La besace d’amour/Où l’aventure de Jean Vaucourt n’a pas encore abouti à son dénouement

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CHAPITRE VII

OÙ L’AVENTURE DE JEAN VAUCOURT N’A PAS ENCORE ABOUTI À SON DÉNOUEMENT


L’instant d’après, la scène changeait subitement.

Devant ces deux femmes faibles voulant paraître un homme, Jean Vaucourt avait dompté sa faiblesse et s’était levé.

D’un pas mal assuré il s’approcha des deux jeunes filles et dit à Mlle de Maubertin :

— Mademoiselle, j’avais appris aujourd’hui, à mon retour de la frontière, le malheur qui vous a frappée, et cette nouvelle m’avait consterné.

Mais je suis content de vous revoir vivante. Et votre père, mademoiselle, est-il près de vous ?

— Mon père, monsieur… ah ! mon pauvre père !

La jeune fille se mit à pleurer.

— Mais vous savez qu’il est vivant, mademoiselle ?

— Marguerite me l’assure, monsieur, et c’est ce qui me tient également vivante. Ah ! le savoir mort lui aussi… après ma pauvre tante. Mais, monsieur, je resterais seule au monde !…

Un sanglot l’étouffa et elle alla se jeter sur un siège.

Alors Jean Vaucourt interrogea Marguerite de Loisel :

— Vous assurez à Mademoiselle que monsieur le comte de Maubertin est vivant, mais savez-vous en quel endroit il est ?

— Je sais seulement qu’il a été conduit, après l’accident, chez monsieur Cadet ; il avait été trouvé inconscient près de son habitation en ruine. Je ne pourrais affirmer qu’il fût encore chez Cadet.

— Savez-vous pourquoi on ne l’a pas conduit à l’hôpital ?

— Le munitionnaire voulait le confier aux soins de son médecin qui, paraît-il, est fort habile.

Le silence s’établit. Jean Vaucourt méditait. Il avait sur les lèvres une question qui le brûlait, à savoir comment le baron de Loisel était en liberté. Avait-il été libéré par ordonnance du gouverneur ? Il redoutait de commettre une indiscrétion en posant la question à Marguerite. Mais cette liberté dont jouissait le baron était l’évidence même de la vengeance dont le comte avait été l’objet. Et l’hospitalité donnée par Cadet à Monsieur de Maubertin n’était qu’un voile pour dissimuler quelque redoutable trame méditée contre le comte ! Cadet, Bigot, Loisel… en l’esprit de Jean Vaucourt ce trio avait voué le comte à quelque mort horrible et n’attendait que le moment opportun pour mettre leur infernal projet à exécution. Il lui apparut donc urgent de savoir si le comte était encore chez Cadet, afin de prendre des mesures pour l’arracher au plus tôt des mains de ses ennemis.

De nouveau il interrogea Marguerite :

— Avez-vous appris si monsieur le comte était remis de ses blessures ?

— Je n’ai rien appris, monsieur. Mais si vous désirez savoir comment il se porte et de quels soins il est entouré, je pourrais peut-être m’en informer.

— Ah ! Marguerite, si vous pouviez savoir… murmura Héloïse de Maubertin.

— Je peux essayer, répliqua la jeune fille.

— Connaissez-vous les gens de Cadet ? demanda le capitaine.

— Un peu. Deux fois déjà j’assistai aux fêtes qu’il donne en son palais.

— Et vous connaissez un peu les aîtres de la maison ?

— Oui.

— Eh bien ! mademoiselle, je pense qu’il serait très important d’avoir des nouvelles du comte et de lui faire savoir des nôtres. Voulez-vous essayer de communiquer avec lui ? Car, voyez-vous, ajouta Jean Vaucourt, je suis sous l’impression que monsieur de Maubertin est actuellement séquestré.

— Oh ! pensez-vous ?… s’écria Héloïse avec effroi.

— Je le pense, mademoiselle, parce que Cadet doit avoir intérêt à ce que votre père demeure sous son toit, et qu’il y demeure ignoré.

— Quel intérêt, pourrait avoir Cadet de séquestrer monsieur de Maubertin ? demanda Marguerite.

— Je n’en ai aucune idée, mademoiselle. Ensuite, quand je dis séquestré, c’est une hypothèse simplement. Mais l’hypothèse nous met dans l’incertitude, et c’est pourquoi il importerait de communiquer avec le comte pour savoir exactement, dans quelle position il se trouve.

— C’est très juste, monsieur, approuva Héloïse.

— Et au cas où mon hypothèse serait un fait réel il faudrait sans retard prendre des mesures pour délivrer monsieur de Maubertin. Mademoiselle, ajouta le jeune homme, pensez-vous qu’il serait possible, pour vous tout au moins, de vous introduire ce soir même en la demeure de Cadet ?

— Je peux essayer, si vous voulez m’accompagner ; je n’oserais me rendre seule, à cette heure de la soirée, chez le munitionnaire. Mais vous êtes si faible encore…

Jean Vaucourt sourit.

