La Vie du Bouddha (Foucher)/Conclusions

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Payot (p. 324-347).

CONCLUSIONS

Dès le début de notre étude nous avons averti le lecteur que, d’après les idées indiennes, la biographie du « Grand être » qui, dans sa dernière existence terrestre, la seule qui soit pour nous historique, devait devenir le Bouddha Çâkya-mouni, n’avait pas de commencement (ou du moins que le commencement s’en perdait dans un insondable passé), mais qu’en revanche elle avait la plus définitive des fins, celle-là même que l’on vient de nous décrire. Le Bouddha est mort, car il n’était après tout qu’un homme et tous les hommes sont mortels. Il est mort en plein air comme il était né et comme il a le plus souvent vécu au cours de sa longue carrière, depuis sa « Sortie de la maison ». Il est mort de maladie, dans un âge avancé, soigné par ses disciples et entouré de la vénération publique. Il n’a pas péri plus ou moins légalement assassiné, victime de l’imbécile cruauté de son milieu, ainsi qu’il est arrivé à Socrate, à Jésus et à Mânî : l’Inde ancienne, et c’est son honneur, ne tuait pas ses sages et ses prophètes. L’absence de l’auréole du martyre ne semble d’ailleurs pas avoir amoindri son prestige aux yeux des Asiatiques : dans notre Occident, toujours assoiffé du sang des sacrifices, il en eût peut-être été autrement. Tout s’est donc passé jusqu’au bout le plus décemment du monde : mais en revanche les vieilles Écritures nous demandent de bien comprendre que le Bouddha est mort sans retour. Loin d’attendre de lui aucune résurrection, l’opinion orthodoxe de son église ne croit même pas à sa survie : elle professe qu’il est à tout jamais « éteint » et désormais devenu sourd à toute prière. Chacun peut, s’il lui convient, à l’instar de ses millions de fidèles, l’admirer pour ses perfections, le louer pour ses vertus et l’aimer pour sa bienveillance ; mais il n’y a plus à compter sur aucune assistance directe de sa part. Ainsi qu’il est écrit dans la brochure de propagande à l’usage des Indo-Grecs que fut la version originale du Milinda-pañha, « il ne subsiste plus que sous les espèces de sa Loi ».

Mais si le plus impénétrable des rideaux de fer vient de s’abaisser définitivement sur le dénoûment de sa vie, le silence ne tombe pas en même temps sur lui. Près de deux mille cinq cents ans ont passé depuis lors et sa mémoire ne semble nullement vouée à l’oubli. Apparemment, tant que durera la douleur du monde — et elle durera autant que le monde — on se souviendra du grand médecin des âmes qui jadis dans l’Inde a consacré sa vie à en découvrir le remède, puis à en prescrire la guérison. Le sillon lumineux qu’il a tracé dans notre ténébreux destin ne s’est pas éteint avec lui, comme fait celui des étoiles filantes : il a laissé sur notre sombre horizon une lueur persistante. À tout homme soucieux de son salut éternel il appartient de décider en conscience si cette lueur est pour lui, comme aux yeux de tant de ses semblables, l’aurore d’une consolante espérance, ou si ce n’est au contraire que le couchant d’une déception de plus. Tout autre est la conclusion que notre dessein commande à notre tâche. Il ne s’agit plus ici que de résumer aussi brièvement et clairement que possible ce que les documents indiens nous apprennent sur le compte du « Sage d’entre les Çâkyas » sous les divers aspects que nous lui avons reconnus. Nul n’ignore qu’il est avant tout l’initiateur d’une religion mondiale et, plus précisément, le fondateur d’une communauté monastique, l’une et l’autre encore florissantes. Il fut en outre, pour son temps, un moraliste plein de mesure en même temps qu’un libre et vigoureux penseur. Non moins sûrement il nous a été transmis de lui le souvenir d’une grande âme, de ce que les Indiens appellent un Mahâtma, un « Magnanime ». Nous ne songeons pas plus à lui marchander nos louanges qu’à lui épargner nos critiques ; mais qu’il ait droit à tous nos respects, c’est ce qu’aucun homme de bonne foi ne saurait mettre un seul instant en doute.

Le Religieux. — Est-il nécessaire de rappeler les faits actuels qui continuent à attester sa grandeur passée ? Assurément aucun de ceux qui ont visité l’Asie ne voudrait se porter garant des cinq cents millions de zélateurs que les statistiques des géographes lui accordent, en englobant d’un trait de plume dans sa sphère d’influence tout l’Extrême Orient : mais il est bien certain qu’il compte à tout le moins autant de vrais fidèles que l’on en peut attribuer à la religion de beaucoup la plus répandue après la sienne, à savoir le christianisme ; et si la popularité posthume d’un personnage historique se mesure au nombre de ses images, nul peut-être n’a été plus souvent portraituré ou statufié. Ce sont là des faits constants et de notoriété publique, sur lesquels il est superflu d’insister : mais il n’est sûrement pas inutile d’aller au-devant de la surprise du lecteur européen en lui expliquant comment une doctrine qui ne reconnaît ni âme substantielle à qui promettre une bienheureuse immortalité, ni Dieu-Providence à qui avoir recours dans ses prières, a pu conquérir de si nombreux prosélytes : car elle lui semble manquer des deux éléments essentiels de toute religion.

Le mystère n’est pas difficile à éclaircir. Il n’est que trop vrai que tout en ce monde n’est qu’impermanence et douleur et qu’à cela le Bouddha n’a trouvé d’autre remède que de ne plus renaître. Sur ce point tous les bouddhistes, qu’ils soient moines ou laïques, tombent d’accord : pour les uns comme pour les autres le but suprême ou, comme nous disons, « le souverain bien » est le Nirvâna. Mais ce mot peut se comprendre de bien des manières. L’immense majorité des fidèles, sans s’inquiéter des théories des docteurs au sujet de la désintégration de l’âme après la mort, borne ses ambitions futures aux joies promises à tous les amis de la vertu dans des cieux gradués selon leurs mérites. Nirvâna est pour eux synonyme de Paradis. Nous avons entendu dans le fameux temple de la Dent à Kandy un guide singhalais qui, montrant à un groupe de pèlerins une peinture murale représentant un des palais célestes, appliquait à cette voluptueuse image le nom sacré de nibbân ! Un indianiste ne pouvait qu’en être scandalisé — peut-être à tort : car le cicerone ne faisait que se mettre à la portée de sa bande de visiteurs, si même il ne partageait pas leurs croyances. Assurément les bonzes du couvent voisin entendent autrement les choses : mais beaucoup d’entre eux, même parmi ceux qui lisent et qui pensent, n’aspirent au Nirvâna que comme à un havre de grâce, un port de refuge, asile sinon de béatitude, du moins de quiétude éternelle — de cette requies aeterna que, par une curieuse inconséquence, notre liturgie funéraire implore aussi pour chacun de nos défunts. Ceux-là mêmes qui restent dans la pure tradition du Maître, loin de voir dans la cessation de toute existence une perspective désespérante, saluent à l’avance cette extinction comme la plus heureuse des chances et la plus belle des victoires. Aussi bien quand le Bouddha est parvenu du même coup à la Clairvoyance et au Nirvâna, c’est un cri de triomphe et d’allégresse qui s’échappe de ses lèvres à l’idée qu’il a enfin brisé les chaînes du Destin et s’est pour toujours libéré de la prison corporelle. Il est une ivresse du néant comme un vertige du vide, et l’Europe aussi connaît l’enchantement du désenchanté.

On ne vit pas d’ailleurs perpétuellement en état d’exaltation métaphysique : sur le plan quotidien d’autres éléments d’appréciation, pour être beaucoup plus prosaïques, ne sont pas moins efficients. Rien de plus instructif à ce propos que de lire, par exemple, le récit des circonstances qui déterminèrent le grand disciple Anourouddha à se convertir. Élevé dans les oisives délices du luxe (il croyait que le riz sortait spontanément de la marmite), il commence par se déclarer incapable de suivre l’exemple des jeunes Çâkyas qui se sont enrôlés dans la Communauté de son cousin : comment lui, si délicat, pourrait-il supporter les privations de l’indigence monastique ? Mais il suffit qu’il s’entende énumérer les mille et un soucis et servitudes qui l’attendent en sa qualité de propriétaire exploitant d’un vaste domaine foncier pour que, horrifié, il ne songe plus qu’à sortir du monde au plus vite[1]. Entrer dans l’Ordre, c’est en effet s’affranchir de toutes les obligations, familiales, professionnelles ou sociales : « Être dépendant d’autrui, c’est une grande souffrance ; ne dépendre que de soi est la plus grande félicité[2] » : et, en effet, on ne tient par rien celui qui ne tient plus à rien. Qui s’est retiré du jeu ne connaît plus ni gain ni perte, et avanies ou bienfaits glissent sur lui comme l’eau roule sur la feuille de lotus. Le roi indo-grec Ménandre, que la crainte de ses trop nombreux ennemis rive à son trône, soupire d’envie devant le moine mendiant qui passe, débarrassé de tout souci, et se compare lui-même à un lion enfermé dans une cage d’or[3]. On n’en peut douter : c’est dans le sentiment de sa totale indépendance que le chemineau religieux, « libre comme l’oiseau dans l’air, sans haine parmi les haineux, sans envie parmi les envieux, sans désir parmi les cupides », puise la joie supérieure qui éclate dans tant de stances du Dhamma-pada[4]. À cette intime satisfaction ajoutez le goût de la solitude et sa douceur secrète, un sentiment de la nature non moins vif dans la plaine et la montagne indiennes que parmi les collines de la Galilée ou de l’Ombrie, une sympathie universelle qui s’étend jusqu’aux animaux ; et vous découvrirez dans le renoncement total des abîmes de félicité inconnus du vulgaire. Curieuse et, somme toute, heureuse inconséquence de l’esprit humain : incontestablement le bouddhisme est en son fond dernier la plus pessimiste des doctrines, et cependant on a pu parler sans paradoxe excessif, et en s’appuyant sur nombre de citations précises, de « l’exubérant optimisme » de ses adhérents[5].

