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La Vie à Paris

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La Vie à Paris
Clément Pansaers Élément non soumis aux droits d’auteur.

Revue Ça Ira ! n°17
(mars 1922)



La Vie à Paris




L’événement de la saison qui s’ouvre ? La réédition d’Ubu Roi[1]

Parlant littérature d’avant-garde, on cite volontiers, comme précurseurs Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, même Jules Laforgue, laissant à l’ombre Alfred Jarry. Alors que le Père Ubu, le Surmâle, le Dr Faustroll, plutôt que de nous apparaître comme une curiosité, fût-elle même corsée, résument avec une puissance extraordinaire, toute notre vie d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Pour ne tirer qu’une seule comparaison : le meilleur de Charlie Chaplin ne dépasse pas le Père Ubu.

Mais peut-être trouve-t-on la bouffonnerie « extravagante, brutale, outrancière », trop peu conforme à l’esprit soi-disant classique de la littérature française !



Simultanément, dans trois revues différentes, trois articles sur le roman[2]. Et toutes ces considérations soulignent davantage la valeur des trois romans d’Alfred Jarry : le Surmâle, le Dr Faustroll, roman néo-scientifique, se rapportant à la philosophie mathématique de Poincaré ; Messaline, roman de l’ancienne Rome.

Je ne connais que trois auteurs à lui opposer pour l’érudition profonde, la connaissance archéologique et l’évocation vivante, mais qui ne dépassent pas la science et l’art de Jarry ; je veux dire Pierre Louys, Richard Wagner et peut-être Joseph Bédier.



L’auteur de l’Inconnu sur les villes se fâche, parce que certaine critique a posé un point d’interrogation derrière le mot-rubrique roman. L’auteur devait s’y attendre, après avoir affirmé : Roman sans personnages. J’appellerais cet inconnu aussi bien un poème en prose avec un personnage.

Mais qu’importe !

M. Marcello-Fabri plaide pro-domo.

En intitulant son Faustroll un roman néo-scientifique, Alfred Jarry a aboli, d’un coup de matraque, les limites du roman moderne.

— « Le nom de l’unique personnage m’a choqué » — me disait une dame, amoureuse de Clarté de Barbusse, et à qui j’avais conseillé l’Inconnu, comme s’apparentant à cette littérature humanitaire et sociale. — « Marc Davilliers ! Ça me sonne trop le Marseillais ! »

Mais qu’importe !

Jarry a changé jusqu’à trois fois le mot-rubrique de son Ubu Roi. Et c’était encore de son beau jemenfoutisme !

M. Marcello-Fabri fait de la critique littéraire.

Tient-il toujours rigoureusement compte de l’intention et de l’effort de l’auteur, qui lui envoie pour compte rendu son ouvrage !

Tout effort est louable, objectivement, cependant que tout critique juge subjectivement.

Dès lors ?

M. Marcello-Fabri est d’accord avec un certain nombre de ses contemporains. Il les cite, et en les citant, il nous montre pour le moins les limites de son orbite. Sympathies en deçà ; antipathies au-delà.

D’autres valeurs, autrement nuancées, évoluent en dehors de ces limites et sur un autre plan.

Et l’étrange de tout cela, c’est que avec la meilleure intention du monde, les unes nient les autres ; les unes comme des qualités négligeables n’existent pas pour les autres ! Exemple : « Faut-il fusiller les dadaïstes ? et les réponses ! » Car éventuellement, M. Marcello-Fabri les ramène si facilement, d’un coup de plume, à son avis, à zéro.

C’est effarant, mais naturel. Le contraire est également vrai. Et c’est naturel, encore, malgré que, en toute sincérité, chacun estime son acte comme de première qualité et supérieur. C’est ainsi qu’une amie rencontra récemment, par hasard, au cabinet de toilette, chez tel auteur — à l’antipode de M. Marcello-Fabri — l’Inconnu sur les villes faisant fonction de serviettes.

Surprise, oho ! mais finalement sans importance encore.

De tout cela, en fin de compte, résulte simplement que ce que l’un appelle sincérité, l’autre l’appelle, avec autant de raison, désinvolture crasse.

M. Marcello-Fabri parle de célébrité. Quel sens accorder à ce mot, après avoir constaté, entr’autres significations, que la sincérité, sous un autre angle, devient une parfaite fourberie.