— Je me remets promptement, dit-il. Cette blessure n’est rien… un peu de sang que j’ai perdu seulement ! Demain, je serai tout aussi fort que j’étais hier. Si vous êtes prête dans dix minutes, je le serai également.

— C’est entendu, consentit Marguerite, je vais m’habiller.

Elle quitta immédiatement le salon laissant le capitaine avec Héloïse.

Jean Vaucourt se rapprocha d’Héloïse et lui dit à voix basse :

— Mademoiselle, j’ai la conviction que votre père est en ce moment entre les mains d’ennemis mortels, aussi suis-je décidé à tout faire pour le sauver. Et vous-même, ici, mademoiselle…

— Oh ! interrompit la jeune fille avec surprise, pensez-vous que Marguerite soit complice de ces coquins ?

— Ce n’est pas exactement ce que je pense. Je suis seulement sous l’impression que mademoiselle Marguerite est un instrument inconscient ou une victime. Mais j’en aurai bientôt l’assurance. Mais dites-moi par quel évènement vous avez été emmenée ici ?

— Après l’incendie de notre maison, et après que mon père eut réussi à m’arracher des flammes, je perdis la conscience de qui était arrivé. Tout ce que je sais, c’est que je fus trouvée, sans connaissance, sur le bord de la route par Marguerite elle-même qui m’a fait conduire ici.

— Et depuis vous avez été traitée comme une amie ?

— Comme une sœur, monsieur… Marguerite a été bien bonne pour moi.

Jean Vaucourt se mit à réfléchir. L’image de Marguerite ne quittait pas son esprit, il demeurait sans cesse sous l’empire de cette beauté qu’il avait pourtant redoutée. Mais il se rappelait les deux scènes terribles qui s’étaient déroulées sous ses yeux, il se rappelait le dévouement avec lequel la fille du baron l’avait soigné, lui Jean Vaucourt, et il se demandait si cette jeune fille n’était pas un ange de charité vivant au milieu d’une bande de démons. De fait, elle ne pouvait être qu’un ange, belle comme elle était !! Mais… n’existe-il pas des beautés diaboliques… comédiennes subtiles qui ne vivent que pour l’art de tromper ? Jean Vaucourt frissonna, il ne pouvait laisser tomber dans cette catégorie de femmes la belle et exquise Marguerite de Loisel sans en ressentir une peine terrible !

Et pourtant, là devant lui, Jean Vaucourt ne découvrait-il pas une beauté non moins parfaite, non moins angélique, non moins séduisante, dans cette jeune fille si blonde, si délicieuse ! Oh ! celle-là, il l’eût juré la main au fou, était un ange… un ange véritable ! Car celle-là, il le savait, n’avait pas coudoyé le vice, la lèpre, la débauche ! Car elle n’avait pas encore vécu au sein de cette noblesse corrompue des cours et au milieu de cette bourgeoisie orgueilleuse et vaniteuse qui, pour singer la première, commençait à se livrer aux scandales les plus honteux ! Jean Vaucourt savait que cette fleur blonde, douce et timide, était pure encore de tout contact malpropre ! Cette jeune fille appartenait à la vraie noblesse de cette noblesse qui s’efforçait de représenter la France comme la nation la plus cultivée et la plus saine ! Il savait que cette enfant conservait toute l’innocence du berceau ! À Marguerite de Loisel qu’il aimait déjà, il eût lié son sort avec quelque inquiétude ; mais à cette enfant blonde…

Jean Vaucourt sentit une rougeur brûler son front.

Quoi ! mais elle était de bien trop haute noblesse… tandis que lui, Jean Vaucourt…

Le jeune homme, ayant un moment perdu l’image de Marguerite, venait d’avoir une pensée d’amour pour la fille du comte de Maubertin. Mais cela avait été une pensée si soudaine qu’il en demeurait surpris, étonné. Mais se ressaisissant, il arracha bientôt cette pensée d’amour de son cœur. Il se laissa de suite reprendre par l’image de Marguerite. Oh ! celle-là, c’était différent, elle n’était pas de bien haute noblesse ! L’était-elle seulement ? de la noblesse dont l’avait affichée son père ! Et, en supposant qu’elle fût la fille d’un baron véritable, Jean Vaucourt saurait bien combler le vide entre elle et lui en allant se conquérir sur les champs de bataille des titres qui le placeraient au niveau de Marguerite !

Oui, Jean Vaucourt, en était arrivé là… Sans trop se l’avouer, il aimait, il aimait éperdument Marguerite de Loisel… il l’aimait depuis ce jour où il l’avait vue pour la première fois dans la salle basse du Château Saint-Louis.