Sur un autre point encore il convient d’attirer l’attention des étudiants du bouddhisme. La personnalité de son fondateur ne nous est pas seulement donnée comme éminente entre toutes : il ne nous est pas caché qu’elle est double. Pendant une période infiniment longue il a été le Bodhisattva, l’être prédestiné à la parfaite Clairvoyance, et à ce titre, on s’en souvient, il est censé avoir accompli à chacune de ses renaissances une multitude d’actions généreuses et poussé tour à tour à leur comble toutes les vertus altruistes. Dès qu’il fut devenu pour le bref, mais non moins important espace de quelques lustres le Bouddha parfaitement accompli, planant désormais comme du haut de l’empyrée au-dessus de toutes les vicissitudes humaines, il ne s’est plus guère préoccupé que d’assurer, à force de préceptes et surtout de défenses, le salut des disciples qui avaient mis leur recours en lui. À se souvenir de ces deux aspects différents du Maître, on comprend mieux ce qu’il est advenu de son église. D’une part la vieille communauté de l’Inde centrale a particulièrement retenu le côté monacal et disciplinaire de son enseignement, et s’est arrêtée à l’idéal saintement égoïste de l’arhat, uniquement soucieux d’échapper aux lacs de la douleur et déterminé à briser sans pitié tous les obstacles, familiaux ou autres, qui peuvent se dresser sur le chemin de sa Délivrance. D’autre part les sectes du Nord-Ouest, se développant dans un autre climat et ouvertes aux influences occidentales, ont préféré se réclamer de l’exemple du prince de la Charité, du héros toujours prêt à tous les sacrifices imaginables ; et par là elles ont eu le sentiment d’ouvrir une « Voie supérieure » à celle où s’étaient enlisés les Anciens et qui est en fait restée stigmatisée du nom de « Voie inférieure[6] ». Ainsi naquit et est toujours allé en s’affirmant le grand schisme qui divise encore l’Église bouddhique en deux camps ; l’un mettant l’accent sur la compassion, la bienveillance universelle, le dévoûment désintéressé, l’amour du prochain étendu à tous les êtres vivants et poussé jusqu’au complet oubli de soi-même ; l’autre prônant avant tout le repli sur soi, la concentration d’esprit, la vigilante et constante surveillance des actes, paroles et pensées, la méditation solitaire et la radicale suppression de toute émotivité. En définitive l’on peut dire que le premier a pris pour règle l’imitation du Bodhisattva, et le second, celle du Bouddha ; et c’est dans l’opposition de ces deux attitudes morales plus encore que dans l’inégal développement de leurs créations mythologiques et de leurs spéculations métaphysiques que réside la distinction foncière entre le Mahâ-yâna et le Hîna-yâna.

Cette observation mérite d’être poussée plus avant, car elle aide à comprendre aussi bien les heurts qui se sont parfois produits entre les membres de la plus ancienne Communauté que les divergences d’opinion qui séparent les plus récents commentateurs du bouddhisme : c’est qu’en fait les uns et les autres, selon leurs dispositions d’esprit et de cœur, se partageaient et se partagent entre les deux tendances restées dominantes à l’intérieur de l’Église. Lisez les exégètes modernes : les uns découvrent dans l’amour du prochain le fondement même de la doctrine et la meilleure clef de son interprétation ; d’autres au contraire ne veulent voir dans la Bonne-Loi qu’une discipline uniquement tendue vers le salut personnel et froidement détachée de tout le reste. En termes techniques le mot d’ordre du bouddhisme serait, selon les premiers, la maitrî, l’universelle bienveillance qui pousse à la plus large expansion altruiste ; selon les seconds, ce serait l’apramâda, la vigilance soutenue qui préside au plus égocentrique des réfrènements[7]. On n’est pas sans entrevoir également, dans l’entourage même du Maître, des représentants d’un généreux sentimentalisme humanitaire ou, au contraire, de l’individualisme le plus strict. Plusieurs de ses disciples avaient été ses amis d’enfance et de jeunesse avant de l’accepter comme Précepteur des hommes et des dieux ; quelques-uns n’avaient embrassé sa doctrine que pour l’amour de lui. L’affection que lui portait par exemple un Ânanda, méritait déjà le nom de cette dévotion passionnée, et prête à déborder sur le monde entier, de cette bhakti que les Mahâyânistes crurent avoir inventée. Au contraire, des convertis venus sur le tard de sectes hétérodoxes et restés imbus de tous les préjugés ascétiques, tel un Mahâkâçyapa, persistaient à incarner dans sa sèche roideur le type presque inhumain du moine indifférent aux souffrances d’autrui et totalement retranché du siècle. Là gît probablement la raison profonde du désaccord survenu entre eux et dont le souvenir nous a été conservé[8]. Leur mésintelligence aurait même vite tourné au conflit si la douce patience de l’un des intéressés n’avait désarmé l’intransigeante agressivité de l’autre. Pourtant les sculpteurs chinois qui ont taillé dans les falaises rocheuses de Long-men de gigantesques images de Çâkya-mouni ont eu raison de l’encadrer justement entre ces deux disciples. Le jeune moine avenant debout à sa droite, tout comme l’austère vieillard décharné debout à sa gauche, personnifient admirablement, sur le plan physique aussi bien que moral, le dédoublement, poussé à ses limites extrêmes, des deux composantes qui se fondent en la pensive sérénité de leur Maître, figuré entre eux en son âge mûr. En dépit de leurs divergences, Ancien et Nouveau bouddhisme ont tous deux leur source en la personne du Maître ainsi que le Gange et l’Indus, bien que se jetant dans des mers différentes, sortent des deux versants du même massif himâlayen.

Les considérations qui précèdent peuvent servir à préciser le rôle historique de Çâkya-mouni dans l’évolution religieuse d’une grande partie de l’Asie. À qui n’est pas né dans sa religion, il est impossible de définir exactement la nature de son influence spirituelle, et d’en mesurer toute la profondeur. Il est en revanche facile d’en déterminer du dehors les plus évidentes limitations. À ce propos, trois observations de fait s’imposent. En premier lieu c’est à tort que l’on parle et qu’il nous est à nous-même arrivé de parler du « Sauveur » indien : l’expression n’est que partiellement exacte. N’est vraiment dit un Sauveur, dans le sens plein du mot, que celui qui paye de sa personne et qui, l’ayant fait, continue par l’opération de sa grâce efficace à tendre à ses orants une main secourable pour les retirer de cet océan de misères et les élever jusqu’à lui. Or on a bien vu le Bouddha faire parfois de son vivant de pareils gestes pour assurer à sa façon le salut de personnages plus ou moins recommandables[9] : mais depuis son Parinirvâna aucune aide quelconque n’est plus à attendre de lui, en dehors de ses préceptes et de son exemple, et il a laissé à chacun de ses adeptes le soin d’assurer lui-même son propre salut. Pour les générations présentes, il n’est plus que le pionnier, « le guide, le chef de caravane » qui, avant de disparaître, a frayé à l’intention de tous le chemin de la délivrance ; car n’oublions pas que son système est avant tout un « chemin ». Il n’importe que davantage, avant de s’y engager, de savoir où il mène. La réponse, que vous connaissez déjà, est des plus nettes : il ménage une issue hors du Saṃsâra, du tourbillon des renaissances ; et en effet la méthode du salut n’a été construite qu’en fonction de cette donnée primordiale, et par suite n’a de sens et de valeur qu’à partir d’elle. En fait la Bonne-Loi ne s’adresse directement qu’à ceux d’entre les hommes qui partagent la croyance en une forme quelconque de transmigration, et qui, las de se sentir perpétuellement entraînés dans ce cycle impitoyable, ne songent qu’à s’en évader, fût-ce dans le néant. On ne peut se dissimuler que par là se rétrécit singulièrement le champ d’opération du bouddhisme. L’aire de son extension devient encore plus étroite si, en troisième lieu, on l’interroge sur les moyens d’évasion qu’il met à la disposition de ses sectateurs : il n’en recommande qu’un comme expéditif et sûr, à savoir l’entrée dans un ordre de moines errants et mendiants. Cette obligation non plus ne saurait être du goût de tout le monde ; et en apportant à la propagation de la Bonne-Loi une restriction additionnelle, elle achève de lui ôter le caractère œcuménique que ses partisans prétendent lui faire partager avec le christianisme. Le Christ des Évangiles a pu être appelé l’Homme-Dieu ; le Bouddha des vieilles écritures canoniques n’est que le Moine-Dieu.

