La Vérité sur l’Algérie/06/02

La bibliothèque libre.


CHAPITRE II

Sur les origines des Algériens français d’origine.


Ceux qui croient que pour être grande une nation doit dominer dans le monde en essaimant partout des colonies voudraient maintenant, logiques, pour ces colonies les élites des métropoles. Ce désir est évident aujourd’hui dans toutes les publications coloniales des nations colonisatrices. L’ambition est relativement récente. Dans la pratique de la fondation et du premier peuplement des colonies de toutes les nations on cherche en vain le souci de l’ « élite ». Il ne parut point à l’origine de l’Algérie. Jules Duval nous en dit :


« La guerre d’une part, les folles spéculations sur les maisons de l’autre avaient attiré en Afrique une multitude d’aventuriers, de cabaretiers, de marchands parasites. »


Tout le contraire d’une élite. J’ai vu les « pionniers » de ce genre aux premiers jours du Tonkin, de Madagascar, du Dahomey, de Manille américaine, etc… C’est bien ce que les auteurs nous montrent à l’origine française des Algériens. Je n’insiste pas.

À cet élément « aventurier », « suiveur d’armée », « suiveur des spéculations folles » qui se trouve partout aux premiers jours de toutes les colonies, s’est joint en Algérie un autre élément plus particulier, éminemment respectable sans doute, mais néanmoins un peu… spécial, celui des déportés 1848, 51, 58. La « vigueur » de cet élément est précieuse quand elle est au service de causes justes, quand elle est employée à des efforts de libération ; elle est dangereuse quand elle dévie.

Nous verrons plus tard comment elle a dévié. Quelques-uns de ces « colons de la première heure » existent encore.

J’ai lu dans la Turco-Revue (février 1904), publication d’Alger, la lettre suivante :


« La colonisation de l’Algérie, tout le monde le sait, remonte à 1848. Pourtant ce n’était pas pour faire de la colonisation que les premiers colons sont partis de France. Les bourgeois qui étaient au pouvoir, trouvant que la fusillade des grands boulevards n’était pas assez complète, imaginèrent ce moyen de se débarrasser d’un excès de population. Il faut que les lecteurs de cette revue sachent que l’on retirait du Mont-de-piété les hardes des partants, croyant, par cet exode, tuer l’idée socialiste qui, malgré tout, a fait son chemin.

« En sortant de Paris, les premiers colons sont venus habiter sous des tentes, dans un pays nu et stérile. Tous les deux jours, la ration militaire était distribuée aux malheureux extradés pour les besoins desquels rien n’avait été préparé. Si les chefs militaires d’alors n’eussent pas été des patriotes, des hommes de cœur pour lesquels la France et l’humanité passaient avant la dynastie, l’Algérie, qui était déjà le bagne, eût été le tombeau pour tous ces malheureux exilés.

« Veuillez agréer, etc.

« P.-E. CORNU,
« Cultivateur colon, parti de Paris par
le canal Saint-Martin le 14 novembre
1848, arrivé le 16 décembre au
matin à Bône. »


Il ne s’agit point là d’un « déporté » au véritable sens du mot, comme ceux de l’Empereur.

En 1848 c’est le système d’Enfantin qui obsédait les esprits. On voulait en faire le système de la colonisation algérienne. Le Dr Trélat fut chargé de l’appliquer. C’est à lui qu’on doit les radeaux d’émigrants. 2.500 colons partirent ainsi. Des cultivateurs qui l’étaient « du jour au lendemain ». Tel qui était peintre en bâtiment se découvrait la vocation de laboureur et partait. Le rapport de Louis Reybaud (1849) dit qu’on créa de la sorte « beaucoup de foyers d’oisiveté et d’agitation politiques. »

Ainsi, 1o des aventuriers dans la mauvaise acception du mot ; 2o des dévoyés : nommons ainsi les colons de 1848 et les déportés de 1851.

Quand à ces deux éléments nous aurons ajouté : 3o les retraités, soldats et fonctionnaires se fixant et faisant souche ; 4o les Alsaciens-Lorrains ; 5o les colons officiels ; 6o quelques émigrants libres, nous aurons les origines des 170.964 Français d’Algérie nés en Algérie de sang français. Des origines forcées. Car l’émigration libre, causée par une connaissance réfléchie du pays nouveau, raisonnée, avec chances de succès espérées d’un labeur rationnel, du travail normal de l’émigrant, il y en eut peu, très peu.

Les archives de l’Algérie n’existent pas. C’est d’hier seulement qu’on a l’air de se douter en Algérie que la statistique est une science exacte, que l’essence même des travaux de statistique c’est la précision, que l’à-peu-près si cher aux discoureurs n’y est point de mise et que les idées générales on y doit les ignorer. Jusqu’à présent les statistiques furent toujours établies à l’appui de telle ou telle thèse, jamais dans ce désintéressement absolu qui est le gage de leur sincérité. Aussi est-il impossible de faire le dénombrement des origines que j’indique.

Impossible avec l’exactitude que je voudrais. Car, si l’on se contente des « grandes lignes », c’est très facile. Et la lecture des publications, des lettres de chaque époque, des mémoires surtout, puis des journaux, tout cela, rempli d’incessantes plaintes sur la « qualité » de l’émigration, permet d’apprécier en leur caractère les « origines » de la population créole française d’Algérie. Barres a fait la fortune du mot déraciné. C’est une œuvre délicate en humanité que la transplantation d’un être déraciné. Elle exige mille conditions réunies dont les principales, dont les essentielles dépendent de l’être lui-même. Pour conserver le génie de sa race et l’implanter dans la patrie nouvelle, il faut évidemment que cet être en ait la conscience, et qu’il soit fort, et qu’il aille libre… Or celui-là fut en minorité infime dans les origines du peuplement français de l’Algérie. Les forts des premiers combats contre le sol neuf moururent comme les forts des premiers combats contre les défenseurs de ce sol… à trois cent mille… nous en avons dit avec M. Jules Ferry le chiffre !