La Vampire/15

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La Vampire (1865 dans le recueil Les Drames de la mort)
E. Dentu (p. 127-134).

XV

LA RUE DE LA LANTERNE

Le secrétaire général de la préfecture rapprocha son siège et prit un air qu’il voulait rendre tout à fait charmant.

— Alors, dit-il, cher monsieur Sévérin, nous allons quelquefois rendre notre petite visite à notre ancien élève, sans façon ?

— Quelquefois, répondit Jean-Pierre, pas souvent.

— Et nous ne demandons jamais rien ?

— Si fait… je demande toujours quelque chose.

— On ne nous refuse pas ?

— On ne m’a pas encore refusé…

— Et pourtant, ajouta-t-il en se parlant à lui-même, ma dernière requête était de six mille louis…

— Malepeste ! six mille louis ! il y a bien des cachets de six livres, là dedans, mon cher monsieur Sévérin !

— Quand vous passerez au Marché-Neuf, monsieur remployé, regardez la petite maison qu’on y bâtit…

— La nouvelle Morgue ! s’écria Berthellemot. Parbleu ! je la connais de reste ! on n’a pas voulu suivre nos plans…

— C’est qu’ils n’étaient pas conformes aux miens, plaça modestement Jean-Pierre.

— Bon ! bon ! bon ! fit par trois fois le secrétaire général. Je suis, en vérité, bien enchanté d’avoir fait votre connaissance. Nous sommes voisins, mon cher monsieur Sévérin… quand vous aurez besoin de moi, ne vous gênez pas, je vous présenterai à M. le préfet.

— Voilà plus d’une heure et demie, monsieur l’employé, l’interrompit doucement Jean-Pierre, que vous savez que j’ai besoin de vous.

— C’est accordé, mon voisin, c’est accordé… ne vous inquiétez pas… accordé, parole jolie ! accordé !

— Qu’est-ce qui est accordé ?

— Tout… et n’importe quoi… nous voilà comme les deux doigts de la main… ah ! ah ! miséricorde ! ce ne sont pas les républicains comme vous que nous craignons… Je ne me souviens pas d’avoir jamais rencontré un homme dont la conversation m’ait plus vivement intéressé… Mais qu’avons-nous besoin d’écouteurs aux portes, dites ? Laurent ! Charlevoy ! Ici, mes drôles !

La porte latérale s’ouvrit aussitôt, montrant les deux agents le chapeau à la main.

— Allez voir au cabaret si nous y sommes, citoyens, leur dit Berthellemot, et en passant prévenez M. Despaux que je le mettrai demain à la disposition de ce bon M. Sévérin… pour une affaire très sérieuse, très pressée, et qui regarde un ami dévoué du gouvernement consulaire.

— M’est-il permis de vous interrompre, monsieur l’employé ? demanda Jean-Pierre.

— Comment donc, mon cher voisin !… Attendez, vous autres !

— Je voulais vous faire observer simplement, dit Jean-Pierre, que ce n’est pas demain, mais ce soir même que je réclamerai votre concours.

— Vous entendez, Laurent ! vous entendez, Charlevoy ! Prévenez M. Despaux qu’il ne quitte pas la préfecture, et vous-mêmes restez aux environs… Il y aura un service de nuit, s’il le faut… Allez !… Petite parole ! il y a des gens pour qui on ne saurait trop faire.

— Voyez-vous, bon ami et voisin, reprit Berthellemot quand les deux agents eurent disparu, tout ici est ordonné, huilé, graissé comme une mécanique en bon état. Le premier consul sait bien que je suis l’âme de la maison ; il aurait désiré m’élever à des fonctions plus en rapport avec mes capacités, mais je fais si grand besoin à cet excellent M. Dubois. D’un autre côté, je me suis attaché à cette pauvre bonne ville de Paris, dont je suis le tuteur et le surveillant… l’espiègle qu’elle est me donne bien quelque fil à retordre, mais c’est égal, j’ai un faible pour elle… Ah çà ! maintenant que nous voilà seuls, causons… Quand vous verrez le premier consul, j’espère que vous lui direz avec quel empressement je me suis mis à votre disposition…

— Puis-je vous expliquer mon affaire, monsieur l’employé ?