Qu’ici encore le lecteur veuille bien se donner la peine de nous comprendre. Il n’est pas plus question de blâmer Çâkya-mouni d’avoir cru à une certaine sorte de métempsychose que de faire grief à Pascal d’avoir pris à lettre le mythe du péché originel. Plongeant dans le mystère, les dogmes sont articles de foi, et pas plus que leur vérité, leur fausseté n’est un objet de démonstration. Comme tout le monde autour de lui, le Bouddha avait été élevé dans l’idée que les êtres renaissent selon leurs mérites ou leurs démérites, et rien n’est jamais venu lui prouver l’irréalité de cette théorie. Fondée sur l’axiome généralement accepté que « nos actes nous suivent », elle a même dû lui paraître confirmée tant par le consentement universel de son entourage, que par les curieuses expériences mentales des réminiscences et le sentiment qu’elles nous donnent du « déjà vu » ou du « déjà éprouvé ». Elle rend également compte des faits réels que l’Occident classe sous la rubrique soit de l’instinct chez les animaux, soit de la prédestination chez les hommes, soit chez les uns et les autres, de l’hérédité. Enfin, traitant chacun selon ses œuvres, elle satisfait notre besoin inné de justice. Libre donc au Bouddha d’y croire ; mais libre aussi à ceux qui ne sont ni hindous, ni bouddhistes, ni théosophes de ne considérer la théorie de la métempsychose, encore qu’elle ait un instant intéressé l’esprit de Platon, que comme une fantasmagorie dont le seul mérite est de suggérer une solution aussi ingénieuse que chimérique à la question sociale de l’inégalité des conditions et au problème métaphysique du mal.

Ainsi donc le postulat dogmatique sur lequel est tout entière fondée la Bonne-Loi n’est pas d’emblée acceptable pour une bonne partie de l’humanité. Il faut en dire autant de l’unique remède garanti efficace qu’elle propose à la douleur de vivre. Assurément il faut se hâter de reconnaître que Çâkya-mouni n’a pas été seul à penser que « la vie domestique n’est que souillure[10] » et que la fuite « hors de la maison » est le préliminaire indispensable du salut. À la faveur de certains propos échappés à Jésus-Christ et repris par saint Paul, le monachisme s’est introduit en Occident et y fleurit encore. On y trouverait néanmoins bien peu de personnes pour approuver, et moins encore pour adopter sous la bannière d’une religion exotique un genre de vie aussi antisocial et (qui pis est, par ces temps mercantiles) aussi « anti-économique » que celui de moine mendiant. Et qu’on ne vienne pas dire que pour être un vrai bouddhiste, il n’est pas nécessaire de se faire bhikshou et qu’un fidèle laïque peut fort bien adhérer totalement à la doctrine sans renoncer pour cela à la vie mondaine. Il peut certes le dire et même le croire (car, en tant qu’animal religieux, l’homme n’est jamais à une contradiction près), mais non sans se mettre intellectuellement dans une position intenable et par chacun de ses actes démentir ce que professent ses lèvres. Car qui persisterait en bonne logique à participer à l’activité d’un monde que, selon la juste et frappante expression de Th. Tscherbatsky, sa doctrine transforme en un « cinéma[11] » — un cinéma continu, mais où rien, ni la salle, ni l’écran lumineux, ni les images qui sans cesse y défilent, l’une chassant l’autre, n’ont de consistance réelle ? Et comme le film ne déroule perpétuellement que fausses joies payées de trop réelles souffrances et tremblantes vies constamment fauchées par la mort, la seule démarche rationnelle pour quiconque en a compris l’incurable et douloureuse vanité est celle du spectateur écœuré autant qu’horrifié qui, prenant en pitié ceux qui communient avec un tel spectacle, ne songe qu’à gagner la sortie pour retrouver la paix dans l’obscurité de la nuit.

Nous nous gardons de l’oublier : le métier du philologue n’est pas de peser les mérites respectifs des religions ni surtout de fonder la louange de telle d’entre elles sur le mépris de telle autre : mais le respect de la vérité historique est la loi de sa conscience professionnelle ; et ce souci d’exactitude justifie les remarques que l’on vient de lire. Jamais peut-être elles n’ont été moins oiseuses. Dans l’Europe meurtrie et avilie par ses périodiques accès de fureur guerrière dont dix-neuf siècles de christianisme n’ont pas réussi à la guérir, beaucoup d’âmes désemparées se tournent de nouveau vers la lumière qui vient de l’Orient ; et, de son côté, l’Asie réveillée et méprisante se sent plus que jamais capable de nous faire à nouveau la leçon. Travaillée sans grand succès depuis tantôt quatre siècles par nos missionnaires chrétiens, elle estime qu’elle est en droit de nous rendre la pareille. Que ce soit son droit, qui pourrait le contester ? Reste à examiner la manière dont elle l’exerce. Or les tracts de propagande et les propagandistes qu’elle nous envoie et se propose de nous envoyer en nombre toujours croissant nous présentent avec trop d’adresse un bouddhisme adapté au goût européen et travesti à la moderne. Prenant avantage de la liberté d’esprit, du prudent agnosticisme et du sens moral de Çâkya-mouni, ils font miroiter à nos yeux, comme qualités caractéristiques de sa doctrine, l’absence de cérémonial, de pratiques rituelles, de « papisme », d’obscurantisme, et en général de tout mystère inaccessible à la raison[12] : sur quoi ils concluent triomphalement qu’en chargeant chacun de nous d’être l’artisan de son propre salut sans aucune intervention d’autorité ecclésiastique ou de grâce divine, le Bouddha nous a légué la religion « la plus rationnelle et intellectuelle qui soit au monde », et celle qui par suite s’accommode le mieux des exigences scientifiques des temps nouveaux. Que cela leur plaise à dire, on le conçoit, et si leur pieux enthousiasme les entraîne parfois un peu loin dans l’exaltation de leur foi, l’exagération reste pardonnable. Où la supercherie commence (le mot n’est pas trop fort : mais à quoi ne peut mener l’ardeur du prosélytisme ?), c’est dans ce qu’ils taisent ; c’est dans le soin qu’ils mettent à nous cacher que, de par l’évidence des textes, le Bienheureux dans sa compatissante sagesse n’a en définitive rien trouvé de mieux à offrir à ses compagnons de captivité qu’un espoir d’évasion hors du cycle des renaissances — opération qui, en mettant tout au mieux, s’effectuera en deux temps : d’abord de leur vivant en mourant au monde, puis à l’heure du trépas définitif, en entrant dans le noir absolu du Nirvâna. Soit dit encore une fois, c’est là une perspective tentante pour quiconque croit à la transmigration du karma ; elle a le tort de laisser parfaitement indifférents ceux qui ne partagent pas cette croyance. Interrogez l’histoire : la doctrine du Bouddha a conquis tout l’Orient de l’Asie, jamais elle n’a fait de sérieux progrès du côté de l’Occident. Sans doute il faut tenir compte de la barrière que de ce côté lui opposa l’Iran[13] : il n’est pas moins frappant qu’elle ne tient presque aucune place dans cette mêlée de religions orientales qui, au cours des premiers siècles de notre ère, envahirent l’empire romain. On a pu se demander un instant si l’Europe deviendrait chrétienne ou mithriaste : jamais la question ne s’est posée de savoir si elle deviendrait bouddhiste ; et moins que jamais il n’y a de chances pour qu’elle le devienne aujourd’hui.

Le penseur. — Une mise au point analogue ne serait pas moins nécessaire pour les extravagantes louanges que reçoit également de la part de ses apologistes asiatiques le système philosophique de Çâkya-mouni. Certains d’entre eux ne craignent pas de faire de lui le précurseur des derniers développements de la pensée européenne et l’initiateur de la théorie de l’Évolution. Il n’est pas douteux qu’on ne puisse parfois entrevoir dans les spéculations des vieux rationalistes indiens aussi bien qu’ioniens comme un obscur pressentiment des idées aujourd’hui reçues. Dès son premier essor l’esprit humain s’est vu tracer par les formes de son organisme pensant les cadres de la connaissance qu’il est susceptible de prendre de lui-même et du monde ; il lui faudra encore bien des siècles pour donner à ces cadres relativement peu nombreux un contenu vraiment scientifique, autrement dit vérifié et constamment vérifiable. Quand, d’accord avec le Sânkhya, Çâkya-mouni nie toute intention ou intervention divine dans le mécanisme d’un univers incréé, il semble anticiper les plus rigoureuses conceptions des physiciens modernes : mais en fait, dans le même vide sidéral que le leur, il ne trouve à faire tourner que l’enfantine image de la Grande roue. Quand il professe une sorte de phénoménisme intégral, cela ne veut pas dire qu’il ait poussé l’analyse des sensations aussi loin que Hume et que l’école anglaise. Quand il traite sur le même pied données physiologiques ou psychiques, ce n’est pas davantage qu’il soit arrivé au même stade d’expérimentation que nos psycho-biologistes, mais seulement qu’il ne différencie pas encore nettement ces deux ordres de faits. Ne lui demandez pas s’il est matérialiste ou idéaliste ; non plus que les présocratiques, il n’en sait rien : matière et esprit s’interpénétrant encore, le monde et l’idée qu’il s’en fait se confondent pour lui dans le même acte. Les éléments ultimes du Devenir, pour évanescents qu’il les conçoive, ont néanmoins une sorte de réalité : on ne peut pas dire qu’ils sont, mais, puisque connaissables et par suite nommables, on ne peut davantage dire qu’ils ne sont pas — non pas même le Nirvâna qui, étant le seul inconditionné, est proprement le contraire de tous les autres. Travaillant à la suite du Maître sur ces « normes » (dharma[14]), la secte des Doyens n’en compte pas moins de cent soixante-dix, et, en ce cas particulier, il est à croire que la liste la plus longue est la plus ancienne, parce que la plus confuse[15]. Or, si l’on parcourt ce catalogue à peine coupé de quelques rubriques classificatrices, on y voit se coudoyer les notions les plus hétéroclites. Organes sensoriels et sensations, états affectifs et concepts, facultés intellectuelles et forces morales, idées et volitions, vertus et vices, potentialités salutaires, funestes ou neutres, tout cela s’aligne à la file et sur le même plan. On tient en mains la preuve qu’au lendemain de la mort du Bouddha, et a fortiori de son vivant, physiologie et psychologie, physique et métaphysique, systématique et morale étaient toujours mal débrouillées. Nous sommes au temps où, de l’aveu même des peuples qui nous ont laissé par écrit leurs mémoires, le siège de la pensée n’était pas encore placé dans le cerveau, mais dans le cœur.

