La constitution essentielle de l’humanité/6

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CHAPITRE VI

LA RÉFORME PACIFIQUE DES IDÉES ET DES INSTITUTIONS


§ 1

La souffrance actuelle de l’Europe et les causes premières du mal.

Les petites nations européennes, enserrées sur le continent entre les rivages maritimes qui s’étendent de l’embouchure de la Vistule aux bouches du Danube, se trouvent dans une situation qui devient chaque jour plus critique. Sauf quelques oasis de vertu et de vérité, cette région est maintenant envahie par la corruption et l’erreur. La souffrance s’y manifeste par des traits saisissants ; les besoins essentiels du peuple ne sont plus satisfaits : la consommation du pain quotidien n’est pas assurée à chaque individu ; chez beaucoup de familles, la pratique de la loi morale est négligée ou formellement enfreinte.

Les causes premières de cette double défaillance ont été exposées aux deux chapitres précédents. La principale source de la corruption est « l’erreur fondamentale » imaginée au commencement du XVIIIe siècle en Allemagne et en Angleterre, perfectionnée par J.-J. Rousseau, propagée avec un prosélytisme ardent, de 1762 à 1789, par les salons parisiens : c’est l’ensemble des notions fausses qui émanent de la croyance à la perfection originelle de l’enfant[1]. Une deuxième cause de la souffrance actuelle est l’agglomération exagérée des populations sur les bassins carbonifères du Continent. Ces localités, en effet, grâce à leur richesse houillère et aux inventions récentes fondées sur l’emploi de la machine à vapeur, sont devenues depuis 1830, pour le monde entier, des fabriques d’objets manufacturés. Aux époques de prospérité commerciale, les ouvriers de ces fabriques tirent des territoires étrangers des moyens de subsistance que le territoire national ne fournirait pas ; en revanche, privés, aux époques de crise, des débouchés habituels, ils tombent dans un complet dénuement. L’avenir est encore plus inquiétant, car deux des quatre grands empires que développe l’âge de la houille sont maintenant pourvus de fabriques animées par la machine à vapeur : la concurrence de ces nouvelles fabriques, alimentées par des bassins carbonifères cent fois plus riches que ceux du continent européen, aura inévitablement pour résultat de perpétuer ce dénuement. Enfin, parmi les causes qui, dans un prochain avenir, ne permettraient plus aux Européens de soutenir cette concurrence des Chinois, de la Nouvelle-Angleterre et de ses confédérés, il faut encore citer l’état habituel de paix armée, et les charges écrasantes qu’il impose aux populations.

§ 2

Les moyens de reforme d’où sortira la guérison de la souffrance.

« L’erreur fondamentale » signalée au paragraphe précédent comme, la principale source de la corruption actuelle semble, au premier aperçu, pouvoir être facilement réfutée par la méthode d’observation. Elle est, en effet, unanimement condamnée par les personnes chargées d’élever et d’instruire les enfants, c’est-à-dire par les mères, les nourrices et les maîtres d’école. Cependant, j’ai rarement réussi à communiquer aux égarés de notre temps les convictions énergiques que j’avais acquises auprès de ces autorités compétentes ; et, à la longue, je me suis rendu compte de mon insuccès. La fausse notion de la perfection originelle est propagée par des novateurs égarés ; ils attribuent au régime traditionnel d’éducation fondé sur la nature de l’homme les maux déchaînés par la violation de la loi morale, et ils prétendent détruire la hiérarchie naturelle, établie dans la famille par les rapports du père, de la mère et de l’enfant. Pour ramener ces novateurs à la vérité, il ne suffit donc pas d’insister sur la fausseté évidente du fait qu’ils allèguent : il importe surtout de démontrer que la liberté de l’enfant comme l’égalité des hommes, lesquelles sont les bases de leurs systèmes de réforme, sont incompatibles avec l’existence d’une société prospère. Cette démonstration est aujourd’hui la tâche spéciale des amis de la vérité.

Quant aux réformes qui doivent assurer à chaque individu et à chaque famille la satisfaction des deux besoins essentiels, la tâche est relativement facile : il suffit de faire appel à l’expérience des nations compliquées qui, tout en s’agglomérant, sont restées prospères. À cet égard, par exemple, l’Angleterre et la Suède fondent leur système de gouvernement sur « les libertés nécessaires ». Elles confient à leurs communes libres, contrôlées par l’État dans le seul intérêt de la paix sociale, le soin de procurer au peuple le pain quotidien. Elles attribuent à chaque famille le droit de choisir librement la religion dont les rites ramènent journellement la pensée vers la pratique de la loi morale (III, 5).

