La Troisième République française et ce qu’elle vaut/26

La bibliothèque libre.
◄  XXV
XXVII  ►

CHAPITRE XXVI.


Dans ce discours que font les chefs de ce singulier mélange appelé la majorité parlementaire, il faut admirer surtout la réelle bonne foi qui leur fait croire à leur succès et à la régularité de ce succès. Ils ont successivement, eux ou leurs pareils, brisé violemment toutes les légalités qui se sont trouvées à l’encontre de leurs visées et ils pensent qu’on respectera la leur ! Ils ont habitué depuis cent ans tout à l’heure les populations à voir changer les bases du pouvoir et ses raisons d’être et ses façons de concevoir les droits, avec une facilité égale à celle du tailleur substituant une forme d’habit à une autre et ils pensent que les populations font encore quelque cas des morceaux de papiers contradictoires qu’on leur étale incessamment sur leurs murs. Ils savent mieux que personne ce que vaut une loi sur l’instruction publique, sur les procédés électoraux, sur l’administration de tels et tels intérêts, sur le service militaire, sur les droits des communes, et ils pensent qu’ils peuvent en faire une plus solide que tant d’autres dont les débris jonchent les planchers des assemblées législatives !

C’est un grand mot que le mot Loi. La loi, rien ne remplit la bouche plus largement ; c’était l’avis du Roi Henry III. Je ne doute pas que les Mèdes et les Perses n’en sentissent toute la valeur ; mais c’est que la loi, chez eux, était proverbialement immuable et l’esprit de l’homme est ainsi fait qu’il ne saurait attacher l’idée de respect qu’à l’idée de durée.

Les Romains étaient encore de si fervents et de si aveugles adorateurs de la loi que l’on a vu des convives se séparer en riant, bien que fort animés, parce qu’il venait de tonner à gauche. Personne ne croyait que cette explosion d’électricité malencontreuse eût le moindre rapport avec ce qui tenait tous les esprits en ébullition ; on riait, mais on se séparait, parce qu’une très vieille loi le voulait ainsi, et qu’aucun intérêt n’était jugé assez fort pour oser se tenir debout en face de la loi.

Les Anglais aussi tiennent à la loi et ne sont pas moins convaincus de l’impossibilité de l’abroger sans les plus minutieuses précautions. C’est précisément par suite de ce sentiment fort sage qu’ils y restent attachés et que la loi est respectable, forte et respectée, mais les Français ! Leurs lois ne sont pas des lois d’État, ne sont pas la consécration de droits inviolables ; elles ne sont pourvues d’aucune espèce des caractères de la longévité, ce ne sont que les coups de poing promis par une faction à une autre et le jour où le conciliabule des trois, appuyé sur le comité des XVIII, soutenu par la majorité de la Chambre des Députés, avouée par une combinaison dans le Sénat, aura fait sauter le Sénat par la fenêtre et démantibulé le Septennat, les triomphateurs supposent qu’ils auront mis au monde un système qui, parce qu’il sera légal, à leur manière, aura une existence assurée devant lui ? Mais le malheureux embryon, hydrocéphale et bourré d’humeurs vénimeuses, sera mort précisément parce qu’il sera né. Un accident pourrait seul prolonger sa vie quelque peu ; la présence, au nombre de ses nourriciers, d’un de ces hommes habiles qui savent tirer un parti quelconque de la plus stérile situation et naviguer au plus près sur un navire faisant eau, gouvernail brisé, mâts rompus et voiles envolées. Cela s’est vu pour plus ou moins longtemps ; on a rencontré une côte inespérée ou bien un corsaire sauveur et le capitaine a été couvert de bénédictions. Mais pour juger de ce que les chefs démocratiques savent faire, il n’est que de se rappeler ce qu’ils ont fait en 70.

Le problème donné était de mettre fin à l’invasion et ce fut là, sans doute, leur grande affaire.