Le jeune capitaine songeait ainsi lorsque Marguerite reparut, enveloppée d’un long manteau noir et sa tête enfouie sous une cape de soie rose. Elle avait un air si mignon, ainsi accoutrée, que Jean Vaucourt la regarda avec admiration. Puis il s’excusa pour aller revêtir son habit et prendre son tricorne qui étaient demeurés dans le boudoir.

L’instant d’après lui et Marguerite s’apprêtaient à partir.

— Nous ne serons pas longtemps, dit la fille du baron à Héloïse, au moment de sortir.

Héloïse sourit dans le fauteuil où elle demeurait.

Jean Vaucourt et Marguerite à son bras marchaient vite dans la nuit obscure.

Les rues de la ville étaient désertes.

Le capitaine et la jeune fille demeuraient silencieux. Tous deux étaient assiégés par mille sentiments divers et mille pensées qu’ils ne pouvaient exprimer. Il leur semblait que tous deux étaient emportés dans un rêve, mais un rêve si doux si exquis, qu’aucun d’eux n’aurait voulu le voir s’effacer. Marguerite éprouvait une jouissance infinie à se sentir supportée par le bras de ce beau et fier capitaine ! Lui, éprouvait un vertige chaque fois que, pour ne pas buter sur le pavé raboteux, Marguerite serrait son bras et se pressait contre lui. Il sentait une flamme l’envahir, le brûler. Il serrait alors plus fortement ce bras sous le sien… ce bras sur lequel il eût posé ses lèvres avec délice ! Dix fois Jean Vaucourt fut saisi d’une terrible envie de crier son amour ; dix fois il réprima avec douleur des mots ardents qui brûlaient ses lèvres !

Soudain Marguerite s’écria comme avec effroi :

— Mais… vous êtes sans arme !…

— C’est vrai sourit le jeune homme. Pensez-vous qu’il y aura du danger ?

— Non… Mais les mauvaises rencontres que nous pourrions faire !

— Bah ! maître Flambard m’a procuré le truc de trouver une arme en cas d’attaque imprévue !

— Flambard ! murmura Marguerite… c’est un brave !

— C’est un héros mademoiselle ! dit Jean Vaucourt avec admiration.

— Je vous crois, sourit la jeune fille. Puis tout à coup elle étendit le bras devant elle et prononça à voix basse : Voyez ! c’est là !

— La demeure du sieur Cadet ? Oh ! je la connais.

— Comme elle est sombre ce soir…

— C’est peut-être mieux ainsi pour votre mission !

— C’est vrai. Mais je suis à peu près certaine maintenant de remplir cette mission avec succès.

— Vraiment ?

— Oh j’ai imaginé un bon moyen de pénétrer dans la maison sans que je sois soupçonnée d’espionnage ni d’intrusion : si je suis inconnue du domestique qui viendra me recevoir je demanderai à voir le médecin de Cadet.

— Vous le connaissez ?

— Un peu, oui.

— Que ferez-vous ensuite ?

— Je ne sais pas au juste, mais je compte trouver un moyen de communiquer avec monsieur de Maubertin.

— Je vous le souhaite.

Ils traversaient à ce moment une ruelle très noire. L’angle de cette ruelle était formé par une haute palissade qui entourait la demeure du munitionnaire.

Marguerite s’arrêta et dit à voix très basse :

— Je pense qu’il vaut mieux pour vous de demeurer caché ici près de cette palissade ; si vous étiez vu ou reconnu par des gens de la maison, cela éveillerait des soupçons qui pourraient nous être funestes.

— C’est bien, mademoiselle, je vous obéis. Mais si, par hasard, un danger vous menaçait ?

— Oh ! n’ayez crainte, je suis prudente !

Jean Vaucourt non sans un sentiment de crainte, la laissa se diriger seule vers la grille, puis vers la maison. Mais la nuit était trop noire pour qu’il la pût suivre des yeux. Durant quelques secondes il entendit son pas léger bruire dans le silence nocturne, puis tout se tut.

Tout se tut ?… Non, pas tout à fait. L’instant d’après il sembla à Jean Vaucourt qu’il percevait le bruit de pas étouffés dans le parterre qui précédait la maison de Cadet. Il écouta avec une grande attention. Mais ces bruits de pas se turent également comme s’était tut le pas de Marguerite. Alors il se colla contre la palissade et attendit, troublé et inquiet.

Un quart d’heure environ s’écoula sans que la solitude environnante fût le moindrement troublée. Jean Vaucourt pensait un peu au comte, un peu à Flambard, un peu à Héloïse, mais beaucoup à Marguerite de Loisel. Et, tout à coup, à sa grande surprise, il se sentit saisir violemment par plusieurs bras qui le renversèrent par terre et le ligotèrent solidement. Puis un solide bâillon fut posé sur sa bouche, et les bras inconnus le soulevèrent et l’emportèrent… Où…

Jean Vaucourt ne se le demanda pas, il était trop sous le coup de l’étonnement. Et puis, il pensa que le rêve si doux vécu quelques minutes auparavant venait de se changer en un cauchemar !…