La Vie rurale/49

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 164-171).

XXIII

CE QUI SE DIT DANS LES BRANCHES

Mille dialogues variés.
aristophane.
(La comédie des Oiseaux.)

Un orage d’été, grêle, foudre, aquilon,
Avait, toute la nuit, roulé sur le vallon.
La blancheur du matin commençait à renaître ;
À ce pâle rayon j’ai rouvert ma fenêtre,
Et me suis accoudé, l’œil tourné vers l’azur.
L’Orient déjà clair annonçait un jour pur,
Et rien ne s’entendait, que ce reste de pluie
Qui tombe des rameaux quand le vent les essuie.

Enfin le jour s’est fait, le radieux soleil
A donné dans les nids le signal du réveil ;
Et voilà qu’aussitôt, des bois et des broussailles,
Du rebord de nos toits, du creux de nos murailles,
De la terre et de l’air, des sillons, des halliers,
Les voix, les cris, les chants sont sortis par milliers :
Bruyante effusion, sans relâche agrandie,
Dont mon oreille était d’abord comme assourdie ;
Mais, en écoutant mieux ce tumulte d’accents,
On finit par trouver à chaque voix un sens.
Ces gazouillements sourds dans les branches fleuries
Ne sont pas de vains bruits, ce sont des causeries ;
Ces mutuels accords, paroles d’amitié ;
Ces cris, à moitié doux, sévères à moitié,
Querelles de l’amour, disputes de ménage ;
Ces murmures railleurs, propos de voisinage.

Vrais oiseaux du bon Dieu, l’œil tourné vers l’éther,
La plupart commençaient par dire leur Pater.
Cela fait, caquetant, voletant à la ronde,
Ils vaquaient sans scrupule aux choses de ce monde.
Les uns, faibles encore, aux grands faisaient leur cour.
Les égaux se jetaient un familier bonjour.
Sur la tuile du mur, une bergeronnette

Appelait sa compagne. Un faucon malhonnête
Disait, en s’abattant sur un pierrot plaintif :
« Vrai Dieu ! l’air du matin est très-apéritif ! »

Deux linots, près de moi, parlaient d’un arbre à l’autre :

« Comment va la santé, cher confrère ?

«Comment va la santé, cher confrère ?— Et la vôtre ?

— Pas trop mal, Dieu merci. Quelle nuit cependant !
Le ciel ne fut jamais plus noir et plus grondant !
Avez-vous de la nue entendu le vacarme ?

— Non ; j’ai dormi tranquille, en sage exempt d’alarme.

— Dites en sourd, confrère. On le devient à moins !
Verdons qui m’écoutez, je vous prends à témoins. »

Un des interpellés, la plume encore humide,
Vint se poser près d’eux, et, d’une voix timide :

« Ah ! pour moi, disait-il, j’ai trop bien entendu
Le terrible fracas. J’en étais confondu.
Peu doué de courage et de philosophie,

À la nuit la plus calme en tremblant je me fie.
L’ombre a pour moi toujours des épouvantements :
Aux moindres voix de l’air dans les rameaux dormants,
À la moindre clarté qui jusqu’à moi pénètre,
La fièvre, j’en conviens, agite tout mon être.
Par une telle nuit, jugez de mon effroi !
Les peureux sont vraiment à plaindre, croyez-moi !

— Ne vous étonnez pas que Dieu vous soit sévère,
Criait un courlis sombre, orateur qu’on révère.
Les vices, les méfaits, multipliés chez vous,
N’ont que trop allumé le céleste courroux.
Bouvreuils à qui je parle, et vous, fauvettes, cailles,
Dieu sait ce qui se passe à l’ombre des broussailles ;
Le diable en rit chez lui, préparant ses fourneaux.
Ne m’interrompez pas : silence aux étourneaux !
Convoitise, paresse et luxure notoire,
Je le dis à regret, souillent mon auditoire.
Les petits passereaux naissent tout pervertis.
Oiseaux, malheur à vous, je vous en avertis.
Si vous ne profitez de l’heure qui vous reste,
Le sort qui vous attend sera le plus funeste :
L’ennemi n’est pas loin, j’aperçois le chasseur ;
Et qui voit le chasseur prévoit le rôtisseur ! »

Tandis que mon courlis prêchait, une alouette
Rêvant à ses amours achevait sa toilette,
Et deux pigeons, posés sur le toit du hangar,
Échangeaient en sournois un langoureux regard.

