La Vérité sur l’Algérie/08/17

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Librairie Universelle (p. 402-405).


CHAPITRE XVII

L’industrie.


Dans un pays de grande production agricole, partant de nombreuse population, et qui est en même temps un pays à soldats, à fonctionnaires, il y a une clientèle locale pour une industrie locale.

Il semblerait donc qu’il dût y avoir une industrie algérienne très importante. Mais ce fait que l’Algérie n’a pas de charbon, cet autre fait que des exportations agricoles ont toujours en contre-partie une importation industrielle, a borné l’action locale d’une industrie locale. Le manque de charbon suffit à limiter celle de l’industrie d’exportation. Seul le pouvoir d’exportation de l’industrie minière apparaît illimité. Mais il y faut les mines. Et exploitables.

La statistique de 1902 nous expose, de manière assez complète et claire, la situation de l’industrie algérienne.

C’est en quinze groupes :


Nombre
d’établissements
Personnel
européen
Personnel
indigène
Alimentation 2.825 6.878 3.280
Arts et produits chimiques 138 933 481
Bâtiment 1.034 5.150 1.312
Industrie du bois 1.003 3.282 647
Carrosserie 764 1.996 131
Céramique 259 1.223 550
Constructions navales 91 416 99
Cuirs et peaux 664 1.514 1.003
Imprimerie, papeterie 113 905 123
Industrie extractive 423 3.707 4.531
Industries textiles 887 1.807 3.404
Instruments de précision 60 82 9
Métallurgie, mécanique 1.185 4.160 376
Vêtements et accessoires 419 1.658 366
Industries diverses 377 6.212 4.232


60.487 personnes, plus les 10.242 patrons, vivent de l’industrie algérienne.

En étudiant le développement de ces groupes, nous voyons qu’il n’y a que 5 établissements de conserves de poisson, avec 174 ouvriers, et qu’une seule maison de conserves de viande, avec 17 ouvriers.

Pour un pays à troupeau, pour un pays dont les côtes sont poissonneuses, ce n’est pas assez.

D’autant plus que la conserve de viande était autrefois industrie indigène. L’Arabe faisait des confits de mouton analogues aux confits d’oie de nos paysans du Midi. C’était une industrie familiale à développer ; de nature à donner même une exportation. Nous l’avons tuée. Et celle des confitures de fruits. L’Arabe qui ne faisait pas de vin utilisait « le jus de raisin » pour y cuire des fruits et fabriquait ainsi une confiture délicieuse, qui serait d’une exportation assurée. Certes, le produit n’en eût pas comblé le déficit annuel des finances algériennes… et je ne voudrais pas que l’on m’accusât de condamner notre œuvre en gourmand de palais dépravé qui regretterait les confits de selle d’agneau à la graisse forte, mêlée de beurre poivré, ou les confitures de figues de Barbarie farcies de miel et cuites à la feuille de menthe en jus de raisins frais.

Le chapitre de l’industrie extractive est intéressant.

Nous y trouvons seulement trois carrières de marbres avec 53 ouvriers. Ce n’est pas assez. Il y a beaucoup de marbres à exploiter. Il y a des onyx. D’Oran à la frontière du Maroc les gisements sont abondants. La montagne qui domine Port-Say est en onyx.

Nous voyons 8 mines de fer avec 2.100 ouvriers ; 3 mines de plomb avec 303 ouvriers ; 1 mine de mercure avec 79 ouvriers ; 14 mines de zinc avec 1.261 ouvriers ; 4 mines de phosphates avec 1.265 ouvriers ; 2 mines de guano avec 23 ouvriers ; 5 salines avec 679 ouvriers.

Aux industries diverses : 69 exploitations de liège avec 6.269 ouvriers ; 33 exploitations d’alfa avec 561 ouvriers.

Du point de vue purement économique, du point de vue « affaire », il est évident que le développement des industries ne faisant point concurrence à la métropole est souhaitable. Mais celui des autres, celui des industries dont la production entre en lutte avec les industries similaires de la métropole, que peut-on en dire ?

Dépenser de l’argent pour établir un concurrent dont la surproduction déprécie ce que l’on fait soi-même est folie. Pour un État comme pour un particulier.

Ainsi nous arriverons à cette conclusion paradoxale que la « mauvaise affaire » serait une « bonne affaire ». Malheureusement, en fin de compte, c’est toujours de la métropole qu’en sortent les frais…