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La Ville charnelle/à Gustave Kahn

La bibliothèque libre.
E. Sansot & Cie (p. 181-183).

À GUSTAVE KAHN

Ô Génie africain dont l’âme ensoleillée
pavoisa de lumière les brumes parisiennes,
tu fus sans doute en quelque vie lointaine
un langoureux poète arabe aux yeux mi-clos,
assis, jambes croisées, sous un vieux sycomore,
que le soir remplissait d’un tumulte sonore
d’étoiles et d’oiseaux.

La volage fumée des blondes cigarettes
prolongeait vaguement ta barbiche narquoise,
se mêlant aux nuages pensifs de tes yeux
qui se souviennent des turquoises de la mer.
Avec un lent dandinement de ton torse voûté,
qui fait baller le pompon noir de ton tarbouche,

et la bouche fleurie d’un bonheur qui se cache,
tu chantais la souplesse alanguie des Syriennes
mollement accoudées aux balcons pleins de roses,
sur le Nil qui dorlote un soleil moribond…

Les rayons nuançaient ton visage en triangle,
et ta galabieh de soie couleur pistache.

Sous les minarets bleus que la nuit fauve étrangle,
tu chantais la splendeur des couchants asiatiques,
qui ruissellent d’or liquéfié,
comme de grandioses ruches de miel,
la chair rose du ciel aux sueurs amoureuses
et les folâtres aventures de la Lune
sur le sommeil en fleur des villes orientales !…

Et tu fus le conteur de l’Or et du Silence,
le roi de l’horizon aux cents Palais nomades,
avec dans ta voix grise le chant du muezzin

et dans les yeux l’esprit subtil de Schéhrazade,
ô Génie africain que le sort exila
dans le tohu-bohu des foules parisiennes !…