La Vocation/Première partie/IV

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Paul Ollendorff (p. 34-39).
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IV


Aussi la dévotion de Hans était contagieuse. Il apporta un zèle d’apostolat à faire honorer Dieu dans la maison de sa mère, avec la même assiduité qu’au collège. Il était seulement demi-pensionnaire, c’est-à-dire qu’il rentrait, le soir, à sept heures, soupait et couchait chez lui. Il amena Mme  Cadzand à parer les chambres d’images religieuses comme dans un presbytère. Elle aussi était pieuse autrefois, mais s’était un peu déprise de Dieu après le grand malheur de son veuvage. Y a-t-il un Dieu, un Dieu réellement bon, qui accomplisse de tels desseins ? Dieu jaloux ! Est-ce l’offenser que d’être heureux ? Pourtant aimer aide à croire. Et comment croire si on ne peut plus aimer ? Quand on pleure, on ne voit plus le ciel.

Mais peu à peu l’exemple de son fils l’avait ramenée. On fit quotidiennement la prière du soir en commun. Hans le lui avait demandé. La prière ainsi faite serait bien plus agréable à Dieu.

Une seule voix qui prie, c’est comme un seul cierge devant l’autel. On allume beaucoup de cierges devant l’autel ; il faut que beaucoup de voix, le plus de voix possible, s’unissent, se tressent ; et cela fait alors un grand chemin d’oraisons jusqu’au ciel par où Dieu peut descendre. Ainsi la prière du soir, dans la vieille demeure de la rue de l’Âne-Aveugle, était devenue un vrai petit office familial ; les servantes comparaissaient aussi, s’agenouillaient derrière les maîtres, au fond de la grande chambre du premier étage qui, par les soins de Hans, avait pris un aspect de chapelle.

Durant le mois de mai surtout, le mois de Marie, si clair et si joli ! Une statue de la Vierge occupait le centre de la cheminée, parée comme un autel, comme un reposoir de procession.

Liturgique émotion de ces soirs tièdes : la statue peinte souriait ; des azalées blanches et roses juxtaposaient leurs fleurs qui, dans le léger vent de la fenêtre, remuaient comme des lèvres, semblaient prier aussi ; puis des reliques, du buis bénit, des bouquets de taffetas sous des globes de verre, des images encadrées, des bibelots religieux en vermeil, de la belle dentelle de Bruges disposée en nappe de Sainte-Table sur la cheminée, devant la glace, qui approfondissait, reculait l’artificiel jardin jusqu’à des lointains de grotte magique, des fuites de reflets dans une eau. Hans priait, plein de ferveur. C’est lui qui récitait, à voix haute, le texte des litanies : « Marie, Rose mystique ! Étoile du matin ! Tour d’ivoire ! Porte du ciel ! » Mme  Cadzand et les servantes répondaient chaque fois, à l’unisson : « Priez pour nous ! »

Minutes ineffables où l’on vit déjà d’éternité.

Et dans les intervalles de silence entre les voix, on entendait le crépitement d’une infinité de bougies dont la flamme, à cause de la croisée ouverte, bougeait davantage, faisait ondoyer de grandes ombres sur les murs, sur le plafond de la chambre, laquelle en semblait agrandie et visitée maintenant par une foule anonyme en mantes noires qui s’agenouillait, se déplaçait…