La Vie est quotidienne (Baillon)/05

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Les Éditions Rieder (p. 57-65).

IL Y A DES VOLEURS


Ils ont fait leur « retour à la terre ». Ils sont pleins de bonne volonté. C’est leur première année. Ils n’ont pas encore l’habitude de cette petite ferme au milieu des champs.

Ils sont au lit et, déjà Monsieur sommeille, quand Madame brusquement le secoue par le bras :

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, Marie ?

— Écoute… Écoute donc, Spitz aboie.

Dans la grange, où ils l’enferment pour la nuit, Spitz, en effet, aboie très fort, et il fait une de ces nuits dont les paysans leur ont dit :

— C’est quand le vent hurle comme cela, que les voleurs en auront à vos poules

Ils écoutent un long moment.

— Peut-être devrions-nous aller voir, propose Madame.

— Mais non, tu sais bien, Spitz aboie pour des riens : il aura rêvé.

— Tu crois ?

— Ou bien il aura entendu craquer une branche. D’ailleurs, voilà qu’il s’apaise. Je suis sûr qu’il se rendort. Faisons comme lui. Bonsoir Marie.

— Bonsoir.

Cinq minutes après, Marie ronfle avec confiance et c’est Monsieur qui sursaute. Spitz n’aboie plus : il hurle. On dirait qu’on l’égorge.

Monsieur bondit hors du lit :

— Qu’est-ce que tu vas faire ? s’inquiète Marie.

— Ce que je vais faire ? Mais voir ! Je ne vais pas laisser tuer mon chien.

— Du moins, tu ne t’exposeras pas ?

— Sois tranquille. Allume la lanterne. D’ailleurs, tu viendras avec moi.

— Ah ! fait Marie, qui peut-être ne pensait pas si loin.

Tandis qu’elle s’énerve à fourrer l’allumette dans la lanterne, Monsieur court décrocher son vieux fusil de parade. Quand il y a des voleurs, il sait ce qu’il faut faire. Les voisins l’ont expliqué :

— Ne vous risquez pas dehors : ils vous assommeraient. Faites beaucoup de bruit. Ils n’en demanderont pas davantage.

L’arme chargée à blanc, Monsieur passe le canon à travers le trou du volet, et lâche dans le noir, un formidable coup de feu :

— Boum !

Il laisse le vacarme produire son effet. Spitz instantanément s’est tu.

— Et maintenant Marie, allons visiter les étables.

Elles sont à côté : on y entre, directement, sans « se risquer dehors ». Il passe devant ; il est très crâne. Il sait bien que, s’il y a eu des voleurs, ils ont eu le temps de courir. Il porte le fusil et la lanterne. Madame se colle dans son dos. Pour lui donner du courage il lui a passé un gros revolver :

— Que dois-je en faire ?

— Si tu aperçois un voleur, tire !

Elle le tient des deux mains. Elle ne quitte pas Monsieur d’un seul pas. Si elle tirait, toute la décharge serait pour lui.

— Je ne sais pas ce que j’ai, mais je ne tiens pas fort sur mes jambes.

— Allons toujours !

Dans l’étable aux poules, il n’y a rien. Tassées côte à côte sur leur perchoir, elles poussent cette espèce de gloussement sifflé qu’elles ont toujours quand on les réveille ; quelques-unes tendent le cou, l’œil étonné vers cette lumière qui passe en dessous d’elles.

— S’il était venu des voleurs, dit Marie, elles ne seraient pas si calmes. Rentrons nous coucher.

— Pas encore. Allons voir Spitz.

Spitz loge dans la grange à côté. Roulé en boule dans sa paille, n’a pas du tout l’air d’un chien qu’on assassinait tout à l’heure. Il ouvre à peine un œil, puis il reconnaît ses maîtres et se redresse, flatté de la petite visite qu’ils lui font, au milieu de la nuit.

— Eh bien ! Spitz, qu’y a-t-il ?

— Je dors, dit Spitz, qui se recouche dans la paille.

— Décidément, fait Marie, il aura rêvé. Il n’y a rien. Allons au lit.

