Aller au contenu

La bataille de Denain et la paix d’Utrecht/01

La bibliothèque libre.
La bataille de Denain et la paix d’Utrecht
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 89 (p. 479-512).
02  ►
LA
BATAILLE DE DENAIN

I.


I

Au milieu des malheurs qui affligent la France, si quelque souvenir peut raffermir les courages et rappeler l’espérance dans les âmes, c’est celui des cruelles épreuves auxquelles, en d’autres temps, notre patrie a été soumise, et dont pourtant elle s’est relevée avec éclat. Les dernières années du règne de Louis XIV nous offrent un de ces exemples mémorables. De l’apogée de la puissance et de la gloire, la France était tombée en un abîme de calamités, et le découragement universel avait succédé dans les cœurs à tout autre sentiment. La confiance inébranlable de quelques hommes a soutenu l’honneur national en ces jours néfastes. Le vieux roi s’est montré ferme dans l’adversité, et un vaillant capitaine, avec une poignée de soldats, a rétabli la fortune de la France. La plus redoutable coalition a été brisée, et la passion immodérée d’ennemis aussi puissans qu’habiles a été vaincue. La journée de Denain a sauvé la France, et Voltaire n’a été que l’écho fidèle de d’opinion unanime de son temps lorsqu’il a dit dans le Siècle de Louis XIV : « La France, épuisée d’hommes et d’argent, était dans la consternation. Les esprits ne se rassuraient point par les conférences d’Utrecht, que les succès du prince Eugène pouvaient rendre infructueuses. Déjà même des détachemens considérables avaient ravagé une partie de la Champagne et pénétré jusqu’aux portes de Reims. L’alarme était à Versailles comme dans le reste du royaume… Les infortunes domestiques du roi, jointes aux étrangères et à la misère publique, faisaient regarder la fin du règne de Louis XIV comme un temps marqué pour la calamité, et l’on s’attendait à plus de désastres que l’on n’avait vu auparavant de grandeur et de gloire. L’esprit de découragement généralement répandu en France, et que je me souviens d’avoir vu, faisait tout redouter… Il fut agité si le roi se retirerait à Chambord, sur la Loire… Une faute que fit le prince Eugène délivra le roi et la France de tant d’inquiétudes. »

Telle est la tradition nationale de ce grand drame, à laquelle la critique s’est trop facilement attaquée de nos jours, mais que confirme l’autorité de monumens nouveaux, restés inconnus à nos contradicteurs. La grandeur du péril, l’influence décisive de la victoire sur la pacification d’Utrecht, sont attestées par les documens les plus irrécusables. Dans la terrible crise où se trouve la France aujourd’hui, il y aura peut-être quelque enseignement utile à tirer de l’étude approfondie de cette histoire, dont nous allons reprendre, sommairement du moins, les principaux détails.

Le testament de Charles II avait donné l’Espagne au petit-fils de Louis XIV. La fortune du grand roi était au comble ; il s’en laissa enivrer. Plus d’une faute fut commise, et une terrible coalition s’ourdit contre lui, sous le motif plausible de l’indépendance de l’Europe menacée. Le destin des combats fut d’abord favorable à la France, puis il sembla nous abandonner complètement. Tout le monde connaît les derniers épisodes de cette guerre de la succession d’Espagne. En 1705 advint le désastre d’Hochstædt, à la suite duquel on fut obligé d’évacuer l’Allemagne. La défaite de Ramillies en 1706 eut pour conséquence notre expulsion des Pays-Bas, et la déroute de Turin nous chassa de l’Italie. Alors la guerre fut portée sur les frontières de la vieille France. Toulon fut assiégé, mais résista ; Lille fut prise, et nous perdîmes encore la bataille d’Oudenarde. L’épuisement du pays était extrême, et, la disette s’ajoutant à ces désastres, l’honneur et la grandeur du règne de Louis XIV furent sérieusement compromis.

Abattu par tant de coups répétés, le vieux roi demanda noblement la paix à des ennemis auxquels il l’avait dictée pendant un demi-siècle. La coalition, éblouie par des prospérités inattendues, abusa de la victoire. Elle était dominée, gouvernée par trois hommes éminens par leur habileté, et tous trois animés en secret d’un même sentiment d’hostilité contre la France : j’ai nommé le prince Eugène, Marlborough et le grand-pensionnaire Heinsius. Le premier avait été blessé au vif par Louis XIV ; le second était un des chefs du parti whig en Angleterre, et depuis 1688 ce parti était ardemment prononcé pour la guerre contre la France. Heinsius poursuivait la réparation de l’humiliation imposée à la Hollande dans une guerre précédente. Ce triumvirat était la coalition même ; il avait les pleins pouvoirs des souverains dont il dirigeait les armées. Il dicta les préliminaires, qui furent notifiés à La Haye, en 1709, aux plénipotentiaires du roi. Si Louis XIV les acceptait, on accordait une suspension d’armes. Les conditions de l’armistice étaient que la France reconnaîtrait l’archiduc Charles en qualité de roi d’Espagne, des Indes, de Naples et de Sicile ; on devait remettre à l’empereur Strasbourg, Brisach et Landau. La souveraineté de l’Alsace, sanctionnée par les traités de Nimègue et de Riswick, aurait été réduite au droit de préfecture sur la décapole, et l’on devait céder aux Provinces-Unies Cassel, Tournai, Condé, Lille et autres places de Flandre. C’était l’abaissement et l’humiliation de la France qu’on poursuivait plutôt que le rétablissement de l’équilibre européen, et Burnet, bien instruit des intentions des coalisés, assure qu’ils avaient concerté le dessein d’arriver par l’humiliation du roi au démembrement du royaume.

M. de Torcy revint à Versailles pour prendre les ordres du roi, qui rompit sur-le-champ les conférences de La Haye, et adressa immédiatement aux gouverneurs des provinces une proclamation destinée à faire connaître à la France la conduite qu’il avait tenue, et les exigences odieuses de ses ennemis. Cet appel à la nation produisit le plus grand effet ; malgré les souffrances qu’on endurait, on répondit par le dévoûment qu’inspirent l’amour de la patrie et le sentiment de l’honneur national outragé. Ce ne fut, dit Saint-Simon, qu’un cri d’indignation et de vengeance, mais la fortune trahit la France une fois de plus, et malgré l’héroïsme de notre armée nous perdîmes le champ de bataille de Malplaquet. Accablé par l’adversité, le roi demanda de nouveau la paix. Alors, tout à fait aveuglés par le succès, Marlborough, Heinsius et Eugène ne mirent plus de bornes à leurs prétentions. Ils acceptèrent des conférences qu’ils ouvrirent à Gertruydenberg en février 1710, non pour travailler à la paix, mais comme pour y jouir de l’humiliation du monarque, car aux exigences de La Haye ils en ajoutèrent de nouvelles, plus dures et plus inadmissibles. Si quelquefois on semblait se rapprocher, aussitôt de nouvelles difficultés se produisaient, qui détruisaient l’espérance acquise, et ne laissaient plus aucune chance à la paix. Il y eut un moment où le roi accordait tout ; alors on exigea que Louis XIV chargeât, lui seul et par ses seules forces, de contraindre à main armée la nation espagnole à l’expulsion de son petit-fils et à la reconnaissance de l’archiduc comme roi d’Espagne. Indigné de cette dernière condition, le roi rompit encore les conférences (fin juin 1710), et se jeta de nouveau dans les bras de la nation, qui l’assista d’une inébranlable fidélité en cette crise extrême.

À ce moment venait de tomber en Angleterre le cabinet whig (25 juin 1710), où Marlborough comptait à la fois son gendre, le comte de Sunderland, et le comte de Godolphin, dont le fils avait épousé une autre fille de Marlborough, et un cabinet, tory succédait à ce ministère. C’est sur ce changement d’administration qu’on s’est fondé pour croire que dès 1710 le salut de la France était assuré, et que la victoire de Denain n’avait été que la parure du traité d’Utrecht. Un examen superficiel des faits et des documens a pu seul autoriser cette supposition. Ce qui est certain, c’est qu’on ne s’est pas douté en France en 1710 que le salut du pays fût désormais garanti. C’est après le remplacement de Sunderland par un tory que le roi rompait les conférences de Gertruydenberg. Le secret du changement ministériel était tout entier dans le désir qu’avait la reine Anne de se soustraire à la tyrannie intolérable que la duchesse de Marlborough exerçait sur elle à l’occasion d’une grande charge dont la duchesse était en possession à la cour. Le changement ministériel n’avait donc pour cause qu’une question de personnes, non une question de politique extérieure, et c’est dans ce sens que la reine faisait écrire au prince Eugène par le comte de Gallasch, ambassadeur de l’archiduc, reconnu roi d’Espagne, à Londres. « Je dois dire à votre altesse, écrivait ce diplomate, que la reine m’a envoyé ce matin le duc de Shrewsbury pour me faire dire en toute confiance qu’elle avait résolu d’ôter la charge de secrétaire d’état à milord Sunderland, et comme elle prévoyait que ce changement pourrait faire du bruit et être interprété comme une chose qui pourrait avoir de mauvaises suites à cause que ledit milord appartient si près au milord duc, elle me faisait en même temps prier d’assurer les deux cours, et en particulier votre altesse, que ce changement est purement personnel, et que la reine ne prétend nullement déroger par là à la grande amitié et considération qu’elle a et aura toujours pour milord duc, comme aussi qu’elle aura tout le soin imaginable d’avoir toujours tous les égards nécessaires pour-les conjonctures présentes et le bien de la chose commune. » Dans une autre lettre, le même diplomate disait à Eugène en parlant de la reine : « Votre altesse ne saurait croire quelle est son animosité. Je crois qu’elle laisserait périr dix Angleterres et les quatre parties du monde pour seulement mortifier milady Marlborough et tout ce qui lui appartient. »

Le carnet tory qui, dans les six derniers mois de 1710, remplaça le cabinet whig en Angleterre, avait été lui-même supplanté par ce dernier cabinet au mois de février 1708, et depuis 1704 qu’il avait été au pouvoir, il avait poursuivi avec vigueur les plans de la coalition contre Louis XIV. Il n’avait point conduit les affaires avec la passion dont fit preuve le cabinet whig aux conférences de La Haye en 1709 et aux conférences de Gertruydenberg en 1710, mais il n’avait pas été moins prononcé que les whigs dans la résolution de garder l’alliance de la Hollande et de l’empire contre la France. Aussi dès son retour au pouvoir le cabinet tory fut-il empressé à rassurer sur ce point les alliés de l’Angleterre, et la France ne crut point avoir retrouvé des amis dans ce nouveau ministère. Toute la correspondance diplomatique de l’époque en fait foi.

