La Vérité sur l’Algérie/06/05

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CHAPITRE V

Quelques opinions sur le Français d’Algérie, Français modifié, devenant une nouvelle race. La Sicotière, Lamoricière, Drumont, Émile Violard, Wahl, Cambon, Jules Ferry, de Peyerimhoff, Caillaux, Jonnart, Grosclaude, la fillette Malleval, de Blidah.


C’est, avons-nous dit, les modifications des caractères mentaux qui frappent le commun des observateurs et lui font voir une race nouvelle.

Quelques-uns l’apprécièrent assez durement :

Dans le rapport de La Sicotière sur les actes du gouvernement de la Défense nationale figure ce tableau peu flatté de la population française de l’Algérie :


« L’Algérie renferme comme toutes les colonies, comme toutes les capitales, trop de gens aventureux, éprouvés par des revers de plus d’un genre, transfuges volontaires ou forcés du sol natal et de la vie régulière, disposés à saisir toutes les occasions bonnes ou mauvaises de rétablir leur crédit.

« Qu’on y joigne beaucoup de bannis de juin 1848 et surtout de décembre 1881 dont l’exil avait irrité les passions politiques loin de les calmer. Plusieurs avaient trouvé le moyen de se créer des ressources, une existence, des établissements sur le sol algérien ; d’autres n’y avaient pas réussi et chez ceux-là les déceptions privées ajoutaient leur amertume a celle de ressentiments bien naturels. Ils ne voyaient d’ailleurs ce qui se passait en France dans l’ordre des faits et même des idées qu’à travers les préjugés trompeurs de l’exil et d’un esprit de secte d’autant plus violent qu’il était resserré dans un milieu plus étroit, d’autant plus redoutable qu’il se nourrissait de douleurs et de colères en partie légitimes.

« De là une population ardente comme le climat qu’elle habitait, diverse d’origine, de goûts, d’aptitudes, mobile à l’excès, remarquablement intelligente et instruite, d’une activité fébrile même dans son loisir, impatiente du régime militaire qui comprimait ses tendances et qui contrariait ses vues économiques, jalouse de son autonomie et fière de ses avantages jusqu’à se croire parfois en état de « voler de ses ailes » et de s’affranchir de la tutelle trop correcte et trop lourde de la mère-patrie, plus ouverte que celle du continent à tous les rêves, à toutes les passions politiques, et dont la puissance révolutionnaire eût été terrible si la diversité même de ces passions et de ces rêves, si des rivalités personnelles et des jalousies locales ne l’avaient affaiblie en la divisait à l’excès. »


Puis ceci, du général Lamoricière, cité par La Sicotière :


« Dans les premières années de la conquête, c’était sur le rivage de l’Algérie que toutes les classes de la société venaient déposer leur écume. »


De Drumont :


« On sait de quelle écume se compose la population des grandes villes de l’Algérie. » (France juive, 2e vol. page 18.)


Au moment des troubles de 1884, le Cri du Peuple a publié sur la population européenne un article reproduit par l’Akhbar du 2 juillet 1884 et où j’ai lu :


« On ne se fait pas en France une idée de ce que peut être la population européenne des villes d’Algérie. Je ne vais pas comme beaucoup jusqu’à dire qu’elle se compose uniquement d’un tas de buveurs d’absinthe — l’alcoolique absinthe étant généralement emporté, violent pendant la crise, mais redevenant bon diable, patient quand la crise est terminée.

« L’Européen là-bas au contraire se maintient dans une crise de nerfs perpétuelle, dans une folie furieuse…

« … Les ratés de tous les pays » les faillis, ceux qui sont obligés de se faire oublier, les employés compromettants ou compromis viennent en Algérie.

« … Au bout d’un an malgré sol, quelque candide qu’on puisse être, on est devenu arabophobe forcené, exploiteur patenté, juif… Un de mes amis qui habite l’Algérie depuis six ans me disait : « Si je n’allais chaque année passer trois ou quatre mois en France, je deviendrais canaille. » Et c’est malheureusement vrai. » « … Et la police, tacitement protégée par la haute administration, excite, encourage et prête la main à ce ramassis de brigands, à cette lie de la population européenne, qui ne vient échouer dans les villes algériennes que « quand elle a tout perdu et qu’elle n’a plus d’espoir… que dans le mari de Mme Tirman. »

« … Désirez-vous connaître le pays où fleurit l’oranger. »


C’était signé Émile Violard. On m’a dit que cet écrivain est devenu Algérien.

