La Tunique de Nessus/10

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X


Au départ de sa femme pour Paris, Stanislas éprouva un immense ennui, un grand vide et, pour chasser cette impression, qu’il ne s’expliquait pas, il prit sa bicyclette et courut à Ecofleur, dans l’intention d’y tuer sa journée en y chassant et en allant rêver au kiosque. Il redoutait d’autre part les questions et il s’effrayait de ce qu’il résulterait de cette condescendance de sa femme pour le roi de Thessalie.

Pourquoi cette condescendance ?

Une exception en entraîne toujours une autre et il ne doutait pas que, pour qu’elle se fut jetée sur ce voyage, la saison en était à ce qu’elle s’ennuyait de son séjour à S… d’où il concluait le refroidissement de son amour.

En somme, s’il ne s’opposa pas à cette escapade, il le fit pour ne pas s’exposer à la voir s’y entêter, pour ne pas risquer de perdre toute influence sur ses déterminations futures.

Quelque chose se déclenchait donc dans leur union si parfaite !

Il chassa avec assez de chance, tua quelques perdreaux, se fit apprêter son repas par Jacopin, hésita de coucher au château et retourna à sa maison de S… comme minuit sonnait.

Annina l’attendait, en tricotant dans le petit salon du rez-de-chaussée.

— Tu n’es pas fatigué, demanda-t-elle, j’étais inquiète.

Elle s’était levée pour l’aider à se débarrasser de ses affaires ; elle se pencha pour qu’il l’embrassât.

— Pourquoi t’inquiéter, Annina, dit-il, je t’avais prévenue que je chasserais à Ecofleur, que j’y dînerais, que j’ignorais l’heure à laquelle je rentrerais : tu ne devais pas veiller.

— Irène étant en voyage, ne suis-je pas de droit ta femme, pour la remplacer dans tes moindres désirs.

Touché de la réponse, il la serra contre son cœur, l’assit sur ses genoux, et dit :

— Sans doute, ma petite Annina, mais il ne faut pas oublier que tu es enceinte et qu’il importe de te ménager pour le petit être que tu portes.

— Oh, ce n’est pas encore bien avancé.

— Ne coquette pas, ma mignonne, il est tard, je suis de méchante humeur, on se reposera cette nuit. Nous verrons demain. Rien de nouveau dans la maison ?

— Si fait. Mlle Gabrielle est installée. Son père l’a amenée et, comme j’ai dit que Madame était en course à Paris, toi en chasse, qu’il avait pris ses dispositions pour la laisser, il n’a pas voulu la ramener, ce qui a joliment paru faire plaisir à Gabrielle, à Mlle Gabrielle.

Il sourit et lui dit :

— Ne te reprends pas.

Il y eut un moment de silence, puis elle se pencha sur sa poitrine et, les yeux dans les yeux, murmura :

— Elle est aussi ta femme, Gabrielle ! Préférerais-tu aller avec elle cette nuit ? Je crois qu’elle dort. Je me suis rendue vers les onze heures dans sa chambre, pour m’informer si elle ne manquait de rien et elle ne m’a pas entendue. Elle était très fatiguée ; ils ont voyagé toute la nuit, avec son père.

Il lui tira l’oreille et répondit :

— Tu en sais plus long qu’Irène, petite Annina, mais si je devais coucher avec quelqu’un cette nuit, ce serait avec toi. Comment avez-vous passe le temps avec Gabrielle ?

— Très gentiment. Nous avons dîné ensemble ; elle m’a posé beaucoup de questions. J’ai répondu en laissant soupçonner ce qu’il en était entre ta femme, toi et moi, tu me l’avais recommandé et elle, de son côté, s’est en partie confessée. Elle m’a complimentée sur la manière dont je me formais, je lui ai répliqué de même et, en se couchant, après m’avoir bien embrassée, elle a affirmé que nous serions de bonnes, bonnes amies, toutes, toutes, de bonnes amies pour lui. J’ai compris.

— L’arrivée de Gabrielle compense donc le départ d’Irène ; espérons qu’Irène ne sera pas longtemps absente et va te reposer, ma mignonnette, comme je vais le faire. Tu m’éveilleras demain matin vers les neuf heures et… nous nous occuperons de mes devoirs maritaux à votre égard, ma jolie petite femme.

Elle l’embrassa avec passion, et répondit en souriant :

— Et si Gabrielle ne dort plus, faudra-t-il la mener ?

