La Troisième Jeunesse de Madame Prune/25

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Calmann Lévy (p. 127-128).
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XXV



3 février.

Encore la neige, le ciel bas et plombé. Ce soir, sur la colline de la concession européenne où je fréquente peu, j’ai cheminé par une route saupoudrée de blanc, et d’ailleurs bien entretenue, bien droite, bordée de consulats ; on se serait cru en Europe, à la tombée d’une nuit d’hiver, sans les quelques mousmés drôlement emmitouflées que l’on rencontrait de temps à autre, et qui ramenaient la notion du lieu lointain.

J’allais à l’hôpital russe, faire visite à un officier d’un régiment de Grodno, blessé vers Moukden. Auprès de son lit veillait un jeune homme en tenue de malade, avec lequel j’ai causé d’abord sans présentation : un autre officier évidemment, d’allure élégante, au fin visage très français, et parlant notre langue avec un imperceptible accent espagnol. C’était dom Jaime de Bourbon, fils de dom Carlos, et prétendant carliste au trône d’Espagne. Engagé dans l’armée russe, il avait demandé d’aller en Extrême-Orient, pour guerroyer, par humeur française, et maintenant il était là, convalescent d’un typhus grave pris en Mandchourie.