— Oui, certes, oui, répondit Berthellemot. Je vous appartiens des pieds à la tête. Seulement, vous savez, pas de détails ; inutiles ; ne nous noyons pas dans le bavardage ! le bavardage est ma bête noire. En deux mots, je me charge d’expliquer le cas le plus difficile, et c’est ce qui fait ma force… Prenez votre temps ! recueillez-vous. C’est qu’il est comme cela ! j’entends le premier consul ! Il a dû être vivement frappé de cette bizarrerie : un homme qui lui dit Sire et Votre Majesté, en pleine Convention !… Et savez-vous ? souvent des personnes placées dans des positions… originales prennent plus d’influence sur lui que les plus importants fonctionnaires… Je suis tout oreilles, mon cher monsieur Sévérin.

— Monsieur l’employé supérieur, commença Jean-Pierre, quoique je n’aie aucunement le désir de vous raconter ma propre histoire, il faut que vous sachiez que je me suis marié un peu sur le tard.

— Et comment va madame ? interrogea bonnement M. Berthellemot.

— Assez bien, merci. Quand je l’ai épousée, en 1789…

— Grand souvenir ! piqua le secrétaire général.

— Elle avait, poursuivit Jean-Pierre, un enfant d’adoption, une petite fille…

— Voulez-vous que je prenne des notes ? l’interrompit Berthellemot avec pétulance.

— Il n’est pas nécessaire.

— Attendez, cela vaut toujours mieux. Ma mémoire est si chargée !… et pendant que nous sommes ici de bonne amitié tous deux, mon cher voisin et collègue… car enfin, vous sommes également salariés par l’État… laissez-moi vous dire une chose qui va bien vous étonner : je ne ressemble pas du tout au premier consul !

Jean-Pierre ne fut pas aussi surpris que M. Berthellemot l’espérait.

— Je ne lui ressemble pas, poursuivit celui-ci, en ce sens que, moi, je crois un peu à toutes ces machines-là… Je ne suis pas superstitieux… Allons donc !… hors l’Être suprême que nous avons admis parce qu’il n’est pas gênant, je me moque de toutes les religions, au fond… Mais, voyez-vous, il est incontestable que certaines diableries existent. J’avais une vieille tante qui avait un chat noir… Ne riez pas, ce chat était étonnant ? Et je vous défierais d’expliquer philosophiquement le soin qu’il prenait de se cacher au plus profond de la cave quand on était treize à table… Savez-vous l’anecdote de M. Bourtibourg ? Elle est curieuse. M. Bourtibourg avait perdu sa femme d’une sueur rentrée. C’était un homme économe et rangé, qui entretenait sa cuisinière pour ne pas se déranger à courir le guilledou. Désapprouvez-vous cela ? les avis sont partagés. Moi, je trouve que le mieux est de n’avoir point d’attache et d’aller au jour le jour. Un soir qu’il faisait son cent de piquet avec le vicaire de Saint-Merry… j’entends l’ancien vicaire, car il avait épousé la femme du citoyen Lancelot, marchand de bas et chaussons à la Barillerie… Ils avaient divorcé, les Lancelot, s’entend… Et Lancelot faisait la cour, en ce temps-là, à la cousine de M. Fouché, qui n’achetait pas encore des terres d’émigré… Eh bien ! on entendit marcher dans le corridor, où il n’y avait personne, comme de juste, et Mathieu Luneau, le brigadier de la garde de Paris, qui se portait comme père et mère, mourut subitement dans la huitaine. Je puis vous certifier cela : j’avais pris des notes… Du reste, les historiens de l’antiquité sont pleins de faits semblables : la veille de Philippes, la veille d’Actium… Vous savez tout cela aussi bien que moi, car vous devez être un homme instruit, monsieur Sévérin : je me trompe rarement dans mes appréciations…

— Le temps passe… voulut dire Jean-Pierre, qui avait déjà consulté sa grosse montre deux ou trois fois.