Il posa la bouche sur la sienne, et répliqua :

— Tu es la deuxième femme comme rang, Annina, tu décideras ce qu’il te plaira.

Elle lui rendit son baiser et ils se retirèrent chacun dans leur chambre.

Gabrielle se leva la première et descendit dans le jardin, qui était derrière la maison et qui était très grand. Elle ne voulait pas troubler le sommeil des uns ou des autres, sept heures n’était pas sonnés.

Vers les huit heures, comme elle terminait un bouquet avec des fleurs cueillies dans les serres, elle vit Annina qui ouvrait ses contrevents et lui disait bonjour.

Elle s’empressa de la rejoindre et lui demanda presque de suite :

— Stanislas est rentré tard ?

— À minuit.

— Fi du mauvais sujet ! Il sait que je suis ici ?

— Je le lui ai appris.

— Ah ! Pourquoi n’est-il pas venu me dire bonsoir ?

— Il était fatigué, fatigué.

Gabrielle plissa les lèvres et murmura :

— Vous avez longtemps causé ?

— Quelques minutes, il a voulu que j’aille me coucher.

— Ah !

— En me recommandant de l’éveiller vers les neuf heures.

— Et moi ?

— Il a pensé que vous dormiriez.

Annina était à demi-vêtue, après avoir arrangé ses cheveux et donné les divers soins à son corps.

Gabrielle lui prit les deux mains et dit :

— Annina, ne jouons pas l’ignorance et établissons de suite notre amitié. Mon beau-frère Stanislas a eu ma virginité cet été, il est donc mon amant ; il est le tien et c’est de lui que tu es enceinte.

— Comment sais-tu cela ?

— Par tes demi-confidences, j’ai tout deviné. Irène l’a sans doute voulu. Pourquoi ? nous l’apprendrons plus tard ; il n’en est pas moins vrai que nous sommes les femmes de Stanislas. Je t’en supplie, laisse-moi entrer avec toi dans sa chambre.

— Je ne t’en empêcherai pas, et sais-tu ce que nous ferons ? Nous nous coucherons avec lui, l’une d’un côté, l’autre de l’autre, veux-tu ?

— Oh oui ! Quel dommage que ce ne soit pas encore neuf heures.

— Nous n’attendrons pas. Pourquoi es-tu toute habillée ?

— Je ne le suis pas sous ma robe.

— Bon, allons-y et imite-moi.

Elles contournèrent par des pièces réservées et où le service n’entrait pas sans l’appel des maîtres, entrèrent dans la chambre de Stanislas, plongée dans une demi-obscurité : il dormait.

Annina murmura à l’oreille de Gabrielle :

— Mets-toi en chemise, comme moi, glisse-toi du côté droit, je me glisserai du côté gauche : tu ne le toucheras que lorsque je l’aurai embrassé et que je te tendrai la main pardessus son cou.

Ce qui fut dit fut fait.

Les deux coquines d’accord plus tôt qu’elles ne l’eussent cru, en chemise, s’introduisirent dans les draps de Stanislas. Annina lui prit la tête, l’embrassa, et dit :

— Bien-aimé, voici l’heure du réveil.

Il s’éveilla instantanément, se secoua sous la douceur du bras qui l’enveloppait, attira Annina plus près, pour unir sa bouche à la sienne, et murmura :

— Mon Annina, tu guettais l’heure.

— Et ton autre femme, regarde, chéri.

Elle tendit la main à Gabrielle qui approcha son corps de celui de Stanislas, et dit à son tour :

— Mon adoré, aime Annina, mais reçois avant mon baiser de réveil.

Stupéfait, Stanislas s’assit sur le lit et vit les deux amoureuses s’appuyer chacune sur une de ses épaules et, dans un regard de bienveillance infinie, solliciter sa caresse.

Il baisa successivement ces deux bouches qui s’offraient, les pressa dans ses bras, unit leur tête et voilà que comme ses mains les pelotaient, elles s’embrassèrent sur les lèvres, en murmurant :

— Nous aussi, nous nous aimerons et nous serons ensemble les femmes de Stani et les femmes d’Irène.

D’instinct, elles entraient dans la pensée d’Irène et mettaient ainsi à exécution le plan primitif qu’elle forma.

Sous leurs agaceries, Stanislas bandait déjà ferme ; il leur dit :

— J’ai bien fait de me reposer cette nuit, mes mignonnes, je vous fournirai votre part à chacune et on organisera sa petite vie. Annina, ta grossesse ne te tourmente pas ?

