La Vie nouvelle/Chapitre XI

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La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 45-46).


CHAPITRE XI


Lorsqu’elle venait à m’apparaître, dans l’espoir de cet admirable salut, je ne me sentais plus aucun ennemi ; une flamme de charité m’envahissait, qui me faisait pardonner à tous ceux qui m’avaient offensé ; et à quiconque m’eût alors demandé quelque chose je n’aurais répondu qu’un mot : Amour, l’humilité peinte sur mon visage. Et quand elle était sur le point de me saluer, un esprit d’amour détruisait toutes mes sensations, et se peignait sur mes organes visuels intimidés, et il leur disait : allez honorer votre dame, et ils demeuraient fixés sur elle. Et qui aurait voulu connaître ce que c’est que l’amour n’aurait eu qu’à regarder le tremblement de mes yeux. Et quand cette admirable me saluait, l’amour ne parvenait pas à cacher mon intolérable béatitude : mais je me trouvais écrasé par une telle douceur que mon corps, qui en subissait tout entier l’empire, se mouvait comme un objet inanimé et pesant, ce qui montrait bien que dans son salut habitait ma Béatitude, laquelle surpassait et dominait toutes mes facultés.