La Vérité sur l’Algérie/06/04

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CHAPITRE IV

Les transformations physiques du type ethnique dans la transplantation.


J’emploie à dessein le mot transplantation et non celui d’acclimatement. Des hommes politiques peuvent dire en leurs discours, des journalistes en leurs articles : les Français acclimatés en Algérie. Des hommes sérieux ne peuvent pas dire cela.

L’acclimatement d’une race est un fait qu’on ne raisonne point ; c’est un fait que l’on constate. Pour les régions intertropicales on à constaté que les races blanches ne s’acclimatent point. S’il s’agit donc du peuplement français de l’Indo-Chine, de la Guyane, même des Antilles, nous pouvons dire : il est impossible, parce que cette impossibilité a été constatée.

Pour des régions comme l’Afrique du Nord, nous ne pouvons dire ni s’il est possible, ni s’il est impossible. Car l’expérience n’est point faite. Nulle expérience similaire n’est faite. Celle de Rome est imprécise. Nous savons seulement ce que j’ai dit plus haut, que des Méditerranéens, dont nous ignorons les races, furent portés sous le nom romain en Afrique et qu’ils en disparurent. Par la guerre ? Par les révolutions ? Par le climat ? Nous avons la certitude des résultats des guerres et des révolutions qui furent notés par les historiens. Mais nous ne savons rien de certain pour ceux du climat. Car, bien que les écrits d’Hippocrate soient fort anciens, la notion de l’acclimatement a mis longtemps à se répandre et les observations qui en sont la conséquence on commence aujourd’hui seulement à les noter avec méthode.

Les feuilles de démographie permettant de « suivre » complètement la race n’ont paru que cette année dans les statistiques algériennes et ne portent que sur le deuxième semestre 1902. Quand on pourra les étudier sur une portée de plusieurs siècles on dira, en sachant ce que l’on affirmera, vers l’an 2150 ou 2200, si le peuplement français a pris ou n’a point pris en Algérie, s’il y a ou s’il n’y a point acclimatement. Aujourd’hui, l’écrivain sérieux ne peut parler que de transplantation, ne peut noter que des phénomènes, que des faits de transition. Le définitif sera pour plus tard.

Je ne sais pas si le Français, fils de Français, existera dans deux siècles, ni, s’il existe, ce qu’il sera, comment il aura été modifié par son adaptation au nouveau milieu.

Mais je sais que dans sa transplantation d’aujourd’hui, qui est la crise d’où sortira ou ne sortira pas l’acclimatement, par cela même qu’il est dans une crise tenant d’un milieu différent de son milieu « d’origine », il n’est plus le même homme qu’en France, et dans ce que l’on est convenu de nommer son moral et dans ce que l’on dit son physique.

La différence physique, ce que les médecins réunissent dans l’expression « habitude extérieure », frappe déjà l’observateur. Comparez dans les régiments algériens les sous-officiers, les hommes du contingent métropolitain et ceux du recrutement local. Très rapidement on les distingue.

Dans quelques familles de colons — je néglige ici l’élément étranger — il y a des types magnifiques de force et de beauté. Mais ce devient l’exception, à moins qu’il n’y ait apport d’autre sang. L’aspect de la masse française montre diminution de vigueur. Et la beauté moyenne qui tient au calme, à l’assurance de gens se sentant bien chez eux, a fait place à de l’inquiétude physique. Il y a quelque chose de tourmenté et d’angoissé dans l’allure de ces êtres blonds à figures françaises, dont le hâle ne dissimule qu’imparfaitement la faiblesse du sang. Et sous l’audace qu’ils donnent à leurs yeux, sous l’air malin qui est l’air algérien, j’ai vu la mélancolie de la race incertaine du lendemain. Les arbres de France qui sont dans les jardinets des chefs de gare donnent la même impression : l’inquiétude. Alors que le Méditerranéen d’Espagne ou d’Italie a l’assurance… de l’homme qui revient. L’Espagne et l’Italie ne l’oublions pas, furent, l’Espagne surtout, peuplées de Maures qu’on ne chassa point tous. Malte n’est pas d’Europe. Ceux-là paraissent chez eux. Pas le Français, qui lutte et faiblit… physiquement. (Notons qu’il y a 1 réformé sur 10 conscrits.)

Dans ce phénomène de la transplantation d’une race les deux fonctions qui sont suractivées, c’est la nutrition pour la conservation de l’individu, la génération pour la conservation de la race. Les premières modifications physiques des types de la race transplantée affectent les organes de ces deux fonctions. C’est là qu’on doit chercher. Ce serait la matière d’une enquête sur la physiologie des Français d’Algérie. Elle n’est pas faite. Je ne crois pas qu’on la fasse. J’ai pu observer ceci :

Le Français transplanté veut beaucoup manger. Ses dents sont mauvaises. Son estomac le devient.

Voyez ensuite les dents de loup, l’estomac d’autruche… des autres.

Pour la génération, la différence est manifeste également. Je crois que c’est Drumont qui, dans un article célèbre, a dit que les Espagnoles d’Algérie sont des pondeuses. On lui a reproché le mot. On avait tort. Dans les races qui prennent un sol, la femme se ramasse en quelque sorte autour de son ventre. Et elle prend l’allure de la poule. Cette démarche des Européennes d’Algérie que des observateurs superficiels disent « voluptueuse » ou « canaille » ou encore… autre chose… suivant leur éducation ou leur manque d’éducation… est naturelle. De même qu’est naturelle au mâle cette allure de coq dont notre délicatesse est choquée. La race veut des mâles et des femelles. Les intelligences passent aux plans lointains. Le sexe apparaît aux premiers. Des sexes générateurs. Des sexes féconds… Pauvres Français, pauvres Françaises d’origine, que devenez-vous, dans cette apothéose du sexe ?… Oui, je sais que mon bon ami X*** va partout clamant ses douze enfants légitimes et mon excellent ami Y*** ses vingt bâtards et que Z*** ne compte plus ses prouesses viriles, fécondantes… et je sais aussi qu’il y a de belles croupes et puissantes ne devant rien au ciel d’Espagne…

Mais je sais aussi trop de misères saignantes. Et si je consulte les feuilles démographiques (celles du 2e semestre 1902, les nouvelles, les seules qui permettent de spécifier,) je vois que, sur 9.960 mères européennes, il n’y en a que 3.847 françaises de père et mère.

