La civilité des petites filles/03

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3. — En classe.


PREMIÈRE JOURNÉE D’ÉCOLE.


Celle qui instruit est une seconde
mère.

Une brave mère de famille, couturière de son état, rencontre un matin, chez le boulanger, Mme Leroy.

— Voisine, dit-elle, donnez-moi un conseil. Ma fille Pauline a huit ans, je lui ai montré jusqu’ici ce que j’ai pu ; maintenant, il faut qu’elle aille en classe. Hier, je suis allée trouver notre institutrice pour la faire inscrire ; mais Pauline est timide, elle s’effraye de l’école, elle pleure dans un coin, je ne peux pas la consoler, comment faire ?

Mme Leroy réfléchit un instant.

— Ne vous inquiétez pas, répond-elle. Tenez Pauline prête demain matin pour l’heure de la classe ; ma fillette Claire, qui a douze ans passés, est très raisonnable, elle ira la chercher et la conduira. Elles causeront en chemin ; les enfants savent très bien arranger entre eux leurs petites affaires. D’ailleurs Claire sera enchantée de jouer à la petite maman…

Et voilà comment vous voyez Claire et Pauline partir pour l’école en se donnant la main.


— Ma Paulette, dit tout à coup Claire, tu as l’air triste, ton cœur bat bien fort, je suis sûre. Pourtant, ce n’est pas terrible l’école, va ! Veux-tu que je te dise comment il faut t’y prendre pour n’être jamais grondée ?

— Oh ! oui, Claire, je veux bien.

— Chaque matin, tu viendras me trouver telle que tu es en ce moment : la figure, le cou, les mains bien lavés, les cheveux bien peignés, les habits brossés, les chaussures reluisantes. Propre comme un sou neuf.

Il faut n’avoir jamais ni taches de graisse, ni trous, ni déchirures sur ses vêtements.

— Cela se peut, fait Pauline qui écoule de toutes ses oreilles. Voisine, dit-elle, donnez-moi un conseil. » — En entrant à l’école, tu t’approcheras de notre maîtresse pour la saluer. Tu sais, pour saluer, on dit : « Bonjour, Madame », et en même temps on incline la tête et un peu le corps. Fais comme moi.

Pauline imite son amie, une fois, deux fois.

— Bon, dit Claire, c’est cela. Je continue. Tu t’assiéras ensuite à la place indiquée par Madame, et tu feras comme les bonnes élèves. Une bonne élève se tient bien, elle ne tourne pas la tête comme une girouette pour voir ce qui se passe à droite ou à gaucho, devant ou derrière. Elle ne bavarde pas comme une pie, n’est pas dissipée, et écoute attentivement tout ce que dit la maîtresse.

— Ce sera peut-être un peu long, remarque Pauline.

— Quoi donc ?

— Mais d’écouter du matin jusqu’au soir !…

Claire part d’un frais éclat de rire.

— Petite nigaude ! Crois-tu donc que notre maîtresse parle sans s’arrêter ?

— Oui.

— Que non ! Quelquefois Madame raconte de jolies histoires ou fait des explications ; alors, on l’écoute. Quelquefois elle nous fait écrire, calculer, coudre, dessiner ; alors on s’applique. Souvent, enfin, elle nous fait lire et nous interroge. Alors on parle, on répond. Et elle a soin de changer souvent notre ouvrage pour ne pas nous rebuter.

— Ce doit être amusant, dit Pauline intéressée, et dont les yeux brillent.

— Tu verras. Moi, j’aime beaucoup la classe, on y apprend une foule de choses utiles. On s’instruit et l’instruction est, il paraît, indispensable aujourd’hui. On ne pourrait pas gagner sa vie plus tard si on ne savait rien, si on restait ignorant. On y apprend aussi la politesse, comment il faut se conduire.

Madame est sévère, mais juste. Je l’aime beaucoup.

— Parce qu’elle est sévère ?

— Parce qu’elle nous fait travailler et s’occupe de nous tout le jour. Il faut bien qu’elle soit sévère, sans cela on ne l’écouterait pas, on passerait le temps à rire, à babiller et l’on n’apprendrait rien.

