La besace d’amour/La suite de l’aventure de Jean Vaucourt

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Éditions Édouard Garand (p. 53-56).

CHAPITRE VI

LA SUITE DE L’AVENTURE DE JEAN VAUCOURT


Marguerite de Loisel demeurait muette, immobile, frissonnante. La rage, la haine, la vengeance n’étaient plus dans ses regards noirs et lumineux ; une immense pitié montait de son cœur de femme, une indicible sympathie s’emparait de son âme, un attrait puissant la retenait près de ce jeune homme, inanimé et blême à présent, mais qu’elle avait vu si beau, si fier, si courageux dans sa noire soutanelle ! Mais elle le revoyait encore beau dans son évanouissement, avec sa pâleur plus amplifiée à la clarté tremblotante et blafarde des bougies, toujours aussi fier sans son costume de capitaine des milices !

— Jean Vaucourt !… prononcèrent encore ces lèvres en un murmure très doux.

Ses yeux devinrent plus ardents à mesure qu’elle le contemplait plus longuement. Sa pensée mit en parallèle ce beau capitaine de source routière avec le jeune gentilhomme qu’elle allait épouser. Et le premier semblait l’emporter sur le dernier. Ce vicomte de Loys mais elle ne l’aimait que pour son titre de noblesse, et la fortune énorme qu’éventuellement lui laisseraient ses parents en France ! Mais ce sentiment n’était pas de l’amour… c’était de la convoitise ! Tandis que celui-là qui gisait à ses pieds, inconscient, celui-là, il lui semblait qu’elle l’aimait véritablement pour ce qu’il était. Elle l’eût aimé pour sa beauté mâle, à cause de ses vertus d’homme qui lui créaient une noblesse bien autrement enviable que les noblesses issues souvent d’une simple ordonnance royale ! Et, un moment, son regard plein de pitié attendrie se chargea d’amour !…

L’amour !…

Comme ce sentiment laissait en son âme une suave quiétude ! Quel transport de joie inouïe la faisait soudain tressaillir dans toutes les fibres de son être ! Mais…

Oui, mais l’attrait de la richesse et du rang demeurait quand même, il combattait la séduction de l’amour ! Elle imaginait toutes les qualités de cœur et d’esprit dont était sertie la nature de ce jeune homme, tel un bijou de pierres précieuses ! Mais avec le désir du rang, du luxe, du faste, elle ne pouvait de ces qualités apprécier toute la valeur, et elle ne pouvait s’avouer que ce capitaine, obscur et pauvre, possédât réellement ce qui pouvait assurer le véritable bonheur d’une femme ! Il lui semblait hélas ! comme il semble à trop de femmes, que le bonheur ne peut être hors des titres et de la fortune ! De splendides visions lui faisaient tout à coup entrevoir la cour fastueuse du roi de France où un titre de noblesse lui donnerait entrée ! Et tout à coup aussi, son ardent désir de paraître et de briller fit fondre en la durée d’un souffle l’amour naissant, si bien que dans son cœur comme dans ses yeux il ne demeura plus que la pitié !

Et cette pitié parut s’accentuer quand Marguerite découvrit que le jeune homme avait été blessé d’un coup de poignard. De suite sa pensée alla à son père qu’en elle-même elle accusa d’avoir frappé Jean Vaucourt ! Mais lui… par quel hasard s’était-il trouvé là, sur le passage du baron ? Quel événement, quel instinct, quelle volonté, l’avait conduit à l’habitation de Marguerite de Loisel ? Là se posait pour la jeune fille un problème qui l’intrigua. Mais il importait tout d’abord de secourir le jeune homme ! Qui sait ? cette blessure qu’on lui avait infligée pouvait être très grave ! Marguerite voyait bien que le capitaine vivait encore mais il pouvait mourir ! Cette pensée la fit frissonner, et son cœur lui cria qu’elle ne pouvait le laisser mourir, qu’elle devait le sauver… le sauver à tout prix !

Elle appela ses filles de service.

— Venez, commanda-t-elle, la voix méconnaissable, relever ce pauvre jeune homme, et essayez de le transporter dans mon boudoir !

Les jeunes filles, rassurées maintenant, s’approchèrent. En réunissant leurs forces, le fardeau demeurait encore très lourd ! Néanmoins, après d’héroïques efforts, elles parvinrent à traîner Jean Vaucourt jusqu’au boudoir de Marguerite et à le déposer sur un divan.

