La Vérité sur l’Algérie/06/19

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Librairie Universelle (p. 256-258).


CHAPITRE XIX

Les beaux-arts.


Ce chapitre pourrait être court. Je devrais écrire : Il y a un peintre en Algérie, Noiré. Point, à la ligne, c’est tout.

Cela suffirait si j’étudiais uniquement les beaux-arts de l’Algérie. Mais je les apprécie du point de vue transplantation d’un groupe ethnique, etc…, etc. Alors il ne suffit pas de constater que dans la foule des gens qui font de l’art plastique, de l’art pictural en Algérie, un seul artiste émerge, Noiré.

Pour le génie de Noiré, quelque détail de son œuvre et ce que j’en pense, je renvoie le lecteur au chapitre xxxi de mon livre la Question du Maroc. (Dujarric, éditeur. 1903. Paris.)

L’effort des Algériens, race nouvelle, en matière de beaux-arts, j’y vois les mômes caractéristiques défauts que dans leur effort en matière de littérature.

Mais, si nous avons le droit de nous montrer impitoyables en condamnant leurs méfaits contre la langue et la pensée françaises, contre notre génie littéraire, si nous avons le droit de renvoyer à l’égout ces gens de la Dépêche qui apparentent Cagayous à Montaigne… nous pécherions d’injustice en accablant tous leurs pauvres ouvriers de la couleur, de la forme…

La nullité algérienne en matière de beaux-arts, la race nouvelle n’en est pas seule responsable. Nous aurions mauvaise grâce à vouloir d’elle ce que nous ne possédons pas chez nous ; ce que nous ne savons que d’hier, que depuis Noiré…

Voilà qui fera sourire toutes les médiocrités rageuses de la critique algérienne… oui, vous pouvez, illustres, ajuster vos lunettes, vos lorgnons, vos monocles pour voir si Noiré cette semaine a songé qu’il devait acheter souliers neufs… car c’est à la correction des bottines que la critique algérienne apprécie le mérite… mais vous feriez mieux de regarder ses tableaux et d’essayer d’y comprendre quelque chose.

Et je veux bien vous dire comment vous pourriez comprendre…

C’est que le nombre et l’harmonie du nombre sont l’essentielle condition de beauté pour tous les arts.

Le Chinois a depuis fort longtemps expliqué l’harmonie mathématique des sons dans la musique. Il a montré celle des lignes dans ses grandes architectures. L’art grec vient de cette géométrie reprise. Le décor arabe, de cette géométrie transmise. C’est le nombre et l’harmonie du nombre.

On l’ignorait dans la couleur.

Corot, Claude Monet, Pissarro l’ont pressentie, Noiré l’a révélée.

Ses toiles sont pour nos yeux ce qu’en musique est pour nos oreilles un accord parfait ; ce qu’on mathématique est pour notre esprit une équation, un théorème ; et cela pour les mêmes raisons du nombre, en respect des règles absolues dû nombre, l’harmonie de tous les tons justes, pour Un ensemble juste qui est la beauté.

Mais tout cela qui n’est admis, compris chez nous que par une élite nous ne saurions en vouloir à Cagayous et à Pepete le Bien-Aimé de l’ignorer… surtout quand nous voyons quels écrivains prennent soin de former son goût…