— Alors, elle punit ?

— Quand il le faut. Si cela t’arrive d’être punie, il ne faudra ni pleurnicher, ni mettre ton coude sur la table, ni faire la moue, ni surtout murmurer. Quand on a mérité une réprimande, vois-tu, il faut la recevoir sans mauvaise humeur et se dire
Claire et Pauline allant à l’école.
en soi-même : ce que fait ma maîtresse est pour mon bien, si elle ne me corrigeait pas, je deviendrais insupportable.

— Mais, Claire, si la maîtresse nous punit injustement, on peut bien se plaindre ?

— Écoute, ma Paule, les maîtresses ne sont pas injustes, et si elles se trompent par hasard, c’est involontairement. S’il arrivait que tu fusses punie sans l’avoir mérité, tu recevrais ta punition sans rien dire ; mais plus tard, la classe finie, Madame n’étant plus fâchée, tu irais la trouver, tu t’expliquerais avec elle, tu prouverais que tu n’as pas fait ce dont tu étais accusée et alors elle lèverait ta punition.

— Je tâcherai de ne pas mériter de punition, dit Paule avec un gros soupir.

— Et si Madame t’adresse la parole, continua Claire, tu te lèveras aussitôt et tu lui répondras avec un air poli et respectueux. On ne doit jamais dire oui, non, merci, tout court ; il faut ajouter Madame, et si l’on demande quelque chose dire s’il vous plaît. Tu diras donc : Oui Madame, non Madame ; Madame, voulez-vous me donner telle chose ? s’il vous plaît.

— Voyons si j’ai bien retenu tout ce que tu viens de me dire : être polie en parlant, avoir un bon caractère, faire en classe tout ce qu’on me
dira.

— Oui, une bonne élève est soumise, respectueuse, obéissante et reconnaissante ; elle aime presque autant que sa mère sa maîtresse qui la remplace. Je crois, ma Paillette, que tu seras une gentille écolière. Mais, nous voici arrivées, je te reprendrai à midi pour aller déjeuner. Embrasse-moi et… du courage ! »

Claire, qui d’ordinaire s’applique à tous ses devoirs, est fort distraite ce matin. Devinez-vous pourquoi ? Elle pense à sa petite protégée, elle la regarde de loin — car il n’y a qu’une classe pour toutes les élèves — et elle se dit : J’ai oublié de lui parler de ceci, je ne lui ai pas recommandé cela. Pourvu que tout marche comme il faut ! Et Claire se tourmente parce qu’elle a bon cœur.

Midi sonne, on sort.

— Eh bien ? dit-elle à Pauline, en la prenant à la sortie des rangs.

— Je suis contente.

— Madame est gentille, n’est-ce pas ?

— Oui, je crois que je l’aime déjà. — Et les petites compagnes ?

— Hum ! pas trop.

— Quoi donc ? Elles t’ont regardéo beaucoup sans doute.

— Oui, cela me gênait, et puis, elles chuchotaient entre elles et riaient.

— C’est parce que tu es nouvelle. Demain, on ne te regardera pas plus que les autres.

À propos des camarades, si tu ne veux pas avoir d’ennuis, tu choisiras tes amies parmi les meilleures élèves, celles qui ne se font pas punir et qui donnent le bon exemple. Il faudra faire aussi ce que Madame nous répète souvent : éviter entre nous les taquineries et les disputes, être polies et obligeantes les unes envers les autres, s’entre-rendre de petits services, ne pas rapporter, n’avoir ni jalousie, ni caprices, ni mauvaise humeur et alors on est heureuse. L’école est une grande famille où il faut, autant qu’on peut, se rendre agréable à chacun.

J’ai suivi ces conseils, je les suis encore et je m’en trouve bien.

— Je le crois. J’ai vu au 14 juillet ton prix que ta mère montrait à maman, et je sais que ce prix est donné à l’élève choisie par ses compagnes comme la plus aimable de la classe.

Claire rougit de plaisir à ce souvenir.

— Tiens, dit-elle, nous sommes déjà à la maison. Bon appétit, Paillette, je t’attendrai pour repartir.