— Aucune fatigue, il y a des fois où je douterais, si mes époques n’avaient pas cessées.

— Bon, place-toi là, que Gabrielle assiste à notre plaisir ; ce sera son tour après et tu contempleras notre duo.

Annina avait levé sa chemise jusqu’au cou, pour bien sentir les chairs de Stanislas attaquant les siennes.

Stanislas enfonçait la queue dans ses cuisses et Gabrielle, curieuse de l’acte, descendit vers le milieu du lit pour mieux voir. Ainsi elle assista à la queue s’engouffrant dans le conin et elle tressaillit lorsque les jambes d’Annina et celles de Stanislas se tortillèrent dans l’assaut amoureux.

Elle ne résista pas à la tentation de promener la main tantôt sur les fesses de l’un, tantôt sur les fesses de l’autre et ses attouchements précipitèrent la jouissance.

À peine eut-il fini, que Stanislas l’appela près de lui et la grimpa sans désemparer, murmurant :

— Je vous unis par ma machine.

Il y eut un peu plus de difficulté pour cette nouvelle joute ; décidément Gabrielle était étroite et, n’ayant plus été baisée depuis son départ d’Ecofleur, le pucelage semblait s’être reformé. Elle éprouva des tressauts qui désarçonnèrent Stanislas ; il s’arrêta, il avait besoin de reprendre haleine. Annina, qui venait de sauter à bas du lit pour se laver, apercevant la mine attristée de Gabrielle, se précipita sur ses cuisses, lui fit minettes, tout en patouillant le cul et les couilles de Stanislas, qui rebanda.

— Va doucement, dit-elle, tu l’as à peine trouée et la brusquerie vous nuirait à tous les deux.

En effet, cette fois, la queue franchit la petite ouverture du conin, s’y développa sans occasionner la même souffrance et le duo fut chanté à la complète satisfaction des deux amants.

Annina, prenant au sérieux son rôle de femme n° 2, dit :

— Reposez-vous quelques minutes, je vais m’habiller et m’occuper des services, je veillerai sur votre tranquillité.

— Repose avec nous, Annina, dirent Stanislas et Gabrielle.

— Non, non, nous reprendrons la partie ce soir, si Irène n’est pas de retour et, en attendant, empêchons les mauvaises suppositions des bonnes.

— Nous allons aussi nous lever, dit Stanislas.

— Ne sois pas si pressé, répondit Annina, tu vois bien qu’elle a besoin de se remettre.

Gabrielle, sa toilette faite, se prélassait sur le lit et ne cachait pas le plaisir qu’elle éprouvait à s’y voir à côté de Stanislas.

Annina se vêtit, allant et venant, apporta les jupons et la robe de Gabrielle pour qu’elle s’habillât à son aise.

Tous les deux couchés, ils lutinèrent comme des enfants, la jeune fille achevant de s’accoutumer à la masculinité de son beau-frère, celui-ci se régalant de la peloter.

Annina s’amusait de leurs jeux, auxquels par moments, elle s’associait sur leur invitation et Stanislas ne pensait pas à sa femme, de qui il aurait dû recevoir une lettre : puis Gabrielle sauta à bas du lit pour se chausser et s’habiller.

Elle venait de passer son pantalon et elle faisait des singeries devant une glace, sous les yeux charmés de son amant, lorsque soudain la porte de la chambre s’ouvrit et, avec stupeur, ils virent apparaître Olympe Desbrouttiers.

— Ah bon, s’écria celle-ci, il paraît que c’est le jour des surprises !

— Comment se fait-il que je ne t’ai pas entendue, répliqua Stanislas ! Où est donc Annina ?

— Annina ! je l’ai aperçue dans le jardin, comme j’entrais ; la porte de la rue était ouverte. En voilà une d’affaire ! Tu… concubinais avec Gabrielle ?

À l’apparition d’Olympe, la jeune fille s’était réfugiée dans la pièce voisine.

— Est-ce qu’ici, dit Stanislas, tout le monde n’est pas créé pour s’accorder ?

Il se leva et courut chercher Gabrielle.

Olympe, un peu essoufflée, se laissa tomber sur un fauteuil.

Stanislas revint, tenant par la main Gabrielle, toujours en pantalon.

— Reste avec nous, lui dit-il, Olympe n’a rien à nous reprocher.