— Permettez ! je ne parle jamais au hasard. C’était pour arriver à vous dire qu’en ce moment même et en pleine ville de Paris, il se passe un fait capital… Croyez-vous aux vampires, vous, mon voisin ?

— Oui, répondit Jean-Pierre sans hésiter.

— Ah bas ! fit M. Berthellemot en se frottant les mains, en auriez-vous vu ?

— J’ai fait mieux qu’en voir, répliqua le gardien de la Morgue en baissant la voix cette fois, j’en ai eu ;

— Comment ! vous en avez eu ! C’est un sujet qui excite tout particulièrement ma curiosité. Expliquez-vous, je vous en prie, et ne vous formalisez point si je prends quelques notes.

— Monsieur l’employé supérieur, prononça Jean-Pierre lentement, chaque homme a quelque point sur lequel précisément il ne lui plaît pas de s’expliquer. Si j’étais interrogé en justice, je répondrais selon ma conscience.

— Très-bien, monsieur Sévérin, très-bien… Vous croyez aux vampires, cela me suffit pour le moment… Je voulais vous dire qu’à l’heure où nous sommes, cent mille personnes, à Paris, sont persuadés qu’un être de cette espèce rôde dans les nuits de la capitale du monde civilisé.

— Je venais vous parler de cela, monsieur l’employé, l’interrompit Jean-Pierre, et si vous le voulez bien…

— Pardon ! encore un mot ! un simple mot… Croiriez-vous que nous en sommes encore à l’état d’ignorance la plus complète sur la matière, malgré les savants ouvrages publiés en Allemagne. Moi, je lis tout, sans nuire à mes occupations officielles. Voilà où mon organisation est véritablement étonnante ! Nos badauds appellent l’être en question la vampire comme s’il n’était pas bien connu que la femelle du vampire est l’oupire ou succube, appelée aussi goule au moyen âge… J’ai jusqu’à présent onze plaintes… sept jeunes gens disparus et quatre jeunes filles… Mais je vous ferai observer, et ce sont les propres termes de mon rapport à M. le préfet, qu’il n’y a besoin pour cela ni de goule, ni de succube, ni d’oupire. Paris est un monstre qui dévore les enfants.

— À dater de l’heure présente, monsieur remployé, dit Jean-Pierre qui se leva, vous avez treize plaintes, puisque je vous en apporte deux : une en mon nom personnel, une au nom de mon compère et compagnon, le citoyen Morinière, marchand de chevaux, que vous avez pris pour Georges Cadoudal.

Berthellemot se toucha le front vivement.

— Je savais bien que j’avais quelque chose à vous demander ! s’écria-t-il. On devrait prendre des notes. Eprouvez-vous quelque répugnance à me dire depuis combien de temps vous connaissez ce M. Morinière ?

— Aucune. Je l’ai vu pour la première fois il y a deux ans. Il venait à ma salle pour maigrir. C’est une bonne lame.

— Est-ce l’habitude, parmi les marchands de chevaux, de connaître et de pratiquer l’escrime ?

— Pas précisément, monsieur l’employé, mais la meilleure épée de Paris, après moi, qui suis un ancien chantre de paroisse, est François Maniquet, le boulanger des hospices… le métier n’y fait rien.

— Et vous n’avez jamais cessé de voir ce citoyen Morinière depuis deux ans ?

— Au contraire, je l’avais perdu de vue. Son commerce ne lui permet point de séjourner longtemps à Paris.

Berthellemot cligna de l’œil et se gratta le bout du nez.

Aucun détail n’est superflu quand il s’agit de ces personnages historiques.

— Ce vantard de Fouché, grommela-t-il, battrait la campagne et irait chercher midi à quatorze heures ; M. Dubois resterait empêtré… moi, je tombe droit sur la piste comme un limier bien exercé.

— Mon cher monsieur Sévérin, reprit-il tout haut, en quelles circonstances avez-vous retrouvé M. Morinière, votre compère et compagnon ?

— À la Morgue.

— Récemment ?

— Hier matin… Il venait là, bien triste et tout tremblant, pour s’assurer que le corps de son fils n’était point posé dans le caveau.

— Mais, sarpebleu ! s’écria Berthellemot, je ne connais pas de fils adulte à Georges Cadoudal ! Parole !

