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La ceinture fléchée/Les conseils du curé

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 20-22).

CHAPITRE XI

LES CONSEILS DU CURÉ


Quand Jérôme entra au presbytère, monsieur le curé Brassard était assis dans son cabinet de travail, préparant le prône du dimanche suivant.

Une horloge sévère posée sur son pupitre marquait 2.30 heures.

La pièce était meublée sobrement de deux fauteuils et de trois chaises.

Aux murs il y avait une image de la Vierge, une autre de Sainte-Blandine et un diplôme de B. A. de l’Université Laval de Québec, faisant foi que si l’abbé Brassard avait pris la soutane ce n’était pas parce qu’ayant bloqué son baccalauréat les professions libérales lui étaient fermées jusqu’à reprise plus heureuse.

L’abbé Brassard accueillit Jérôme paternellement, comme d’ailleurs il accueillait tous ses paroissiens.

— Qu’est-ce qui t’amène au presbytère, Jérôme, mon enfant ?

Le guide était toujours à l’aise avec le curé. Il allait lui répondre quand celui-ci lui dit :

— Au fait, pendant que j’y pense, je voudrais bien tuer un orignal avant la clôture de la saison de la chasse.

— Je suis à vos ordres, monsieur le curé. Quand vous voudrez aller dans le bois, faites-le moi dire et je ne vous chargerai pas plus cher que d’habitude.

Les deux hommes eurent un bon rire franc, jovial. En effet Jérôme n’avait jamais demandé un sou de rémunération pour les voyages de chasse qu’il avait fait faire au curé. Il disait que c’était sa façon de payer sa dîme.

— Mais dis-moi ce qui t’amène ici, Jérôme.

— Eh bien ! C’est une affaire grave.

— Mon Dieu ! que tu es solennel ! J’espère qu’il n’y a pas eu de désordres dans la paroisse. Tu sais, depuis que les Racine se sont mis à fabriquer de la bagosse et à vendre cette liqueur empoisonnée aux villageois, je suis toujours inquiet.

— Mais, monsieur le curé, vous n’avez qu’à les dénoncer et on les arrêtera.

— Mon bon fils, ce fut Judas qui dénonça Jésus et non Jésus qui dénonça Judas. Et puis, si je les trahissais auprès des autorités policières, j’aurais peur d’entendre le coq chanter comme après les renseignements successifs de Pierre, le chef des apôtres. Non, j’aime mieux user de douceur. Jusqu’à présent, j’ai réussi à diminuer leur commerce. S’ils l’ont augmenté de nouveau c’est qu’ils ont eu une très mauvaise récolte et que, comme le bois ne se vend pas bien cette année, ils sont en face de la misère. Mais assez parlé ! Jasons de ce qui t’amène.

— Eh ben, monsieur le curé, ce sera long. D’abord, vous savez qu’il y a dans la région un vieillard mystérieux ?

— Oui, mais qu’y a-t-il de vrai dans toute cette histoire ?

Le guide prit un ton de confessionnal.

— Je puis compter sur votre absolue discrétion, monsieur le curé. Je suis venu pour vous demander un conseil et je ne voudrais pas que quelqu’un sût ce que je vais vous dire parce que j’ai promis solennellement de me taire.

— Mais, mais ça m’a l’air sérieux. Tu n’as pas l’habitude d’être aussi cachottier, mon bon Jérôme. Quant au secret, tu peux te fier à moi pour le garder. Mais laisse-moi regarder aux deux portes qui communiquent avec les pièces voisines pour m’assurer que ma servante, la curieuse Julie, n’est pas aux écoutes.

Elle n’y était pas.

Jérôme s’ouvrit alors au curé.

Il lui raconta les rumeurs premières au sujet du vieillard, la première entrevue dans la maisonnette en bois rond, l’arrivée de Jacques Martial, la chasse avec le vieillard, et enfin l’étrange conversation qu’il venait d’avoir avec l’inconnu qui se prétendait détective.

— Ainsi, l’étranger dit que le vieillard mystérieux est un voleur. Penses-tu que c’est vrai, Jérôme ?

— Ben, je ne sais que croire. Le vieux a pourtant l’air honnête. Il est bon, aimable, gentil. Il me fait un peu penser à mam’zelle Alice.