Le résultat immédiat de ces observations n’est pas seulement de dissiper les illusions rétrospectives que d’aucuns nourrissent et propagent sur la prétendue modernité des vieux penseurs indiens. En même temps qu’elles nous empêchent d’oublier les vingt-quatre siècles qui nous séparent de Çâkya-mouni et de faire trop bon marché de l’apport des civilisations qui, en dépit de bien des éclipses, ont brillé dans l’intervalle, elles nous permettent de proposer une solution à la plus grave difficulté que rencontre l’interprétation du système du Bouddha — nous voulons dire le raccord entre sa métaphysique et son éthique. On a vu ci-dessus comment il a tiré de la Formule de la Production conditionnée, deux moutures bien distinctes, d’une part dans sa Première prédication, et d’autre part dans la seconde homélie adressée aux mêmes auditeurs[16]. Tandis que la conclusion des Quatre vérités affirme et précise son intention moralisatrice, celle du Sermon sur l’illusion du moi entraîne des conséquences des plus inquiétantes, voire même dirimantes pour la loi morale — à telles enseignes que plus d’un chef de secte contemporain du Bouddha avait pris texte de la périssabilité des âmes pour les affranchir de toute responsabilité[17]. Et en effet, au milieu de la perpétuelle intégration et désintégration des assemblages phénoménaux et des non moins incessantes apparitions et disparitions des phénomènes eux-mêmes, on voit bien surgir d’innombrables occasions de douleur, mais on n’aperçoit pas de place pour les notions de bien et de mal. Si l’homme n’est qu’un nom et une ombre, à plus forte raison en est-il de même de la vertu. Pourtant nul n’ignore que le Prédestiné n’a pas professé avec moins de vigueur la rétribution des actes que la « vacuité » des acteurs. La permanence de la loi du karma est pour lui un dogme aussi essentiel que la fugace insubstantialité des êtres et des choses : ce sont là pour lui deux évidences devant lesquelles il n’est pas seulement funeste, mais stupide de fermer les yeux. Innombrables sont les passages des Écritures qui condamnent aussi irrémissiblement la négation de la sanction morale que l’affirmation de la réalité de l’individu auquel doit s’appliquer cette sanction. Comme bien on pense, ce n’est pas d’aujourd’hui que les incroyants ont crié à l’illogisme et que les théologiens bouddhiques ont essayé de réduire cette contradiction. Mais qu’ils n’espèrent pas se tirer d’affaire, comme l’apologète du Milinda-pañha, déjà aux prises il y a deux mille ans avec les objecteurs indo-grecs, par de simples métaphores : comparaison n’est pas raison. Rien ne sert non plus d’avancer que, si le poudgala sur qui retombe le poids des œuvres n’est pas celui qui en est l’auteur, ce n’est pas non plus tout à fait un autre, et qu’héritant du crédit et du débit de celui qui vient de disparaître, il ne peut se refuser à endosser le solde. Il ne suffit même pas de dire, comme nous l’avons déjà vu (p. 206), que la seule chose à considérer est le complexe karmique qui, tel un germe épidémique, évolue en passant de porteur en porteur, s’acheminant soit vers la virulence, soit vers l’innocuité, et que la personnalité de ces porteurs aussi irréels qu’éphémères et dont la vie n’est qu’une mort de tous les instants, n’a pas à entrer en ligne de compte : c’est là diluer la difficulté, ce n’est pas la résoudre. La vraie question est de savoir quand, pourquoi et comment la notion de qualité bonne ou mauvaise vient s’introduire dans le déroulement mécanique des groupes phénoménaux au point d’en modifier la valeur et d’en altérer le cours — précisons mieux : au point de substituer au vague lien causal qui les organise en séries le déterminisme de plus en plus strict de la loi qui les classe d’après leur mérite ou leur démérite.

Comme le Bouddha ne s’est jamais expliqué sur ce point, les exégètes modernes ont dû inventer une explication ; et la première qui se présente à l’esprit est que Çâkya-mouni, quand en son âge mûr il a élaboré son système philosophique, n’a pas pour autant renoncé aux croyances de son enfance : il leur aurait seulement « juxtaposé » la doctrine de la vacuité universelle[18]. N’a-t-on pas vu de nos jours plus d’un savant réputé porter dans sa tête, comme en des cases séparées, deux ordres d’idées incompatibles entre elles, dont les unes, scientifiques, emportaient l’adhésion de sa raison sans pourtant le décider à leur sacrifier celles qui, religieuses, restaient l’objet de sa foi ? L’hypothèse est donc plausible : mais, tout en lui reconnaissant une part de vérité, nous préférons en suggérer une autre, historiquement plus défendable : c’est à savoir que la question ne se posait pas pour Çâkya-mouni dans les mêmes termes que pour nous. Depuis que Descartes a séparé de la façon tranchée que l’on sait la « pensée » de « l’étendue », les philosophes sont contraints de s’atteler à la tâche de jeter un pont entre ces deux contradictoires : jamais le Bouddha n’a éprouvé le besoin de résoudre une antinomie qu’il ne percevait pas. Pas plus qu’il n’a songé à reconstruire la réalité dissoute par la raison pure sur le fondement de la loi morale, il ne s’est cru obligé de défendre la sanction des actes contre l’effet dissolvant de l’analyse phénoménale : ces difficultueux et peut-être insolubles problèmes étaient encore hors du cercle de l’horizon intellectuel de son temps. Au milieu du confus mélange de principes disparates que l’introspection méthodique commençait à peine à débrouiller, aucune distinction foncière entre le physique et le moral ne pouvait clairement ressortir : elle eût d’ailleurs semblé une complication beaucoup plus gênante qu’utile. L’imagination romantique d’Alfred de Musset a bien pu transformer en une relation d’amour entre les planètes la loi mathématique de la gravitation universelle : qu’est-ce que cela change au spectacle de la voûte céleste ? Il en va de même quand nous lisons dans les textes tantôt que les cinq agrégats dont est fait notre semblant de personnalité se décomposent et se recomposent sans cesse, et tantôt que les actes « mûrissent » dans ces mêmes agrégats : les deux processus sont concomitants et l’un n’empêche pas l’autre. Ainsi qu’un arbre, selon son essence, produit naturellement au cours de sa croissance des fruits sucrés, âcres ou insipides, de la même façon tout organisme animé, selon ses prédispositions, engendre en évoluant un karma doux, amer ou indifférent. Qu’importe aux séries phénoménales que nous nous bornions à contempler leur déroulement quasi automatique ou que nous escomptions leurs résultats qualificatifs ? Il n’y a là qu’une alternance de points de vue. Éthique et métaphysique ne sont pour le Bouddha que les deux aspects connexes d’un même Devenir — ou, si l’on préfère ainsi dire, puisque ce Devenir ne nous est connu qu’en tant que subjectivement appréhendé, d’une même psycho-physiologie. Si celle-ci nous paraît encore bien trouble, nous le devons à tous les chercheurs qui, repensant après lui le complexe humain, l’ont quelque peu clarifié sans davantage parvenir au terme synthétique de leur analyse.

Ce n’est pas, croyons-nous, diminuer Çâkya-mouni que de le replacer ainsi dans son ambiance, ce serait le trahir que de le transposer dans la nôtre. Nul critique impartial ne saurait ménager l’éloge à sa faculté d’objectivation et au courage intellectuel qu’il lui a fallu pour se dégager de la routine mentale du troupeau humain et découvrir ce qui a paru à tant de ses contemporains et paraît encore à tant des nôtres la plus adéquate solution au douloureux problème de l’humaine destinée : mais vigueur de pensée n’est pas synonyme d’originalité et de largeur d’esprit. Il apparaît de plus en plus distinctement que la doctrine bouddhique n’est dans ses grandes lignes que le fidèle reflet des croyances populaires (nous sommes loin de dire les superstitions) et des doctrines philosophiques qui prévalaient dans l’Inde orientale au vie siècle avant notre ère. La tradition elle-même convient qu’elle s’est inspirée de la forme alors courante du Sânkhya et du Yoga : au premier elle a emprunté sa conception mécaniste de l’univers, au second les procédés de sa psychothérapie. Tout compte fait, l’apport philosophique de Çâkya-mouni se réduit à travers les Quatre vérités et ce que nous avons cru pouvoir appeler la Cinquième, à l’énumération des douze occasions dont l’ordre invariable scande l’existence de chaque individu. Non seulement aux grandes questions concernant l’origine et la fin des choses il n’a jamais proposé de réponse, mais il n’a pas dissimulé son aversion pour ce genre de spéculations téléologiques[19]. Dans les plus anciens textes le mot qui les désigne (drishti, littéralement « vue ») a toujours (comme doxa chez Héraclite) le sens péjoratif de « vision erronée ». Que ses sectateurs aient eux-mêmes ressenti l’étroitesse de son système et les bornes de son enseignement, nous en avons relevé ci-dessus une double preuve ; car tantôt ils prennent à tâche de torturer la Formule de la production en série conditionnée pour lui instiller la généralité abstraite et la rigueur logique qui lui font par trop visiblement défaut ; et tantôt, pour sauver le dogme de l’Omniscience de leur Maître, ils ne trouvent d’autre expédient que de prétendre qu’il a volontairement restreint le nombre et la portée de ses instructions[20]. Les libertés qu’ils prennent dans l’interprétation de sa thèse capitale comme la façon embarrassée dont ils excusent ses limitations témoignent bien qu’ils étaient au fond d’accord avec nous pour estimer que, beaucoup plus qu’un philosophe, le Bouddha a été moraliste.