Dès son avènement aux affaires, lord Bolingbrooke écrivait à M. de Buys, l’un des membres les plus influens des états-généraux des Provinces-Unies, à la date du 24 octobre 1710 : « J’ai toujours envisagé les intérêts de nos patries d’une manière à me faire croire qu’on ne peut les séparer sans les blesser ; c’est une règle qui n’a jamais manqué depuis la fondation de votre république. Quand nos princes ont suivi les véritables intérêts de leur royaume, ils ont été les amis de la Hollande. » Le 7 novembre, on refusait au maréchal de Tallard, prisonnier et malade en Angleterre, la faveur peu dangereuse de rentrer en France sur parole. Bolingbrooke prodiguait ses caresses à l’électeur de Hanovre, passionné contre la France. Peu de jours après, il écrivait à M. de Buys : « Le duc de Shrewsbury et M. Harley (deux membres du cabinet tory) sont fort vos serviteurs, de même que ces autres messieurs qui ont eu l’avantage de vous connaître pendant le séjour que vous fîtes ici. Ils ont continué dans les mêmes sentimens à l’égard de la cause commune et des intérêts de nos deux nations dans lesquels ils étaient dès ce temps-là, et s’ils n’ont pas à l’heure qu’il est les mêmes liaisons ni les mêmes amitiés qu’ils ont eues alors, je puis vous assurer que ce changement n’est pas arrivé par leur faute… Les alliés ont été alarmés quand la reine a trouvé à propos de faire des changemens dans son ministère, et nous savons parfaitement bien les artifices dont on s’est servi pour troubler les esprits. Je veux espérer que ces premiers mouvemens sont passés, etc. » Les mêmes assurances se trouvent répétées dans une autre lettre du 12 janvier 1711, où Bolingbrooke ajoutait : « Vous voyez, monsieur, que, bien loin de négliger la guerre de Flandre, toutes les mesures sont prises, d’un mois ou de cinq semaines plus tôt qu’elles n’ont accoutumé de l’être, pour la soutenir de notre côté ; en effet, les préparatifs extraordinaires des ennemis exigent cela de nous. »

Aussi usa-t-on de grands ménagemens envers les whigs influens. Le duc de Marlborough prêtait le flanc à ses ennemis par sa mauvaise réputation en fait d’argent, et par des actes de concussion aujourd’hui avérés. Il existe une lettre de Louis XIV à M. de Torcy qui est accablante pour la mémoire de ce grand homme de guerre. On ne se permet point de faire de pareilles propositions à l’homme qui est à l’abri du soupçon ; mais les tories n’osèrent se séparer de ce puissant personnage, si nécessaire à l’accomplissement des vues de la coalition. La duchesse fut maintenue même dans sa charge à la cour jusqu’au mois de janvier 1711, et, sans une lettre insolente qu’elle écrivit à la reine, elle y eût été probablement conservée plus longtemps, dépouillée, il est vrai, de toute influence sur les choses et les personnes. Quant au duc, le commandement supérieur des forces anglaises en Flandre lui fut aussi conservé. Enfin l’intérêt de la « cause commune, » comme Bolingbrooke appelait dans toutes ses lettres la guerre contre la France, semblait faire oublier toutes les rancunes.

Le cabinet tory flattait Marlborough, et Marlborough était satisfait du cabinet tory. Le duc dirigea donc la campagne de 1711 en Flandre sous le cabinet tory, comme il avait dirigé les précédentes sous le cabinet whig. Lorsque Marlborough eut forcé les lignes de Villars en août 1711, Bolingbrooke lui écrivait : « J’éprouve la joie que tout homme de bien doit ressentir lorsque l’ennemi commun reçoit un échec, et je jouis en outre du plaisir d’un ami sincère en pensant que c’est l’ouvrage de votre grâce. » Et après la prise de Bouchain, qui avait vivement ému les esprits à Paris et à Londres, Bolingbrooke écrivait encore à Marlborough : « Le courrier m’apporte des nouvelles qui ajoutent à votre gloire et à votre bonheur. J’ai envoyé un exprès à Windsor avec la lettre de votre grâce pour la reine. J’ai donné ordre de tirer le canon de la Tour, et je vous prie de croire que je prends à ce succès toute la part qu’y doit prendre un honnête homme. »

Mais c’était pour le cabinet tory tenter l’impossible que de laisser la direction de la guerre au duc de Marlborough, alors que le gendre de ce dernier et son proche allié Godolphin avaient été écartés du ministère, et surtout après que la duchesse avait si bruyamment provoqué son renvoi de la cour. Et comment d’autre part éloigner un capitaine aussi illustre du commandement des armées ? C’était chose également difficile à l’égard des alliés et à l’égard du peuple britannique. Le cabinet tory fut donc, par la nécessité de se soutenir, amené à désirer la paix. — Il fallait une habileté consommée pour mener une telle partie à travers toute sorte d’écueils et de difficultés. L’homme habile se rencontra dans Henri Saint-John, lord vicomte Bolingbrooke ; mais le succès tenait à la passion de la reine, et si la reine eût abandonné son ministère, ou si elle fût morte avant la paix, en 1712, comme elle mourut un an après, en 1714, le ministère était perdu, toute espérance pacifique avec lui, et les destinées de la France restaient plus que jamais compromises, car l’héritier de la couronne, l’électeur de Hanovre, était aussi prononcé que les whigs pour la continuation de la guerre.

De cette situation naissait donc pour le ministère tory la nécessité d’un double jeu, qui consistait à conduire la guerre avec une résolution apparente, pendant que sous main, et sans se compromettre avec ses alliés, il travaillait pour préparer la pacification. Ce double jeu, devenu désespérant pour Louis XIV, a duré jusqu’à la veille de la bataille de Denain, laquelle a donné ses franches coudées à lord Bolingbrooke, qui ne les avait pas jusque-là, malgré l’événement imprévu, heureux pour sa politique, de la mort de l’empereur Joseph Ier, survenue en avril 1711. Alors même, et quoique l’intérêt européen fût évidemment changé par le péril du cumul des couronnes de l’empire et d’Espagne sur la même tête, Bolingbrooke écrivait à un ministre de l’empereur le 24 juin : « Le plan que vous m’avez envoyé est tout à fait beau ;… mais songeons en premier lieu à pousser une guerre vive dans les endroits où elle est déjà allumée, etc… Par tout ce que le parlement a fait, je ne doute pas que vous ne soyez convaincu que cette bonne volonté ne se ralentira pas… » En effet, loin de ralentir son action contre la France, le cabinet tory avait au contraire imaginé, pendant l’été de 1711, d’envoyer une expédition et une flotte contre les possessions françaises du Canada. On désirait sans doute la paix, mais aux meilleures conditions, et pour cela il fallait réduire la France sur tous les points. Par bonheur, l’expédition contre le Canada échoua totalement, et les vaisseaux anglais ne purent rendre sur le Saint-Laurent les services qu’on en attendait.

La reine Anne participait elle-même à ce double jeu en donnant tout à la fois des assurances aux jacobites contre l’électeur de Hanovre, qu’elle détestait, en écrivant à l’archiduc prétendu roi d’Espagne : « Je ne consentirai jamais à une négociation sans qu’il soit établi et cédé par la France en préliminaire que la monarchie d’Espagne serait rendue tout entière et sans démembrement[1], » assurance qu’elle avait donnée aussi de sa main à l’empereur Joseph, tandis qu’elle autorisait son ministère à faire des ouvertures secrètes à la cour de France pour l’engager à demander de nouveau la paix, promettant d’appuyer cette fois des propositions raisonnables auprès des Hollandais et des impériaux ses alliés. Ces menées diverses produisirent, une situation difficile pour tout le monde ; nous raconterons dans une autre étude les vicissitudes diplomatiques auxquelles elle donna lieu. Tenons pour certain aujourd’hui que le sort des négociations, secrètes d’abord, publiques à la fin de 1711, resta complètement subordonné à la destinée des armes, car on négociait tout en continuant les opérations militaires, et ni le prince Eugène, directeur suprême de ces opérations, ni les, Hollandais, qui lui restaient fidèles, n’entendaient se départir des préliminaires de 1709. Le ministère anglais poussa même, la dissimulation envers la France ou la Hollande jusqu’à renouveler le 22 décembre 1711, par un traité secret dont il a été trop peu parlé[2], le fameux traité de la barrière dont l’avantage exorbitant soutenait l’ardeur des Hollandais dans la coalition, alors que le même cabinet avait signé avec le cabinet de Versailles, le 8 octobre, des articles préliminaires d’abord tenus cachés, mais qui furent le 17 décembre présentés au parlement, où ils soulevèrent un violent orage.

Au mois de janvier 1712, le prince Eugène fit le voyage de Londres pour déjouer les projets de pacification. M. de Torcy a parfaitement connu et raconté les détails de ce voyage, et son récit concorde avec les pièces publiées par M. Arneth ; le prince fut peu satisfait de ses entrevues avec la reine Anne. Les tories lui ménagèrent même des affronts publics. L’électeur de Hanovre prit part à des démonstrations hostiles au ministère, et ce fut un moment de crise pour ce dernier. Eugène ne put le ramener à lui, mais il obtint un point important, à savoir la certitude qu’à l’ouverture de la campagne les troupes étrangères soldées par l’Angleterre désobéiraient aux ordres de la reine, resteraient sous les drapeaux du prince et déconcerteraient ainsi les mesures qu’on soupçonnait avoir été arrêtées avec la France. Toutefois il ne put empêcher que Marlborough ne fût relevé de son emploi de général en chef des forces britanniques[3]. Les relations du ministère avec le duc étaient devenues intolérables. L’irritation des whigs et les progrès de l’opinion favorable à la paix avaient déterminé le cabinet anglais à rompre avec le célèbre capitaine, dont les amis ménageaient si peu les tories au parlement et ailleurs.


II

Ce fut au milieu de ces événemens divers et de ces alternatives de crainte et d’espérance pour l’issue de la guerre que s’ouvrit la mémorable campagne de 1712, où la France allait exposer ses dernières ressources, et de laquelle devait dépendre le sort de notre pays. Des trois grandes puissances coalisées contre nous, une seule était en pourparlers pour la paix, et c’était celle dont le contingent militaire était le moins considérable. Les deux autres puissances, la Hollande et l’empire, restaient debout, menaçantes, pleines d’ardeur, irritées et résolues à user des derniers moyens pour terminer la lutte. À ce moment solennel, la situation militaire de la France restait toujours des plus critiques. Le plan de la coalition et du prince Eugène de Savoie, qui en était l’âme, était depuis longtemps de s’ouvrir la vallée de l’Oise, dont la source remonte aux coteaux des Ardennes, et de marcher sur Paris par cette voie directe, dont la mauvaise place de Guise était la seule défense. Pour couvrir cette vallée et son débouché vers Mons, Villars avait livré une terrible bataille à Malplaquet (11 septembre 1709). L’honneur des armes y fut sauvé, mais la victoire, vaillamment disputée, nous fut ravie, et Villars y fut gravement blessé. Toutefois les pertes du prince Eugène avaient été si considérables, qu’il n’osa continuer ses tentatives sur une trouée si bien gardée. La campagne de 1710, sans être heureuse pour nous, ne fut cependant marquée par aucune entreprise trop menaçante de la coalition ; celle-ci croyait Louis XIV à bout de forces, et, comme elle était épuisée elle-même, elle ne se hâta point. On profita de ses tâtonnemens et de ses lenteurs pour se fortifier. Le prince Eugène poursuivit alors son plan d’invasion par une autre voie ; il avait forcé la ligne de la Scarpe, nous défendions à peine la ligne de l’Escaut et du Sanzet, et il se flattait de pénétrer dans le royaume par des passages qu’il attaquait entre la Lys et l’Escaut. Douai, Béthune, Aire, Saint-Venant, tombèrent en son pouvoir, sans lui offrir pourtant des points d’appui à son gré assez solides pour avancer hardiment, car il voyait à la traverse les places et la ligne de la Somme, et il était obligé de laisser en arrière les places de l’Escaut, de la Sambre et de la Meuse, où nous avions de nombreuses garnisons. Il usa dans ces hésitations la campagne de 1711, et Villars, qui ne s’exposait plus, organisa prudemment une résistance qui tint momentanément l’ennemi en respect.

La campagne de 1712 s’annonçait dans des circonstances nouvelles pour tout le monde. Eugène allait revenir au plan d’attaque de la vallée de l’Oise. La révolution ministérielle d’Angleterre permettait à la vérité d’espérer qu’on détacherait une des puissances alliées, mais cette espérance était chanceuse ; fût-elle assurée, elle n’avait encore qu’une influence très limitée sur les opérations militaires, et, la guerre devant continuer pendant qu’on négociait avec le cabinet anglais, la position restait au fond aussi inquiétante qu’auparavant. C’est ce qui est démontré par le simple exposé des événemens qui se passèrent sur la frontière de Flandre. Le maréchal de Villars y commandait environ 90,000 hommes, non compris les garnisons ; il avait à lutter contre des forces réunies qui étaient plus nombreuses et pourvues d’un matériel plus considérable et en meilleur état. Le duc de Marlborough venait sans doute d’y perdre son commandement, son habileté militaire était d’un grand appoint pour les coalisés ; mais la direction supérieure restait toujours aux mains du prince Eugène, qui était l’arbitre de la situation, et qui, de concert avec le grand-pensionnaire Heinsius, voulait en finir avec Louis XIV, objet constant pour eux d’une haine déclarée et d’un ressentiment profond, que partageait le chef de la maison d’Autriche et de l’empire germanique.

