La Troisième République française et ce qu’elle vaut/15

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CHAPITRE XV.

Dans un autre milieu, dans des conditions plus fécondes que celles où ils sont placés, les royalistes français ne manqueraient cependant pas de compter dans la somme des meilleures et plus utiles ressources de la vie française. On pourrait alors les considérer comme un des étais solides de l’existence commune.

Sans doute, on leur reproche justement de ne pas offrir une théorie politique leur appartenant en propre. Les socialistes ont un programme, ils en ont même plusieurs ; les impérialistes en ont un, peut-être un peu vague et indéfini, inclinant tantôt vers la droite, tantôt penchant vers la gauche, flattant les uns, épouvantant les autres, du couronnement de l’édifice. Les constitutionnels offrent la panacée du parlementarisme, la dosant de différentes façons, l’administrant de différentes manières, admettant ou rejetant telle ou telle combinaison. Leur système est une médicamentation savante qui a empoisonné le malade quatre ou cinq fois depuis soixante ans ; mais, à les entendre, uniquement pour des raisons de détail. Les légitimistes ou mieux les royalistes n’ont rien en propre.

Ils sont dès lors en butte à la mauvaise foi de leurs adversaires. Ceux-ci les taxent de vouloir ramener la féodalité, les corvées, les droits onéreux et même le droit du seigneur. Cela se dit dans les campagnes. On les déclare avides de reprendre en bloc ou en détail les biens nationaux, d’accaparement des fonctions publiques en faveur des nobles. Ils imposeront les billets de confession, rétabliront la loi du sacrilège et il ne sera fils de bonne mère qui ne soit au moment d’être traduit tôt ou tard devant le Saint-Office dont on peut voir le magasin de tortures à l’Ambigu comique. Récemment encore, en 1870, ce sont eux qui ont amené les Allemands en France et non seulement l’écume des manufactures, la population des cabarets s’est exaltée sur cette idée, mais des hommes riches, libéraux de l’école de M. Guizot, je pourrais nommer un ancien député, tristement improvisé général pendant la guerre, qui a fait lui aussi la guerre aux prétendus amis des Allemands, cherchant à mettre à mal des gens qui payaient un peu mieux de leurs personnes et de leurs bourses qu’il ne l’a fait lui-même.

À tout cela, les royalistes répondent tant bien que mal et plutôt mal que bien par des dénégations indignées, des protestations, des dithyrambes et des apologies. Ils se donnent le même mal que les Danaïdes et recommencent sans beaucoup de succès leurs démonstrations adressées à des gens qui ne croient pas le moindre mot de ce dont les royalistes sont accusés, mais qui continuent à mentir parce qu’ils trouvent créance dans les intelligences d’en bas et même dans les intelligences moyennes. Voilà les inconvénients de la défensive.

Il est vrai que cette défensive est rendue plus laborieuse par la queue que les légitimistes ont à leur suite, queue dorée, enrubannée, pommadée, qui traîne dans trop de salons ; c’est tout ce monde de tout âge et surtout de toute provenance, d’autant plus avide de distinctions qu’ils en méritent moins, et qui se pique de proclamer très haut son mépris supposé héréditaire pour le vilain et le plus ardent désir de le revoir taillabilis de alto et basso, ad voluntatem, comme assurent-ils, Monsieur leur grand-père s’en donnait si volontiers le divertissement. Il est probable qu’en effet, Monsieur le grand-père de ces messieurs s’est enrichi dans les gabelles et les gabeleurs, comme tous messieurs les gens de finances, en général, n’ont jamais été miséricordieux dans le passé et ne le sont pas devenus dans le présent. Mais, en bonne vérité, ces royalistes-là n’ont pas grande ressemblance de famille avec ceux qui le sont tout de bon, et leurs élégantes personnes, leurs prétentions, leurs propos, leur suffisance forment un ensemble dont il serait excellent, pour tout parti quelconque, d’être débarrassé, et les royalistes le seraient bien vite s’ils avaient un programme, et pouvaient bien exprimer ce qu’ils veulent. Mais voilà le mal. Ils ne le peuvent pas, parce qu’ils ne le savent pas.