La Troisième République française et ce qu’elle vaut/18

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CHAPITRE XVIII.

Ce qui était à Rome l’idée traditionnelle c’était la République. La République avait fait l’État, lui avait donné la force, la jeunesse, la gloire, le triomphe, l’âge mûr et les incommensurables conquêtes rayonnant autour du domaine de l’antique cité. Quand la nouvelle fut bien et complètement bondée de gens sans aveu, étrangers, gens d’esprit, venant de tous les coins du monde où germe le goût des aventures et qu’en conséquence la notion républicaine fut tombée en impuissance, comme la notion monarchique s’est effacée à Paris devenu l’arène des gens sans patrie, on fit à Rome révolution sur révolution jusqu’à ce que l’ennui du désordre eût engendré le goût du despotisme absolument comme à Paris.

Mais, il demeura toujours des républicains et ceux-ci se firent compter et estimer des Césars, des affranchis, des coquins de toutes les espèces, pour être les derniers représentants de l’espèce rare qu’on appelait, en ce temps-là, les gens honnêtes. Cette marque distinctive de l’opinion conduisit, dans le premier temps, Thraséas et d’autres au tranchant du couteau, mais on n’en persista pas moins à croire universellement, non pas qu’il fallût rétablir un ordre de choses dont les premiers et plus simples éléments n’étaient plus à trouver, mais que ceux qui le regrettaient étaient en définitive l’élite de la société et de cette persuasion, il arriva que les princes se piquant de vertu ou même simplement d’habileté, firent sonner très haut leur goût pour les doctrines républicaines, et en mirent l’esprit en pratique le plus souvent et le plus complètement qu’il leur fût possible. L’histoire continue à savoir beaucoup de gré à Trajan et à Marc Aurèle d’avoir été républicains sous le diadème, c’est-à-dire d’avoir continué, repris, restauré autant qu’il était en eux, les doctrines, les maximes, les habitudes, les façons de procéder, d’administrer, de croire qui avaient constitué Rome et présidé à ses grandeurs.

C’était beaucoup déjà, de produire pendant des siècles après la clôture de l’ère périmée, des résultats de cette importance. Mais ce ne fut pas tout.

L’Empire d’Occident alla sur son déclin. Les barbares établirent sur ses ruines leurs royaumes, leurs duchés, leurs seigneuries de diverses formes. Le monde byzantin dans la partie de l’Italie qu’il put retenir institua les exarques. Mais là où l’esprit latin continua à vivre, libre de se constituer suivant son instinct, que fit-il ? Le vit-on imaginer, comme l’Ile de Bretagne, un empire en petit ? Le vit-on comme la Gaule recourir aux monarchies ? En aucune sorte, il replanta la République ; c’était sa forme normale, c’était son mode naturel, légitime d’exister et cela peut montrer à quel degré de vitalité, de profondeur et de force se maintient, même à travers des siècles d’impulsion toute contraire, l’esprit qui a créé un pays et qui lui a donné ses véritables raisons de s’estimer au milieu de tous les autres.