Pendant l’hiver, les hostilités n’avaient point cessé. Toutefois les Français s’étaient bornés à inonder et rendre inabordable le pays qu’ils ne pouvaient défendre. Dès l’entrée en campagne, les coalisés s’appliquèrent à dégager le lit des rivières et à rétablir la navigation, pour assurer leurs convois et faciliter les opérations offensives. Une série de manœuvres, de combats et de marches savantes des deux côtés eut pour objet de préparer le terrain et de garantir les meilleures chances à chacun des belligérans. Dans cette œuvre préparatoire, l’armée française, commandée provisoirement par le maréchal de Montesquiou, ne commit aucune faute et prit de bonnes dispositions ; mais cet habile officier jugeait, au grand mouvement qui se manifestait chez l’ennemi, que ce dernier ourdissait quelque dessein considérable ; les troupes anglaises avaient même pris, pendant ces premiers mois de l’année, une part très active aux diverses opérations de l’armée ennemie. Elles étaient commandées par le duc d’Albemarle, d’origine hollandaise, en attendant le duc d’Ormond, qui avait la confiance plus particulière du cabinet tory.

Le maréchal de Villars, quoique souffrant- encore de ses blessures, reprit le commandement de l’armée de Flandre en avril 1712. À cette époque, le roi venait d’éprouver des malheurs domestiques qui ajoutaient la désolation privée à la désolation publique. Au moment du départ de Villars, les angoisses du roi étaient extrêmes. Le maréchal a raconté lui-même dans ses Mémoires la noble et touchante scène de sa séparation avec le monarque accablé, mais toujours plein de grandeur et de courage. « Le roi, dit Villars, supporta ces malheurs (de famille) avec un courage héroïque ;… mais la première fois que j’eus l’honneur de le voir à Marly, après ces fâcheux événemens, la fermeté du monarque fît place à la sensibilité de l’homme ; il laissa échapper des larmes et me dit d’un ton pénétré qui m’attendrit : « Vous voyez mon état, monsieur le maréchal ; il y a peu d’exemples de ce qui m’arrive, et que l’on perde dans la même semaine son petit-fils, sa petite-fille et leur fils, tous de très grande espérance et tendrement aimés. Dieu me punit, je l’ai bien mérité ; mais suspendons nos douleurs sur les malheurs domestiques, et voyons ce qui peut se faire pour prévenir ceux du royaume. La confiance que j’ai en vous est bien marquée, puisque je vous remets les forces et le salut de l’état. Je connais votre zèle et la valeur de mes troupes ; mais enfin la fortune peut vous être contraire : s’il arrivait ce malheur à l’armée que vous commandez, quel serait votre sentiment sur le parti que j’aurais à prendre pour ma personne ? » A une question aussi grave et aussi imprévue, je demeurai quelques momens dans le silence, sur quoi le roi reprit la parole et dit : « Je ne suis pas étonné que vous ne répondiez pas bien promptement ; mais en attendant que vous me disiez votre pensée, je vous apprendrai la mienne. » ― « Votre majesté, répondis-je, me soulagera beaucoup ; la matière mérite de la délibération, et il n’est pas étonnant que l’on demande permission d’y rêver. » — « Eh bien ! reprit le roi, voici ce que je pense, vous me direz après cela votre sentiment. Je sais les raisonnemens des courtisans : presque tous veulent que je me retire à Blois, et que je n’attende pas que l’armée ennemie s’approche de Paris, ce qui lui serait possible, si la mienne était battue. Pour moi, je sais que des armées aussi considérables ne sont jamais assez défaites pour que la plus grande partie de la mienne ne pût se retirer sur la Somme. Je connais cette rivière, elle est très difficile à passer ; il y a des places qu’on peut rendre bonnes. Je compterais aller à Péronne ou à Saint-Quentin, y ramasser tout ce que j’aurais de troupes, faire un dernier effort avec vous et périr ensemble ou sauver l’état, car je ne consentirais jamais à laisser approcher l’ennemi de ma capitale. Voilà comme je raisonne, dites-moi présentement votre avis. » — « Certainement, répondis-je, votre majesté m’a bien soulagé, car un bon serviteur a quelque peine à conseiller au plus grand des rois de venir exposer sa personne. Cependant j’avoue, sire, que, connaissant l’ardeur de votre majesté pour la gloire, et ayant été déjà dépositaire de ses résolutions héroïques dans des momens moins critiques, j’aurais pris la hardiesse de lui dire que les partis les plus glorieux sont aussi souvent les plus sages, et que je n’en vois pas de plus noble que celui auquel votre majesté est disposée. »

Tout commentaire est inutile après de si belles paroles. Villars n’avait pas été du reste le seul confident des intentions du roi. Le maréchal d’Harcourt avait reçu la même déclaration. Le maréchal de Villars se rendit le 21 avril à Cambrai, où le maréchal de Montesquiou le joignit, et lui remit le commandement. Cet officier, solide et brave, avait obtenu le bâton de maréchal pour sa belle conduite dans la campagne de 1709 ; mais il était incommode et frondeur, et, quoique servant sous Villars depuis longtemps, il vivait dans une médiocre intelligence avec lui. Villars estimait Montesquiou comme officier-général ; seulement, ce dernier n’ayant jamais encore exercé de grand commandement militaire, Villars aurait souhaité, à tort peut-être, d’avoir un second de plus grande autorité, pour le cas où le sort des armes mettrait encore une fois le général en chef hors de combat, comme à Malplaquet. Montesquiou dut en garder quelque ressentiment.

Arras et Cambrai semblaient être alors les points de mire du prince Eugène. Les deux maréchaux français durent s’y concentrer. On se résignait à sacrifier Valenciennes, difficile à secourir en cas d’attaque. Le prince Eugène était arrivé le 28 avril sur la ligne des opérations, précédant des renforts qui lui venaient des environs de Cologne. On pouvait croire qu’il marcherait sur la Censée et sur le Haut-Escaut, où Villars s’établissait avec précaution, inquiet cependant du mouvement offensif de l’ennemi, à cause de la difficulté des subsistances et du mauvais état de l’artillerie française. Il dut se borner là jusqu’à ce que le prince Eugène eût mieux accusé ses desseins ; mais la position n’était pas assez sûre. Villars en rendit compte au roi par la dépêche suivante, datée de Cambrai le 28 du même mois.


« Sire,

« Depuis mon arrivée sur cette frontière, je n’ai vu aucunes lettres de La Haye, d’Utrecht, ni de toutes les places ennemies qui m’assurent la paix avec l’Angleterre ; mais, comme ce n’est pas sur ces avis que je dois me régler, surtout ne voyant pas ces nouvelles confirmées par les ordres de votre majesté, je n’ai omis aucune de toutes les précautions possibles pour n’être pas surpris par un ennemi que j’ai trouve campé en front de bandière… (Détails de mesures stratégiques et locales.) J’ai informé dès mon arrivée M. le duc du Maine[4] et M. Voysin, par plusieurs lettres réitérées, que l’artillerie de votre majesté, que l’on’ m’avait assuré être prête, n’était plus en état de servir ; ce n’est que depuis quatre jours que j’ai pu envoyer 15 pièces de canon au comte de Broglie, et même tirées par les chevaux des vivres. Aujourd’hui nous en avons 50 ébranlées ; mais les chevaux en sont si ruinés par les fatigues de l’hiver et les mauvaises nourritures, qu’il est arrivé déjà deux fois qu’elles sont demeurées à moitié chemin des journées qu’elles devaient faire. Il manque 758 chevaux dont je n’ai aucune nouvelle. Je suis sans pontons, et je n’ai pas, à beaucoup près, le nombre des charrettes nécessaires.

« Votre majesté jugera mieux que personne du péril avec lequel on soutient une attaque de poste quand on est privé de tous ces secours ; elle sait mieux que moi s’il sera au pouvoir du prince Eugène, arrivé sur ces frontières, d’engager une action et de se servir des troupes anglaises. Toutes les troupes des ennemis sont présentement rassemblées entre l’abbaye d’Anchin et Douai… La raison de guerre voudrait que toutes les troupes de votre majesté fussent pareillement ensemble, du moins entre Cambrai et Arras. Ce serait cependant tenir neuf lieues de pays lorsque l’ennemi est en bataille ; mais, comme nous sommes couverts d’assez bons postes, il n’y aurait pas de péril à se tenir dans cette étendue de pays, et c’est ce qui n’est pas même en mon pouvoir, puisque les subsistances me manqueraient bientôt. Tout ce que je puis faire, c’est de faire venir la cavalerie de Doullens entre cette ville et Arras, tirant ses fourrages de Doullens, — de faire venir le camp qui est sous Landrecies, à moitié chemin de Cambrai, tirant toujours de Landrecies, — de mettre la maison de votre majesté au Catelet, tirant toujours de Saint-Quentin, les autres corps tirant de Péronne, Bapaume, Bray et Corbie, et l’infanterie en première ligne.

« Votre majesté ne laissera pas d’être inquiète d’une telle situation quand elle saura son ennemi assemblé ; mais ma disposition est forcée, puisque je serais épuisé de fourrages en six jours, si j’en prenais une autre. Je prends bien toutes les précautions imaginables pour n’être pas surpris par des partis toutes les nuits ; les signaux, des courriers toujours prêts… Si une action générale dépend du prince Eugène, les apparences sont que nous l’aurons…

« J’espère pouvoir gagner le premier poste qui est le meilleur ; mais je nomme l’autre en cas que, par une marche forcée, les ennemis puissent arriver en force devant moi, sur Montenescourt. Si cette action est possible, votre majesté en connaît mieux que personne les conséquences. Qu’elle ait la bonté de jeter les yeux sur l’ordre de bataille et d’examiner si le jour d’un engagement elle ne trouverait pas que MM. les maréchaux d’Harcourt et de Berwick, qui sont présentement inutiles auprès d’elle, puissent être utilement placés dans quatre lieues de pays que tient votre armée. Pour moi, sire, je suis comme les médecins qui, sans se méfier d’eux-mêmes dans les maladies dangereuses, désirent cependant du secours. S’il y a une action, elle sera très importante. Je ne veux pas tromper votre majesté, et il est de ma fidélité de lui exprimer mes besoins… J’apprends dans ce moment que les pontons des ennemis arrivent sur le Moulinet. Le duc d’Ormond est arrivé le 24 à Rotterdam, et un homme… de confiance m’assure que le prince Eugène est depuis deux jours à Douai. Toute l’artillerie de campagne des ennemis est sortie hier de Tournai. On la dit de 150 pièces avec 40 pontons. Voilà les avis que je reçois au moment que je ferme cette dépêche. »


Le roi connaissait trop bien les dispositions des esprits pour faire grand fond sur les espérances de paix, et il le mandait au maréchal le 30 avril même. Il craignait plus, il craignait que les préliminaires ne fussent une raison pour le prince Eugène d’engager une action décisive, et il ne se trompait pas, Il approuva les mesures prises par Villars, et lui conseilla de se tenir en garde contre les surprises de l’ennemi. En effet, il parut bientôt évident au maréchal que le prince Eugène voulait frapper le grand coup, et s’attaquer de nouveau à la trouée de l’Oise, devenue moins difficile à aborder par des opérations secondaires habilement conduites, et dont l’accès lui semblait praticable, à la faveur d’une marche audacieuse, par un chemin nouveau qu’il avait dessein de s’ouvrir sur le plateau situé entre l’Escaut et la Sambre. Poursuivant cette pensée, Eugène emporta, le 4 juillet 1712, Le Quesnoy, situé entre l’Escaut et la Sambre. La prise de cette dernière place, mal défendue par l’officier auquel elle était confiée, porta la terreur dans Versailles. Ce fut bien pis lorsque Eugène eut investi Landrecies, sur la Sambre. De là aux sources de l’Oise, l’ennemi n’avait qu’un pas à franchir, et sur le cours de l’Oise aucune place ne pouvait à cette époque arrêter une armée qui s’avançait résolument sur Paris. L’entreprise d’Eugène n’avait même aucun caractère de témérité, car, s’il laissait derrière lui Cambrai, Valenciennes, Condé, Maubeuge et quelques autres places entre Sambre et Meuse, par compensation il tenait Mons en tête de la vallée de l’Oise, et en cas de revers ou de temps d’arrêt le pays entre la Lys et l’Escaut dont il avait pris les places assurait sa retraite. Aussi était-il plein de joie et d’espérance ; ses manœuvres embarrassaient même le cabinet des tories ; les Anglais semblaient hésiter et multipliaient les difficultés à Utrecht ; les coureurs des Autrichiens s’avançaient jusqu’à Soissons. Les whigs étaient redevenus menaçans et violens ; les tories n’eussent osé signer la paix après un grand succès du prince Eugène, et la santé de la reine Anne leur donnait d’ailleurs de vives inquiétudes. Ils étaient condamnés à tomber du pouvoir avec elle, et on ne saurait douter que, si la reine Anne fût morte en 1712, les whigs et Marlborough n’eussent reconquis la direction des affaires, comme ils le firent plus tard, et ne se fussent alors acharnés avec Heinsius et le prince Eugène à la destruction de la monarchie de Louis XIV. La France depuis deux siècles n’avait donc jamais été dans un plus grand danger. Les courtisans de Louis XIV lui conseillaient derechef de se retirer sur la Loire. Empêcher à tout prix la prise de Landrecies et livrer, s’il le fallait, la dernière bataille de la monarchie, tels furent les ordres précis donnés au maréchal de Villars.