Pour comprendre ce chiffre, il faut le rapprocher de celui de la population européenne et française d’origine.

La population française d’origine comprend :


121.500 personnes, nées en France ;
170.964 Algérie ;
Soit 292.464 qui donnent 3.847 mères
et 4.276 pères.
La population européenne est de :
71.793 naturalisés ;
155.265 Espagnols ;
38.791 Italiens ;
25.531 divers ;
Soit 291.380 personnes, qui donnent 6.113 mères.


Dans le tableau 2 du titre Ier, qui me donne ces chiffres (Statistique 1902, publiée en 1904, tableaux annexes), si le lecteur veut bien contrôler mes citations, il verra au total des mères de population européenne 10.642, au lieu de 9.960, que je donne ; c’est que j’ai retranché l’élément juif et musulman naturalisé.

Ces statistiques, je le répète, ne portent que sur une période de six mois. Mais j’ai cru nécessaire de citer ce chiffre qui montre pour cette période et dans une population de nombre sensiblement égal le double de mères chez les étrangers européens. (Étrangers s’appliquant à l’origine et non à la nationalité seulement) :


292.464 Français ont 3.847 mères ;
291.380 étrangers ont 6.113 mères.


Car si je dis mon impression, que j’ai remarqué, dans l’exaspération des fonctions génératrices chez les races en concurrence de transplantation sur le sol africain, l’infériorité évidente de la femme d’origine française, on me dira, on me peut répondre, qu’une impression de moi vaut celle d’un flâneur des Galeries Bab-Azoun, et que le fait de provenir de moi ne donne pas à une remarque autorité suffisante pour qu’on l’accepte. C’est pour cela que j’ai cité un chiffre irrécusable soulignant, illustrant mon observation que dans la transplantation algérienne notre race est frappée au ventre.

Le type physique se modifie. Et n’ergotez point en ne songeant qu’à la seule natalité et en disant que tout au contraire alors que la natalité française diminue dans la métropole elle augmente en Algérie… car non seulement vous diriez une absurdité… mais une absurdité confirmant mon observation que l’Algérie modifie le type physique.

Ces modifications prouvées par les conséquences dont on peut faire l’observation en étudiant les faits de vie purement animale échappent à la généralité des écrivains qui s’occupent de l’Algérie. Les faits de la vie dite morale les frappent davantage. Le dernier chauffeur de paquebot entre deux verres à la pêcherie d’Alger et à la Cannebière est capable de longuement disserter sur la mentalité nouvelle de l’Algérien.

Ce phénomène — pas celui du chauffeur ou de l’amateur collectionneur de mentalités — celui de la mentalité différente — grands dieux ! que ce mot devient agaçant — mais il n’y en a pas d’autre, — ce phénomène, donc, provient d’une modification physique du cerveau.

L’adaptation de la race à un climat règle la circulation de l’influx nerveux dans un équilibre normal avec la tension des fluides de l’atmosphère, ondes électriques, rayonnements connus et inconnus. Le cerveau de l’homme de l’Île-de-France, est réglé pour fonctionner normalement dans la tension électrique normale de l’Île-de-France[1]. Il ne fonctionnerait normalement devenu Algérien que si la tension normale des électricités et des rayonnements de l’atmosphère de l’Algérie était absolument semblable à celle des fluides qui animent l’atmosphère de l’Île-de-France et que si ces fluides étaient les mêmes. Nous ne connaissons encore — et combien peu ! — que l’électrique. Et nous pouvons déjà dire que la tension normale en diffère. C’est à cette tension différente que le cerveau du transplanté doit s’adapter, c’est là le phénomène le plus important dans l’acclimatement, et dont personne jusqu’à présent n’a eu l’air de se douter.

Et il faut que l’on étudie cela. Il faut que l’on réfléchisse à cela si l’on veut comprendre quelque chose aux modifications morales du Français d’Algérie. La notion de ce phénomène rend claire l’histoire politique de l’Afrique du Nord… où tant de cerveaux d’hommes blancs ont battu, battent et battront la berloque en essayant de s’adapter…

— Maboul, dit l’Arabe.

— Cafard, répond le légionnaire.

Lesquels sont l’un et l’autre bons observateurs, mais ignorent les tensions et les circulations des fluides…


  1. J’avais écrit le cerveau de l’homme de Paris. Mais ce n’est plus juste. Depuis quelques années, avec tout le fer mis à l’air, avec toutes les circulations électriques, Paris est baigné dans une atmosphère de « fluides », de « courants » qui ne sont point naturels. À quoi le cerveau des Parisiens n’est pas encore adapté. C’est une crise nerveuse d’adaptation dans laquelle se débat la population parisienne. On n’explique le détraquement des Parisiens que par l’alcool et l’athéisme et les mauvaises mœurs. Il faut joindre à cela l’influence du fer dans les constructions, qui affecte le magnétisme terrestre, et l’influence de tous les courants électriques, qui crée une nouvelle atmosphère fluidique.