La Vie rurale/52

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 183-187).

LIVRE TROISIÈME



PENDANT

QUE

LES ARBRES S’EFFEUILLENT

I

LA CHANSON D’OCTOBRE

J’ai reparu sur la colline
Dans un nuage aux franges d’or.
Je suis la beauté qui décline ;
Mais, sous mon voile, je devine
Que les cœurs me suivent encor !

Ce n’est plus la fraîche auréole,
Ce n’est plus l’éclat des grands jours ;
C’est la pâleur, déjà plus molle,
D’un front qui se penche et s’isole,
Au souvenir de ses amours.


Adieu les grâces qu’on déploie,
Les beaux romans faits à loisir ;
Adieu l’extase, adieu la joie
D’un cœur qui s’arrête ou se noie
Au bord des coupes du plaisir

Ah ! cet adieu, quand je le chante,
Un feu nouveau brûle mon sein.
La voix du passé, provoquante,
M’irrite, et je suis la bacchante
Qui part pour le coteau voisin.

Évohé ! les défis sans nombre
Se mêlent au chant des buveurs.
Dérobons-nous dans le bois sombre :
Les fruits tardifs, cueillis dans l’ombre,
Ont encor d’étranges saveurs !

L’aurore écartera l’ivresse :
Écuyer, selle mon cheval !
Que la meute à ma voix se presse ;
Je suis l’Automne chasseresse
Qui parcourt la plaine et le val.


Je cours en galant équipage
Aux aventures du chemin ;
Et je ris de mon petit page,
Qui, langoureux dans le tapage,
Aspire à me baiser la main.

Je vais, je viens, fière et meurtrie ;
Puis, enfin, lasse à mon retour,
Je me replonge en rêverie,
Sur ce lit de feuille flétrie
Qui s’amasse au pied de ma tour.

Et maintenant, murmure et pleure,
Vent précurseur des mois glacés.
Je sais une chanson meilleure ;
Et je l’entonne, quand vient l’heure,
En souvenir des jours passés !

Je suis le soir, je suis l’automne,
Tout ce qui brille et va finir.
Dieu nous reprend ce qu’il nous donne ;
Mais, s’il effeuille la couronne,
Il ne prend pas le souvenir.