— Rien à vous reprocher ! Et si Irène apprend ce qui se passe en son absence ?

— Irène accepte tout. D’ailleurs, elle est à Paris, où elle ne doit pas se priver de distractions, puisqu’elle n’écrit pas. Qu’as-tu donc que tu parais toute chose ! Est-ce toujours la surprise, ne s’est-elle pas encore dissipée ?

En silence Gabrielle mit ses jupes et sa robe se rassurant sur la sérénité qu’affichait Stanislas.

— Ce que j’ai, répliqua Olympe, je te le donne en mille et tu ne devineras pas. Je suis furieuse, ou du moins il me plaît d’être furieuse.

— Contre nous ?

— Et non. Contre mon mari, contre maître Isidore Desbrouttiers. Sais-tu ce que m’a fait ce cochon ?

— Quand tu me l’auras conté, je serai plus avancé.

— Mon cher Stanislas, je viens de surprendre… je puis parler devant Gabrielle, puisque tu l’as dépucelée, eh ?

— Tu peux parler.

— C’est étonnant comme elle ressemble à sa sœur ! Embrasse-moi, ma chérie, nous nous expliquerons ensuite.

Gabrielle ne refusa pas d’embrasser Olympe, qui reprit :

— Je te parlais de mon mari : je viens de le surprendre dans la chambre de Rosalie, en train de… oui, mon ami, de le lui faire. Il ne m’a pas entendue, quand j’ai monté l’escalier derrière lui doucement, me doutant de quelque chose. Rosalie avait laissé sa porte entrouverte ; il l’a poussée sur son lit et ce qu’il a été vite dessus. Alors, comme il… jouissait (elle sait ce que c’est, Gabrielle), je me suis élancée comme une furie et je t’ai fait un abattage ! Tout le quartier est au courant. Si tu avais vu le tableau ! Rosalie s’est enfuie, comme tout à l’heure Gabrielle, seulement, je l’ai agonisée de sottises, j’ai fichu une paire de gifles à Isidore, en criant que je ne resterai pas une minute de plus dans la maison. J’ai pris mon chapeau et me voilà. Papa et maman n’étant pas à S…, c’est chez toi, notre aîné, que je demande asile.

Stanislas demeurait abasourdi de la nouvelle, il murmura :

— Tu quittes ton ménage, pour ?

— Pour divorcer. À moins que… Comprends bien la chose et viens t’asseoir près de moi ou finis de t’habiller, si tu veux, nous causerons quand même.

— Il est prudent que je m’habille. Tu disais donc : à moins que…

— À moins qu’Isidore accepte toutes mes conditions et ces conditions, elles seront dures, je t’en réponds.

— Tu auras tort, il faut être raisonnable.

— Je veux ma liberté, pour venir souvent ici te voir, voir Irène, voir tes petites amies. N’en suis-je pas une, moi ! Tu sais, Gabrielle, j’en suis moi aussi de la… volupté !

— Toi ! Olympe.

— Peut-on résister à ce joli couple de mauvais sujets dont nous avons la chance d’être les sœurs ! Y es-tu, Stanislas, sur ce que je prétends imposer à mon mari ?

— Il est bien malheureux qu’Irène soit absente ; ton arrivée ici au moment je reçois Gabrielle.

— Et bien, gros nigaud, ma présence va vous couvrir, comme la sienne me couvrira.

— Ton mari ne manquera pas de venir, que lui dirai-je ?

— Tu lui diras que je veux le divorce et que je refuse de le voir. Nous gagnerons du temps, et ensuite nous marchanderons les conditions de mon retour. Ah ! si j’avais pressenti qu’avec Gabrielle, vous étiez ensemble dans le dodo, je serais accourue encore plus vite.

— Pas d’imprudence, pour l’instant.

— As pas peur. Tu es habillé, montre-moi la chambre où tu m’installes.

— C’est bien décidé, tu restes ?

— Voudrais-tu me flanquer à la porte ?

— Pour cela, jamais.

On entendit Annina qui entrait dans la pièce à côté et qui criait :

— Et bien, grands paresseux, n’avez-vous pas assez du lit ? Ou bien faut-il que nous recommencions tous les trois ?

Elle apparut et devint toute rouge devant Olympe, aussi saisie qu’elle l’était.

— Tu surveilles bien, ma petite Annina, dit Stanislas, heureusement qu’Olympe est une alliée.

— Ta sœur vous a vus ?