Le moraliste. — Et en effet, ainsi que l’a judicieusement écrit Émile Senart, le bouddhisme est essentiellement « une discipline de moralité ». C’est comme tel que, lors de son apparition dans l’histoire, il inspire les édifiants édits de l’empereur Açoka ; c’est encore comme tel qu’il exerce sur notre temps une action profonde et s’impose dans les deux hémisphères à la respectueuse considération de tous, croyants ou incrédules. C’est enfin ce que les deux primitives corbeilles de son énorme littérature attestent presque à chaque ligne. Souvenons-nous seulement de la description qui nous a été donnée de l’arrivée du Bienheureux à la Clairvoyance. Né homme, jeté sans l’avoir voulu dans un univers dont le mystérieux fonctionnement le condamne à d’intolérables souffrances, le Prédestiné s’est résolument placé au centre même du problème qui confronte chacun de nous. Quel parti prendre ? Se résigner lâchement, en bon fataliste oriental, à être le jouet passif et distrait d’un inexorable destin ? Sa forte intelligence et la compassion qu’il porte à ses semblables le lui interdisent. S’irriter puérilement contre un ciel qui demeure « muet, aveugle et sourd au cri des créatures[21] » ? À quoi bon, puisqu’il n’attend d’en haut aucune apparition ni révélation surnaturelles ? Se briser la tête contre les murs de sa prison ? Ce n’est pas davantage une solution pour qui se sent pris dans le cycle fatal des renaissances. Sa seule ressource, soit dit encore une fois, est d’imaginer un plan d’évasion hors d’un monde jugé décidément inacceptable. C’est à ce moment qu’intervient pour lui la nécessité de prendre une vue d’ensemble de son lieu de détention et d’éprouver la solidité de son cachot comme de ses chaînes. Et dès lors nous comprenons mieux pourquoi il tient tant à en affirmer le caractère insubstantiel et instable : là gît sa chance de libération. Quel espoir pourrait-il entretenir de dégager son moi personnel du perpétuel renouvellement de l’Être, si tous deux existaient en soi et de façon permanente ? Il se trouverait dans l’impossibilité de les dissoudre l’un et l’autre dans le vide apaisant du Nirvâna. Sans doute il lui resterait l’alternative, en faveur chez les brahmanes, de résorber finalement l’âtman individuel dans l’universalité du brahman : mais, bien que le Védantiste et lui boivent l’eau du même fleuve, dans la sphère de l’esprit leur attitude intellectuelle les situe aux antipodes, entièrement tendue chez le premier vers l’unité de l’Absolu, toute penchée chez le second sur la pluralité et la relativité des Contingences. Là n’est pas d’ailleurs pour l’instant la question. Ce qui nous importe ici, c’est de constater que, de l’aveu même de la tradition, pour peu qu’on lui prête une oreille attentive, le Bouddha ne s’est fait philosophe qu’a posteriori et par nécessité. Il y a été contraint par la mission même qu’il avait cru devoir assumer et s’est vu dicter par elle le plus clair de ses théories. Le meilleur, sinon l’unique moyen de décourager la tenace obstination du désir, cause de tout le mal, n’est-il pas de démontrer la totale inanité de son objet ? Et quel procédé plus radical trouver pour couper l’égoïsme dans sa racine que de nier l’existence même de l’ego ? Ainsi, non moins que le milieu qui acheva sa formation, toute l’orientation de son effort mental vouait d’avance le Prédestiné au phénoménisme. Loin que sa métaphysique soit en contradiction avec sa morale, il se découvre finalement qu’elle en est le postulat nécessaire, peut-être inventé après coup.

Ce qui encourage à penser que cette interprétation de la doctrine bouddhique soit sur la bonne voie, c’est qu’elle ne permet pas seulement de lui restituer cohérence et unité : elle nous aide à comprendre l’étonnante rapidité comme le durable succès de sa propagation. Qu’au même titre que l’image de la Roue des renaissances la théorie de la « vacuité » universelle se tienne constamment présente à l’arrière-plan de la pensée du Bouddha, on n’en saurait douter : mais on ne peut s’empêcher de remarquer que dans ses discours elle ne passe que rarement au premier plan, et uniquement dans le cas de néophytes déjà préparés à la comprendre ou d’esprits d’avance familiers avec le maniement des idées abstraites. Traités de Vinaya et Soutra sont avant tout des recueils de prescriptions et d’instructions morales. La part de la vérité est plus grande que celle de l’exagération dans les déclarations que les textes mettent couramment dans la bouche du Maître : « Je n’enseigne que la douleur et la délivrance de la douleur » ; ou encore : « Je n’enseigne que la rétribution des actes[22]. » Une stance bien connue ne craint même pas de poser cette loi générale : « L’abstention de tout péché, la pratique du bien, la purification de la pensée, voilà en quoi consiste l’enseignement des Bouddhas[23]. » Il faut le reconnaître ; du point de vue didactique aussi bien que philosophique, l’horizon de la Bonne-Loi est borné. On a pu à juste raison la qualifier de salutisme à courte vue et la noter d’anthropocentrisme excessif. Mais à ces critiques, si pertinentes qu’elles soient, il n’est nullement paradoxal de répondre que ces heureux défauts sont à la source même de sa popularité. Que les beaux esprits censurent sa métaphysique et en déplorent les inconséquences ou les lacunes : tout ce qui diminue son prestige aux yeux des fabricants et des amateurs de systèmes accroît d’autant son autorité sur les masses. Que dites-vous ? La Formule duodécimale de la génération conditionnée est la banalité même ? — Elle n’en sera que plus aisément comprise par tous. L’assertion que le plus sûr remède aux maux de la vie et à la mort soit de ne pas naître est la reine des lapalissades ? — Elle ne s’imprimera que mieux dans tous les esprits. Plaise au Védantiste, ébloui par les perspectives infinies de déification que lui ouvre son idéalisme panthéistique, d’afficher son mépris pour ce pragmatisme hypnotisé par le souci de l’abolition de la douleur : il n’en reste pas moins que ce souci est commun à tous les hommes, et pour chacun d’eux primordial. C’est pour avoir su se limiter à la question la plus urgente, sinon la plus essentielle, c’est pour avoir fait porter sur elle tout l’effort de sa pensée comme de sa prédication que Çâkya-mouni a réussi à fonder une Communauté capable de s’élargir, des siècles après sa mort, en une église à l’échelle mondiale. Songez un instant à tous ceux qui, plus près de nous, dans les jardins ou sous les portiques d’Athènes, se pressaient aux leçons de philosophes plus grands que lui : que subsiste-t-il aujourd’hui de leurs doctes et brillantes confréries ?

Dès lors peu importe à l’historien qu’on puisse également accuser la morale du Bouddha, après sa philosophie, de manquer d’originalité : c’était la condition même de sa réussite ; et d’ailleurs une morale se codifie, elle ne s’invente pas, la vie en société y ayant déjà pourvu. Si le Prédestiné a passé dès son vivant pour le parangon des êtres, c’est parce que mieux que personne il a su tirer au clair les conceptions et aspirations de son milieu ; et il ne conserve cette position exaltée que là où celles-ci continuent à régner. Il n’est pas moins évident qu’il n’a pu les formuler de façon si entraînante qu’à condition de commencer par les partager. Tout le monde autour de lui, et lui plus que tout le monde avait été gagné par l’horreur du Samsâra et était convaincu que la « Sortie de la maison » était le plus sûr moyen de s’en échapper. Nul n’ignorait que la cruauté, le mensonge, le vol, la luxure et l’alcoolisme étaient les cinq péchés capitaux. Les religieux de toutes dénominations s’imposaient en outre cinq restrictions supplémentaires et observaient souvent ce vieux décalogue avec plus de rigueur que le Bouddha n’en exigeait de ses moines, qu’il s’agit de respecter toute vie animale ou de s’interdire toute espèce de divertissement et de confort. Bien avant lui les yogui avaient pratiqué exercices respiratoires et méditations extatiques, et gradué les degrés successifs du « recueillement » en correspondance avec les étages superposés des cieux[24]. Sur aucun de ces points Çâkya-mouni ne semble avoir apporté d’innovations. Il n’est pas jusqu’à la réunion générale de quinzaine, le seul rite observé en commun par les membres de son Ordre, qui de l’aveu même des traités de discipline n’ait été une observance imitée d’autres Communautés[25]. Autant qu’on peut voir, son originalité entre les autres chefs de sectes non brahmaniques — son exceptionnelle personnalité mise à part — portait surtout sur des questions de méthode. Tout d’abord il s’en distinguait par la constante préoccupation qu’il a marquée dès le début de sa carrière et dont il ne s’est jamais départi, de suivre en tout la voie moyenne : « Qu’en penses-tu, Sôna ? Quand les cordes de ta vînâ ne sont ni trop tendues ni trop lâches, mais au point, n’est-ce pas seulement alors qu’elle est accordée et bonne à en jouer ? — Il en est ainsi, Seigneur[26]. » De même faut-il dans sa conduite tenir le juste milieu entre les deux excès de l’hédonisme et de l’ascétisme. En second lieu c’est avec une énergie sans rivale qu’il s’est toujours refusé à déduire de son effroyable découverte de la totale « vacuité » de ce monde l’indifférence en matière de morale, et qu’il met l’accent sur l’inéluctabilité de la sanction des actes en dépit de l’irréalité de l’agent. Enfin ces actes eux-mêmes, qu’ils soient de corps, de parole ou de pensée, il les veut jugés avant tout d’après leur intention. Pour lui comme pour ceux de ses disciples qui étaient capables de le comprendre, le péché n’est plus cette impureté gluante, cette sorte de pus adhérant à l’âme[27], qui pouvait être lavé par les bains sacrés ou desséché par la ferveur ascétique ; le drame de la vie se joue tout entier dans l’esprit, et plus que ce qu’il a fait, l’homme devient ce qu’il a voulu faire.

