La civilité des petites filles/11

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11. — La Politesse envers les pauvres.


CHEZ LES FOURNISSEURS.


C’était à la fin d’une journée de chaleur accablante. Je m’étais assise à la porte de ma demeure pour respirer un peu d’air frais. Un pauvre vieillard infirme et dont les vêtements dénotaient la misère vint à passer en ce moment ; il s’appuyait péniblement sur son bâton et marchait avec difficulté.

Bientôt il fut obligé de s’arrêter comme si ses jambes ne pouvaient plus le porter, et prit le parti de s’asseoir par terre.

Un petit garçon nommé Raoul, qui pouvait bien avoir dix ans, accompagné de sa sœur plus jeune que lui, s’approche du pauvre homme, se découvre et, son chapeau à la main, lui remet une pièce blanche en lui disant :

« Voilà dix sous pour vous, monsieur, parce que vous paraissez bien malheureux. » Je dois vous dire que les parents de Raoul étaient à leur aise et que le garçonnet avait toujours un peu d’argent dans son porte-monnaie. La petite sœur de Raoul n’avait qu’un bouquet à la main, et comme elle voulait donner aussi quelque chose, elle dit gentiment au vieillard :

— C’est pour vous, monsieur, ces belles fleurs que j’ai cueillies, prenez-les, elles sentent bien bon.

Le pauvre vieux, les yeux pleins de larmes, remercie les enfants avec effusion. Leur politesse et les paroles aimables qu’ils lui avaient adressées le louchaient plus encore que leur charité :

— Vos parents sont bien heureux, dit-t-il, d’avoir des enfants bons comme vous l’êtes ! Que Dieu vous bénisse toujours, vous et voire famille !

Au moment où les deux enfants s’éloignaient, un jeune garçon du village qui avait entendu Raoul parler au malheureux lui cria en ricanant :

— Tu es bien bête de dire monsieur à un mendiant, et de lui parler le chapeau à la main comme si c’était un seigneur.

— Qu’un vieillard soit riche ou pauvre, répond Raoul, il a toujours droit à notre respect et à notre politesse. Mon père m’a dit souvent : Pauvreté n’est pas vice.

Le père de Raoul avait raison, et moi j’ajoute : La politesse doit s’exercer envers tous nos frères, qu’ils soient nos égaux, nos inférieurs ou nos supérieurs, nos maîtres ou nos serviteurs, qu’ils aient en partage les dons de la fortune ou qu’ils en soient privés.

La politesse que Raoul avait montrée envers le mendiant, il l’avait pour tous. S’il rencontrait une femme âgée, il la saluait, même sans la connaître ; et si par hasard il entrait chez un marchand et se trouvait à la porte en même temps que plusieurs autres clients plus âgés que lui, il les laissait passer les premiers et se découvrait.

Puisque nous parlons marchands ou fournisseurs, arrêtons-nous quelques instants sur ce sujet. Il n’est pas rare de voir des enfants entrer chez un marchand comme un âne entre dans un moulin. Il semblerait que du moment où ils vont acheter pour deux sous de sel ou de poivre, ils ont le droit d’être insolents. Combien en ai-je vus qui, en arrivant dans un magasin, ne disent ni bonjour, ni bonsoir, et s’imaginent que tout leur appartient. Ils touchent aux marchandises, les remuent au risque de les détériorer, et sont des heures à faire leur choix. Ils ne se gênent pas pour déprécier la marchandise et adresser des paroles désobligeantes aux marchands. En leur parlant ils disent : « Je veux du sucre, il me faut du savon, donnez-moi vile ceci, cela… »

Ces enfants impolis oublient que si nous faisons plaisir aux commerçants en achetant leurs marchandises, ils nous rendent de grands services en les tenant à notre disposition. Ils nous font gagner du temps. Que deviendrions-nous, par exemple, si, habitant la campagne, il nous manquait tout à coup de l’huile ou du vinaigre. Ferions-nous quelques kilomètres pour nous en procurer ?

Quand on s’adresse à un fournisseur, on doit lui dire :

— Voulez-vous bien me servir… Donnez-moi, s’il vous plaît, telle chose, telle autre.

On remercie, et en parlant on salue.

Si l’on croit devoir discuter le prix de la marchandise ou sa qualité, il faut le faire doucement et d’un air poli.

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Une anecdote pour terminer.

Lorsque les employés de commerce ont fini de servir leurs clients, ils leur demandent invariablement : Et avec cal

Un jour un de nos spirituels journalistes va acheter six mouchoirs de poche, et quand le commis, en lui remettant son achat, lui adresse la phrase sacramentelle : Avec ça ? le journaliste lui répond gravement : « Avec ça, monsieur, on se mouche. »

RÉSUMÉ


1. La politesse s’étend à tous : on doit être poli envers les vieillards, les malheureux, les domestiques, les fournisseurs.

2. Il faut être gracieux en faisant l’aumône : la manière de donner vaut mieux que ce qu’on donne.

3. Manquer d’égards à un homme parce qu’il est malheureux, c’est manquer de cœur.

4. Si vous êtes chargée de faire quelque emplette chez les fournisseurs, ne touchez pas sans nécessité aux marchandises, discutez les prix sans insolence, saluez en entrant et en sortant.

Voulez-vous bien connaître le caractère d’un enfant, savoir s’il a bon cœur ? Demandez à un serviteur ce qu’il en pense.

Rédaction. Sous le rapport de la politesse, comment un enfant doit-il se conduire envers les malheureux, les domestiques et les fournisseurs ?