Il n’y a rien, en effet, mais puisqu’ils se sont dérangés, Monsieur veut qu’il y ait quelque chose. Avec sa lanterne, il cherche au long des murailles, puis dans les coins où les voleurs se cachent quelquefois, puis derrière une grosse pile de sacs, puis au-dessus de sa tête, vers le toit, dont les araignées, les tuiles sortent, l’une après l’autre, de l’ombre. Il pousse un cri :

— Ah ! Tu vois bien !

— Quoi donc ? s’effraie Marie qui lâche son revolver.

— Là !… Regarde. Je savais bien ! Ils ont voulu passer par là.

— Par où ?

— Là, dans le toit, juste au-dessus de Spitz, cette tuile. Ils l’ont déplacée. Ils ont voulu passer par là. C’est pour cela qu’il hurlait.

— Heuh !… commence Marie qui a l’air de douter.

— Comment heuh ? Mais tu vois bien, la tuile a bougé. On aperçoit le ciel à travers.

— En effet, dit Marie, on voit le ciel à travers.

Mais elle ne parait pas bien convaincue.

Malgré le vent, le coup de fusil a fait grand bruit dans la nuit.

Le lendemain, Alphonse, leur voisin, passe au grand trot, debout, sur sa charrette. Alphonse est meunier, mais, avant tout, chasseur.

— Hé ! hé ! Monsieur. On a braconné un beau lièvre cette nuit ?

— Oh ! non, Alphonse. Des voleurs. Je leur ai tiré dessus.

— Bien fait ! crie Alphonse qui est déjà loin sur sa charrette.

Un peu plus tard, c’est Benoît, son frère, qui mène au pré ses vaches. Benoît n’est pas chasseur, mais il est curieux. Il arrête ses vaches.

— Hu ! ho ! Eh bien, monsieur, vous avez tiré ! Que s’est-il passé cette nuit ?

— Des voleurs, Benoît. Je leur ai lancé du plomb.

— Bien fait, monsieur. Hu ! ho !

À midi, voici Phrasie. Phrasie est la propriétaire. Elle est inquiète pour sa maison depuis que « ces gens de la ville » l’habitent. Que signifie ce coup de feu ? Elle ne voudrait pas avoir l’air, mais serait heureuse d’entrer pour savoir et vérifier en même temps s’ils n’ont pas planté quelques nouveaux clous dans ses murs.

— Eh bien ! monsieur, avez-vous entendu ?

— Quoi donc, Phrasie ?

— Pendant la nuit, ce bruit.

— Sans doute la tempête, Phrasie.

— Non, pas la tempête ! On aurait dit un… coup de fusil, monsieur.

— Ah ! oui, Phrasie. C’est moi. J’ai tiré.

— Vous, monsieur ? Que s’est-il donc passé ?

— Ce qui s’est passé ? Mais entrez donc.

Heureuse d’être entrée, Phrasie écoute d’une oreille et regarde des deux yeux. Monsieur lui raconte tout : Spitz qui aboie, Madame qui se réveille, Spitz qui recommence, les voleurs, le coup de feu, la grange, la tuile.

— Si vous voulez, venez la voir.

Elle ne répond pas :

— Avec plaisir.

Mais elle est tout de suite debout.

— Tenez, Phrasie, regardez là, dans le toit.

Phrasie lève la tête.

Étant la propriétaire, elle connaît les briques, les moellons, les moindres crevasses de sa maison. Elle connaît aussi la tuile. Des voleurs ? Un si petit trou ? Ne serait-ce pas plutôt un méfait du vent qui a soufflé très fort le mois dernier ? Elle le pense ; Monsieur le pense ; Madame le pense aussi qui regarde le trou, avec des yeux candides de communiante.

Pourtant Phrasie hoche très sérieusement la tête :

— Vous avez de la chance, dit-elle. Votre chien est un fameux chien de garde.

— Je vous crois, Phrasie.

— Il nous a sauvés, ajoute Marie.

Et Phrasie qui a revu sa maison, Monsieur qui tient ses « voleurs », Madame qui le voit sourire, ils sont tous trois contents.