La Vérité sur l’Algérie/06/20

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Librairie Universelle (p. 258-263).


CHAPITRE XX

L’instruction, l’enseignement.


Il faut rendre cette justice à tous les gouvernements — quels qu’ils fussent — qu’ils ont toujours fait leur possible pour « instruire » l’Algérie. L’instruction a toujours été une des grandes préoccupations publiques de la colonie. L’Algérie en a toujours eu la coquetterie louable. Il est regrettable seulement que le « particulier » sur ce sujet ne soit pas toujours d’accord avec le « public ». Je ne voudrais point qu’on m’accusât d’imiter le classique Anglais notant les cheveux roux de la femme de Calais. Mais voici un petit fait symbolique,

En tramway. Un gros homme au conducteur :

— Ça doit vous fatiguer ce métier ?

Le conducteur, croyant que cet obligeant fait allusion aux longues heures qu’il doit passer debout :

— Mais non… avec l’habitude… Et puis nous nous asseyons quelquefois…

— Ce n’est pas ça… riposte l’autre en désignant du doigt la sacoche et le rouleau de reçus… mais le travail intellectuel !

La nouvelle race est effrayée par le travail intellectuel. Cela est normal. Nous avons vu que le phénomène naturel chez la race en transplantation, c’est l’effort pour la nutrition et pour la reproduction. L’effort intellectuel sera naturel… plus tard…, si la race s’adapte, prend sur le sol. En attendant, la masse a sur l’effort intellectuel les idées de mon voyageur en tramway.

M. de Peyerimhoff, qui nous est un informateur précieux, un informateur officiel, a fait la même constatation. Pas en tramway. Aux séances du Parlement algérien. Quand on parlait des écoles d’agriculture, on y disait que les jeunes Algériens riches n’avaient qu’à se présenter aux écoles de France. Mais il y a des examens pour entrer dans ces écoles, dit M. de Peyerimhoff, des examens difficiles. « Alors nos jeunes gens suivent la foule qui entre par les portes toujours ouvertes des écoles de droit, de médecine. » (17 mars 1904.)

Il revient plusieurs fois sur cette constatation. Le 21 mars 1904 il dit :


« Mais dans les écoles supérieures de la métropole on n’entre qu’après des concours très sérieux, très difficiles, de sorte que beaucoup de jeunes gens qui feraient de bons agriculteurs ne peuvent y pénétrer. »


Et à la séance plénière du 24 mars 1904 :


« Dans les écoles de France, comme on vous le faisait remarquer tout à l’heure, on n’entre pas comme dans un moulin. Il y a des examens très difficiles. »


Diable !… diable !… Est-ce que l’Algérie aurait tant désiré ses écoles supérieures pour y entrer « comme dans un moulin » ?

M. de Peyerimhoff, je vous le dis, est précieux… pour nous. Mais l’Algérie qui tient si passionnément à lui aurait tout de même le droit de trouver qu’il est un maladroit ami.

« Comme dans un moulin ! » Ce n’est pas le pamphlétaire qui le dit, c’est le directeur de l’agriculture algérienne, un des plus hauts fonctionnaires du gouvernement général, c’est M. de Peyerimhoff qui le constate : à la jeunesse qui incarne l’effort intellectuel supérieur de la race nouvelle il faut des écoles où l’on entre comme dans un moulin.

Et si nous en croyons M. le docteur Trabut, il faut même que ce soient de gais moulins. Vantant un lieu qu’il propose pour l’établissement d’une école supérieure, cet honorable fonctionnaire écrit : « Il se trouve admirablement placé pour donner aux élèves, les jours de congé, la facilité d’assister aux spectacles. » (Délég. financ., 1er vol., 1re partie, page 645.)

Voilà de bons documents de mentalité algérienne ; ne pas subir d’examens difficiles, puis se distraire au spectacle, voilà les conditions de l’enseignement supérieur algérien que nous disent M. de Peyerimhoff et le docteur Trabut.