— Écoute, Jérôme, fit le prêtre en hochant sa tête pendant qu’un sourire éclairait sa figure, si tous les racontars des calomniateurs étaient vrais, l’enfer ne serait pas assez grand pour contenir le nombre énorme des damnés. Presque tout le genre humain brûlerait dans les flammes éternelles. Aussi la théorie du grain de sel est-elle la seule applicable dans ce genre d’affaires.

— Alors, monsieur le curé, croyez-vous, en votre conscience, que le vieillard est un voleur ?

— En ma conscience, mon enfant, je crois toujours le bien jusqu’à ce qu’on m’ait démontré le mal. Ainsi mon âme vit dans une quiétude divine. Celui qui est porté à croire le mal dès qu’on le lui raconte vit avec Satan dans son esprit ; car le mal c’est Satan. Moi, j’aime mieux avoir Dieu en le mien. Ainsi, mon enfant, comme l’étranger ne t’a donné aucune preuve de la culpabilité du vieillard, ne le crois pas coupable. Tiens ta parole, garde son secret.

— Mais s’il était réellement un voleur ?

— Il y a moyen de le savoir. Cet étranger qui se dit détective doit avoir des preuves de ce vol de $250,000. Demande-lui de t’expliquer ces preuves.

— Bien, je comprends, c’est ce que je vais faire. Mais du diable ! si je sais comment je vais me débarrasser de lui. Il m’attend chez moi actuellement. Et puis je ne sais même pas s’il est vrai qu’il soit de la police.

— C’est facile de le savoir. Demande-lui de te faire voir son insigne de détective.

— C’est vrai, voilà un bon moyen, fit le guide soudain illuminé.

À ce moment, la sonnette de la porte se fit entendre. Julie alla ouvrir. Une conversation brève s’était engagée dans le corridor entre la servante et le nouveau venu.

— Tiens, remarqua l’abbé Brassard, c’est le curé de Saint-Anaclet qui arrive.

Quand celui-ci pénétra dans la pièce, il vit Jérôme :

— Tiens, dit-il, voilà l’homme que je désire le plus voir aujourd’hui.

Puis s’adressant au curé :

— Figurez-vous, l’abbé, l’autre jour, j’apprends une nouvelle renversante. Fiola que voici avait dit à qui voulait l’entendre que j’avais reçu une grosse somme en don d’un vieillard mystérieux qui habiterait, paraît-il, la région. C’était faux. Personne ne m’avait donné un sou excepté mes paroissiens dont plusieurs se font tirer l’oreille pour payer leur dîme intégralement. Or hier matin, Gédéon Lepage s’amène au presbytère, me remet une grande enveloppe et file à l’anglaise avant que j’ai eu le temps de l’ouvrir. Je la décachète et je trouve un papier qui m’avait bien l’air de signifier qu’il avait une valeur de $1000. Ce papier était accompagné d’un billet sur lequel je lus : « Acceptez ce don pour vous et vos œuvres. — D’un ami qui vous estime. »

Je partis à 2 heures ce matin pour Rimouski. Là, à la banque, on m’a dit que le papier valait non seulement $1000, mais qu’à la Bourse, la veille, on en aurait payé $1500. Voilà.

Jérôme était content. Voyons, est-ce qu’un homme qui donne $1500 à un curé peut être un voleur ?

— Monsieur le curé, expliqua-t-il, un soir, pour défendre ce vieillard contre les calomnies des villageois je me vis obligé de mentir. Je leur fis accroire qu’il vous avait donné une grosse somme d’argent. Alors, de suite, les louanges se mirent à pleuvoir. Je racontai ensuite l’affaire au vieillard qui, en vous envoyant l’argent, a voulu sans doute effacer mon mensonge.

— Ainsi, tu connais ce vieillard, toi, Jérôme ? fit le curé de Saint-Anaclet.

— Nom d’une pipe maudite ! s’exclama le guide, j’ai trahi mon secret. Mais, monsieur le curé je puis compter sur votre silence, votre silence absolu, hein ? Il s’agit d’une affaire de vie ou de mort.

— Oui, il vaudra mieux vous taire, dit l’abbé Brassard.

Le curé de Saint-Anaclet déclara :

— Nous allons supposer que tu m’as dit ça à confesse.