De suite la fille du baron mit la blessure à nue, mais elle constata avec satisfaction et joie que rien n’était grave, et que le jeune homme, après quelques soins attentifs aurait vite repris ses forces d’avant. Elle se fit apporter de l’eau tiède, des médicaments, des onguents fit couler dessus des huiles antiseptiques et posa un bandage que nul médecin ou chirurgien n’eût mieux réussi.

Jean Vaucourt revient à lui, releva ses paupières lourdes et aperçut Marguerite de Loisel penchée sur lui.

Il sourit en balbutiant ce mot de reconnaissance :

— Merci !

Il referma les paupières et parut tomber dans une sorte de doux assoupissement.

Debout, un peu pâle, Marguerite retomba dans sa contemplation de l’instant d’avant. Encore une fois elle accusa son père de cette tentative de meurtre ! Ce crime lui paraissait si inutile qu’il en était plus atroce à ses yeux. Car, quel mal avait fait ce jeune homme au baron de Loisel ? Quelle menace pouvait-il être pour lui ? Aucune. Certes, elle savait que Jean Vaucourt avait accusé publiquement des serviteurs du roi ; mais n’en avait-il pas le droit ? Assurément ! Car elle les connaissait aussi ces serviteurs, qui étaient une gangrène affreuse contre laquelle il importait à tout homme d’honneur, à tout citoyen aimant son pays, de protéger la société ! Marguerite elle-même pouvait accuser hautement ces mêmes serviteurs, car elle connaissait leurs actes malfaisants, car elle devinait leurs machinations frauduleuses, car elle découvrait leurs trames infâmes ourdies et sans cesse renouvelées contre le bien public, contre l’honneur de la France ! Elle les connaissait tous, elle les coudoyait tous, et elle savait que tous, à part quelques subalternes trop craintifs où dont la naïveté n’avait pas encore été frottée de coquinerie, formaient une bande de chiens voraces qui ne voulaient même pas laisser après eux une parcelle de l’os. Oui, elle savait tout ce que valait le cœur, tout ce que pesait l’esprit de ces serviteurs du roi… elle n’en eût pas donné un brin de paille ! Elle savait également tout ce que souffrait le peuple de la Nouvelle-France sous la domination de ces tyrans de l’ombre, ignobles lépreux dont les pustules écœurantes se dévoilaient, plus hideuses, dans les lumières étincelantes de leurs palais, au milieu de leur entourage corrompu ! car elle habitait actuellement une petite maison qui avait servi de refuge à l’une des maîtresses du sieur Cadet… pauvre enfant qu’on avait arrachée à son foyer paisible et pur pour la jeter dans les fanges visqueuses de la lèpre, dont elle était morte sous le toit des Sœurs Hospitalières ! Oui, Marguerite savait tout cela, et elle redoutait justement les avances froidement calculées de Cadet à qui elle voulait échapper en hâtant son mariage avec le vicomte de Loys. De ces avances mêmes elle avait eu peur : pour ne pas demeurer dans la boue où elle était tombée après la chute de son père, pour conserver encore un certain rang et une certaine dignité, elle avait accepté de Cadet le logis, la table, les toilettes, l’argent. Elle s’était laissée promettre par le munitionnaire une puissance au-dessus d’une reine, au-dessus de celle d’une marquise de Pompadour ! Elle s’était laissée approcher de si près par Cadet et sa bande qu’elle en avait saisi les calculs et les intentions, et elle en avait été épouvantée, sans cependant avoir le courage de fuir le danger mortel. Mais elle se croyait forte, invulnérable. Marguerite de Loisel, fille d’un bandit, mais fille aussi d’une mère tendre et bonne qui avait été trompée, tyrannisée et qui était morte de soucis, de chagrins, de honte dont l’avait abreuvée un homme sans honneur, sans conscience, sans foi… Marguerite, en dépit du milieu funeste où elle avait vécu en Nouvelle-France, en dépit du coudoiement de la crapule, en dépit de principes pernicieux, d’exemples scandaleux dont sa personne avait été enveloppée chaque jour, demeurait pure ! Elle demeurait pure parce que cette bande crasseuse lui faisait horreur, et parce que cette horreur faisait sa force contre les tentations, devant les pièges sournoisement tendus sous ses pas ! Oui, Marguerite se pensait inattaquable, invulnérable ! Aussi, jusqu’à ce jour n’avait-elle pas prêté une oreille trop complaisante aux propos plus ou moins dangereux d’un Cadet. Elle avait la crainte de la chute terrible que peut faire une femme, chute dont elle ne se relève jamais ; et cette chute, elle ne voulait pas la tenter ! Et pourtant, elle se laissait volontiers attirer près de l’abîme ; elle ne refusait pas les présents de la main qui pouvait, à l’improviste, la réduira à l’ignominie ! Mais c’est parce qu’elle voulait devenir comtesse, et pour atteindre ce but, forte de sa dignité de femme, forte de sa pudeur de jeune fille, elle osait affronter le pire gouffre ! Ce gouffre, avec audace, elle le défiait ! Elle ne craignait pas l’ennemi qui la pousserait dedans, car elle se disait qu’elle saurait bien résister à la poussée suprême, que…