Enfin, j’ai indiqué à l’avance, au chapitre précédent, l’Union européenne des petits États et la paix internationale qui, après la connaissance de la vérité et la satisfaction des besoins essentiels, sont pour les peuples la principale condition du bonheur. Ce projet d’union n’est inspiré par aucun sentiment hostile au développement des grands empires. Ceux-ci, en effet, sont déjà, et deviendront de plus en plus d’utiles auxiliaires pour celle Union européenne, dépourvue de sols disponibles, car ils offrent à ses émigrants des territoires où règne la sécurité. L’Union donnera même son concours à l’œuvre des grands empires, en leur procurant des arbitres pour l’apaisement des conflits que doivent susciter leurs conquêtes sur le désert et la barbarie. D’un autre côté, elle s’assurera des garanties contre les abus que les grands empires pourraient faire de leur puissance. Sous ce rapport, elle sera un exemple utile pour les petites nations qui, dans les autres régions du monde, seront, comme l’Union européenne, enclavées entre les territoire des grands empires et les rivages de la mer.

§ 3

La réforme doit s’opérer d’abord dans les idées pour s’accomplir ensuite dans les mœurs et les institutions.

Les trois groupes de réformes que je viens de signaler offrent, à divers degrés, les mêmes obstacles. Pour accomplir ces réformes il faut vaincre, par des efforts persévérants, soit les erreurs qui repoussent, le retour aux traditions fondées sur la nature de l’homme, soit les manœuvres captieuses qui encouragent les actes de violence ou les préjugés qui s’opposent à l’accord des hommes de paix. Ces erreurs, ces manœuvres, ces préjugés ont pour mobiles certaines idées préconçues de bien public, plutôt que la perversité des hommes qui s’en inspirent. Cependant ils aboutissent plus ou moins directement aux mêmes conséquences : ils privent l’humanité des avantages que lui procurent l’autorité des pères[2], les rites de la religion et les coutumes de la paix ; ils lui infligent les maux que déchaînent toutes les formes de la discorde.

J’ai dit, au paragraphe précédent, combien il est difficile de détruire dans certains esprits « l’erreur fondamentale » qui méconnaît la plus évidente des vérités. La même difficulté existe, quoique à un degré moindre, pour la réfutation des autres idées préconçues. On ne réussit guère mieux, quand on appuie les motifs de réforme sur la perte des avantages, ou même sur le développement des maux qu’implique la propagation de ces idées. La résistance vient, à la fois, des hommes qui condamnent le retour aux traditions légitimes, et de ceux qui se refusent à l’introduction des nouveautés nécessaires. Chez ces deux classes d’hommes, cette résistance repose sur des convictions énergiques dont la contrainte ne saurait triompher.

Les réformes auront donc pour agents principaux les hommes de paix, dont le nombre a été singulièrement réduit par la corruption de l’ancien régime et par les violences de la révolution. Toutefois, par une heureuse compensation, la difficulté de leur mission diminuera dans un prochain avenir : les catastrophes nationales que nos discordes accumulent depuis 1830 leur viendront en aide ; elles fortifieront l’action qu’ils doivent exercer sur les égarés, rebelles, jusqu’à ce jour, à l’évidence des faits.

§ 4

Le concours progressif des hommes de paix à l’œuvre de la réforme.

Pendant un siècle, de 1685 à 1789, nos ancêtres ont souffert la corruption de Louis XIV, du Régent et de Louis XV avec une résignation qu’on peut leur reprocher justement. Depuis la révolution, au contraire, nos réformistes novateurs montrent, à l’égard de gouvernants moins coupables, une exagération de violence qui a beaucoup aggravé la souffrance du pays. Toutefois, la tendance vers les réformes pacifiques semble grandir à la vue des maux amenés par les révoltes contre le régime légal. Elle portera ses fruits dans un prochain avenir, si elle n’est point interrompue par de nouvelles secousses. Cette conviction est un stimulant pour les hommes de paix ; je crois donc utile de rappeler ici quelques événements auxquels j’ai été mêlé, et qui l’ont fait naître dans mon esprit.

