La Vérité sur l’Algérie/03/03

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CHAPITRE III

La température envisagée du point de vue de la colonisation. De la classification exacte, réelle, des régions d’un pays en régions chaudes, tempérées, froides dépend le succès des cultures de colonisation.


La température est, dans les climats, le facteur le plus important que l’on doive considérer pour l’ordonnance des colonisations agricoles. Le facteur eau est moins important, car en beaucoup de régions les travaux de l’homme peuvent le modifier, tandis que toute notre science est impuissante contre le froid, contre le chaud. Entendons-nous bien, contre le froid, contre le chaud agissant sur les grandes cultures à l’air libre… sur le blé, sur le fourrage, sur la vigne. Autrement notre art est capable, en n’importe quel pays, de n’importe quelle culture. Mais c’est alors de la culture artificielle, comme ce qui se fait au jardin colonial de Vincennes, au Muséum, dans les serres de Belgique, dans les forceries de partout. L’élément dominateur en ce cas n’est plus le chaud, le froid, l’eau ou le vent, c’est l’argent.

Nous parlons ici des cultures de colonisation, de celles qui doivent faire vivre non plus quelques familles d’industriels, mais une race, un peuplement sur un sol nouveau, conquis, acheté. Pour ces cultures, le prix mondial de vente des récoltes en règle absolument chez les civilisés le prix local de production. Et ce prix fatal, inéluctable, contre quoi nul artifice passager de protection ne saurait prévaloir, impose auxdites cultures les conditions les plus simples de production, les conditions naturelles : l’air libre, l’engrais du troupeau, l’eau qui ne coûte rien, et pas les serres, les engrais chimiques, les eaux qui coûtent cher.

La condition essentielle de l’air libre fait que la colonisation agricole dépend en absolu de la température des régions à coloniser. La température impose le choix des végétaux à cultiver.

Il y a les végétaux qui évoluent dans les températures chaudes, dans les « tempérées » et dans les froides. Il faut donc, et avant toute autre notion, que l’on sache bien si les régions où l’on s’établit sont chaudes, tempérées ou froides. Il faut que cette classification — je ne dis pas une naïveté — soit nette, précise, réelle. Il faut spécifier qu’un pays froid est celui où la température n’atteint point les maxima d’un pays chaud et réciproquement. Et il faut que l’on soit pénétré de cette vérité qu’un climat tempéré est celui où les maxima et les minima sont tempérés, non les moyennes. Cela vous paraît idiot de simplisme… on a mis soixante-quatorze ans pour s’en douter en Algérie !

Enfin du choix des cultures de colonisation, ce qu’il y aurait d’exclusivisme trop rigoureux dans les conséquences de cette classification peut être corrigé par les relations de temps entre l’apparition des extrêmes et la durée d’évolution des végétaux cultivés. Mais cela est moins une correction qu’une atténuation à ce qu’on va lire plus loin. Car les causes des maxima et des minima sont d’une telle complexité qu’on n’a su en dégager encore une loi de périodicité fixant une durée de temps pendant lequel on pourrait avec certitude laisser ou faire évoluer un végétal ne supportant ni maxima ni minima. Le cas des cotons du Turkestan n’infirme en rien cette thèse en tant de l’application à l’Algérie.

Donc, suivant que les régions à coloniser sont froides, tempérées ou chaudes, la nature y permet la culture des végétaux que ne tue pas le froid, qui ont assez de chaleur dans les climats tempérés ou qui n’en ont pas trop dans les pays chauds. Ces végétaux, les lois d’adaptation des êtres vivants aux climats actuels depuis assez longtemps les ont sériés pour qu’on les connaisse. La science peut en régler logiquement la culture dans les régions à climat nettement défini. Un gouvernement renseigné a le droit de la pratiquer lui-même, de l’ordonner à ses sujets, de la recommander à ses obligés en même temps qu’il a le devoir de la favoriser chez tous les citoyens. (En Cochinchine on sait que le développement des cultures de riz, c’est la fortune ; le gouvernement subventionne des essais de vigne ! nous verrons plus loin ce qu’on fit en Algérie.)

Mais, que les régions à coloniser aient un climat excessif, avec de tels écarts de température qu’on puisse, d’après la saison, le jour et l’heure, dire ces régions et froides et tempérées et chaudes, alors, appartenant successivement, dans un ordre par ailleurs très variable, aux trois climats types, elles ne sont réellement d’aucun. Aussi nulle des cultures spéciales aux climats spéciaux, certaines dans les climats certains, n’est pratique, n’est raisonnable dans les climats excessifs où le risque des températures extrêmes les condamne. La colonisation agricole y devient une spéculation, une loterie que ni la raison ni la science ne donnent aux gouvernements le droit de pratiquer, d’ordonner, de recommander, de favoriser. Cela est d’une logique absolue. Vous vous en souviendrez quand nous parlerons de la colonisation des Hauts Plateaux.