Louis XIV avait alors, à la tête de son cabinet militaire, un officier supérieur du plus rare mérite, modeste autant qu’habile, comme l’avaient été ses deux maîtres, Turenne et Vauban, et dont le nom, malgré les grands services qu’il a rendus, n’est plus aujourd’hui connu que de quelques militaires instruits. C’était M. de Chamlay, à qui le roi avait voulu donner la place de Louvois, et qui l’avait refusée. Je laisse parler Saint-Simon sur ce personnage : « Chamlay, dit-il, était un fort gros homme, blond et court, l’air grossier et paysan, même rustre, et l’était de naissance, avec de l’esprit, de la politesse, un grand et respectueux savoir-vivre avec tout le monde, bon, doux, affable, obligeant, désintéressé, avec un grand sens et un talent unique à connaître les pays, et n’oublier jamais la position des moindres lieux, ni le cours et la nature du plus petit ruisseau. Il avait longtemps servi de maréchal des logis des armées, où il fut toujours estimé des généraux et fort aimé de tout le monde. Un grand éloge pour lui, c’est que M. de Turenne ne put et ne voulut jamais s’en passer jusqu’à sa mort, et que, malgré tout l’attachement qu’il conserva pour sa mémoire, M. de Louvois le mit dans toute sa confiance. M. de Turenne, qui l’avait fort vanté au roi, l’en avait fait connaître. Il était déjà entré dans les secrets militaires ; M. de Louvois ne lui cacha rien ; il y trouva un grand soulagement… Cette capacité, jointe à sa probité et à la facilité de son travail, de ses expédiens, de ses ressources, le mirent de tout avec le roi, qui l’employa même en des négociations secrètes et en des voyages inconnus. Il lui fit du bien et lui donna la grand’croix de Saint-Louis. Sa modestie ne se démentit jamais, jusque-là qu’il fut surpris et honteux de l’applaudissement que reçut la belle action qu’il venait de faire (en refusant l’héritage de Louvois), action que le roi ne cacha pas, et que Barbezieux, à qui elle valut sa charge, prit le plaisir de publier. »

Dans la cruelle extrémité où Louis XIV était réduit, M. de Chamlay soutint les résolutions et le courage du monarque, et fut chargé de la correspondance militaire avec le maréchal de Villars, dont la prodigieuse activité trouvait le temps de courir la campagne tous les jours, d’étudier chaque buisson, chaque pli de terrain, chaque ruisseau, de se montrer partout au soldat, et d’écrire au roi des rapports quotidiens qui, à vingt-quatre heures de distance, mettaient le prince en collaboration constante avec son général en chef, et le tenaient au courant des opérations militaires. Mille rapports partaient aussi journellement et clandestinement du camp de Villars, pour Versailles, où l’inquiétude extrême des esprits disposait à tout écouter, à tout croire, à tout craindre, et multipliait les difficultés de Villars, obligé de répondre à une foule de communications importunes, et par nécessité de service, et par sympathie généreuse pour les anxiétés royales[5]. Jamais chef de guerre n’eut peut-être une aussi grande responsabilité et une tâche aussi rude. Villars, toujours vif et alerte, inaltérable en son humeur, courageux et confiant, savait suffire à tout, quoique souffrant encore de son genou fracassé à Malplaquet.

C’est dans ces circonstances que fut conçue l’idée de l’opération mémorable qui força le prince Eugène, par la prise imprévue de son camp retranché de Denain, à lever le siège de Landrecies, à renoncer à sa pointe sur Paris, à évacuer toutes les places prises depuis la campagne précédente, à repasser la frontière pour rentrer dans les Pays-Bas.

Il est curieux de rechercher à qui appartient la pensée première de l’habile coup de main qui fit tomber Denain en notre pouvoir, inspiration de génie, au succès de laquelle l’opinion unanime des contemporains attribua le salut du royaume, et qui a obtenu l’admiration du plus grand capitaine des temps modernes. Et d’abord comment le prince Eugène lui-même a-t-il pu s’exposer à un si périlleux hasard ?

Le plan d’invasion auquel il s’était arrêté l’obligeait à de grands approvisionnemens de toute espèce. Il avait établi le vaste dépôt de ses munitions, de son artillerie, de ses vivres, à Marchiennes, sur la Scarpe. Le lieu était très bien choisi. La navigation de la Scarpe y facilitait les transports. Au-devant de Marchiennes et du côté de la France, un marais en défendait les abords. A droite était la place forte de Douai, gardée par une forte garnison autrichienne, à gauche était Saint-Amand, protégé par des ouvrages considérables et une forêt qui en défendait les avenues ; mais lorsque le prince Eugène eut porté la conquête et l’agression de la ligne de la Scarpe à la ligne de l’Escaut, il dut se ménager une communication assurée avec ses magasins et dépôts de Marchiennes. C’est ce qu’il fit au moyen d’une chaussée pratiquée à travers le marais dont j’ai parlé, et, au débouché de la chaussée, au moyen d’une double ligne de communication appuyée de retranchemens à droite et à gauche, aboutissant à un camp fortifié qu’Eugène avait établi à Denain, sur l’Escaut, camp retranché qui devint comme le pivot de ses opérations ultérieures. Cette ligne, du village de Sommain à Denain, avait été appelée par les soldats d’Eugène le grand chemin de Paris.

Jusque-là, le camp de Denain et la ligne fortifiée qui le mettait en communication avec Marchiennes étaient inexpugnables, car le prince Eugène les couvrait avec une armée aguerrie et nombreuse qui tenait la campagne, appuyée sur Bouchain et la ligne de l’Escaut. Il n’avait prévu qu’une attaque possible du côté de la garnison de Valenciennes, et il y avait pourvu. L’expérience prouva que la précaution du prince Eugène avait été suffisante de ce côté. Quant au maréchal de Villars, il était à droite, en face, sur la ligne de la Censée, et ne pouvait rien entreprendre d’offensif à ce moment sur la Scarpe ou sur les lignes de Denain, car il se serait mis entre les feux de Douai d’un côté, de Bouchain de l’autre, et une marche d’Eugène sur ses flancs aurait pu le détruire ; mais, lorsque Eugène voulut presser son opération sur l’Oise, il dut s’assurer le plateau du Quesnoy, et de sa personne il se porta en avant, sur la Sambre et Landrecies. Sa ligne de communication avec Marchiennes se trouva dès lors forcément et singulièrement développée. Pour la protéger, il continua la ligne de ses retranchemens au-delà de l’Escaut et se mit à couvert à l’aide de deux petites rivières ravinées perpendiculaires et affluentes à l’Escaut, la Selle et l’Ecaillon, à l’abri desquelles Eugène se dirigea sur Landrecies. Le camp retranché de Denain, qui était naguère à l’extrémité de cette ligne tirée de Marchiennes, et suffisamment couvert par l’Escaut, se trouva désormais au centre de la ligne prolongée et comme à cheval sur le fleuve. C’est alors que le coup d’œil habile d’un Français saisit la possibilité de prendre le prince en flagrant délit d’imprévoyance. Quel fut cet homme intelligent ? . Telle est la question qui se pose aujourd’hui et qui s’était posée pour les contemporains eux-mêmes, parmi lesquels les ennemis de Villars ont attribué tout l’honneur de la manœuvre au maréchal de Montesquiou.

Autant qu’on peut le conjecturer d’après les documens nouveaux, la première idée de cette opération militaire est partie de Versailles et du cabinet du roi. Elle a donc pour auteur Louis XIV ou M. de Chamlay[6] ; mais au moment où elle fut proposée, elle était inexécutable. Elle ne le devint avec avantage qu’au moment choisi par Villars. La correspondance du maréchal nous montre le roi suivant pas à pas, heure par heure, les mouvemens de l’armée de Flandre, et donnant au maréchal, la carte à la main, les instructions les plus intelligentes et les plus sages, en lui laissant toutefois et toujours sa liberté d’action et en lui témoignant constamment la plus entière confiance. Cette correspondance honore singulièrement le roi et le maréchal de Villars, qui s’y montrent animés du plus pur patriotisme, et cherchant avec sollicitude les moyens de sauver l’état ; la noble inquiétude de l’un, le calme inaltérable de l’autre, une simplicité héroïque, un langage élevé, sont les caractères constans de ces dépêches. Louis XIV y paraît ému, impatient quelquefois, mais dominant l’adversité : il ne dissimule point son désir d’une action décisive, ni son ressentiment des outrages que la France et le roi recevaient de l’ennemi ; mais il se contient et se confie, en fin de compte, au jugement de Villars, qu’il reconnaît devoir être l’arbitre de l’action. Quant à Villars, il est modeste, réservé, dévoué, dévoilant toujours le péril avec franchise, et, comprenant la responsabilité qui pèse sur lui, il ne ressemble guère au portrait de matamore vaniteux et vantard qu’en a tracé un écrivain dont il était haï. Selon Saint-Simon, tout le mérite de la combinaison qui aboutit à la bataille de Denain appartient au maréchal de Montesquiou, commandant en second de l’armée française, et le rôle de Villars aurait été pitoyable dans cette grande affaire. Les pièces en main, nous pouvons discuter aujourd’hui le jugement d’un éloquent et ardent ennemi, et rendre à chacun ce qui lui est dû.

