La Vie nouvelle/Chapitre XXIX

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La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 92-93).


CHAPITRE XXIX


Quomodo sedet sola civitas plena populo ? Facta est quasi vidua domina gentium[1].

Je pensais encore à la canzone qui précède, et je venais d’en écrire les derniers mots, quand le Seigneur de la justice appela cette beauté sous l’enseigne glorieuse de Marie, cette reine bénie pour qui cette bienheureuse Béatrice avait une telle adoration[2]. Et, bien que l’on aimât peut-être à savoir comment elle fut séparée de nous, je n’ai pas l’intention d’en parler ici, pour trois raisons : la première est que cela ne rentre pas dans le plan de cet écrit, si l’on veut bien se reporter à la préface (prœmio) qui précède ce petit livre ; la seconde est que, en fût-il autrement, ma plume serait inhabile à traiter un pareil sujet ; la troisième est que, si je le faisais, il faudrait me louer moi-même, ce qui est tout à fait blâmable[3].

Je laisse donc à un autre glossatore de faire ce récit. Cependant, comme dans ce qui précède il a été souvent question du nombre 9, ce qui n’a pas dû être sans raison, et que ce nombre paraît jouer un grand rôle dans son départ, il faut bien que j’en dise quelque chose, et ce sera tout à fait à propos. Je dirai d’abord comment eut lieu son départ, et puis je signalerai plusieurs raisons qui nous montreront que ce nombre 9 lui a toujours tenu fidèle compagnie[4].



  1. Comment se fait-il que paraît déserte une ville si peuplée ? La reine des nations est maintenant comme vide. (Lamentations de Jérémie.)
  2. Commentaire du ch. XXIX.
  3. Il Convito, tratt. I, ch. I.
  4. Qual numero pu a lei cotanto amico. Ce mot amico ne doit pas être pris dans le sens de favorable. Il comporte plutôt l’idée de compagnie habituelle.