique, au moyen des symboles mathématiques, des lois établies par l’expérimentateur, est, en effet, le but propre de la théorie physique ; toute théorie dont une conséquence serait en contradiction manifeste avec une loi observée devrait être impitoyablement rejetée. Mais il n’est point possible de comparer une conséquence isolée de la théorie à une loi expérimentale isolée. Ce sont les deux systèmes pris dans leur intégrité, le système entier des représentations théoriques, d’une part, le système entier des données d’observation, d’autre part, qui doivent être comparés l’un à l’autre et dont la ressemblance doit être appréciée.