La Vie nouvelle/Chapitre XXVI

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La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 87-89).


CHAPITRE XXVI


Cette charmante femme dont il vient d’être question paraissait si aimable aux gens que, quand elle passait quelque part, on accourait pour la voir ce qui me comblait de joie. Et, quand elle s’approchait de quelqu’un, il venait au cœur de celui-ci un sentiment d’humilité tel qu’il n’osait pas lever les yeux ni répondre à son salut. Et ceux qui l’ont éprouvé peuvent en porter témoignage à ceux qui ne le croiraient pas. Elle s’en allait couronnée et vêtue de modestie, ne tirant aucune vanité de ce qu’elle voyait ou entendait dire. Beaucoup répétaient, quand elle était passée : « Ce n’est pas une femme, c’est un des plus beaux anges de Dieu. » D’autres disaient : « C’est une merveille ; béni soit Dieu qui a fait une œuvre aussi admirable ».

Je dis qu’elle se montrait si aimable et ornée de toutes sortes de beautés que ceux qui la regardaient ressentaient au cœur une douceur candide et suave telle qu’ils ne sauraient le redire. Et on ne peut la regarder sans soupirer aussitôt. Tout ceci et bien d’autres choses admirables émanent d’elle merveilleusement et efficacement. Aussi, pensant à tout cela, et voulant reprendre le style de sa louange, je voulus dire tout ce qu’elle répandait d’excellent et d’admirable, afin que non seulement ceux qui peuvent la voir, mais les autres aussi, connaissent tout ce que les mots peuvent exprimer.

Ma Dame se montre si aimable[1]
Et si modeste quand elle vous salue
Que la langue vous devient muette et tremblante,
Et les yeux n’osent la regarder.
Elle s’en va revêtue de bonté et de modestie
En entendant les louanges qu’on lui adresse.
Elle semble être une chose descendue du ciel
Sur la terre pour y faire voir un miracle.
Elle est si plaisante à qui la regarde
Que les yeux en transmettent au cœur une douceur
Que ne peut comprendre qui ne l’a pas éprouvée.
Il semble que de son visage émane
Un esprit suave et plein d’amour
Qui va disant à l’âme : soupire[2] !



  1. Tanto gentile e tanto onesta pare
  2. Commentaire du ch. XXVI.