Entendons-nous, si nous voulons que surgisse de la présente discussion quelque lumière — et mettons-nous, au préalable, au même niveau. — Je me tiens au degré de la haute littérature : L’œuvre d’art n’a pas besoin ni de publicité, ni de lecteurs. L’œuvre d’art est le fruit d’une fantaisie de luxe, plutôt comique que dramatique ! C’est un acte qui a réjoui celui qui l’a posé et se suffit. Tant mieux, si par surcroît, il réjouit les autres. Là surgit alors sa valeur sociale. À l’encontre de M. Paul Bourget, autant que de M. Marcello-Fabri et bien d’autres, l’œuvre d’art, par son essence, n’a pas autrement de fonction sociale.

Les œuvres écrites, avec d’autres intentions, occupent un autre degré, et moindre, dans l’échelle des valeurs artistiques.

« Il est certain, dit M. Bourget, que l’obligation pour vivre de sa plume, d’aller à un large public, est la cause principale qui incite tant de jeunes gens à s’improviser romanciers. »

Ohé la dégringolade sur notre échelle des valeurs, et combien bas tombons-nous ! « Atteindre un large public » est une célébrité (objective, si je puis m’exprimer ainsi) et qui, en général, est une preuve négative de la valeur artistique.

La célébrité (subjective) peut être universelle tout en restant dans un cercle excessivement restreint. M. Thibaudet juge le roman anglais d’après « le large public ». James Joyce est actuellement le premier romancier anglais, et il n’a pas de large public, au contraire. Il n’y trouve même pas d’éditeur !

Barnabooth de l’auteur de Beauté mon seul souci ! est, sans conteste, l’œuvre la plus originale que la « Nouv. Rev. Française » ait publiée jusqu’à ce jour. Cependant que je connais des auteurs français, prétendant juger avec compétence la « haute littérature » française et qui ignorent jusqu’au nom de Valéry Larbaud.

Arthur Rimbaud s’est bien sûrement rendu compte de cette « célébrité à large public » — et c’est, à mon avis, la réponse à la question « Pourquoi Rimbaud abandonna la littérature ?[3] »

En effet. Dans Une Saison en Enfer, Rimbaud exprime clairement la vision qui le hante :

Sans fortune, devoir œuvrer donc toute son existence pour s’assurer un bien-être relatif à sa vieillesse. Alors qu’on crève si facilement en route. Et dès lors l’inutilité de cet effort. Vision affreuse ! La confusion, la corruption, est à la base de la publicité. Et combien de fois la critique ne se confond-elle pas avec la plus vulgaire publicité ? — Émettre sincèrement son opinion ? Et les amitiés donc ! Et le tact ! Combien vite ne devient-on pas extravagant, brutal, outrancier !

Chaque fois que je me suis hasardé à émettre simplement ma façon de voir, j’ai perdu deux ou trois de mes amis !

Mais peu importe encore ! puisque l’œuvre d’art se suffit !

M. Bourget envisage autrement les choses et le roman. Aussi lui, il plaide pro domo.

« Le roman français, dit-il, est fait d’ordonnance et d’analyse psychologique. Nous l’admirons, cette claire composition, dans tous nos classiques. C’est une vertu nationale à ne jamais sacrifier. » M. Thibaudet donne un démenti formel à cette thèse en affirmant que « le vrai roman n’est pas composé ».

Et puis ce « classicisme » avec lequel on jongle si volontiers à Paris en France !

Rabelais ne possède nullement cette qualité « sans quoi une œuvre d’art n’est pas française » !

Et tous les auteurs français d’une notoriété universelle ont acquis celle-ci précisément par ce qu’il y a de « non classique » dans leur œuvre ! Alfred Jarry en est une preuve fantastique !

  1. Alfred Jarry, Ubu Roi, Préface de Jean Saltas. (Eug. Fasquelle, 10 fr.).
  2. Paul Bourget. Note sur le roman français, dans la revue de la semaine (28/10-20). — Albert Thibaudet Le roman anglais, dans la Nouvelle Revue Française (1/11-21). — Marcello Fabri. Des limites du roman moderne, dans la « Revue de l’Époque » (1/10-21)
  3. Article de M. Ernest Delahaye dans « Belle Lettre », novembre 1921.