La morale bouddhique n’est donc pas si banale que certains le prétendent : ce qu’il est vrai de dire c’est que — de si grand service qu’elle puisse être pour tous les hommes — elle est foncièrement indienne et qu’elle le reste jusque dans ses contradictions. De celles-ci les textes fourmillent et les offrent à qui trouve intérêt à les relever. Tantôt le Prédestiné recommande à ses ouailles les bonnes œuvres, les vertus familiales, le culte des divinités qui s’en montreront reconnaissantes, bref toutes les pratiques considérées comme méritoires par les personnes bien pensantes, et il leur promet en échange le paradis à la fin de leurs jours ; ou inversement il les met en garde contre les fautes, sources de démérites, qui ne manqueraient pas de les précipiter après leur mort dans une mauvaise renaissance, voire dans des enfers brûlants ou glacés. Tantôt il insiste sur le fait que l’acquisition de la connaissance vraie (naturellement celle de sa doctrine) est la condition nécessaire et suffisante du salut, tandis que les croyances erronées sont la cause la plus certaine de la perdition. Tantôt enfin il donne à entendre que le secret de la délivrance gît dans une dévotion ardente pour sa personne et une foi absolue en sa loi. Bref, à en croire les propos qu’on lui prête, il aurait recommandé indifféremment les trois voies de libération que distingueront si soigneusement les générations postérieures, celles de l’œuvre pie, de la gnose et du quiétisme[28] ; et l’on rencontrerait ainsi dans son éthique les mêmes confusions de principes disparates que nous observions il y a un instant dans sa psycho-physiologie. Sans doute il serait facile de répliquer que le Bouddha n’est pas responsable de tout ce qui a été écrit sous son nom ; que d’ailleurs ces contradictions sont plus apparentes que réelles ; qu’elles marquent simplement des accommodations particulières de la prédication du Maître au niveau moral des auditoires si variés qu’il a pris à tâche d’évangéliser tour à tour ; et qu’enfin toute pratique vertueuse fait faire un pas de plus sur la longue route qui mène au Nirvâna, si bien que, même au plus bas degré de ses exhortations, le Bienheureux n’oublie pas le but final par lui proposé à l’élite humaine. Il n’en reste pas moins que ces flottements didactiques n’ont pu passer inaperçus et sont à l’origine des jugements opposés que des exégètes d’égale bonne foi ont passés sur la morale bouddhique. Selon les uns, si intransigeante ennemie du moi qu’elle se prétende, elle est essentiellement égoïste. Négative et non positive, elle est faite de défenses plus que de préceptes, et prohibe le mal plus qu’elle ne prêche le bien. Enfin, ne jugeant les actes qu’à leurs fruits, elle transforme la vertu en un bon placement sur l’avenir, gage de condition meilleure ou assurance contre condition pire que la présente. D’autres veulent au contraire que l’amour pur, désintéressé, illimité de tous les êtres soit la vertu cardinale et l’essence même de la Bonne-Loi : et les uns comme les autres appuient leurs dires sur d’explicites citations. Tantôt, en effet, nous lisons que la supériorité de la vie religieuse sur la vie laïque est tout à fait comparable à celle du commerce sur l’agriculture, car il est de notoriété publique que le marchand réalise de bien plus gros profits que le cultivateur[29] : et tantôt il est écrit de l’homme de bien : « Exempt de convoitise, libéré de la haine, — Produisant une pensée d’amour sans limites, — Jour et nuit, toujours, sans défaillance — Vers tous les points cardinaux il la diffuse à l’infini[30]. »

En dépit de l’aversion professée par le grand Sage pour toute polémique, nous ne pouvons nous dispenser d’entrer dans une discussion dont l’issue influe à tel point sur l’idée qu’il convient de nous faire de sa religion. Commençons par reconnaître que nous manquons de toute base de comparaison entre la charité bouddhique et la charité chrétienne. Celle-ci consiste essentiellement en l’amour de Dieu, et subsidiairement, du prochain en Dieu : or la notion de Dieu, telle que les chrétiens l’entendent, est totalement ignorée du bouddhisme. Peut-on en déduire que la notion de charité lui soit, sur le plan humain, également étrangère ? On n’en a pas le droit. Assurément le fait que chaque homme est l’artisan responsable de son propre salut le force à se replier sur lui-même et à concentrer son effort sur la grande affaire de sa vie, laquelle consiste à abolir en lui toute nécessité de recommencer à vivre. Le Bouddha lui-même, nous l’avons vu, a dû se résoudre à briser tous les liens qui le rattachaient au monde, les plus puissants comme les plus chers ; et, son but atteint, il a balancé un instant avant de se décider à faire part aux autres de sa découverte. Arhat et Pratyêka-Bouddha, abîmés dans le superbe isolement de leur expérience intime, peuvent être de parfaits individualistes sans cesser pour autant d’être des saints. Plus d’un bon moine sans doute se sera borné à ressentir et diffuser in abstracto « debout, marchant, assis ou couché, — en haut, en bas ou en travers[31] » une infinie bienveillance à l’égard de tous les êtres, sans jamais remuer un doigt pour les assister. Par ailleurs il est certain que ladite « bienveillance, purification du cœur » est parfois prônée pour des raisons qui n’ont rien d’altruiste : elle procure à elle seule, assure-t-on, seize fois plus de mérites qu’aucune autre œuvre pie[32] ; et il est également rappelé à titre d’encouragement à la pratique de toutes les vertus, que « faire le bien est la meilleure façon de s’aimer soi-même[33] ». Mais, après tout, cela n’est pas si mal pensé ni dit ; et on ne saurait, en équité, passer sous silence qu’à côté du détachement, la vieille doctrine bouddhique a aussi préconisé, bien avant que le Néo-bouddhisme n’en fasse sa sublime monomanie, quatre sortes d’ « engagements » à l’égard d’un prochain qui embrasse tout ce qui vit. Au plus bas degré il y a le sentiment d’ « équanimité », lequel n’est pas fait seulement d’impartialité et de désintéressement, mais encore de calme imperturbable à l’égard des pires avanies ; il comporte en conséquence l’absence de tout ressentiment et de toute inclination à rendre le mal pour le mal. Puis vient la « compassion » à l’égard de toutes les souffrances, ce qui n’exclut pas le souci de les adoucir de son mieux. En troisième lieu la « sympathie joyeuse » prend part à tout ce qui arrive d’heureux à autrui, bannissant ainsi l’ignominieux péché d’envie après l’insensibilité et la haine. Enfin, couronnant le tout, vient la maîtri ou mettâ, et quand on nous la définit en sanskrit aussi bien qu’en pâli comme « l’amour qu’une mère ou qu’un père et une mère portent, dût-il leur en coûter la vie, à leur fils unique[34] », il n’y a plus ici d’équivoque possible : cet amour n’est pas le sentiment neutre et passif que d’aucuns se plaisent à dénoncer. Tout vrai bouddhiste doit, faute de rédempteur, se racheter lui-même de la vie par la vertu ; mais, ce faisant, il travaille effectivement au bonheur universel. Seulement — en matière de morale humaine il y a toujours quelque réserve à sous-entendre — il faut bien se rendre compte que la charité du moine ne saurait être la même que celle du laïque. Celui-ci peut dans la mesure de ses moyens imiter de loin les perfections altruistes du Bodhisattva, à commencer par sa bienfaisance ; ne possédant rien, le moine ne peut plus faire d’autre aumône que celle de la Bonne-Loi. En revanche, connaissant mieux que les gens du monde où gît le souverain bien, le bouddhiste est en droit d’user parfois à leur égard de rigueur, sinon de coercition. C’est en le tirant bon gré mal gré par les cheveux qu’un ami d’enfance aurait jadis amené Çâkya-mouni lui-même, alors né comme brahmane, aux pieds du Bouddha Kâçyapa, son prédécesseur immédiat[35]. Ainsi, pour sauver les âmes, on peut parfois aller jusqu’à maltraiter les corps. C’est aussi ce que pensait Torquemada, mais il exagérait. Quand le Bienheureux faisait des convertis malgré eux, c’était « par la force de sa bienveillance » : ce sont les légendes apocryphes du Nord-Ouest de l’Inde qui lui font se servir à l’occasion de son bras séculier, le porte-foudre Vadjrapâni[36].