— Elle te tutoie, s’exclama Olympe, elle aussi alors ! Ah, le pacha, le pacha ! On ne s’embête pas dans ta maison, Stani ! Il y a longtemps qu’elle me plaît, la petite Annina et je ne me doutais de rien. Quelles noces, mes agneaux !

Stanislas prit le parti de brusquer la situation. Les bras croisés sur la poitrine, il dit :

— Oui, elle aussi, je l’ai enfilée ; entre nous pas de mystère ; vous êtes toutes… mes femmes.

— Madame Olympe, ta sœur, en est, fit Annina !

— Tu peux l’appeler Olympe, va. Quand nous sommes en petit comité. Mon joujou vous unit toutes.

On mit Annina au courant de ce qui venait de se passer chez M. Desbrouttiers et on installa Olympe dans une chambre du premier.

L’après-midi seulement, Stanislas, qui n’était pas sorti pour l’attendre, reçut la visite de Desbrouttiers, qu’accompagnait Sigismond Breffer.

Desbrouttiers n’avait pas osé se présenter tout seul et il était allé chercher son autre beau-frère, pour plaider sa cause auprès d’Olympe et de Stanislas.

Sigismond, très rigide moraliste, commença par se fâcher très vertement et lui dire sa façon de penser sur l’abominable trahison dont il s’était rendu coupable envers sa femme.

— Vous avez mille fois raison, répondit Desbrouttiers, mais tout le monde n’est pas vertueux comme vous. Si vous habitiez Paris, vous sauriez que mon cas y est très fréquent : votre aîné Stanislas, en l’absence d’Irène, ne se gênait pas pour courir les cocottes, et même pour s’afficher avec une.

— Mon frère Stanislas faisait ce qui lui convenait et vous me permettrez de trouver déplacé ce que vous m’en dites, alors que vous sollicitez mon concours auprès de lui, pour qu’il sermonne Olympe. Je comprends la colère de ma sœur. Néanmoins elle est trop jeune pour rompre son union et je veux bien vous accompagner.

Sigismond prit la parole auprès de Stanislas et dit :

— Je déplore l’odieuse conduite d’Isidore, mais j’estime qu’Olympe a eu tort de quitter le domicile conjugal et je viens joindre mes efforts aux tiens pour la décider à y retourner. Je pense bien que tu partages ma manière de voir à ce sujet.

— En tous points, et je chapitrais dans ce sens Olympe.

— Ah ! je te remercie, mon cher Stanislas, intervint Desbrouttiers, je n’attendais pas moins de ta sincère amitié.

— Je ne te cacherai pas qu’elle est très irritée et qu’elle m’a menacé de partir, si j’insistais. Aussi, que diantre, on prend ses précautions.

— Je me mettrai à deux genoux devant elle, je lui jurerai de ne plus jamais recommencer : oh ! qu’elle me pardonne.

— L’absence d’Irène, qui nous eût été d’un précieux concours en la circonstance, est bien ennuyeuse. Si tu veux voir Olympe, Sigismond, je vais te conduire à sa chambre ; elle est avec ma belle-sœur Gabrielle, nous jugerons si ton influence est plus puissante que la mienne.

— Si tu n’as pas réussi, Stanislas, toi l’aîné, je doute bien d’avoir plus de succès. Je le tenterai pourtant, mène-moi.

— Ne bouge pas d’ici, mon cher Isidore, elle serait dans le cas de fuir si elle t’apercevait. Prends patience.

— Plaidez bien ma cause, tous les deux.

À l’entrée de ses frères dans sa chambre, Olympe adressa un signe à Gabrielle, qui sortit, et le dialogue s’engagea :

— Tu viens me parler pour cette crapule d’Isidore, s’écria Olympe apostrophant Sigismond, je ne veux rien entendre. Un homme qui se moque s’il est marié ou non et qui court sous les jupes d’une sale cuisinière…

— Olympe, ce langage.

— Tu t’es chargé d’une vilaine mission : un monsieur peu recommandable, ton beau-frère, qui a fait des histoires parce que je soignais Irène ; qui noçait quand il allait à Paris et qui, depuis plus de cinq mois, tu entends, en fait d’amour, ne m’a régalé que de ses seuls ronflements.

— La rupture d’un mariage est chose grave ; tu est trop jeune.

— Tant mieux, si je suis jeune ; je trouverai un autre mari plus aimable… et plus galant.

