La Vie véritable du citoyen Jean Rossignol/Amnistie

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APRÈS L’AMNISTIE[1]

Quelques clameurs plus insignifiantes encore, mais non moins perfides que celles auxquelles j’ai déjà répondu, me forcent de proclamer ici quelques nouvelles vérités.

Je devais m’attendre qu’après seize mois de prison la vengeance et la rage de mes ennemis personnels seraient enfin assouvies. J’aurais cru au moins que la lettre solennelle de l’accusateur public du tribunal criminel du département d’Eure-et-Loir, devant lequel j’étais envoyé, et par laquelle il déclarait à la Convention nationale que, n’ayant contre moi aucunes pièces à charge, il lui était impossible de dresser mon acte d’accusation, fermerait la bouche à ceux qui jusque-la en imposaient effrontément au peuple français. Mais non.

Le méchant s’endurcit et ne se corrige jamais.

Dans la séance du 3 brumaire, Baudin annonça à la Convention que des pétitionnaires étaient venus demander ma liberté. Et, en effet, quelques habitants du faubourg Antoine avaient demandé l’admission a la barre, et voici à peu près ce qu’ils y voulaient dire :

« Rossignol est traduit depuis cinq mois devant un tribunal ; l’accusateur public vous déclare que, malgré les recherches les plus étendues, il n’a pu se procurer aucunes pièces sur lesquelles il puisse baser un acte d’accusation. Mais comme ce magistrat est plus que très obéissant, il demande à la Convention ce qu’il faut faire d’un homme qu’il voudrait bien, mais qu’il ne peut accuser.

« Nous qui ne connaissons, ni la chicane, ni l’esprit de parti, nous disons : Rossignol est innocent, puisque le tribunal ne peut pas lui faire son procès et nous vous demandons sa liberté. »

Ce raisonnement, qui prend sa source dans la raison et dans la justice, pouvait-il trouver au sein de la Convention nationale des contradicteurs ?…

Oui. Je vais les indiquer et leur répondre.

Villers. — Rossignol et Daubigny (car on avait aussi, et pour les mêmes motifs, demandé la liberté de Daubigny) sont accusés par la France entière. Si vous avez pour eux de l’indulgence, vous les verrez bientôt à votre barre solliciter des autels pour Robespierre… Je demande l’ordre du jour.

Bourdon de l’Oise. — J’arrive de Chartres ; on accuse Rossignol d’avoir tué d’un coup de sabre un volontaire malade. Les officiers municipaux réclamèrent contre cette atrocité ; Rossignol dit : « Qu’on m’attache ces hommes-là à la queue de mon cheval. » Si cet ordre barbare ne fut pas exécuté, ce ne fut pas de sa faute.

Larévelliere-Lépeaux. — Qu’on aille dans l’Ouest, on verra ces prairies, jadis si fertiles, blanchies maintenant par les ossements des victimes de Bouchotte et de Rossignol…
— Voilà de grands mots et des phrases sonores auxquelles, il faut en convenir, je serais très embarrassé de répondre, si je n’avais ma ressource ordinaire, la vérité, la simple vérité, devant laquelle les menteurs et la qualité de leurs mensonges ne tiennent pas.

Et d’abord, M. Villers, la France entière, dites-vous, m’accuse !… Auprès de qui… et de quels crimes m’accuse-t-elle ? dites-le, je vous en prie ; car l’accusateur public vient aussi de déclarer à la France entière qu’il n’a pas même un seul fait contre moi. Tâchez donc de lui en indiquer quelques-uns ; ah ! je vous assure que vous lui ferez grand plaisir.

Quant à l’indulgence dont vous parlez, je n’ai besoin que de justice ; et si la Convention était composée tout entière d’hommes comme vous, je pourrais craindre de ne l’obtenir jamais, puisque l’ordre du jour est la seule réponse que vous proposiez de faire à ceux qui viennent la réclamer en mon nom.

Vous vous seriez évité la peine de parler des autels que je dois demander à la barre pour Robespierre, si vous aviez voulu vous souvenir que ce fut par l’ancien comité, dont on désignait Robespierre pour le chef, que je fus destitué, et qu’ainsi, d’après les dispositions naturelles du cœur de l’homme, je ne puis pas être son adorateur[2].

Que répondre à Bourdon de l’Oise  ? Ce Bourdon est si accoutumé à mentir que je suis maintenant tenté de croire qu’avant de débiter un mensonge il se persuade à lui-même que c’est une importante vérité qu’il va proclamer.

Quant à ce qui le regarde, je n’ajouterai rien ; mais pour l’invraisemblable fait dont il est ici question je dirai qu’en effet, le 3 brumaire, Bourdon arrivait de Chartres, où, par un abus criminel de ses pouvoirs, il s’était fait apporter chez lui par le très complaisant accusateur Durand, ainsi que ce dernier nous l’a déclaré lui-même, les cartons renfermant les pièces du procès qui m’était intenté ; qu’il a dû se convaincre et qu’il s’est en effet convaincu par ses propres yeux que le fait dont il a eu l’audace de m’accuser ne reposait sur rien, et que, de ma vie, je ne suis entré dans la commune où on prétend qu’il a eu lieu.

Si le délit, dont Bourdon a eu l’audace de me charger, eût été commis par moi, le tribunal n’en aurait pas demandé plus pour dresser mon acte d’accusation ; or le tribunal a déclaré ne pouvoir pas dresser contre moi un acte d’accusation, donc, pour la millième fois, Bourdon est un lâche imposteur.