Mais voici des éloges. De M. Wahl :


« Cette population algérienne a ses défauts que le temps et la réflexion pourront corriger ; elle les compense largement par les qualités brillantes et solides qu’elle a reçues en héritage. Elle ressemble à ces enfants remuants, mal élevés, tapageurs, pleins de sève et de santé, la joie et la terreur de leurs mères. La France s’étonne parfois de ces allures impétueuses, de cette intensité de la vie algérienne ; mais elle peut se réjouit, car elle a mis au monde sur la terre d’Afrique un rejeton vigoureux, fortement constitué, taillé pour la lutte et qui ne succombera pas de sitôt dans les combats de la concurrence vitale. »


De M. Cambon :


« On prit l’habitude peut-être de médire, un peu excessive, du colon d’Algérie. Il est évident que les colons d’Algérie, mon Dieu ! ont les défauts des gens d’initiative et des jeunes gens.

« Ils forment une jeune nation ; ils confondent quelques fois la violence avec l’énergie, ils se plaisent à dire beaucoup de mai d’eux-mêmes de peur que d’autres en disent avant eux et ils aiment à attaquer avec ardeur toujours, avec injustice quelquefois, ceux qui sont chargés de les administrer. Ils suivent op aisément et trop facilement les donneurs de conseils, soit dans la presse, soit ailleurs, et ils ont pour les politiciens une estime que l’expérience ne leur a pas encore fait perdre.

« Ce n’est pas une raison parce qu’ils ont ces légers défauts de jeunesse, pour que nous ne rendions pas hommage à tout ce qu’ils ont apporté de génie, de dévouement, de courage, de laborieuse ardeur dans l’œuvre dont ils ont été chargés.

« Et quant à moi je puis le dire, je ne connais pas d’homme qui mérite davantage le nom de bon ouvrier, de bon agriculteur et de bon Français qu’un colon d’Algérie. »


C’est l’idée qu’a reprise M. Caillaux : « Un peuple jeune, débordant de vie. » C’est ce qu’avait proclamé Jules Ferry : « Des vertus le colon en a beaucoup, il a toutes celles du travailleur et du patriote. » C’est pour cela que M. de Peyerimhoff en fait le « gardien du génie français ». L’éminent directeur de l’agriculture algérienne disait en effet le 11 mars 1904 aux Délégations financières :


« … Ces concessions qu’on appelle des concessions gratuites ne sont pas des libéralités unilatérales et, en réalité, elles ne sont pas gratuites. Ce sont des contrats par lesquels vous donnez quelque chose à condition que l’on fasse quelque chose. C’est le do ut facias ; ut facias quid des Romains : « Que tu t’installes, toi, ta femme et tes enfants, sur ta concession, que tu la cultives, que tu sois ainsi le ressort du développement économique du pays et que dans la mesure de tes moyens tu gardes, là où on t’a placé, le génie français. »


Comme il est un ressort, en lisant ces belles phrases, le colon se détend, se redresse. L’avenir seul avec certitude à nos fils montrera si ce ressort a gardé plus fidèlement notre génie que M. de Peyerimhoff n’a compris celui de notre langue. J’adore ce diplomate-laboureur. Il est précieux pour apporter un peu de gaieté. Nous le retrouverons…

Voici de M. Jonnart, en un discours prononcé le 20 octobre 1900 à la réunion d’études nigériennes :


« Il est évident que l’Algérie n’est que le prolongement de la France, si l’on considère simplement les sentiments patriotiques qui animent les Algériens et les attachent à la mère-patrie. Mais l’Algérie a une physionomie originale, distincte, une personnalité propre, trop longtemps méconnue, étouffée sous le niveau d’institutions importées de toutes pièces de notre vieille France, adéquates à d’autres besoins, à d’autres mœurs.