— Vraiment, ma chère sœur, à tes paroles, on croirait qu’on se marie pour ne penser qu’à l’amour.

— Je crois bien que c’est le principal de l’acte et, dans tous les cas, toi qui fait des enfants à ta femme, tu en pratiques les devoirs.

— Ne t’emporte pas et causons sérieusement.

— Stanislas m’a dit tout ce que tu vas ressasser ; c’est non, non et non. Si vous m’ennuyez, je fiche le camp et tant pis si je fais des bêtises.

— Tu as trop d’exagération dans la colère, pour ne pas revenir à de meilleurs sentiments. Isidore ne demande qu’à implorer son pardon, à deux genoux, écoute le au moins.

— Il est ici ! Ah ! par exemple, je n’y resterai pas une minute de plus.

— Olympe, intervint Stanislas, ma mignonne, reste, reste. Ton asile est sacré dans ma maison et, je te le promets, je ne laisserai apparaître Isidore devant toi, qu’avec ton approbation.

— N’insiste pas, Sigismond, tu ne peux te rendre compte de ce que j’ai souffert avec ce vieux podagre.

— Vieux ! Il a à peine quarante ans.

— Et j’en ai vingt.

— Tu es dans de trop fâcheuses dispositions d’esprit, pour que je continue plus longtemps cet entretien ; je veux espérer que tu réfléchiras : je retourne auprès de ce malheureux Isidore.

— Emmène-le, Sigismond, Olympe est si agitée que je crains une indisposition ; je vais lui faire prendre un cordial.

— Oui, oui, reste avec elle.

Sigismond quitta la chambre et la porte ne fut pas plus tôt refermée sur lui, qu’Olympe, esquissant un pas de deux, comme rentrait Gabrielle, réfugiée dans une chambre à côté, se troussa les jupes, exhiba son cul tout blanc et superbe, et dit à Stanislas :

— Stani, un bécot dessus, tu le sollicitais tantôt, tu l’as mérité, mon chéri, cela nous ragaillardira, nous sommes les plus forts.

— Folle, folle, répondit Stanislas, les lèvres sur ses fesses.

Il redescendit ensuite auprès de son frère et de son beau-frère, celui-ci tout penaud, ne se décidant pas à se retirer.

— Ne te désole pas, lui dit-il, de si grosses irritations tombent d’elles-mêmes, et je profiterai de la moindre éclaircie pour plaider ta cause.

— Grand merci, mon cher Stanislas, je n’ai plus d’espoir qu’en toi.

Aimait-il sa femme ? La chose est difficile à préciser. Comme bien des maris, il redoutait le scandale, et de plus, la femme perdue, il s’apercevait de ce qu’elle pouvait valoir.

Cette première algarade franchie, Stanislas sortit comme d’habitude et se rendit à son café : il était bien aise de se tenir au courant des potins.

La nouvelle de la brouille du ménage Desbrouttiers était en effet le sujet de toutes les conversations ; on goguenardait quelque peu sur l’absence d’Irène et l’invasion sororelle dans la maison Stanislas Breffer.

Stanislas stimula le plus vif ennui, exprima l’espoir qu’au retour de sa femme la paix se rétablirait chez son beau-frère, et perdit à la manille, démentant ainsi le proverbe. Il se doutait bien des cocuages qui pleuvaient sur sa tête, il n’en soupçonnait pas l’importance.

Batifoler avec trois femmes, ce soir là, il s’en sentait bien encore la force : il craignit qu’on commit des imprudences, et il obtint la sagesse générale en promettant, si Irène n’était pas de retour le lendemain ou ne donnait pas de ses nouvelles, d’aller tous la rejoindre.

La lettre de la jeune femme arriva ; et sans la communiquer à sa sœur et à sa belle-sœur, il leur apprit qu’elle les attendait à Paris, ce qui leur causa une immense joie. On proposa à Annina d’être du voyage, elle refusa, préférant garder la maison et s’y trouver pour répondre aux visites qui se présenteraient.

Stanislas ne manqua pas d’aller voir Desbrouttiers, de lui dire qu’il allait chercher sa femme, qu’il emmenait dans son voyage Olympe et Gabrielle, lui assurant qu’il saisirait l’occasion de ce plaisir pour entreprendre la réconciliation du ménage et qu’il se ferait fort de la mener à bonne fin.

— Fais vite, mon cher Stanislas, ma reconnaissance sera éternelle.

Il avait le blanc-seing voulu, ils partirent,