Le gentilhomme. — Reconnaissons-le sans ambages : depuis le temps que nous tournons à l’aide des textes de sa primitive église autour de la personne du Bouddha, sa riche complexité nous laisse des plus perplexes. Nous voyons bien qu’en elle venaient se fondre toutes les contradictions, s’éclairer toutes les obscurités, se valoriser toutes les banalités de sa morale ou de sa philosophie : mais, de quelque point de vue qu’on l’envisage, il est chaque fois beaucoup plus facile de dire ce qu’il ne fut pas que ce qu’il fut. On ne peut accepter sans restriction l’opinion d’Ernest Renan quand il veut que « seul parmi les grands fondateurs de religion, Çâkya-mouni ait été un métaphysicien[37] » : pourtant il est indéniable qu’il a voulu faire de sa doctrine une œuvre de raison et non de foi. Il n’est pas réaliste, quoiqu’en disent les vieux Sarvâstivâdin, puisque pour lui ce monde n’est qu’un « mirage » ou un « reflet de lune sur l’eau » ; mais il se défend sincèrement d’être nihiliste, puisqu’il accepte les données de l’expérience en tant que telles. Il n’est pas athée puisque, tout comme Épicure, il croit en l’existence des dieux ; mais puisque, toujours comme lui, il leur refuse toute espèce d’influence sur le mécanisme de l’univers ou le destin de l’homme, on ne saurait le qualifier de théiste. Il n’est pas non plus un véritable épicurien, car par la pratique de la vertu il ne recherche pas le plaisir, mais seulement la suppression de la souffrance ; il est encore moins stoïcien, car le point de départ de tout son système est la constatation de l’évidence de la douleur. À l’entendre il n’affirme ni l’être ni le non-être ; il ne nie pas à proprement parler l’existence du moi, mais seulement sa substantialité et sa permanence, et il réfute aussi bien ceux qui professent son annihilation totale après la mort que ceux qui affirment son éternité. Ne l’accusez pas d’être fataliste, car il sait que, si l’homme est le prisonnier de son passé, il est dans une certaine mesure le maître de son avenir, à preuve que lui-même vient de briser sa chaîne. Ne le donnez pas non plus comme un révolutionnaire social, car c’est seulement à l’intérieur de sa Communauté qu’il abolit toute distinction de caste, etc. On pourrait se livrer sans fin à ce petit jeu de thèses et d’antithèses. N’en voilà-t-il pas assez pour être contraint de conclure que, tout comme l’âtman inconnaissable des vieilles Oupanishads, le Prédestiné ne peut se définir qu’à l’aide de négations et que, par conséquent, nous ne connaîtrons jamais le fond de sa nature ? C’est justement là ce que nous avions appris à redouter dès le début de notre étude. Les mythologues nous en avaient avertis : à dépouiller le Bouddha du somptueux manteau de sa légende, on s’expose à ne retrouver par-dessous qu’une sorte de soliveau mal équarri et bon tout au plus à cristalliser autour de soi les croyances et les mythes qui flottaient en suspension dans son ambiance.

Ne nous tenons cependant pas pour battus, ni tout le travail de critique auquel nous nous sommes livrés pour stérile. Trop souvent au cours des pages qui précèdent nous avons senti un cœur d’homme battre sous l’impassibilité du prétendu dieu ; trop d’anecdotes typiques nous ont été contées, trop de paroles expressives nous ont été rapportées du Bienheureux pour que rien ne nous soit révélé de son naturel. L’espoir subsiste de discerner le trait distinctif qui, unifiant et vivifiant les menus indices dispersées dans les textes, nous mettra au fait de son caractère original. Toutefois il ne nous est pas caché que, tel le Protée de notre fable antique, Çâkya-mouni se plaisait à glisser entre les doigts des étrangers qui venaient de but en blanc le presser de questions. Toujours il décline de leur répondre par oui ou par non ; il leur déclare n’être, ni ne penser, ni n’enseigner ni ceci, ni cela, ni le contraire ; et quand il les voit bien déconcertés, il les ramène au seul sujet qui l’intéresse parce qu’il est le seul qu’il juge devoir les intéresser. Il ne servirait donc de rien de l’interroger : de son moi, de ce moi qu’il juge chez tous si haïssable, il ne laisserait rien paraître. Qu’ils fussent insidieux ou sincères, ses interlocuteurs de passage ont pu, comme nous l’avons noté ci-dessus, éprouver les ressources de sa souple dialectique et subir le charme de sa sereine supériorité ; ils n’ont jamais pénétré dans son for intérieur. Les seuls qui l’aient connu ou cru le connaître sont ceux de ses disciples qui ont longuement vécu dans son intimité. Que ne nous ont-ils transmis un portrait d’après nature de leur Maître ! Pour entrevoir du moins l’impression qu’ils avaient gardée de lui — ou du moins celle que les membres de la première Communauté ont longtemps transmise à leurs novices — nous n’avons d’autre ressource que de faire à travers les Écritures ce qu’ils firent eux-mêmes sur le vif et, avec toutes les formes et l’attention requises, de mettre le Bouddha en observation.

Ce ne peut être une pure illusion si, même à ne le regarder ainsi que du dehors, les traits les plus constants de sa personnalité se dessinent à nos yeux dès sa jeunesse. Sa naissance princière, son éducation sportive autant qu’intellectuelle, la vie de luxe et de plaisirs qu’il mène jusqu’à la trentaine campent aussitôt le grand seigneur qu’il restera jusque sous le froc du moine. Sa distinction naturelle impressionne tous ses visiteurs, à commencer par le roi Bimbisâra. Toujours et partout, aurait dit Çâripoutra, il se montre un modèle d’urbanité et de politesse. C’est à sa bonne éducation autant qu’à sa libre intelligence qu’il doit son parfait mépris pour toutes les sottes ou indécentes pratiques courantes chez les sectes religieuses de son temps ; c’est elle qui le rend réfractaire à leurs intrigues et jalousies mesquines ; et c’est encore en elle qu’il puise son constant souci de faire régner le décorum et la propreté physique autant que morale au sein de sa Communauté. Il ne témoigne pas moins d’aversion pour les mauvaises manières que pour les péchés capitaux. Les dernières sections du Formulaire de confession sont un véritable manuel de savoir-vivre à l’usage de ses moines. Tout comme il condamne la luxure, le vol, le mensonge et l’escroquerie à la sainteté, il proscrit toute négligence dans le vêtement et ne dédaigne pas d’interdire de se lécher les doigts en mangeant, de parler la bouche pleine, ou de loucher du côté de l’écuelle de son voisin. Dès le début de sa prédication le Prédestiné nous découvre le genre des préoccupations qui le hanteront jusqu’à la fin. Dans l’énumération qui termine son exposé des Quatre vérités, remarquez l’épithète qu’il applique à chacune des huit branches du chemin de la vertu : doctrine, résolution, parole, action, moyens d’existence, effort, attention, recueillement, tout chez le néophyte doit avant tout être « correct[38] ». Et quand dans son préambule il énonce la détermination, qui restera chez lui dominante, de se tenir en toute circonstance au « juste milieu », comment ne pas reconnaître encore là une manifestation de son sens inné et raffiné des convenances et de la mesure ? Nous pouvons déjà en toute assurance noter ces premières indications.

Ainsi encouragés, continuons à épier les dits et gestes de ce singulier religieux : nous nous apercevons qu’il ne ressemble décidément qu’à lui-même. Complètement détaché du monde, il l’est sans doute ; mais il ne le fuit pas systématiquement, et consent à dîner en ville. Bien mieux, loin de songer uniquement à son propre salut, il se croit des devoirs envers son prochain et met sa prédication quotidienne à la disposition de qui veut l’entendre. Le nombre des audiences que chaque jour il accorde ne se compte plus : infatigablement il promène de ville en village à travers l’immense plaine indienne l’enseignement des vérités qu’il a été le premier à découvrir ; et autant que par sa voix il prêche par son exemple. Entre temps il accepte ou conquiert toujours plus de disciples, et constamment il veille à faire régner la discipline au sein de son troupeau. Sans cesse il lui faut rappeler ses moines à la décence et à la concorde, et les mettre en garde contre les tentations. Ce n’était certes pas une sinécure, et il se trouvera des moines tardivement entrés dans l’Ordre pour grommeler et se plaindre que sa vigilance ne laisse pas échapper la moindre peccadille[39]. Quand quelque riche propriétaire foncier lui fait reproche de manger alors qu’il ne laboure ni ne sème, il peut en toute tranquillité de conscience lui répondre que lui aussi a son labeur de tous les instants[40]. Il mourra d’ailleurs à la tâche ; sur son lit de mort deux de ses dernières injonctions auront pour objet, l’une de régler une question d’étiquette entre confrères, l’autre de mettre en quarantaine une brebis galeuse : tant son métier de directeur de consciences lui tient à cœur[41]. Il ne se permet qu’à de rares intervalles et pour de courtes périodes le loisir et les pures délices de la méditation solitaire. Nous l’avons vu après son évasion nocturne de sa ville natale, se comporter comme devait le faire plus tard Ignace de Loyola ; mais tandis que l’hidalgo va se mettre à l’école des théologiens orthodoxes, c’est vers les Docteurs rebelles à la Révélation védique que se tourne le kshatriya : il n’en est que plus curieux de constater que l’un comme l’autre croit devoir fonder, au lieu d’un Ordre contemplatif, une sorte de milice à laquelle ils laissent pour instructions de demeurer toujours militante. Loin d’autoriser ses moines à mener une vie oisive, le Prédestiné leur impose comme tâche d’étudier et de prêcher la bonne parole pour l’édification et le salut de leur prochain. On dirait qu’il prend souci de justifier leur mendicité forcée par l’utilité de leur rôle social. Sur ce point encore, et qui est d’importance, aucun doute n’est permis. Le religieux Gaoutama a pu pendant quelques années se croire l’étoffe d’un ermite : il n’a pas tardé à se réveiller de ce rêve et il est resté jusqu’au bout de sa carrière, constamment sur la brèche, le plus occupé des hommes d’action.