Ses pensées furent brusquement interrompues par le marteau de la porte d’entrée qui résonna fortement.

Marguerite tressaillit, et dans ses prunelles noires une lueur de joie brilla.

C’est Lui ! murmura-t-elle.

Elle jeta un regard compatissant à Jean Vaucourt qui paraissait dormir doucement.

Puis Marguerite appela ses filles de service commanda à l’une d’elle d’aller recevoir le visiteur et de l’introduire dans le salon, tandis qu’elle entraînait l’autre servante dans une chambre voisine pour l’aider à refaire sa coiffure.

Au bout de dix minutes, Marguerite de Loisel, heureuse, séduisante, quitta sa chambre, traversa le boudoir où reposait toujours le capitaine Vaucourt et gagna le salon.

Une lourde tapisserie masquait la porte qui du réfectoire donnait accès dans le salon. Marguerite souleva la tapisserie, puis elle s’arrêta subitement avec un geste de surprise en constatant que deux visiteurs étaient là au lieu d’un qu’elle attendait. Et ces deux visiteurs étaient le vicomte de Loys et Michel Cadet.

— Ah ! chère belle ! s’écria de Loys en s’élançant à la rencontre de la jeune fille. Pour la première fois le vicomte voulut l’embrasser.

— Marguerite pâlit terriblement… Elle venait de comprendre que ce geste trop familier du vicomte était dû à l’ivresse. Oui, le vicomte titubait légèrement.

Elle le repoussa dignement, mais non rudement.

Cadet se mit à rire, et à son tour s’avança vers Marguerite. Lui aussi titubait… il titubait beaucoup plus que le vicomte. Et il dit d’une voix zézayante :

— Et moi… Marguerite… belle Marguerite divine Margot… est-ce qu’on me repousse aussi ?

L’étonnement de la jeune fille prenait des proportions inouïes… à ce point qu’elle n’osait en croire ses yeux.

Oui… là, devant elle, sous ses yeux bien éveillés cependant, — elle cherchait à se l’assurer, — se tenait, chancelant, avec un rire idiot sur les lèvres, avec des prunelles rougies par les vins absorbés, prunelles qui la détaillaient impudemment, ce gentilhomme, ce vicomte qu’elle avait toujours connu pour le plus galant homme de la cité ! C’était inimaginable !

Et là, encore, non moins chancelant, non moins idiot, plus ivre que le vicomte, était ce personnage si digne, si grave dans les réunions officielles, le sieur Cadet ! Oui, le sieur Cadet gros, gras, rubicond, richement vêtu, paré de l’épée ! Oui, le sieur Cadet, obéi, redouté, salué tout autant que l’était maître François Bigot ! Mais celui-ci, passe encore… Mais l’autre, c’était un ancien garçon boucher, qui devenu maître-boucher, s’était donné certains airs de gros bourgeois !

Et l’autre, encore, ce raffiné gentilhomme… Non, elle n’en revenait pas.

— Ma chérie, reprit de Loys, faut pas faire de pruderie avec nous !

— Et non plus de pudibonderie, surenchérit Cadet. Tu sais, mignonne, c’est réjouissance publique pour trois jours. Demain soir, grand festin chez moi, festin auquel ta superbe présence va donner tout l’éclat que j’attends. Faut donc être aimable avec ses amis !