Jean-Pierre ne répondit pas.

Berthellemot reprit :

— Me voilà tout à vous pour notre petite affaire de la jeune fille enlevée. Vous ne sauriez croire, mon voisin, combien cet ordre d’idées m’intéresse et fait travailler mon ardente imagination. Si Paris possède une goule, il faut que je la trouve, que je l’examine, que je la décrive… Vous savez que ces personnes ont des lèvres qui les trahissent… Que j’aie seulement un petit bout de trace, et j’arriverai tout net à l’antre, à la caverne, à la tombe où s’abrite le monstre… C’est la partie agréable de la profession, voyez-vous ; cela délasse des travaux sérieux. Faites votre rapport à votre aise, soyez véridique et précis. Je vais prendre des notes.

— Monsieur l’employé, demanda Jean-Pierre avant de se rasseoir, puis-je espérer que je ne serai plus interrompu ?

— Je ne pense pas, mon voisin, repartit Berthellemot d’un air un peu piqué, avoir abusé de la parole. Mon défaut est d’être trop taciturne et trop réservé. Allez, je suis muet comme une roche.

Jean-Pierre Sévérin reprit son siège et commença ainsi :

— L’établissement nouveau du Marché-Neuf, dont je dois être le greffier concierge, est presque achevé et nécessite déjà de ma part une surveillance fort assujettissante. On expose encore à l’ancien caveau, mais sous quelques jour on fera l’étrenne de la Morgue… et c’est une chose étonnante : je songe à cela depuis bien des semaines. Je me demande malgré moi : qui viendra là le premier ? Certes, c’est une maison à laquelle on ne peut pas porter bonheur, mais enfin, il y a des présages. Qui viendra là le premier ? un malfaiteur ? un joueur ? un buveur ? un mari trompé ? une jeune fille déçue ? le résultat d’une infortune ou le produit d’un crime ?

Nous demeurons à deux pas du Châtelet, au coin de la petite rue de la Lanterne. J’aime ma femme comme le désespéré peut chérir la consolation, le condamné la miséricorde. À une triste époque de ma vie où je croyais mon cœur mort j’allai chercher ma femme tout au fond d’une agonie de douleurs, et mon cœur fut ressuscité.

Notre logis est tout étroit ; nous y sommes les uns contre les autres ; mon fils grandit pâle et faible. Nous n’avons pas assez d’espace ni d’air, mais nous nous trouvons bien ainsi ; il nous plaît de nous serrer dans ce coin où nos âmes se touchent.

Il y a chez nous trois chambres : la mienne, où dort mon fils, celle où ma femme s’occupe de son ménage ; nous y mangeons, et c’est là que le poêle s’allume l’hiver ; celle enfin où Angèle brodait en chantant avec sa jolie voix si douce.

Celle-là n’a guère que quelques pieds carrés, mais elle est tout au coin de la rue, et il y vient un peu de soleil.

Le rosier qui est sur la fenêtre d’Angèle a donné hier une fleur. C’est la première. Elle ne l’a pas vue… La verra-t-elle ?

De l’autre côté de la rue se dresse une maison meilleure que la nôtre et moins vieille. On y loue au mois des chambres aux jeunes clercs et à ceux qui font leur apprentissage pour entrer dans la judicature.

Voilà un peu plus d’un an, il n’y avait pas quinze jours que ma femme et moi nous nous étions dit : Angèle est maintenant une jeune fille, un étudiant vint loger dans la maison d’en face. On lui donna une chambre au troisième étage, une belle chambre, en vérité, à deux fenêtres, et aussi large à elle toute seule que notre logis entier.

C’était un beau jeune homme, qui portait de longs cheveux blonds bouclés. Il avait l’air timide et doux. Il suivait les cours de l’école de droit.

J’ai su cela plus tard, car je ne prends pas grand souci des choses de notre voisinage. Ma femme le sut avant moi, et Angèle avant ma femme.

Le jeune homme avait nom Kervoz ou de Kervoz, car voilà qu’on recommence à s’appeler comme autrefois. Il était le fils d’un gentilhomme breton, mort avec M. de Sombreuil, à la pointe de Quiberon…

M. Berthellemot prit une note et dit :

— Mauvaise race !