Croyons-les. Et concluons logiquement. Cet enseignement supérieur algérien qui coûte 500.000 francs par an est inutile. Qu’on le supprime. 500.000 francs seraient beaucoup mieux employés en bourses pour les Facultés de la métropole. Mais, puisqu’il leur faut des écoles où l’on entre comme dans un moulin… eh bien, ils se contenteront de l’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire.

On me permettra de ne point m’arrêter à faire un tableau plus complet des hautes études algériennes et des jeunes gens qui s’y livrent, jeunes gens qui font beaucoup de bruit partout où n’est point leur place, et, pour compléter le « comme dans un moulin » de M. de Peyerimhoff, de citer un simple détail.

Les statistiques officielles publiées en 1904 pour l’année 1902 (page 98) nous apprennent qu’il y a bien trois auditeurs au cours d’égyptologie, mais pas un au cours de langue et littérature françaises.

Cela n’est pas des phrases, cela n’est pas des observations contestables, c’est le fait. Brutal et navrant. Pas un des jeunes gens de la race nouvelle qui veut à son esprit haute culture ne suit le cours de « langue et littérature françaises » à l’École supérieure des lettres d’Alger. Philosophez là-dessus.

Pauvre professeur de langue et littérature françaises… pas même la ressource de son cocher comme notre légendaire professeur de sanscrit au Collège de France !

J’espère que, lorsque l’École supérieure d’Alger sera devenue Faculté et que M. Musette ou quelqu’un de ses disciples y enseignera la langue et la littérature de Cagayous, il aura plus de monde que nos infortunés professeurs « de langue et littérature françaises ».

Heureusement qu’il y a les établissements d’enseignement secondaire et d’enseignement primaire avec « auditeurs forcés » pour les cours de français…

M. Jonnart a compris la nécessité d’un effort pour sauver avec la langue le caractère français dans la colonie. Et les budgets comprennent pour ce des dépenses de plus en plus grandes. Mais ce qui paraît inquiétant c’est qu’un délégué financier, M. Jolly (Dél. financ., 1er vol., p. 383), ait ainsi caractérisé l’enseignement que veut le Parlement algérien :


« Un enseignement complet, absolument français dans ses origines et dans sa structure, mais algérien dans ses ramifications. »


Maintenant que vous commencez à vous faire une idée de ce que signifie algérien, vous penserez que cet enseignement doit être français en tout.

Et si vous consultez les statistiques du recrutement où l’on voit :

Sur 5.721 conscrits :

577 ne sachant ni lire ni écrire ;

202 sachant seulement lire ;

1.115 sachant lire et écrire, mais pas compter.

Il ne faut pas attribuer au brevet de l’enseignement primaire, au certificat d’études une importance exagérée, mais 102 conscrits seulement l’ayant, sur 5.721, peut-être n’est-ce pas assez.

Il est vrai qu’on a le droit d’espérer mieux pour dans quinze ans. Car maintenant 116.982 enfants reçoivent l’enseignement des écoles primaires.

Les statistiques auxquelles nous empruntons ce chiffre seraient parfaites si elles nous donnaient la proportion d’étrangers, et surtout d’indigènes musulmans dans ce chiffre.

Pour dire brièvement le caractère de la race nouvelle que révèle l’instruction, l’enseignement algérien, c’est : tendance au moindre effort intellectuel. Et cela pour deux raisons. La naturelle : la paresse. Et une autre qui vous paraîtra moins naturelle. L’Algérien croit que sa supériorité intellectuelle le dispense de l’effort auquel le Français, lui, se croit obligé. Nous avons cité la répugnance algérienne à faire le même temps de service militaire que le Français. Depuis le temps qu’il jouit de ce privilège l’Algérien est arrivé de bonne foi à croire qu’il le doit non point aux exigences de la colonisation alléguées par ses députés, mais à sa supériorité d’intelligence. Il est persuadé que si trois ans, que si deux ans sont nécessaires au Français pour devenir un soldat passable, un an lui suffit… à lui. Cet état d’esprit du jeune soldat existe chez l’écolier, chez le collégien, chez l’étudiant, chez le littérateur, chez l’artiste. Ils n’ont pas besoin d’effort pour savoir. Leur intelligence naturelle les dispense d’apprendre.