L’affaire de Denain est du 24 juillet. Il est important d’en garder le souvenir. Or, dès le 10 du mois de mai et peu de jours après que Villars eut repris le commandement de l’armée de Flandre, M. Voysin, ministre de la guerre, attirait confidentiellement l’attention du maréchal sur les lignes de Denain. « Si les ennemis, disait-il, se portaient assez avant, vous pourriez leur couper cette communication. » Villars envoyait le 14 une longue dépêche où il rend compte de la visite minutieuse qu’il a faite du théâtre de la guerre et des partis divers qu’il y aurait à prendre selon les mouvemens de l’ennemi. Le prince Eugène ne manifestait point encore à ce moment la pensée d’une nouvelle tentative sur la vallée de l’Oise. A Paris, on ne se doutait pas même qu’une pointe par Landrecies fût possible, et la lettre de M. Voysin, du 17 mai, prouve qu’on n’avait pas songé à mettre cette place importante à l’abri d’une attaque. Le 13 juin, M. Voysin écrivait au maréchal : « Le prince Eugène sera bien aise de pouvoir tirer ses convois par Mons, supposé que vous puissiez parvenir à l’empêcher de les tirer par Marchiennes. »

Au mois de juin, lorsque Le Quesnoy eut été investi, le projet d’irruption par l’Oise, apparut clairement, et les craintes de la cour furent très vives. On prescrivit au maréchal de Villars de secourir cette place ou de faire une diversion pour la débloquer. La diversion était du goût de Villars. Il vint le 16 juin reconnaître les environs de Bouchain et les retranchemens que les ennemis avaient élevés entre la Scarpe et l’Escaut, c’est-à-dire -les lignes de Marchiennes à Denain ; mais il jugea que, les ennemis étant à portée de soutenir ces retranchemens avec toutes leurs forces, on s’exposait à les avoir toutes aussi sur les bras. Les sièges de Bouchain et de Douai ne lui parurent pas plus praticables ; il ne vit donc d’autre parti à prendre que celui de risquer une affaire générale. La cour décida qu’il ne fallait pas y penser en l’état des négociations avec l’Angleterre, et tant que le duc d’Ormond n’aurait point séparé du prince Eugène le corps anglais qu’il commandait. Les ennemis purent donc continuer le siège du Quesnoy, et l’on se contenta de donner l’ordre de se défendre jusqu’à l’extrémité au commandant de cette place, qui, quoique en bon état de défense, fut le 4 juillet livrée après une trop courte résistance, et à la grande surprise de Villars et du roi. Les conférences ouvertes avec le cabinet anglais paralysèrent à cet instant, par ordre de la cour, toute résolution vigoureuse de Villars.

Toutefois dans les premiers jours de juillet la cour avait mandé au maréchal de Villars que, pour prendre un milieu entre l’inaction et une bataille dans laquelle on risquerait tout, il pourrait faire attaquer les lignes que les ennemis occupaient depuis l’Escaut jusqu’à la Scarpe. Le maréchal vit encore du péril à cette attaque, et, ne croyant pas devoir s’en tenir à ses propres idées, il prit l’avis du maréchal de Montesquiou et des officiers-généraux les plus expérimentés. Tous convinrent que le projet de la cour était impraticable, en ce que les lignes étaient protégées par toute la droite de l’armée ennemie, ce qui exposait à une perte certaine les troupes qu’on emploierait à l’attaque. Il est donc bien constant, d’après la correspondance militaire de Villars, que, bien avant le 24 juillet, les lignes de Marchiennes à Denain étaient le secret point de mire des manœuvres françaises. La difficulté était de trouver le joint pour les entamer avec certitude de succès, car la monarchie n’était plus en état de supporter un revers.

La considération des Anglais avait empêché de livrer une bataille pour débloquer Le Quesnoy. Après la prise de cette place et en présence de la situation nouvelle qui exposait la vallée de l’Oise à une brusque invasion, le roi ne voulut pas courir le risque de voir le sort du Quesnoy subi par Landrecies, dont l’investissement était déjà prévu. En conséquence, Louis XIV écrivit, le 10 juillet, une lettre fort résolue au maréchal. Le péril de la position y est dévoilé complètement. La suspension d’armes avec les Anglais n’était point encore publiée, mais elle était considérée comme réglée. Cependant le roi mandait à Villars : « S’il arrivait que les ennemis voulussent faire le siège de Landrecies, vous savez quelles sont mes intentions, et je ne puis que vous les répéter… Le retardement de l’arrivée de milord Straford (porteur de l’armistice) pourrait vous jeter dans un embarras que je suis bien aise de prévenir par rapport à l’ordre que je vous donne d’aller attaquer et combattre les ennemis, s’ils font le siège de Landrecies. Les troupes anglaises sont placées de manière que, si elles demeuraient où elles sont présentement, elles couvriraient l’armée qui fait le siège. Il semble que vous ne pourriez attaquer les ennemis sans attaquer aussi le quartier des Anglais… Il faut, en ce cas, qu’après avoir passé l’Escaut, vous fassiez savoir au duc d’Ormond l’ordre que vous avez, le priant de prendre avec les troupes anglaises un poste plus éloigné, afin d’éviter avec ses troupes toute occasion de combattre, et ne rien faire à son égard qui fût contraire à la suspension d’armes, que je regarde comme réglée et convenue, quoique le traité n’en soit pas encore signé. Le duc d’Ormond ne pourrait se dispenser, dans le même esprit, de quitter son quartier ; mais, s’il ne le fait pas, vous ne laisseriez pas de continuer votre marche pour attaquer et combattre les ennemis, au hasard que les Anglais y fussent mêlés, parce que ce serait de leur part un manque de bonne foi, s’ils prétendent se servir de la négociation présente pour couvrir le siège de Landrecies et se mieux assurer de la prise de cette place, en mettant par leur seule présence mon armée dans l’impossibilité de la secourir. »

La suspension d’armes ne fut publiée que le 17 juillet, et le duc d’Ormond, à la tête d’un faible corps d’Anglais, se sépara du prince Eugène. Les troupes étrangères à la solde de l’Angleterre déclarèrent vouloir rester avec les coalisés, et reçurent leur solde des Hollandais, ainsi qu’il avait été convenu à Londres au mois de janvier. Plusieurs Anglais de distinction demeurèrent aussi auprès d’Eugène, et Dunkerque fut livré comme gage des promesses faites par le roi au cabinet britannique. Le maréchal de Villars, considérant le petit nombre de troupes que le duc d’Ormond détachait du prince Eugène (18 bataillons et 2,000 chevaux), trouvait la remise de Dunkerque d’un prix trop élevé pour le médiocre service que rendait le duc d’Ormond au point de vue des opérations militaires. Le prince Eugène demeurait aussi redoutable après la séparation qu’auparavant, et des renforts arrivés des bords du Rhin compensaient amplement la perte de la coopération anglaise.

On avait espéré cependant qu’après la retraite des troupes anglaises l’effet moral produit par cet événement empêcherait le prince Eugène de songer à de nouvelles entreprises. Il n’en fut rien, et ce prince, irrité de ce qu’il appelait la défection, voulant d’autre part relever le courage des Hollandais par un acte audacieux, enflé d’ailleurs par le succès qu’il avait obtenu au Quesnoy d’où il induisait la faiblesse de la résistance française, marcha hardiment sur Landrecies le jour même où fut publié l’armistice avec l’Angleterre (17 juillet), et prit sur le terrain une position qui semblait défier le maréchal de Villars à la bataille ; il se persuadait que si, par un nouveau fait d’armes comme celui du Quesnoy, il s’ouvrait l’entrée du royaume par la vallée de l’Oise, il terminerait la guerre avec avantage sans le secours des Anglais, et que peut-être même il ramènerait la reine Anne aux résolutions de 1709 et de 1710, en montrant à l’Angleterre, si divisée d’opinion, et à un cabinet chancelant la détresse où il croyait réduire la monarchie française.

Cette marche en avant du prince Eugène changea rapidement les rôles de chacun, et détermina la direction respective des deux armées qui étaient en présence depuis le commencement de la campagne, s’observant, s’épiant chaque jour, constamment en éveil sur les moindres mouvemens, concentrées sur un terrain peu étendu, s’abritant de la moindre défense naturelle, et presque toujours en ordre de bataille vis-à-vis l’une de l’autre. En se développant de l’Escaut vers Landrecies, le prince Eugène prolongeait sa ligne d’opération, mais il la protégeait encore par les rives de l’Écaillon et de la Selle, verticales à l’Escaut. Des sources de l’Écaillon jusqu’à la Sambre, ses colonnes, à l’abri de toute insulte, s’appuyaient sur une ligne retranchée parallèle à l’Écaillon, impossible à couper et touchant au camp de Denain, où un corps considérable de troupes, sous les ordres du comte d’Albemarle, assurait la communication du prince Eugène avec son dépôt de Marchiennes. La disposition était telle de la Scarpe à la Sambre, que, malgré l’étendue de neuf lieues sur lesquelles les forces ennemies se déployaient, elles semblaient garanties contre tout hasard, l’armée française paraissant exclusivement appliquée à faire un suprême effort pour défendre Landrecies, qui ouvrait la vallée de l’Oise, laquelle était le grand chemin de Paris. Eugène ne supposait pas une autre conduite ni une autre pensée à l’ennemi qu’il avait en tête.

Il présumait, ce qui était vrai, que Louis XIV ordonnerait à Villars de tout risquer pour venir au secours de Landrecies. Telles étaient en effet les instructions du maréchal. Aussi dès qu’il fut informé de l’investissement de Landrecies, c’est-à-dire le 17 juillet même, ce dernier concentra ses forces pour être prêt à tout, et sa correspondance avec le roi, devenue plus active, accusa plus d’inquiétude. Le 17 juillet, il avait son camp à Noyelles, sur la Censée, d’où l’on pouvait marcher droit sur Marchiennes et Denain, où bien passer l’Escaut en obliquant, pour venir, à la tête de la rivière de Selle, chercher l’armée du prince Eugène. Le 18 juillet, Villars convoqua un conseil de guerre pour recueillir les avis ; ce qui s’est passé dans ce conseil de guerre nous est révélé par un rapport confidentiel très détaillé du marquis de Silly, maréchal de camp dévoué à M. Voysin[7], et dont le témoignage est corroboré par la correspondance de Villars. On y voit, ce qui est triste à dire, qu’en présence de l’audacieuse attaque du prince Eugène et d’une reprise d’hostilités plus vives après la défection anglaise, tandis que l’on avait espéré le contraire, le trouble s’empara des esprits, le découragement pénétra dans les âmes, et le désordre dans les résolutions. Il existe une dépêche de Villars au roi datée de Noyelles le 18. Il a été obligé, dit-il, de lire les ordres du roi pour se faire obéir ; tout le monde avait compté sur la paix, et retournait se battre à contre-cœur. Le même jour 18, Villars écrivait à M. Voysin : « Vous verrez, monsieur, par la lettre que j’ai l’honneur d’écrire à sa majesté, que j’ai été obligé de lire les dépêches à la plupart de MM. les officiers-généraux. Cela était nécessaire. Tous avaient compté sur la paix, et de cette douce espérance on ne retourne pas bien volontiers à l’apparence d’une bataille dont l’extrême conséquence produit bien des raisonnemens. Après cela, si nous en venons à une grande action, je suis persuadé que, le premier coup de canon tiré, tout le monde trouvera son ancienne valeur. »

A Noyelles, on semblait être en excellente position pour faire une pointe sur Denain. La garnison de Valenciennes était encore plus rapprochée de ce dernier poste, et pourtant à Noyelles personne n’a proposé de manœuvrer sur Denain, ni le maréchal de Montesquiou, ni aucun autre. Le secret de l’opération possible était renfermé dans la pensée de Villars et du roi. Quant à Montesquiou, s’il en a connu le projet, ce ne peut être que par les communications du 4 juillet dont j’ai parlé, ou plus tard par des confidences du général en chef en face de Landrecies. Si Montesquiou avait eu, comme l’écrit Saint-Simon, ces instructions particulières de la cour qu’on ne retrouve nulle part, et dont la correspondance de ce maréchal prouve la fausseté, il n’eût pas opiné peut-être, comme il le fit à Noyelles, pour entraîner l’armée vers Landrecies, d’où le retour sur Denain était difficile et périlleux. Le conseil de guerre fut donc d’avis unanime d’aller passer l’Escaut entre Crèvecœur et le Catelet, de marcher vers les sources de la Selle, et de là sur la Sambre, pour y reconnaître et décider quel serait le meilleur parti à prendre. Villars quittait Noyelles avec regret, pour obéir à l’ordre exprès du roi, préoccupé sur toutes choses du péril de Landrecies, et il appréhendait d’aller chercher cette bataille décisive et chanceuse à la fois. Il avait écrit le 17 juillet à M. Voysin : « Je ne sais pas bien, monsieur, quelles seraient les opinions de plusieurs, s’il n’y a pas de bataille ; mais, si je les recueillais présentement, je vous assure que mettre tous ses œufs dans un panier est une phrase qui bourdonne fort à mes oreilles. » Cependant le maréchal se rendit à l’avis du conseil de guerre, et le 19 juillet, c’est-à-dire le lendemain, il décampa de Noyelles et passa l’Escaut au lieu convenu. Le 20 au matin, le quartier-général était à Cateau-Cambrésis, la haute Selle en face du camp. A la vue de ces mouvemens, le prince Eugène ne douta plus que Villars ne voulût débloquer Landrecies, et il marcha vivement de son côté en remontant l’Ecaillon, et s’éloigna d’autant de l’Escaut pour se rapprocher de la place assiégée, autour de laquelle il fit achever avec rapidité, des lignes de circonvallation, et perfectionner des retranchemens bien garnis de canons, pour protéger le corps d’armée qu’il amenait sous la place au secours des troupes assiégeantes.