— Comme je n’ai jamais changé d’idée, répliqua Jean-Pierre, je n’insulte point ceux qui ne changent pas. Le temps à venir pardonnera le sang répandu plutôt que l’injure. Que Dieu soutienne les hommes qui vivent par leur foi, et donne l’éternelle paix aux hommes qui moururent pour leur foi.

Je ne veux pas vous dire que notre fillette était jolie et gaie, et heureuse et pure. Quoique mon fils soit à nous deux, je ne sais pas si je l’aimais plus tendrement qu’Angèle qui n’appartient, par les liens du sang, qu’à ma pauvre chère femme. Quand elle venait, le matin, offrir son front souriant à mes lèvres, je me sentais le cœur léger et je remerciais Dieu qui gardait à notre humble maison ce cher et adoré trésor.

Nous l’aimions trop. Vous avez deviné l’histoire, et je ne vous la raconterai pas au long. La rue est étroite. Les regards et les sourires allèrent aisément d’une croisée à l’autre, puis l’on causa ; on aurait presque pu se toucher la main.

Un soir que je rentrais tard, pour avoir assisté à une enquête médicale, au Châtelet, je crus rêver. Il y avait au-dessus de ma tête, dans la rue de la Lanterne, un objet suspendu. C’était au commencement du dernier hiver, par une nuit sans lune ; le ciel était couvert, l’obscurité profonde.

Au premier aspect, il me sembla voir un réverbère éteint, balancé dans les airs à une place qui n’était point la sienne.

La corde qui le soutenait était attachée d’un côté à la fenêtre du jeune étudiant, de l’autre à la croisée d’Angèle.

— Voyez-vous cela ! murmura le secrétaire général. Il y a des quantités d’anges pareils. Je prends des notes.

— Moi, poursuivit Jean-Pierre, Je ne devinai pas tout de suite, tant j’étais sûr de ma fillette.

— Le bon billet que vous aviez là, mon voisin ! ricana Berthellemot.

Jean-Pierre était pâle comme un mort. Le secrétaire général reprit :

— Ne vous fâchez pas ! Personne ne déplore plus que moi l’immoralité profonde que les mœurs du Directoire ont inoculée à la France, notre patrie. Je comparerais volontiers le Directoire à la Régence, pour le relâchement des mœurs. Il faut du temps pour guérir cette lèpre, mais nous sommes là, mon voisin…

— Vous y étiez, en effet, monsieur le préfet, l’interrompit Jean-Pierre, ou du moins vous y vîntes, car vous sortiez du Veau qui tette avec une dame.

— Chut ! fit le secrétaire général, rougissant et souriant. Certaines gens attachent je ne sais quelle gloriole imbécile à ces faiblesses ; nous ne sommes pas de bronze, mon cher monsieur Sévérin. Etait-ce la présidente ou la petite Duvernoy ? La voilà lancée, savez-vous, à l’Opéra ! Elle me doit une belle chandelle !

— Je ne sais pas, si c’était la petite Duvernoy ou la présidente, répondit Jean-Pierre. Je ne connais ni l’une ni l’autre. Je sais que votre passage détourna mon attention un instant quand je relevai les yeux, il n’y avait plus rien au-dessus de ma tête.

— Le réverbère avait accompli sa traversée ? s’écria le secrétaire général. Vous avez beau dire, c’est drôle. Avec cela, M. Picard ferait une très jolie petite comédie.

Jean-Pierre restait rêveur.

— J’ai pris des notes, poursuivit Berthellemot. Est-ce que c’est fini ?

— Non, répondit le greffier-concierge ; c’est à peine commencé. Je montais notre pauvre escalier d’un pas chancelant. J’avais le cœur serré et la cervelle en feu. Arrivé dans chambre, j’ouvris mon secrétaire pour y prendre une paire de pistolets…

— Ah ! diable ! mon voisin, vous aviez enfin deviné ?

— J’en renouvelai les amorces, et, sans éveiller ma femme j’allai frapper à la chambre d’Angèle.