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Il faut croire que Pauline avait bien des choses à raconter à sa maman, car le temps du déjeuner s’écoula si vite, si vite, qu’elle entendit l’horloge sonner une heure.

— Ah ! mon Dieu, fit-elle, Claire m’attend au coin de la rue. Je me sauve.

— Mais arrive donc ! disait Claire en faisant un geste d’impatience ; et quand Pauline fut près d’elle, Claire ajouta : La cloche est sonnée, nous sommes en retard. — Oh ! d’une minute, fit Paule.

— Une minute de trop. Une élève ne doit jamais faire attendre sa maîtresse, c’est une impolitesse. Elle doit être aussi régulière dans son arrivée que dans son travail ; c’est une bonne habitude à prendre au commencement.

Paule était essoufflée d’avoir couru.

— Là, fit Claire, calme-toi. De quoi avons-nous l’air ? de petites folles. Il faut marcher posément dans la rue et ne pas imiter ce vilain garçon qui court là-bas, bouscule les gens ou agace les chiens.

On arrivait.

La maîtresse jette les yeux sur la pendule, puis regarde sévèrement les retardataires. Pour cette fois, elle ne punit pas. Les enfants avaient eu bien peur.

« Je serai exacte à l’avenir », se dit tout bas Pauline.

Le tantôt s’écoula sans incident. Paule avait apporté vide un petit carton. Elle le remporta avec un porte-plume, un cahier, un livre que la maîtresse lui avait confiés.

— Le livre, il faudra le couvrir, dit Claire à la sortie ; le cahier, il n’y faudra pas faire de pâtés ni de taches ; le porte-plume, il ne faudra pas le perdre. Une bonne élève a le plus grand soin de ses fournitures et les range avec ordre.

— J’ai un devoir à faire, interrompit Pauline.

— Oui, j’ai vu Madame te le donner.

— J’ai une leçon à apprendre.

— J’ai entendu Madame l’expliquer à ta division.

— Je ne sais pas comment…

— Si… si… Madame a bien montré au tableau et tu écoulais avec attention. Va goûter. Aussitôt après, tu te mettras au travail, tu réfléchiras, tu te rappelleras. Il faut s’appliquer à faire ses devoirs et à apprendre ses leçons à la maison aussi bien qu’à la classe.

— Toute seule !

— Bien sûr, puisque c’est expliqué d’avance. Tu as compris, cela suffit pour savoir. On ne peut pas avoir toujours quelqu’un derrière soi qui vous montre, la maîtresse ne suffirait pas à cette besogne.

Claire ajouta :

— J’irai te voir quand j’aurai fini ce que j’ai à faire. Vous devinez que Claire voulait obliger Pauline à se tirer d’affaire toute seule, ce qui est absolument nécessaire, et elle se disait : « Pourtant, si je la vois par trop dans l’embarras, je l’aiderai… »

Il n’en fut pas besoin. Après ce jour de classe-, d’autres succédèrent, tous heureux, car notre Paillette, prenant pour modèle son amie Clairo, est devenue une des meilleures élèves de l’école, et elle continuera toujours à l’être.

Lorsqu’une flèche est bien lancée, elle va droit au but.

Qui commence bien a chance de bien finir.


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RÉSUMÉ

1. Une bonne écolière est exacte et arrive toujours à l’heure. Faire attendre sa maîtresse est une impolitesse.

2. Kilo a la figure et les mains très propres ; ses vêtements n’ont ni taches, ni déchirures. 3. Kilo a une bonne tenue, s’appliquo à ses devoirs et obéit ponctuellement. 4. Elle écoute les réprimandes avec soumission et accepte les punitions sans murmurer. / 5. Elle choisit ses amies parmi les meilleures élèves ; ello évite les taquineries, les querelles, les rapports contre ses compagnes.


MAXIME


L’École est la continuation de la famille, une maîtresse est comme une seconde mère ; il faut avoir pour elle du respect, de l’affection et de la reconnaissance.

Rédaction. Vous avez une petite cousine qui doit entrer à l’école, énumérez-lui tout ce qu’elle aura à faire pour devenir une bonne écolière.


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