Mais sous la tente de graves réflexions agitaient le maréchal. Il avait reçu le 19 juillet une lettre du roi datée du 17, écrite au moment même où Landrecies était investie, mais dans l’ignorance de cet événement, et dans cette dépêche mémorable Louis XIV disait à Villars : « Ma première pensée avait été, dans l’éloignement où se trouve Landrecies de toutes les autres places d’où les ennemis peuvent tirer leurs munitions et convois, d’interrompre leur communication en faisant attaquer les lignes de Marchiennes, ce qui les mettrait dans l’impossibilité de continuer le siège ; mais, comme il m’a paru que vous ne jugez pas cette entreprise sur les lignes de Marchiennes praticable, je m’en remets à votre sentiment par la connaissance plus parfaite que vous avez étant sur les lieux, et je ne puis que vous confirmer les précédens ordres que je vous ai donnés pour empêcher le siège de cette place et combattre les ennemis par les endroits que vous jugerez plus accessibles, pendant qu’ils viendront pour s’établir devant la place… »

L’attaque des lignes de Marchiennes était donc secrètement discutée depuis plusieurs jours dans la correspondance confidentielle de Villars et du roi. L’avis négatif et provisoire du maréchal se justifiait par la crainte d’une action périlleuse, où toute l’armée du prince Eugène, cantonnée sur l’Escaut, pouvait être engagée avec un grand avantage de position contre nous, puisqu’elle nous aurait pris en flanc ; mais la marche d’Eugène en amont de l’Ecaillon et la prolongation de ses lignes vers la Sambre et Landrecies allaient changer les chances, toujours périlleuses cependant, de l’opération sur Denain, dont on voit bien que l’idée première était partie de Versailles et du cabinet du roi, pour être exécutée à la vérité dans de moindres proportions.

En effet, le même jour 17 juillet, M. Voysin écrivait au comte de Broglie, qui fut plus tard le maréchal de Broglie, second du nom, alors lieutenant-général, commandant la réserve de l’armée française campée dans les environs de Noyelles, et officier de la confiance intime du maréchal de Villars, une lettre particulière dans le même sens que celles de Louis XIV à Villars, Cette dépêche est ainsi conçue :

« On prétend que le prince Eugène doit se déterminer ces jours-ci à faire un nouveau siège, de Landrecies ou de Maubeuge. Je vous supplie de me mander si vous jugez qu’en faisant le siège de Landrecies ils puissent toujours conserver leur communication à Douai par Marchiennes, pour en tirer leurs convois et munitions de guerre, ce qui est fort éloigné de Landrecies, et il est néanmoins bien difficile qu’ils les puissent faire venir d’ailleurs, n’ayant rien de plus près que nous, s’ils ne tirent pas de Douai. S’il était possible dans ce grand éloignement d’attaquer leurs lignes de Demain pour couper la communication, ce moyen paraîtrait le plus assuré et le moins hasardeux pour les obliger à lever le siège, et vous feriez bien d’en écrire vous-même à M. le maréchal de Villars et de lui en envoyer un projet, lui marquant le nombre de troupes dont vous auriez besoin, de quelle manière et en quel temps il devrait les faire marcher pour vous les envoyer et en ôter la connaissance aux ennemis. Comme il doit passer l’Escaut avec l’armée du roi, lorsque les ennemis s’approcheront de Landrecies, il me semble que dans ce mouvement général de l’armée du roi la contre-marche que feront quelques brigades par les derrières pourrait aisément être cachée. Le roi ne veut point laisser prendre Landrecies, comme on a fait du Quesnoy, et sa majesté hasardera plutôt une bataille pour secourir la place que de ne rien faire du tout. C’est pour cela que je vous prie d’examiner s’il serait possible d’empêcher le siège, en interrompant cette communication du camp de Douai. »

On n’a pas, au dépôt de la guerre, la réponse de M. de Broglie, qui ne paraît pas avoir été favorable, en ce moment du moins, à une diversion sur Denain. Dans la pensée du ministre, c’eût donc été le comte de Broglie qui, avec les réserves de l’armée, aurait pu tenter de couper les lignes de Marchiennes, pendant que le corps principal de l’armée française, sous le général en chef, se portait en avant sur Landrecies, et cette circonstance expliquerait le silence gardé dans le conseil de guerre de Noyelles. En somme, il est avéré que le roi et Villars avaient l’œil ouvert sur Denain bien avant le 24 juillet, et l’on ne s’explique pas que le prince Eugène s’y soit laissé prendre. Les dépêches de. Versailles dont je viens de parler se sont croisées avec le mouvement de Villars sur la Sambre, et ne lui sont arrivées que lorsqu’il était déjà sur le plateau où la Selle prend sa source. Dans cette position, il reconnut et fît savoir à Versailles, après avoir pris l’avis de ses principaux officiers-généraux, que la nature des lieux rendait toute attaque difficile, et qu’on ne pouvait aborder l’ennemi qu’en engageant une action générale, où l’on aurait contre soi la disposition du sol, et le maréchal jugeait ne devoir point s’y commettre sans l’agrément du roi, il demandait prudemment de nouveaux ordres. Le roi craignit que Villars ne différât trop d’agir, de quelque manière que ce fût, et que les ennemis ne profitassent de cette hésitation. Il répondit donc le 21 juillet (la lettre de Villars était du 20) pour lui expliquer de nouveau ses intentions sur la nécessité de débloquer Landrecies et sur la liberté, qu’au demeurant il laissait au maréchal, d’employer les moyens qui lui sembleraient les plus praticables. Voici cette dépêche solennelle et hâtive du 21 juillet, datée de Fontainebleau :

« J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite d’hier au soir, par laquelle vous marquez que la nature du terrain que vous avez été reconnaître ne vous permet pas d’attaquer les ennemis en-deçà de la Sambre, et qu’en passant cette rivière avec mon armée entière vous vous trouverez dans la nécessité d’engager une action générale que le comte de Coigny vous a dit ne pouvoir être donnée qu’avec désavantage par la nature du lieu, et vous demandez mes ordres. Je ne crois pas pouvoir mieux m’expliquer que j’ai fait par mes lettres précédentes. Mon intention n’est pas de vous engager à faire ce qui est impossible ; mais, pour tout ce qu’il est possible d’entreprendre pour secourir Landrecies et empêcher que les ennemis se rendent maîtres de cette place, vous devez le faire. Votre lettre n’explique point en quoi consiste le désavantage qui peut se trouver en attaquant les ennemis entre la Sambre et le ruisseau de Prisches. Je suis persuadé, que les ennemis ne manqueront pas de profiter du temps que vous leur donnez, et la chose demande une détermination plus prompte. Vous pourriez également prendre votre parti sur mes précédentes lettres, que je ne fais que vous, confirmer par celle-ci, sans demander de nouveaux ordres, le suis persuadé que vous n’omettrez rien, dans toutes les meilleures dispositions qui peuvent se prendre, pour le succès d’une chose aussi importante. Vous ne m’avez point mandé si toute l’armée des ennemis s’était rassemblée. Le sieur de Tingry (qui commandait à Valenciennes) pourrait profiter de ce temps pour attaquer les postes de communication des ennemis du côté de Marchiennes, qui seront apparemment bien dégarnis. Le marquis de Saint-Frémont pourrait aussi faire paraître quelques détachemens vers le côté de Maubeuge pour donner de l’inquiétude aux ennemis, dans le temps que vous voudrez les attaquer. Enfin c’est à vous à déterminer et le temps et le lieu de l’action et à prendre tous les meilleurs arrangemens pour y réussir. »

La dépêche du roi se croisait avec une lettre que l’actif maréchal adressait, ce même jour 21, du Cateau, au ministre Voysin, et qui détruit les suppositions malveillantes de Saint-Simon. La voici : elle est digne qu’on s’en souvienne pour l’honneur de Villars. « J’ai employé toute la journée, monsieur, à examiner, et moi-même et par d’autres, tous les endroits par où l’on peut attaquer les ennemis. C’était MM. d’Albergotti, Geoffreville et de Coigny qui étaient auprès de moi, lorsque j’eus l’honneur d’écrire, hier au roi. J’ai prié ces messieurs d’aller reconnaître eux-mêmes tout ce qui pouvait nous rendre une attaque possible en passant la Sambre. M. de Coigny la croyait plus difficile ; néanmoins il est persuadé, aussi bien que M. de Geoffreville, que l’on peut y donner une bataille avec un avantage assez égal. (Le reste de la lettre est chiffré, ce qui prouve l’importance que Villars attachait au secret dont il s’agissait. On peut croire qu’il rappelait au roi que c’était sa dernière bataille.

« J’ai été voir d’un autre côté, ajoutait-il, comment nous pourrions attaquer le camp de Denain, à quoi l’on n’a pu songer que dans le temps que nous éloignions l’armée ennemie de l’Escaut, car, lorsqu’elle y avait sa droite, on ne pouvait le tenter avec aucune apparence de succès. Je compte donc faire demain toutes les démarches qui pourront persuader l’ennemi que je veux passer la Sambre, et je tâcherai d’exécuter le projet de Denain, qui serait d’une grande utilité. S’il ne réussit pas, nous irons par la Sambre. Je suis assez bon serviteur du roi pour garder la bataille pour le dernier. Elles sont, comme vous savez, dans la main de Dieu, et de celle-ci dépend le salut ou la perte de l’état, et je serais un mauvais Français et un mauvais serviteur, si je ne faisais les réflexions convenables. »


Le lendemain 22, Villars mandait à M. Voysin une nouvelle dépêche qui dut augmenter les anxiétés de Louis XIV, et qui prouve combien étaient mobiles les péripéties de la situation :


« J’avais l’honneur de vous mander hier, monsieur, que je devais faire attaquer le camp retranché de Denain : c’était à M. le marquis de Vieux-pont et au comte de Broglie que je donnais cette commission ; le premier avait déjà reconnu la marche et fait ses dispositions. M. de Tingry (commandant de Valenciennes) devait aussi agir de son côté ; mais, sur une de ses lettres écrite ce matin, ces deux messieurs ont jugé l’entreprise impossible. J’en suis très fâché ; mais, quand ceux-là refusent, je n’irai pas offrir cette commission à d’autres. Cette affaire ne pouvant s’exécuter, j’ai marché à la Sambre ; l’armée la passera dès que tous les ponts seront préparés. Les ennemis ont marché dès qu’ils nous ont vus ébranlés ; ils ne nous ont pas cherchés dans les plaines de Cambrai. Il est possible qu’ils en usent de même ici, et en vérité les situations leur sont bien favorables… Je ne vous dépêcherai pas de courrier demain, s’il ne se passe rien qui le mérite. »


Évidemment Villars voulait se ménager sa liberté complète pour cette journée du 23 où il devait prendre une résolution décisive. Après avoir expédié sa dépêche au ministre, il donna l’ordre de la marche sur la Sambre, ce qui fut exécuté. Les nouvelles qu’on eut alors des ennemis annoncèrent qu’aussitôt que le prince Eugène avait été informé du mouvement de l’armée du roi, il avait mis la sienne en bataille et renvoyé ses équipages à Marchiennes.