Regardons-le en effet gouverner cette Communauté que sa constitution même (ou, pour mieux dire, son absence de constitution) rendait ingouvernable : il n’y réussit qu’en vertu de son autorité personnelle. Son prestige s’impose à tous, et d’ordinaire suffit à réprimer tous les écarts de conduite comme à apaiser toutes les querelles. Une fois seulement, nous l’avons vu, sa conciliante intervention échoue : il avait été averti trop tard et le conflit s’était envenimé ; alors sa dignité offensée le détermine à se retirer dans la solitude où il n’attendra pas longtemps le repentir des égarés[42]. Sans doute il a voulu être et il a été plus aimé que craint : mais la profonde bienveillance dont il est animé à l’égard de tous les êtres n’a rien d’un humanitarisme bêlant. Sa compassion pour l’humanité souffrante est celle d’un chirurgien pour son patient ; elle n’entrave en rien la sévérité des interventions nécessaires. Sur tout ce qui touche au salut, il se montre inflexible. Il a même pu paraître impitoyable quand il achève de briser le cœur, du même coup que les espoirs dynastiques de son vieux père, en enrôlant d’autorité dans son Ordre son demi-frère Nanda et son propre fils Râhoula, à peine âgé de six ans. C’est que sa confiance dans le bien-fondé de sa doctrine n’a d’égale que sa maîtrise de soi. Irons-nous jusqu’à l’accuser d’avoir eu une âme de dictateur ? Ce serait prétendre le connaître mieux qu’il ne se connaissait lui-même ; car au cours de sa dernière maladie il se défend auprès d’Ânanda d’avoir jamais prétendu régenter sa Communauté ; et ailleurs encore il assure qu’il n’ordonne pas : « il suggère[43] ». Cela lui plaît à dire ; mais plus d’une fois il se dément. Il n’est pas jusqu’au tour pragmatique qu’il impose d’emblée à son système qui ne dénonce ses propensions réalisatrices, et le besoin qu’il éprouve de passer à l’exécution et d’obtenir des résultats dans l’immédiat. Quand il raille sans pitié les idéologues, est-ce lui ou Napoléon qui parle ? Quand il déclare : « La loi, c’est moi », est-ce lui ou Louis XIV que l’on entend ? Rappelez-vous avec quelle hauteur méprisante — lui, si courtois d’ordinaire — il rejette l’idée de se démettre en faveur de son cousin Dêvadatta de la direction du Sangha. À la vérité, sentant sa dernière heure approcher, il daigne donner l’autorisation d’abolir au besoin les articles mineurs de sa Règle : c’est là toute la concession qu’il puisse consentir aux nécessités éventuelles de l’avenir ; et quand il refuse tout net de se désigner un successeur, comment ne pas se souvenir d’Alexandre ? De toute évidence il fut un chef : il a même été légitimement appelé « le chef qui n’a pas de chef ». Ainsi à sa distinction naturelle et acquise, à son soin des bienséances, à son constant souci de la correction et de la mesure vient s’ajouter un impérieux penchant pour l’action et le goût du commandement. La façon dont tous ces traits s’harmonisent spontanément n’a rien qui doive surprendre ; avant d’être transfiguré par l’idolâtrie de ses sectateurs en moine-dieu, Çâkya-mouni se devait à lui-même d’être de son vivant le type accompli du moine-gentilhomme.

Résumons et concluons. Il est déjà loisible, l’expérience le prouve, de réunir nombre d’aperçus épars sur les divers aspects du Bouddha de notre âge, et de constater que ces délinéaments dispersés au hasard des textes se coordonnent d’eux-mêmes pour composer une figure relativement vivante et d’une originalité marquée. C’est là un premier résultat dont il est sage de savoir pour l’instant se contenter : on gâterait le portrait en entreprenant de le préciser et de le compléter au gré de notre fantaisie. Assurément nous n’avons réussi à tirer de nos documents qu’une ébauche encore bien vague, et à laquelle manquent deux éléments essentiels, une description physique détaillée et une analyse psychologique approfondie. Il est bien à craindre que ces deux compléments ne lui fassent toujours défaut. Nous avons dû renoncer ci-dessus à nous représenter le « vrai visage » du Prédestiné ; nous ne tenterons pas davantage de pénétrer dans son âme, car tout ce que les Écritures trouvent à nous en dire c’est qu’elle était trop profonde pour que les dieux mêmes pussent la sonder. Qui pourrait à présent se flatter d’y parvenir mieux que ses intimes ? Résignons-nous à ne savoir de lui que le peu que l’on apprend du caractère de tout homme rien qu’à l’entendre parler et surtout à le regarder agir. C’est justement là ce que nous venons d’essayer de faire ensemble d’après les témoignages conservés. À suivre ces derniers avec notre docilité coutumière nous aurons du moins gagné l’assurance que l’esquisse tracée d’après eux reproduit bien les grandes lignes du modèle. L’historien futur qui, à la faveur de l’expérience accrue des faits sociologiques et du progrès des études indiennes, osera prendre sur lui l’écrasante responsabilité de rédiger sous sa forme définitive la citation à l’ordre du jour de l’humanité de l’une des plus hautes figures de l’histoire universelle approchera sans doute de plus près son modèle et ajoutera plus d’un trait caractéristique à ceux que nous avons réunis : il devra en retenir l’essentiel. Gentilhomme jusqu’au bout des ongles et pur de tout soupçon de charlatanisme ou de fanatisme ; doué d’une force d’âme incomparable et d’une parfaite sérénité ; moraliste austère, mais sans excès, et secourable aux autres ; libre et judicieux penseur, aussi ennemi des métaphysiques oiseuses que des superstitions vulgaires ; fondateur d’une religion tout imbue dans sa secrète désespérance de l’esprit de miséricorde, le Bouddha Çâkya-mouni a été le premier — le premier du moins dont le monde ait tout lieu de se souvenir — à dénoncer dans l’égoïsme du désir la source de la malveillance et de la haine, et à prêcher à ses semblables un infaillible remède à leurs pires misères dans la douceur d’un mutuel amour. Que n’ont-ils mieux écouté sa parole !


  1. DhPC i 12 et XXV 12 ; cf. MVA V 13, 10 et Manual p. 235 s.
  2. BC tib. XXII 47.
  3. Milinda-pañha trad. Finot p. 121 et 124.
  4. DhP st. 93, 197-9 etc.
  5. Rhys Davids Early Buddhism p. 73 ; v. aussi Oldenberg P. 248. Pascal qualifie également la « renonciation totale » de « douce ».
  6. Yâna signifie proprement « moyen de transport » et on le traduit d’ordinaire par « véhicule ».
  7. Constater à ce propos le contraste entre la théorie de Taine et les observations de R. Pischel (p. 78-80) d’une part, et de l’autre celles d’Oldenberg p. 330 s. et d’Irving Babbitt The Dhammapada (New-York et Londres 1936) p. 91 ; les mêmes divergences se marqueront à propos de la morale (supra p. 340).
  8. Cf. supra p. 314.
  9. Supra p. 257.
  10. SN st. 206.
  11. Th. Stcherbatsky, The Conception of Buddhist Nirvâṇa P. 39.
  12. Certains mêmes parlent d’ « absence de casuistique » ; mais alors que font-ils de l’énorme Somme (Abhidharma-koça) de Vasubandhu ?
  13. On peut se reporter sur ce point aux Mémoires de la Dél. arch. fr. en Afghanistan I p. 181-2.
  14. Sur les dharma en question v. BPh p. 104 s. et Th. Stcherbatsky, The Central Conception of Buddhism and the meaning of the word dharma (Londres, 1923).
  15. Nous avons averti dès le début (supra p. 23) que nous ne prétendrions pas restituer le « bouddhisme primitif » ; v. St. Schayer Precanonical Buddhism (Archiv Orientalni VII 1-2, 1935) ; J. Przyluski La théorie des skandha (Rocznik Orjentalistyczny 1928 XIV 1-5), etc.
  16. Supra p. 207.
  17. Cf. Dial. I p. 71 s.
  18. P. Oltramare penche pour la « juxtaposition » loc. laud. p. 172 ; Rhys Davids Buddhism p. 99-102 recourt à un « mystère ».
  19. V. les observatîons de Fausböll dans la préface de sa trad. du SN (S. B. E. X p. xiii) et le mot diṭṭḥi à l’index de son édition p. 182.
  20. Supra p. 167 et 173.
  21. A. de Vigny Jardin des Oliviers.
  22. MVU I p. 246 l. 2.
  23. DhP st. 183.
  24. Sur ces exercices se reporter à Kern Manual of Buddhism, p. 547.
  25. MVA IIs.
  26. MVA V 1, 15 s.
  27. Un vestige subsiste de cette vieille superstition dans le mot âsava qui comporte l’idée de « sécrétion » et dont la suppression est synonyme de sainteté ; v. L. de la Vallée Poussin Morale bouddhique p. 119 s. ; v. aussi ibid. p. 233 et Oltramare P. 99.
  28. Il s’agit des trois mârga ou chemins du karma, du jñâna et de la bhakti.
  29. Majjh.-nik. II p. 195.
  30. SN st. 507.
  31. Cf. SN st. 150-1.
  32. Ittivuttaka p. 19 s.
  33. Saṃy.-nik., III 1, 4 ; cf. BT p. 213.
  34. SN st. 149 ou LV p. 280 l. 6-8.
  35. L’anecdote est contée tout au long dans MVU I p. 320 s.
  36. Nous faisons allusion à la conversion du Nâga Apalâla (AgbG fig. 272-5).
  37. Vie de Jésus p. 41.
  38. nil
  39. Supra p. 264.
  40. SN i 4 et cf. Manual p. 220.
  41. MPS (Dial. p. 171-2).
  42. Supra p. 234-5.
  43. MPS p. 107 et supra p. 302 ; Oltramare p. 101 (d’après Majjh.-nik. I p. 124) etc.