Un corbeau, se plaçant près du saint personnage,
À sa propre vertu rendait bon témoignage :

« Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. »

Sur quoi ses compagnons le bafouaient en chœur.

Pinsons, chardonnerets, rouges-gorges, mésanges,
Tenaient en même temps mille propos étranges.
Une pie élevait la voix ; un roitelet
Demandait la parole : « Écoutez, s’il vous plaît ;
Tout petit que je suis, j’ai quatre mots à dire. »
Mais, au lieu de silence, on faisait un long rire.

« Il est, près d’une source au limpide miroir,
Une jeune colombe heureuse de s’y voir,
Chantait un oiseau blanc, caché sous la ramée ;
Il est, près d’une source, une colombe aimée.
Du jour où je la vis mon repos fut perdu.

J’ai langui, j’ai pleuré, je me suis morfondu.
Colombe sans pitié, voulez-vous que je meure ?
S’il le faut, du trépas je devancerai l’heure.
Trois chemins au tombeau devant moi sont ouverts :
Je puis sur le roc vif tomber du haut des airs ;
Je puis plonger dans l’onde, une pierre à la patte ;
Manger de certaine herbe, ou de quelque acétate ;
Je puis, je l’oubliais, mourir aussi de faim.
Laquelle de ces morts choisirai-je à la fin ?
Difficulté du choix, cruelle alternative !
Hélas !… dans l’embarras, autant vaut que je vive ! »

Cependant, à son fils, oisillon faible encor,
L’hirondelle enseignait l’art du vol, de l’essor.
Penchée au bord du nid : « Courage, ouvre ton aile !
Vois-tu comme je fais ?… à ton tour, disait-elle.
Lance-toi,… pars…

Lance-toi,… pars…— Hélas ! répondait l’écolier,
Impossible ; je sens la terreur me lier.
Le vertige me prend, rien qu’à voir cet abîme.

— Eh bien, ferme les yeux, enfant pusillanime !
Tu n’as qu’à te laisser tomber de ton seul poids ;

Cela n’est malaisé que la première fois ;
La seconde, on voltige, et la troisième, on plane.
Regarde cet air bleu, ce grand ciel diaphane :
N’en es-tu pas séduit ? songe au plaisir d’aller,
D’explorer cent pays dont on entend parler.
Veux-tu languir, honteux ? vieillir dans ta coquille ?
Il s’agit de l’honneur de toute une famille ! »
La mère, en prononçant cette péroraison,
Tout à coup le poussa du bord de sa maison.
L’oisillon dans les airs tombait à l’improviste.
Il ne fit, au début, qu’une mine assez triste ;
Plongea cinq ou six fois ; enfin, s’aventurant,
Là-haut tout comme un autre il sut tenir son rang.

Écoutons maintenant ce pierrot pindarique
Qui s’est fait, sur le toit, un trépied d’une brique ;
Écoutons ce début de poëte naissant
Que le merle jaloux vient siffler en passant :

« Père du jour, dit-il, auteur de l’harmonie !
D’un moineau qui t’invoque échauffe le génie.
Par toi brillent aux yeux les oiseaux et les fleurs ;
Par toi le grain fourmille et les fruits sont meilleurs ;
Par tes mains allumé, dans les cœurs l’amour flambe.

Inspire, inspire-moi, Phœbus, un dithyrambe.
Et fais mourir d’envie, ô Phœbus-Apollon,
Tous les autres moineaux de ce sacré vallon ! »

Voilà ce qu’un matin, mal éveillé peut-être,
J’entendais dans le bois du bord de ma fenêtre ;
Voilà de quelle sorte, ô bouvreuils, ô pinsons,
Oisif, je m’amusais à noter vos chansons.
Heureux le traducteur qui de vos confidences
Rendrait sans trahison l’esprit et les cadences !
Moi, j’ai fait, j’en ai peur, comme cet écolier
Qui, dans un lourd patois gauchement familier,
Défigurant les vers de Virgile ou d’Horace,
Soulève autour de lui les rumeurs de la classe.