— Ses amis !… répéta, sans comprendre, Marguerite éperdue. Puis, comme si elle venait seulement de saisir le sens des paroles de Cadet, elle ajouta avec dégoût :

— Des amis qui, aujourd’hui, vous tendent une main secourable pour, demain, vous jeter par terre et cracher sur vous !

Cadet et le vicomte se mirent à rire.

— Par Notre-Dame ! chère folle, s’écria de Loys, reprenez vos sens ! Sortez-vous d’un vilain rêve ? Êtes-vous d’affreux cauchemars poursuivie ? Tenez… je suis magicien…

Il voulut la prendre à la taille.

Cette fois Marguerite écarta rudement le vicomte. Elle était livide… elle chancelait comme si elle eût été aussi ivre de vin que ses deux fâcheux visiteurs.

Dans son vertige elle bégaya :

— Est-ce d’un gentilhomme de traiter ainsi sa fiancée ?

De Loys éclata d’un grand rire.

— Par le diable ! la belle, comme tu y vas ! Depuis quand donc sommes-nous ainsi fiancés ?

— Mais vos promesses !… s’écria Marguerite toute horrifiée par ce tutoiement presque outrageant du vicomte.

— Les promesses d’un contrat devant être signé par-devant notaire, ricana le vicomte. Mais ce contrat, ce me semble, n’est pas encore signé !

— Mais s’il doit être signé… bredouilla Marguerite saisie d’une affreuse pensée.

— À une condition, il le sera certainement… N’est-ce pas, ami Cadet ?

— Certes, certes, appuya Cadet avec un sourire redoutable.

— Et à quelle condition ?… En posant cette question Marguerite pensa qu’elle allait tomber à la renverse, qu’elle allait mourir peut-être ; elle se sentait entraîner dans l’intrigue d’une comédie effroyable dans laquelle elle pouvait être l’héroïne tragique.

— Celle de m’aimer de suite, répondit cyniquement de Loys… celle aussi d’aimer notre ami Cadet !!

— Que voulez-vous dire ?

Par cette question Marguerite voulut se donner le temps de penser, de chercher une issue au traquenard qu’on voulait lui tendre. Car elle comprenait que ces deux hommes, dépossédés de leur raison par le vin, qui se disaient ses amis, étaient réellement deux ennemis dangereux ! Lentement elle recula vers la porte… vers le réfectoire.

Mais elle aurait dû fuir… fuir de toute la vitesse de ses jambes. Quand elle y pensa, il était trop tard. De Loys venait de se jeter sur elle, de la prendre dans ses bras.

Elle tenta de se débattre.

De Loys regarda Cadet comme pour prendre son avis.

— Certes, certes… fit Cadet en clignant de l’œil, puisque, ici, je suis chez moi !

Marguerite, dans ses tentatives pour échapper à l’étreinte féroce, suffoquait.

De Loys pencha ses lèvres vers les lèvres livides de la jeune fille.

Elle renvoya brusquement sa tête en arrière balbutiant dans son épouvante, dans son horreur :

— Vous n’êtes pas un gentilhomme… vous êtes un lâche !

— Lâche ! rugit le vicomte.

Il abandonna Marguerite, recula de quelques pas, très pâle.

— Lâche, dis-tu ? Sa voix tremblait de fureur. Sache, ajouta-t-il, les dents serrées, qu’on n’a jamais encore traité de lâche un gentilhomme de ma lignée… pas même une femme n’a osé.

— Vous n’êtes pas un gentilhomme ! répéta Marguerite d’une voix rauque.

— Et toi… s’écria le vicomte en ricanant, avec sarcasme. Par la mort-diable ! Cadet mon ami, qui est-elle cette donzelle qui me traite de lâche ? Qui est-elle, si moi je ne suis pas gentilhomme ? Parle !

Cadet se borna à ricaner sinistrement.

Marguerite chancela… elle sentit l’affront suprême venir ! Mais elle voulut le parer.

— Pardon ! monsieur le vicomte ! bégaya-t-elle… je…

De Loys l’interrompit avec colère.

— Pardon ! hurla-t-il. Ah ! non, pas ainsi, ma belle… il importe de t’apprendre de suite que je suis assez gentilhomme pour ne pas épouser une… Lardinet !

Pour ne pas s’affaisser Marguerite saisit la lourde tapisserie.