La cour ignorait ces divers faits et le mouvement stratégique de l’armée française, lorsqu’elle reçut la dépêche de Villars, datée du 22 et annonçant le projet d’expédition sur Denain. On ne se rendait pas un compte exact, autour du roi, de la lutte qui se produisait dans l’esprit du maréchal en présence des partis à prendre, des accidens survenus brusquement dans ces positions, et de la responsabilité formidable qui s’accumulait sur le général en chef. Villars ne pouvait à chaque moment dépêcher des courriers, indiquer les variations des choses, envoyer des plans des lieux et transmettre la confidence de ses embarras. Cette nécessité même qu’il s’était imposée d’écrire tous les jours était une gêne singulière pour lui, car chaque heure détruisait les impressions de l’heure précédente, et le lendemain effaçait les résolutions de la veille. Aussi cette dépêche du 22 parut-elle à la cour accuser de l’hésitation en présence d’un immense péril. A l’instant même où il recevait la dépêche de Villars, le 23 juillet, le ministre de la guerre adressait au maréchal une lettre qui n’est heureusement arrivée à son adresse que le 24 au soir, le jour même où s’était accompli le triomphe de Denain. Cette lettre est l’expression fidèle de l’inquiétude suprême qui régnait auprès de Louis XIV à cette heure critique dont chacun appréciait les dangers :


« J’ai rendu compte au roi, lui disait le ministre, de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 21 de ce mois. Je crois ne pouvoir me dispenser de vous dire, comme votre serviteur et de vos amis, que la première réflexion que le roi a faite sur cette lettre a été que vous vous trouviez en état de prendre un grand avantage sur les ennemis, en cherchant à les attaquer et à les combattre de l’autre côté de la Sambre. Vous convenez que M. le marquis de Coigny et M. de Geoffreville ont trouvé que, par la disposition du terrain, il y avait assez d’égalité pour le combat entre les deux armées, et vous devez être fort supérieur en. nombre de troupes, puisque celles des ennemis ne sont pas rassemblées (M. Voysin semble avoir été dans l’erreur sur ce point).

« Vous songez à faire attaquer le camp de Denain ; il faut nécessairement que le prince Eugène y ait laissé un nombre de bataillons assez considérable ; il y en a encore à Marchiennes, et ces bataillons, dispersés dans l’étendue de sept lieues, ne sont point à portée de joindre l’armée que vous auriez à combattre. « Je souhaite fort que votre dessein sur le camp de Denain réussisse promptement ; mais, si cela manquait, vous auriez peut-être grand regret, dans la suite, d’avoir donné aux ennemis le temps de rassembler toutes leurs troupes, d’établir quelque poste de l’autre côté de la Sambre, où vous croyez pouvoir les attaquer. Le principal objet du roi est d’empêcher qu’ils ne se rendent maîtres de Landrecies, et, si vous y réussissiez en attaquant le camp de Denain, vous y auriez honneur, et sa majesté serait très contente. Mais si, après toutes les réflexions que vous faites, Landrecies se trouvait pris, il semble que vous en prenez sur vous, l’événement et toutes les suites. Toutes vos lettres sont pleines de réflexions sur le hasard d’une bataille ; mais peut-être n’en faites-vous pas assez sur les tristes conséquences de n’en point donner, et de laisser pénétrer les ennemis dans le royaume. Il me semble, à vous parler naturellement, qu’après les ordres réitérés de sa majesté les plus fortes réflexions du général, doivent être pour bien faire ses dispositions et profiter des momens. Je crois vous faire plaisir de vous parler avec cette liberté. Le roi, après avoir entendu la lecture de votre lettre et après avoir fait la réflexion que je viens de vous, marquer, m’a dit qu’il attendait votre courrier. Ce ne serai pas sans quelque espèce d’inquiétude. »


Le camp retranché de Denain était enlevé lorsque cette dépêche fut rendue dans les mains du maréchal de Villars ; mais on voit par sa lettre du 24, après la, victoire, combien il avait été sensible à cette manifestation chagrine, et le 25 il mandait à M. Voysin : « Je ne répondrai point exactement, monsieur, à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 23, par la quantité d’affaires que j’ai ; la journée et la nuit sont trop courtes. Il me sera très aisé de faire voir bien clairement ; qu’à moins de vouloir exposer l’armée ; du roi à une perte très apparente, il n’a jamais pu être fait ce que Dieu nous a fait la grâce d’exécuter heureusement, car mes retardemens étaient pour attirer l’ennemi dans les plaines de Cambrai, et peut-être y serait-il venu sans les avis très certains qu’a eus M. le prince Eugène que mes ordres, étaient de secourir Landrecies, ce qui ne se pouvait, y arrivant, même deux heures après l’ennemi, sans un grand hasard d’être battu. »

Que s’était-il passé au camp de Villars et dans l’esprit du général en chef pendant, cette journée du 23 juillet, à l’aube de laquelle il semblait qu’on allait attaquer sur la Sambre, et au couchant de laquelle on marchait ; rapidement à l’opposé sur l’Escaut et sur Denain ? Nous n’avons, pour répondre à cette question, que la relation de Villars lui-même dans ses Mémoires. Il n’a rien dépêché à la cour en cette journée ; il la passa tout entière à cheval, en reconnaissances et en conférence avec ses officiers les plus affidés. Ayant reconnu les dangers d’une grande bataille et se souvenant, de Malplaquet, il prit sur-le-champ, et sur l’avis conforme du maréchal de Montesquiou, le parti décisif d’une marche sur les lignes de Marchiennes, non plus cette fois par un grand détachement, comme la chose avait été projetée plusieurs fois, mais par l’armée tout entière, ce qui était plus difficile, mais aussi d’un résultat plus certain. En effet, l’exécution de la marche sur Denain par l’armée tout entière est ce qui donne à l’opération son caractère propre au point de vue de l’histoire militaire. L’entreprise si périlleuse par détachement, telle que M. Voysin la demandait au comte de Broglie, n’eût opéré qu’une diversion pour débloquer Landrecies, et n’était qu’une menace pour les communications. L’attaque par l’armée française tout entière était plus hardie, parce que la manœuvre s’opérait à la vue de l’ennemi, mais le succès promettait la ruine des coalisés ; elle devait emporter d’emblée un camp retranché protégé par une force imposante et par l’Escaut. Villars n’y fut point trompé, et le 24 juillet il adressait au roi, du champ de bataille même, la dépêche suivante portée par M. de Nangis, officier-général très distingué, en qui Villars avait toute confiance :


« Après plusieurs nouvelles pénibles à votre majesté, j’ai au moins la satisfaction de lui en apprendre une agréable. M. le marquis de Nangis aura l’honneur de lui dire que le camp retranché de Denain a été emporté après une assez vigoureuse résistance… Je n’ai point donné de ces batailles générales qui mettent un royaume en péril ; mais j’espère, avec l’aide de Dieu, que le roi retirera d’aussi grands avantages de celle-ci. Milord Albemarle a été pris, le comte de Nassau tué, deux lieutenans-généraux pris, deux maréchaux de camp, plusieurs autres officiers principaux, le prince d’Anhalt, ont été faits prisonniers. — Les troupes de votre majesté ont marqué une valeur extrême ; je ne puis assez m’en louer. — M. le maréchal de Montesquiou a donné tous les ordres avec beaucoup de fermeté. M. d’Albergotti a montré son courage ordinaire. MM. de Vieuxpont et de Broglie, qui commandaient les premiers détachemens, MM. de Breudlé et de Dreux, et M. le marquis de Nangis, M. le prince d’Isenghien, M. de Mouchy, méritent tous de très grandes louanges, aussi bien que le major-général… Si j’en dois croire M. d’Albemarle, M. le prince Eugène n’a qu’à se retirer par Mons… »


La dépêche du 25 au roi était aussi laconique. Elle était accompagnée d’un rapport détaillé de M. de Contades, major-général.


« J’ose assurer votre majesté, dit Villas, que ce que l’on a fait était certainement tout ce qui pouvait arriver de plus heureux… Il me sera toujours très aisé de prouver très clairement à votre majesté que pour Landrecies, à moins de m’y poster le premier, en abandonnant Cambrai et Arras, je n’ai jamais pu y combattre qu’avec apparence de la perte de l’année de votre majesté. J’ai eu l’honneur de lui mander que le marquis de Coigny a reçu l’ordre, le moment après l’action, d’aller sur l’Oise. »


Cette dépêche montre bien quelles étaient les préoccupations de Versailles pour la vallée de l’Oise qu’ouvrait Landrecies, quels étaient les ordres de la cour pour débloquer cette place à tout prix, et combien Villars a dû prendre sur lui pour se porter brusquement sur Denain, sans ordre nouveau du roi. Cette dépêche du 25 est la démonstration de la détermination spontanée du maréchal de Villars.

Le maréchal n’a point envoyé de relation officielle de la journée de Denain. Il se contenta d’écrire, avec un peu d’humeur peut-être, les deux dépêches qu’on vient de lire, et d’expédier au roi l’un de ses plus intelligens officiers-généraux, le marquis de Nangis, pour en exposer tous les détails. Il n’existe donc pas au dépôt de la guerre de rapport de Villars sur la bataille, et il est à remarquer qu’aux archives de Vienne, et dans les papiers du prince Eugène, il n’existe pas non plus de rapport spécial du général autrichien sur l’affaire de Denain. Ce n’est même que dans un post-scriptum de quelques lignes que le prince Eugène en a donné la nouvelle à sa cour[8].

À défaut du rapport officiel de Villars sur la journée de Denain, nous avons une dépêche du roi répondant aux lettres du maréchal des 24 et 25 juillet, laquelle pourrait tenir lieu du rapport lui-même, car le roi s’y plaît à retracer tous les détails de l’action qui lui ont été donnés par M. de Nangis. De cette dépêche, comparée avec le récit qu’on lit dans les Mémoires de Villars, publiés, comme on sait, par Anquetil d’après les notes, rédactions partielles et documens de tout genre laissés par le maréchal[9], on peut tirer une relation qui sera l’expression de la vérité, puisqu’elle est appuyée par toutes les pièces justificatives conservées au dépôt de la guerre. Il est donc avéré que ce fut le 22 juillet même, après avoir reconnu l’impossibilité d’une attaque avantageuse des lignes du prince Eugène à Landrecies, qu’examinant sérieusement la situation, avec le maréchal Montesquiou, ce dernier lui-même revint au projet de marcher sur Denain, et que les deux maréchaux concertèrent ensemble l’exécution de l’entreprise. Une rapide marche de nuit, sans repos ni sommeil, et une audacieuse attaque le lendemain, devaient décider du sort de la France. « Nous n’appelâmes à notre conseil, dit Villars, que les officiers de détail (d’état-major) qui nous étaient absolument nécessaires : Contades, Puységur, Beaujeu, Monteviel et Bongard. Le succès dépendait de tromper si bien le prince Eugène, qu’il crût que nous en voulions à la circonvallation de Landrecies, et qu’il rapprochât ses principales forces de la place pendant que nous porterions toutes les nôtres sur Denain, et non-seulement de tromper le prince Eugène et son armée, mais encore la nôtre, et même les officiers-généraux, qui ne devaient être instruits qu’au moment de l’exécution. »

Le secret fut admirablement gardé, et c’est, paraît-il, ce qu’on admira le plus à Versailles. Tout se fit comme on l’avait réglé. Villars étendit ses hussards sur les avenues de Bouchain et sur les bords de la Selle, afin qu’aucun déserteur ne pût passer du côté des ennemis et nul d’entre eux du nôtre ; toute son attention parut se porter sur Landrecies. Il envoya le comte de Coigny préparer les ponts sur la Sambre, et lui ordonna de se pourvoir d’un grand nombre de fascines, et de les faire porter le plus près de la circonvallation qu’il serait possible, afin qu’on les trouvât sous la main quand on voudrait attaquer. Partez, lui dit Villars, allez à toutes jambes, afin que ces préparatifs ne souffrent aucun retard. Moyennant ces soins et d’autres, rendus très publics, l’opinion s’établit dans l’armée que l’on devait certainement attaquer le siège ou l’armée d’observation, et « j’eus le plaisir de voir, ajoute Villars, que le prince Eugène rapprochait la plus grande partie de son infanterie sur ces points, et affaiblissait d’autant la communication avec Marchiennes. »

