La Vérité sur l’Algérie/08/18

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Librairie Universelle (p. 405-408).


CHAPITRE XVIII

Le commerce.


On publie généralement pour montrer la progression commerciale de l’Algérie des tableaux incomplets. On n’y met que l’importation et l’exportation. Pour que la progression soit plus caractéristique, il me semble qu’il faut ajouter un élément de comparaison, qui est celui des déficits du budget. Avec la balance du commerce, celle du budget. Les voici pour quelques années.


BALANCE DU COMMERCE
Importations Exportations Excédent
d’importation
1850 72.692.782 10.262.383 62.430.399
1864 136.458.793 108.067.354 28.391.439
1872 197.044.977 164.603.634 32.441.343
1881 342.252.660 143.584.603 198.668.057
1891 202.700.000 235.700.000 57.000.000
1900 323.818.325 242.317.000 81.501.325


BALANCE DU BUDGET GÉNÉRAL
Dépenses Recettes Déficit
1850 77.153.953 13.681.593 63.472.350
1864 86.071.469 20.770.136 65.301.333
1872 116.723.289 39.209.439 77.513.850
1881 138.068.159 36.759.675 101.308.784
1891 132.834.847 48.547.413 84.287.434
1900 130.616.168 55.918.711 74.697.457


Lorsqu’on établit ainsi un tableau pour les 74 années depuis la conquête, on voit que le déficit annuel algérien, c’est-à-dire la somme annuellement versée par la France pour l’entretien de la colonie, représente sensiblement les mêmes sommes que la différence entre l’export et l’import algérien.

Le pays qui ne vend rien, qui n’achète rien est, suivant les théories, ou un pays très pauvre ou un pays très riche. Mais il vit. Il se suffit à lui-même. Il ne coûte rien à personne.

Le pays qui importe autant qu’il exporte est un pays qui, ayant besoin des produits des autres, les paie avec les siens, qui paie lui-même ce qu’il achète, ce qu’il consomme, un pays qui ne coûte rien à personne.

Le pays qui importe plus qu’il n’exporte est un pays qui, ayant besoin des produits des autres, ne peut les payer avec les siens, ne peut payer lui-même ce qu’il achète. S’il est indépendant, il fait des emprunts, et pour peu que dure l’infériorité d’export, c’est des faillites, c’est des liquidations, Le pays coûté aux autres. S’il est colonie, il ne fait point faillite, car c’est la métropole qui paye ses déficits. C’est le cas de l’Algérie.

Vous voyez donc qu’il est regrettable que l’import dépasse l’export.

M. Leroy-Beaulieu n’a pas vu cela. Ne dites point que je m’acharne. Je cite. En 1882 l’augure écrivait :

« Que les importations dépassent les exportations, ce n’est pas un fait extraordinaire ni regrettable.

« Il est des raisons spéciales pour que toutes les colonies dans la période de l’enfance et de l’adolescence reçoivent plus de l’étranger qu’elles ne lui rendent. Elles attirent les capitaux et c’est le plus souvent sous la forme de marchandises, d’approvisionnements, de machines, que les capitaux s’y introduisent. La métropole entretient en Algérie une armée considérable, c’est encore une source de dépenses qui permet, qui nécessite même un excédent d’importation. Il se passera vingt ou trente ans, peut-être davantage, avant que les exportations algériennes s’élèvent au chiffre des importations, mais on ne saurait ni s’en plaindre, ni même le regretter.

« Un propriétaire qui crée une ferme dans une contrée inculte y apporte pendant longtemps beaucoup plus d’argent qu’il n’en tire : ce n’est pas une cause d’appauvrissement si la ferme gagne en valeur, si elle donne des résultats croissants. Une nation qui colonise est comme ce propriétaire avec cette seule différence que ce qui dure pour l’un sept ou huit années se prolonge pour l’autre pendant un espace dix ou douze fois plus grand. L’Algérie démontre chaque année que les sacrifices qu’on fait pour elle ne sont pas perdus. Son commerce extérieur qui s’est élevé en 1880 à 472 millions dépassera probablement un milliard dans dix ans et atteindra peut-être deux milliards au commencement du vingtième siècle. »

Prédire l’avenir est dangereux… M. Leroy-Beaulieu voyait un milliard de commerce pour 1892. Il voyait double ! Deux milliards pour 1900. Il voyait quadruple ! Ses prévisions valent ses raisonnements. Parce que la plus grande partie des sommes que la colonie coûte annuellement à la métropole entre dans la colonie sous forme de marchandises, d’approvisionnements, etc., prétendre que c’est, en résumé, bonne affaire pour la métropole, véritablement, comme le dit avec une souveraine élégance le chasseur du café où je fréquente, il faut avoir pour cela une santé !