La Vertu de Rosine/XI

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Michel Lévy frères (p. 75-80).


XI

LA ROBE DE SOIE À TRENTE-SIX VOLANTS


Quoique Rosine n’eût point l’habitude de chercher à surprendre les secrets, un matin, ayant à parler à Georgine, elle s’arrêta à la porte du boudoir, un peu retenue, il est vrai, par la crainte d’importuner. Elle entendit prononcer son nom. Georgine était avec son ancienne compagne d’aventures, mademoiselle Olympe, qui lui parlait d’une promenade à Saint-Germain.

Voici ce que Rosine entendit :

— Oui, ma chère, M. Octave, celui-là qui fleurit tous les jours sa boutonnière d’un camellia, depuis qu’il a vu Rosine, en est affolé ; il veut à toute force la prendre pour sa maîtresse.

— Quelle idée !

— Comme il espère que tu seras favorable à ses projets, il te donne ce bracelet.

— Crois-tu que les pierres ne soient pas fausses ?

— Es-tu bête ! Octave est un homme comme il faut. C’est décidé, n’est-ce pas ? nous allons toutes les trois à Saint-Germain, où ces messieurs ont une maison de campagne ; attiffe Rosine avec coquetterie, fais-la coiffer et donne-lui ton collier de perles fausses.

Rosine s’éloigna avec indignation. Elle comprit que, grâce à sa figure et à sa pauvreté, sa vertu ne serait nulle part à l’abri ; que le mauvais esprit la reconnaîtrait et la suivrait toujours, soit qu’elle se couvrît de haillons, soit qu’elle se couvrît de soie, de dentelles et de bijoux. Elle se mit à pleurer.

— Je n’irai pas à Saint-Germain, dit-elle en essuyant ses larmes.

À peine avait-elle dit ces paroles, que Georgine, venant à elle, lui ordonna de se coiffer et de s’habiller pour l’accompagner dans une promenade à la campagne.

— Hâtez-vous, ajouta Georgine ; mettez ma robe de soie lilas à triple carillon. À propos, j’ai là un collier de perles qui vous ira bien ; je vous le donne.

Disant cela, Georgine passa le collier au cou de Rosine, qui ne savait que répondre. La pauvre fille alla dans le cabinet de toilette dont elle avait fait sa chambre, bien résolue à ne point s’habiller. Mais elle ne put s’empêcher de voir un peu dans une glace quelle figure elle faisait avec le collier.

— Hélas ! dit-elle, c’est dommage, car cela me va si bien !

Rosine voulut détacher le collier ; mais le diable y avait mis la main ; elle demeura longtemps devant le miroir, égarée par mille songes féeriques.

— Pourquoi dirais-je non ? murmura-t-elle. Dieu m’en voudra-t-il parce que j’aurai pris un peu de place au soleil ?

Et comme elle songeait au complot formé contre elle :

— Non, non, jamais à ce prix-là !

Elle saisit le collier et le jeta sur le tapis.

— Eh bien, Rosine, avez-vous fini ? lui cria sa maîtresse.

— Oui, madame. — Que vais-je devenir ? se demanda Rosine. — Une idée ! c’est Dieu qui me l’envoie !

Elle ouvrit une armoire où elle avait déposé ses pauvres habits.

— Hélas ! dit-elle en les dépliant, est-ce que je pourrai jamais remettre ces habits-là ? c’est impossible ! on me suivrait dans les rues. Est-il croyable que je sois venue ici avec ces haillons ?

On ne perd jamais l’habitude du luxe, mais on se déshabitue si vite de la misère ! Rosine soupira.

— Ô ma mère ! dit-elle en baisant sa robe d’indienne avec respect.

— Eh bien, vous êtes donc folle ? dit Georgine sur le seuil ; je vous attends. Que signifie tout ce désordre ?

— Je ne puis pas parvenir à m’habiller, dit Rosine.

— La niaise ! Voyons, laissez-vous faire. Olympe, viens donc à notre aide.

Les deux amies s’empressèrent d’habiller Rosine. En moins de dix minutes, elle fut parée de la tête aux pieds.

— Vous voilà belle comme une mariée, dit Olympe.

— Une mariée ! murmura-t-elle tristement.