La Troisième République française et ce qu’elle vaut/42

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CHAPITRE XLII.

Jamais la France n’a été vue plus humble en attendant la chute, plus humble dans son esprit, plus humble dans son cœur, et l’Empire n’y peut mais, ne l’a pas voulu, ne l’a pas amené, tout ce qu’on peut lui reprocher c’est de n’avoir pas transformé le petit monde au milieu duquel il est venu s’abattre. Il peut répondre que personne, avant lui, n’en avait eu non plus la force et que le parlementarisme actuel n’a pas réussi à autre chose depuis sept ans pleins qu’à augmenter le désarroi civil, militaire, administratif, moral, intellectuel. S’il le dit, il exprime une vérité de fait. Ainsi qu’il ne soit plus question de cette perversion d’une nature virginale ayant existé avant 1852, ressuscité depuis ; c’est purement et simplement une absurdité.

Quand on a adopté l’Empire, quand on l’a voulu, quand toutes les classes de la société, unanimement, lui ont fourni leur contingent de partisans zélés et dévoués, quand le clergé, beaucoup de gens de la noblesse, beaucoup de la bourgeoisie, beaucoup des petits états et un si grand nombre de paysans ont demandé, exigé sa restauration, ce n’était pas un César qu’on appelait, bien qu’à l’étranger on s’y soit généralement trompé ; c’était une dynastie et, d’une certaine façon, une légitimité ! On aspirait à quelque chose de défini et de stable. Qui se rappelait, dans le pays le plus oublieux qui fût jamais, les origines et l’histoire de la France ? Qui se rappelait le Roi de Bouvines et Saint-Louis et ses gloires et Henri IV et même Louis XIV ? Les royalistes tout au plus, mais pour Napoléon Ier, il en allait autrement.

Dans leur désir de rendre la durée de la Restauration impossible, les libéraux s’étaient, depuis 1817, ingéniés de toutes les manières pour opposer la monarchie militaire tombée à la monarchie traditionnelle de retour, et, avec un tact parfait, ils avaient immédiatement créé une tradition pour la monarchie militaire. Grosses histoires, petits livres, tableaux, statues, images à deux sous, toujours dans la bonne et ferme intention de ruiner la maison de Bourbon, les amateurs du parlementarisme n’ont rien épargné pour encadrer le nom du conquérant dans le plus durable et magique prestige. Ils ont fait revenir de loin les cendres du héros et, ne sachant qu’inventer on peut dire qu’ils ont divinisé l’idole. Car à le bien prendre et à considérer même sans grande attention l’abside de l’Église de la Magdelaine, Napoléon y prime au moins la patronne du temple et peut-être Dieu le Père.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’en 1848, toute la partie des populations qui n’était pas pleinement convaincue que c’était le premier Empereur lui-même qui allait reparaître, et bien des gens le tenaient pour certain, toutes ces populations voulussent au moins avoir un souverain de ce sang et rompre pour toujours avec la Révolution, en se replaçant sous le sceptre qui leur présentait avec tous les droits les mieux fondés, les droits héréditaires, bien entendu, la somme glorieuse des souvenirs les plus héroïques. Quand ils virent inaugurer le troisième Empereur de la dynastie, ils ne doutèrent pas du tout qu’ils ne fussent les confesseurs du vrai, du beau et du juste, et comme leur sentiment les ramenait à ce qu’ils considéraient comme la correction de toute usurpation accidentelle, et qu’ils ne voulaient rien que le droit, le second Empire ne saurait nullement être considéré comme un césarisme.