La bourse ou la vie/07

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L. H. Huot (p. 19-21).


Les objections.


que vous allez me faire, je les connais.

Vous allez me dire d’abord que ce chemin de fer est impossible, et que la chaîne des Laurentides est un obstacle infranchissable. Mais cette question n’en est plus une, avec les progrès de la science moderne. La mécanique a pris aujourd’hui un tel développement qu’elle peut triompher de presque toutes les difficultés.

Quand on a pu traverser les Montagnes Rocheuses, on peut certainement traverser les Laurentides

Quand on se rappelle que le Pacifique américain avait à franchir quatre passes de montagnes d’une hauteur variant entre 6,000 et 8,000 pieds, peut-on mettre en doute la possibilité de gravir en chemin de fer les flancs des Laurentides ?

Il y a là, comme ailleurs, des cours d’eau et des ravins, des lacs et des vallées ; or tout le secret pour escalader les montagnes en chemin de fer consiste à suivre ces cours d’eau, ces ravins et ces vallées.

D’ailleurs, messieurs, plusieures explorations ont déjà été faites par des arpenteurs expérimentés, et tous affirment la praticabilité du chemin projeté. Le rapport de M. Sullivan, entre autres, constate que les plus fortes inclinaisons seront moindres que dans plusieurs chemins de fer déjà existants et en opération.

Mais ce chemin de fer ne paiera jamais, m’objecterez-vous encore.

Qu’en savez-vous ? Quelles sont vos raisons d’affirmer que ce chemin ne rapportera aucuns profits ?

Du moment que vous aurez décidé de construire cette voie ferrée, il n’y a aucun doute que les colons se dirigeront en grand nombre de ce côté. Les terres y sont excellentes, le climat salubre et beau plus doux que dans les paroisses le long du fleuve St. Laurent, et la vie est à bon marché. La seule raison qui a empêché jusqu’à présent nos compatriotes de s’y établir, c’est l’éloignement des grands centres. Cette raison disparaissant, il est évident que la vallée du Lac St. Jean deviendrait la plus avantageuse des colonies.

En peu d’années, la population y serait doublée, et le chemin de fer pourrait compter sur un trafic qui s’accroîtrait dans la même proportion. En peu d’années, il se ferait du Lac St. Jean à Québec un transport considérable de bois de chauffage et de construction, de grains et de bestiaux., Le commerce local grandissant, augmenterait aussi le transport des marchandises, et enfin je ne vois pas pourquoi les touristes qui fréquentent en si grand nombre les places d’eau du bas du fleuve, ne prendraient pas bientôt la direction du Lac St. Jean. Ils trouveraient sur ses bords les sites les plus agréables et les plus pittoresques, les amusements d’une navigation facile que le flux et le reflux ne gênent pas, et tous les agréments d’une pêche et d’une chasse abondantes.

Mais supposons, messieurs, que les profits immédiats de ce chemin de fer ne puissent pas vous rembourser des frais de sa construction, qu’importe en réalité, pourvu que vous dotiez votre pays d’une grande source de richesse et de prospérité pour les générations futures ? Les gouvernements ne construisent pas pour spéculer mais pour l’utilité générale, et leurs travaux ne doivent pas avoir en vue seulement le présent, mais encore et surtout l’avenir.

L’accomplissement des grandes améliorations publiques exige toujours des sacrifices plus ou moins considérables, qui, pour un temps, semblent des pertes mais qui deviennent bientôt des gains réels. La construction du chemin de fer de Québec au Lac St. Jean appartient à cette classe d’entreprises dans laquelle les capitaux ne sauraient être perdus.

Mais je me hâte d’arriver à votre troisième objection qui est sans contredit la plus grave : ce chemin coûtera beaucoup d’argent, et nous n’en avons pas.

Messieurs, cette double proposition contient une