Ainsi fut employée la journée du 23. Vers le soir, les marquis d’Albergotti et de Boussolles, lieutenans-généraux, se rendirent chez le maréchal de Villars, et le premier lui représenta que l’honneur qu’il avait de commander l’infanterie l’obligeait de lui dire qu’on allait tenter une entreprise trop dangereuse, que, s’il en croyait le succès possible, le bonheur qu’il aurait d’avoir une grande part à cette action le porterait à la désirer ardemment, mais qu’il ne pouvait croire qu’elle pût réussir. Villars lui répondit seulement : Allez vous reposer quelques heures, monsieur d’Albergotti, demain, à trois heures du matin, vous saurez si les retranchemens des ennemis sont aussi solides que vous le croyez. Ainsi tout le monde y fut trompé ; mais au jour tombant un officier-général, le marquis de Vieuxpont, eut ordre de marcher sur l’Escaut avec trente bataillons et des pontons qu’il devait jeter en arrivant, à quelque heure que ce fût. Le comte de Broglie, avec trente escadrons, dut marcher le long de la Selle, en s’approchant de l’Escaut. En même temps les officiers de détail allèrent porter les ordres aux première et seconde lignes de la cavalerie de la droite et délai gauche, et de l’infanterie. La persuasion de la marche sur Landrecies avait été si forte que, lorsque les lieutenans-généraux qui commandaient les ailes entendirent le commandement de marcher pour retourner en arrière, plusieurs hésitèrent ; il fallut répéter l’ordre. A la fin, tout s’ébranla. A la pointe du jour, Villars était de sa personne à deux lieues de l’Escaut, lorsque le marquis de Vieuxpont lui manda qu’il était découvert, et le pria de lui faire savoir ce qu’il fallait faire. Puységur proposa de marquer le camp dans l’endroit où l’on était. A quoi songez-vous ? répondit Villars, avançons, et en même temps le général en chef envoya des officiers au grand galop pour donner l’ordre de jeter les ponts, et lui-même se mit dans une chaise de poste, pour aller plus vite à l’Escaut et accélérer le passage.

« Quand j’arrivai, dit Villars, je trouvai plusieurs bateaux déjà posés, et nulle opposition de la part de l’ennemi. Je franchis la rivière, faisant avancer un maréchal des logis et dix cavaliers devant moi. Je trouvai au-delà un marais fâcheux, ce qui me fit craindre que le peu d’obstacles de la part des ennemis à mes ponts ne vînt de la confiance qu’ils avaient en ce marais. J’ordonnai à la colonne qui passait sur les ponts de la droite de suivre une chaussée qui, selon les apparences, tenait à la terre ferme. Je me mis en même temps à la tête de la brigade de Navarre, et, quoique bien monté sur un très grand cheval, j’eus de la peine à traverser le marais. Les soldats de Navarre, dans l’eau et la boue jusqu’à la ceinture, me suivirent avec leur ardeur ordinaire. » La colonne de droite, suivant la chaussée, ne trouva aucune difficulté, et l’on arriva ensemble à ces fameuses lignes que les ennemis appelaient insolemment le chemin de Paris. C’était une double ligne bien couverte, au milieu de laquelle passaient les convois qui venaient de Marchiennes ; elle aboutissait au camp retranché de Denain, défendue par plusieurs redoutes, qui furent brusquement abordées et emportées. L’infanterie se mit en bataille dans le terrain même qui était entre ces deux lignes, et fît halte quelques momens, car, ne voyant pas de mouvement chez l’armée ennemie que nos mouvemens auraient dû attirer sur l’Escaut, Villars craignit que le prince Eugène ne tombât sur son arrière-garde. Il retourna donc rapidement vers les ponts, et envoya l’ordre à tous ses officiers-généraux qui n’avaient point encore passé l’Escaut de marcher en bataille, de se tenir sur leurs gardes, et de se couvrir des anciennes lignes que les ennemis avaient ouvertes autour de Bouchain, afin que, si le prince Eugène voulait les prendre à revers, il les trouvât placés et retranchés.

« Je revins aussitôt, dit Villars, à mon infanterie, qui était en bataille sur le chemin de Paris ; mais au moment que je la joignais, je vis l’armée ennemie qui courait sur l’Escaut en plusieurs colonnes. Le marquis d’Albergotti vint me proposer de faire des fascines pour combler les retranchemens de Denain. Eh ! croyez-vous, lui répondis-je en lui montrant l’armée ennemie, que ces messieurs nous en donneront le temps ? Les fascines seront les corps des premiers de nos gens qui tomberont dans le fossé. Il n’y avait pas un instant, pas une minute à perdre. Je fis marcher mon infanterie sur quatre lignes dans le plus bel ordre. Mon canon tirait de temps en temps, mais avec le peu d’effet d’une artillerie qui tire en marchant. Celle des ennemis faisait de fréquentes salves. Quand notre première ligne fut à cinquante pas des retranchemens, il en partit un très grand feu qui ne causa pas le moindre désordre dans nos troupes. Lorsqu’elles furent à vingt pas, le feu redoubla. Deux seuls bataillons firent un coude. Le reste marcha dans un ordre parfait, descendit dans le fossé, et emporta le retranchement avec une grande valeur. Il n’y eut de colonel tué que le marquis de Tourville, jeune homme d’une très grande espérance. J’entrai dans le retranchement à la tête des troupes, et je n’avais pas fait vingt pas que le duc d’Albemarle et six ou sept lieutenans-généraux de l’empereur se trouvèrent aux pieds de mon cheval. Je les priai d’excuser si les affaires présentes ne me permettaient pas toute la politesse que je leur devais, mais que la première était de pourvoir à la sûreté de leurs personnes. J’en chargeai des officiers de considération, et appelant le comté de Broglie : Comte, lui dis-je, marchez sur-le-champ à Marchiennes. Je poursuivis ensuite les ennemis, qui, dans leur surprise, ne songeaient qu’à fuir. Malheureusement pour eux leurs ponts sur l’Escaut se rompirent par la multitude des chariots, la précipitation des fuyards, et les vingt-quatre bataillons qui défendaient les retranchemens furent entièrement pris ou tués. La tête de l’année du prince Eugène arrivait déjà sur l’Escaut, près d’un pont qui n’était pas rompu. Il fit quelque tentative pour passer, et fit tuer 7 à 800 hommes assez inutilement, car, les troupes du roi bordant cette rivière, il n’était pas possible aux ennemis de la repasser devant elles. Le comte de Dhona et plusieurs officiers-généraux s’y noyèrent. Trois autres y furent tués. J’envoyai, le jour même, le marquis de Nangis porter cette agréable nouvelle au roi, dont l’inquiétude n’était pas médiocre, surtout augmentée par la terreur des courtisans. » Écoutons maintenant un témoin oculaire de ce qui s’était passé du côté du prince Eugène. Ce renommé capitaine avait auprès de lui, attaché à sa maison militaire, un tout jeune officier qui fut depuis le maréchal de Saxe, lequel nous a laissé de visu, sur le fait d’armes du 24 juillet, les piquantes lignes qui suivent[10] :


« A l’affaire de Denain, le maréchal de Villars était perdu, si le prince Eugène eût marché à lui lorsqu’il passa la rivière en sa présence, en lui prêtant le flanc. Le prince ne put jamais se figurer que le maréchal fît cette manœuvre à sa barbe, et c’est ce qui le trompa. Le maréchal de Villars avait très adroitement masqué sa marche. Le prince Eugène le regarda et l’examina jusqu’à onze heures, sans y rien comprendre, avec toute son armée sous les armes. S’il avait, dis-je, marché en avant, toute l’armée française était perdue, parce qu’elle prêtait le flanc, et qu’une grande partie avait déjà passé l’Escaut. Le prince Eugène dit à onze heures : — Je crois qu’il vaut mieux aller dîner, — et fit rentrer les troupes. A peine fut-il à table que milord d’Albemarle lui fit dire que la tête de l’armée française paraissait de l’autre côté de l’Escaut et faisait mine de vouloir l’attaquer. Il était encore temps de marcher, et, si on l’eût fait, un grand tiers de l’armée française était perdu. Le prince donna seulement ordre à quelques brigades de sa droite de se rendre aux retranchemens de Denain, à quatre lieues de là. Pour lui, il s’y transporta à toutes jambes, ne pouvant encore se persuader que ce fût la tête de l’armée française. Enfin il l’aperçoit et lui voit faire sa disposition pour attaquer, et dans le moment il jugea le retranchement perdu et forcé. Il examina l’ennemi pendant un moment, en mordant de dépit dans son gant, et il n’eut rien de plus pressé que de donner ordre que l’on retirât la cavalerie qui était dans ce poste.

« Les effets que produisit cette affaire sont inconcevables. Elle fit une différence de plus de cent bataillons sur les deux armées, car le prince Eugène fut obligé de jeter du monde dans toutes les places voisines. Le maréchal de Villars, voyant que les alliés ne pouvaient plus faire de sièges, tous leurs magasins étant pris, tira des garnisons voisines plus de cinquante bataillons, qui grossirent tellement son armée, que le prince Eugène, n’osant plus tenir la campagne, fut obligé de jeter tout son canon dans Le Quesnoy, qui y fut pris. »


CH. GlRAUD, de l’Institut.

  1. Voyez Arneth, Prinz Eugen, tom. II.
  2. Voyez, sur le traité de la barrière dont il est ici question, l’essai historique de Grimoard, en tête de la correspondance de Bolingbrooke, traduct. franc., I, p. 20-21. Grimoard n’a pas connu le renouvellement du 22 décembre 1711, dont on peut vérifier le texte dans le t. VIII, Ire partie, du Corps diplomatique de Dumont, p. 288.
  3. Les jugemens sur ce général sont fort divers. M. de Grimoard lui est peu favorable. Il faut lire les détails curieux et singuliers qu’il donne sur l’origine de sa fortune militaire. L’Histoire du duc de Marlborough, par Ledhyard, a été traduite en français et publiée à Paris, 1806, 3 vol. in-8o. — W. Coxe a publié les mémoires et correspondances du duc, à Londres, 1818, 3 vol. in-8o.
  4. Dans sa lettre au duc du Maine, Villars disait au prince : « Je vais jouer gros jeu ; j’espère le trouver beau dans le talon, mais je ne l’ai pas dans la main. »
  5. Voyez les lettres de Villars, dans les Xe et XIe volumes des Mémoires militaires du général de Vault (collection des Monumens inédits sur l’histoire de France). Il en reste un grand nombre d’inédites au dépôt de la guerre.
  6. Voyez lot. XI des Mémoires militaires déjà cités (1862). Voyez aussi un Appendice important de M. Dussieux, dans le t. XIV du Journal de Dangeau, publié par lui et M. E. Soulié.
  7. Ce rapport est au dépôt de la guerre, vol. 2,380, pièce 5.
  8. Voyez la pièce dans Arneth, Prinz Eugen, t. II, p. 498.
  9. Nous n’avons plus les papiers de Villars. Ils avaient été légués par le dernier duc, fils du maréchal, au comte de Vogué, son cousin germain, dont les héritiers confièrent ce dépôt à la bibliothèque de Sainte-Geneviève de Paris. Ces papiers ne comprenaient pas moins de quatorze volumes ou portefeuilles in-folio de correspondance, et deux volumes de matériaux ou de rédactions pour les Mémoires ou la vie du maréchal. Ces seize volumes furent retirés de chez les génovéfains, en janvier 1792, par le comte de Grimoard, au nom de M. de Sérent, héritier de Mme la comtesse de Vesins, se disant ayant droit à la propriété de ces manuscrits. La seule pièce qui en reste à Sainte-Geneviève, c’est le reçu de M. de Grimoard, et je n’ai pu découvrir quelle a été la destinée de cette précieuse collection à travers nos orages révolutionnaires. Il y avait là un grand nombre de lettres de Mme de Maintenon.
  10. Voyez les Rêveries, liv. II, chap. V, p. 41, édit. de Berlin, 1763.