« Il faut reconnaître que nous avons devant nous un peuple jeune, ardent, passionné, entreprenant et hardi. Contraint, engourdi, énervé, ce peuple risque de s’épuiser en maintes disputes, en agitations mortelles. Mais si vous lui accordez confiance, si vous donnez un élément à son activité, l’essor à son esprit d’initiative ; si vous ouvrez devant lui les vastes horizons du travail libérateur, si vous élargissez et si vous élevez son idéal, vous lui constituez en quelque sorte une mentalité nouvelle et vous pouvez tout espérer de l’évolution de ses idées, de l’élan et de la puissance de ses facultés créatrices. Alors vous ne partez pas en vain à son cœur et à sa raison. »


C’est toujours l’idée du peuple jeune à mentalité nouvelle… une jeunesse qui s’ouvre a la vie et dont nous devons, affirme son gouverneur, élargir l’idéal.

L’Algérie veut bien qu’on lui élargisse l’idéal, mais ça l’agace qu’on lui parle toujours de mentalité nouvelle.

M. Grosclaude l’a dit nettement au président de la République l’an passé :


« Certes, nous acceptons et nous respectons le droit d’aînesse ; mais, nous autres, Français de race, nous ne consentons pas à être rejetés de la famille et nous souffrons d’entendre dire que notre mentalité est autre que celle qui règne au commun foyer paternel.

« Quand vous aurez constaté, au cours de votre rapide voyage, quels bons Français, quels bons républicains nous sommes, vous direz avec autorité à nos frères de la métropole qu’ils se trompent et qu’on les trompe. »


M. Grosclaude, qui demandait à M. Loubet de nous détromper, s’exprimait ainsi en qualité de président du conseil général d’Oran.

Pas de mentalité « autre », il n’a pas « changé d’âme ». En lisant des vers de son papa Mlle Malleval, de Blidah, le murmurait au bon M. Loubet :


Premier Citoyen de l’État,
Le Chef de notre République,
L’Élu, plus grand qu’un potentat,
De la France démocratique,

Merci d’avoir daigné venir,
Pour voir sur la terre africaine
Croître une race d’avenir,
Plus française encor qu’algérienne.

L’Afrique, hélas longtemps du sang
De nos soldats fut arrosée ;
Mais aussi ce levain puissant
L’a pour jamais fertilisée.

Partout d’industrieux colons
Des fiers guerriers ont pris la place,
Et le blé verdit les sillons
Où la brousse couvrait l’espace.

Certes, dans ce pays nouveau,
La surprise en vous a pu naître ;
Mais si, scrutant cœur et cerveau,
Votre œil au fond de nous pénètre,

Pour saisir, en son jour réel,
Le monde algérien qu’on diffame,
Vous verrez qu’en changeant de ciel
Pas un de nous n’a changé d’âme.

Puis, à nos frères toujours chers
Vous irez porter l’assurance
Que, vers le Sud, delà les mers,
Il est une seconde France

Où vit le culte des aïeux,
Où de vrais enfants de la Gaule
Sans cesse ont l’esprit et les yeux
Dirigés vers la Métropole…


Pour cette bonne parole M. Loubet embrassa Mlle Malleval. Les Français d’Algérie n’ont pas changé d’âme. L’Algérie n’est pas une autre France. C’est une France seconde…

Et je ne veux point qu’on raille. Ils sont ridicules ces vers de M. Malleyal, de Blidah. Mais combien touchants… Nous verrons plus loin des gens odieux qui fièrement nous diront : « Oui, nous sommes autres. Oui, nous avons une mentalité nouvelle, une âme nouvelle et nous valons mieux que vous… nous, sommes les néo-Français… » Mais celui-là, ce bon professeur de Blidah, ce brave homme, il est Français, et ce n’est pas seulement pour le souci d’une pauvre rime qu’il parle de la Gaule ; il en vient ; il y tient ; elle a son esprit ; elle a ses yeux… il veut en garder l’âme.

Les professeurs d’énergie nous disent que vouloir c’est pouvoir. Est-ce le cas du Français d’Algérie qui veut… ne pas avoir la « mentalité nouvelle » ?