J’invite Larévelliere-Lépeaux à faire lui-même un voyage dans la Vendée et à fournir la liste des prétendues victimes de Bouchotte et de Rossignol.

Ce n’est pas avec des figures de rhétorique que l’on accuse des hommes qui ont servi franchement leur pays, il faut produire contre eux des faits, et des faits précis.

Oui, sans doute, les plaines de l’Ouest ont été jonchées de cadavres, on pourrait encore, si on le voulait, y trouver ceux des Lescure, des Larochejacquelein, des Talmont, des Marigny, des Delbecq et de tant d’autres chefs des Brigands tombés sous les coups des républicains ; sans doute ce n’est pas sur leur sort que Larévellière-Lépeaux voudrait apitoyer.

Envoyé, comme je l’ai dit, pour détruire les Brigands, si j’ai un regret, c’est de n’avoir pas tué le dernier de ma propre main.

Mais le sang des républicains !… non, le sang de mes frères n’a jamais coulé par ma faute. Toujours à leur tête, bravant comme eux le feu et la mort, si je ne fus pas un savant général, toute l’armée dira, et j’invoque son témoignage avec confiance, qu’il en est peu dont le courage ait été plus ardent et le patriotisme plus pur.

C’est avec des mots et des calomnies qu’on m’a signalé à la République entière comme un mangeur d’enfants ; c’est avec des mots et des calomnies injustifiables que l’on m’a traîné pendant seize mois de cachot en cachot.

Mon existence est un miracle auquel mes oppresseurs ont encore peine à croire, car ils avaient parfaitement organisé contre moi et mes malheureux compagnons d’infortune le système affreux qui pendant si longtemps a fait ruisseler le sang des plus purs républicains.

Si je respire encore, je le dois à la vertu du Peuple.

Je m’honore des persécutions inouïes que j’ai éprouvées : le malheur agrandit l’âme et double le courage.

Fidèle à la Liberté, à la République et au Peuple, c’est peu d’avoir souffert pour eux, je jure de les défendre jusqu’à la mort et je signe mon serment.

Rossignol

Décadi, 30 brumaire an IV (21 noverabre 1795).

(Fin des Mémoires de l’auteur.)
POUR SUIVRE
  1. Le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), la Convention nationale, dans sa dernière séance, vota une proposition d’amnistie et l’abolition de la peine de mort.

    Baudin : J’observe d’abord…

    Ph. Delleville : Avant d’ouvrir une discussion, quelle heure est-il ?

    Une voix à gauche : L’heure de la justice.

    Une autre voix : L’heure de la Constitution.

    Defermont : Je crois que les derniers moments de la Convention ne doivent pas être consacés aux individus, mais à la chose publique ; aux hommes de tel ou tel parti, mais à tous les citoyens qui, dans le cours de la Révolution, ont été attachés aux différentes opinions politiques qui ont régné successivement, et je crois que c’est avec le projet de la Commission des Onze que vous parviendrez à ce but. Je demande qu’il soit discuté avec la plus sérieuse attention.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Quirot : Vos comités en vous présentant cette loi ont eu surtout en vue l’amnistie qu’elle renferme et qu’ils regardent comme le seul moyen de terminer la Révolution. Depuis qu’elle dure, il n’est personne qui ne se soit engagé dans les partis, qui, tour à tour, ont été ou froissants ou froissés. Parmi nous, en est-il un seul qui ait échappé aux dénominations de modéré, de brissotin, de fédéraliste, de terroriste ? Ce prétendu fédéralisme n’a-t-il pas été, aux yeux de quelques gens, un crime digne de mort, et le terrorisme n’a-t-il pas etc poursuivi avec le même acharnement ? Il est temps de mettre un terme à toutes ces haines, d’empêcher que le parti vainqueur n’écrase le vaincu, et qu’il y ait tous les six mois une réaction parce que tel triomphe aujourd’hui qui demain sera poursuivi.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Baudin : La raison publique demandait l’abolition de la peine de mort comme celle de la royauté : c’étaient deux fléaux qui pesaient également sur l’humanité.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Les articles suivants du projet sont adoptés :

    Art. 1er. — À dater du jour de la publication de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans toute la république française.

    Art. 2. — La place de la Révolution portera désormais le nom de place de la Concorde. La rue qui conduit du boulevard à cette place portera le nom de rue de la Révolution.

    Suivent six articles relatifs à l’amnistie d’où sont exceptés les conspirateurs de vendémiaire.

  2. Je fus destitué des fonctions de général en chef par des hommes que l’intérêt de la patrie m’oblige de ne pas nommer : ils ont souffert pour la cause de la liberté, j’oublie leurs torts et mes propres persécutions. Puissent, dans ces moments de crise, tous les patriotes confondre leurs haines et leurs ressentiments personnels dans l’amour de la patrie… Qu’ils se réunissent pour ne se diviser jamais. Oh ! alors quels que soient les efforts et les prétendues ressources de la race impie des royalistes, des prêtres et des infâmes agioteurs, leur règne désolateur est près de finir. L’excès du mal amènera le bien. La République, entraînée par le crime sur le bord de l’abîme, reprendra toute sa gloire, et les républicains toute leur énergie. Gouvernement, si réellement tu veux le bien, souviens-toi que tu ne parviendras jamais à tes fins, si tu ne t’entoures des patriotes, de tous les patriotes, et si tu n’éloignes de toutes les fonctions les aristocrates et leurs lâches partisans, amis naturels et inséparables de Charette et de ses bandes. (N. de l’A.)