Mais cette tapisserie au même instant fut brusquement écartée, et une voix mâle demanda :

— Qui parle ici de Lardinet ?

Marguerite poussa un cri de joie suprême.

— De Loys et Cadet reculèrent avec étonnement.

Jean Vaucourt, excessivement pâle, en chemise maculée de sang, menaçant, terrible, venait d’apparaître… il marchait contre le vicomte de Loys.

— Répondez, monsieur ! commanda-t-il d’une voix autoritaire ; est-ce vous qui parlez de Lardinet ?

Alors, seulement, Marguerite comprit véritablement lequel de ces deux hommes valait mieux… Jean Vaucourt.

De Loys éclata de rire.

— Ha ! ha ! ha ! le clerc de notaire chez Marguerite Lardinet !

Cadet joignit son rire épais à celui du vicomte.

Mais à l’instant la main de Jean Vaucourt frappait rudement le vicomte au visage.

Celui-ci rugit de rage.

— Ah ! damné clerc de notaire !

Il tira son épée.

Tranquillement Jean Vaucourt rétorqua :

— Apprenez, gentilhomme de rue, que je suis capitaine de milices !

— Capitaine d’enfer ! clama de Loys, tu vas aller capitainer chez Lucifer !

Il fondit sur le jeune homme, l’épée haute. Jean Vaucourt n’avait pas d’arme pour se défendre. Mais avant que la lame du vicomte n’eût atteint son but, Marguerite surgissait, se ruait un poignard à la main, et de ce poignard que lui avait remis son père, elle frappait de toute sa vigueur le vicomte à la gorge.

Il y eut un cri, du sang, un gémissement…

De Loys échappa son épée, parut s’affaisser. Mais Cadet accourut à temps pour le soutenir. Mais le coup de poignard de Marguerite n’avait pas porté, il n’avait fait que déchirer la chair.

Mais cela avait suffi pour dégriser Cadet et le vicomte.

Celui-ci ramassa son épée sous le regard défiant et méprisant de Jean Vaucourt, reprit le bras de Cadet et dit :

— Allons-nous-en !

Cadet entraîna son ami.

Mais avant de sortir le vicomte jeta cette bravade :

— Lardinet… Vaucourt… Comme toute cette roture se rassemble !

Il disparut avec Cadet. Et Jean Vaucourt n’avait pas bougé, et Marguerite de Loisel n’avait pas fait un autre geste, n’avait pas dit un autre mot… Ils demeuraient là tous deux, presque face à face, immobiles, muets, comme deux figures de cariatides, avec un poignard gisant par terre qui les séparait seulement…

Puis Marguerite, défaite, tremblante, blême, sourit à Jean Vaucourt.

Ce fut la détente.

Le jeune homme prit la main de la jeune fille, l’éleva à ses lèvres, et baisant cette main, dit :

— Merci à la main généreuse qui, deux fois déjà, trois fois peut-être, m’a sauvé la vie !

Il fut pris d’un étourdissement, ses jambes flageolèrent, Marguerite offrit son bras au jeune homme.

Jean Vaucourt s’y appuya.

— C’est ma blessure, dit-il, qui fait mal encore !

— Il vous faut encore du repos, sourit la jeune fille. Venez !

La voix de Marguerite n’était plus la même : elle venait de résonner si douce, si tendre…

Jean Vaucourt la regarda longuement, et, tout bas, comme s’il se fût parlé à lui-même, murmura :

— Comme elle est belle !

Il se laissa guider vers un fauteuil, sur lequel il s’assit doucement toujours soutenu par le bras de la jeune fille.

Ils demeuraient silencieux, comme gênés tout deux.

Un bruit léger se produisit tout près, un froissement de robe… Ils tressaillirent. Dans la porte du réfectoire se dessinait la silhouette tremblante et timide d’une belle jeune fille, blonde comme un rayon d’aurore, frêle comme la tige d’un lys.

Et cette jeune fille, prononça avec une stupeur indéfinissable :

— Monsieur Jean Vaucourt !

Le jeune homme s’était levé d’un bond, mais pour de suite retomber… il était trop faible. Marguerite s’était déjà élancée vers la fille du comte de Maubertin et s’était pendue à son cou en murmurant :

— Héloïse ! Héloise ! que je suis malheureuse !…

Elle pleurait…