Pendant mon séjour aux écoles publiques, de 1825 à 1830, la discorde divisait, en France, les diverses classes. Elle eut pour conséquence la révolution de juillet, des effusions de sang réitérées et l’accroissement de l’antagonisme social. En 1848, deux nouvelles effusions de sang, séparées seulement par un intervalle de trois mois, inondèrent les rues de Paris. Elles provoquèrent le premier symptôme de retour aux idées de paix. J’ai indiqué, dans la deuxième édition des Ouvriers européens, comment un groupe d’hommes modérés me détermina, en Juillet 1818, à changer la direction de mes travaux pour préparer la première édition de cet ouvrage. Dans la pensée de mes amis, cette publication devait contribuer à la réforme pacifique de nos institutions ; mais elle n’eut lieu qu’en 1855, et, à cette époque, le coup d’État de 1851 avait rétabli, en l’aggravant, la division des partis politiques. En fait, cet acte de violence avait compromis, pour toute la durée du second empire, l’œuvre de la réforme.

Les catastrophes nationales de 1871 ont de nouveau rapproché les hommes de paix et donné une direction utile à leurs travaux. L’École de la paix sociale a été fondée. Elle a constitué un enseignement privé qui a pour objet la méthode d’observation dite des « Monographies de famille »  ; les principes et les coutumes de la Constitution essentielle, la réfutation des erreurs mentionnées aux cinq paragraphes suivants.

Enfin, les maîtres ainsi formés sont en mesure d’imprimer une impulsion décisive à l’œuvre de la réforme. Également familiers avec la science des sociétés et les sciences de la nature, ils peuvent être d’utiles auxiliaires pour l’organisation de l’enseignement public qui va être signalé dans les deux derniers paragraphes de ce chapitre. Ils coopéreront, sous un régime de liberté, au progrès des idées justes, condition préalable de la réforme des mœurs et des institutions.

La cause principale de la souffrance actuelle de l’Europe a été indiquée dans la préface de ce livre : elle provient de l’antagonisme qui divise deux classes de la société : d’une part, les hommes de tradition, qui connaissent et pratiquent la Constitution essentielle, s’adonnent surtout à l’exploitation des arts usuels et vivent en paix avec leurs serviteurs, leurs ouvriers et leurs voisins ; de l’autre, les hommes de nouveauté, qui oublient ou enfreignent cette constitution, sont voués principalement à l’exploitation des arts libéraux ou à la culture des sciences physiques, et n’ont que des rapports éphémères avec la population qui les entoure. Les hommes de paix formés à notre école donnent un premier concours à la réforme par leur enseignement privé, où sont conciliées les vérités propres à chacune de ces classes. Ils sont prêts à le compléter, en coopérant à la création d’un enseignement public établi sur les mêmes bases.

§ 5

Les trois fausses doctrines qui dérivent de l’erreur fondamentale.

La croyance à la perfection originelle a engendré trois fausses doctrines, qui ont exercé une grande influence sur la politique et la littérature de notre époque. On peut les nommer : les principes de 1789, le naturalisme et l’évolutionnisme. La notion sommaire de ces doctrines doit être précédée par une remarque qui leur est commune.

Le Décalogue offre, à première vue, deux caractères essentiels qui expliquent l’ascendant dont il a joui jusqu’à ce jour sur tous les peuples prospères. La raison devrait donc exiger au moins que ces mêmes caractères se rencontrassent d’abord dans ces nouvelles doctrines. Le premier caractère de la loi suprême est « la clarté des idées » : à défaut de cette qualité, la loi resterait inintelligible pour les esprits médiocres qui forment partout la majorité et qui, plus que les autres, ont besoin d’être dirigés. Le second caractère essentiel est « l’accord entre la formule de la loi suprême et la nature de l’homme » ; faute de cet accord, le règne de la loi morale et le service du pain quotidien ne sauraient être garantis efficacement.

Les novateurs dont je parle ne se sont guère préoccupés jusqu’à présent de relever, par ces qualités maîtresses, la valeur de leurs doctrines. Loin de là, on constate, en suivant les débats qui se produisent, même entre leurs auteurs, qu’ils ne s’accordent, ni sur la définition qu’ils adoptent, ni sur les besoins qu’ils prétendent satisfaire. Je vais signaler les lacunes et les contradictions de ces trois enseignements nouveaux, et mettre ainsi en lumière les questions que la science sociale doit résoudre.

§ 6

Les principes de 1789.

Depuis près d’un siècle, on signale, sous ce nom, à la confiance des peuples les nouveautés qui devraient remplacer, comme règle suprême de conduite, les institutions surannées de la Constitution essentielle. La pratique des partisans de la doctrine et le texte des principales déclarations qui l’ont définie, fournissent le plus sûr moyen de connaître la pensée des novateurs : les trois mots qui la résument sont « liberté systématique, égalité providentielle, droit de révolte ». Il est donc facile de démontrer que ces formulas n’ont pas la clarté désirable, et qu’elles n’expriment point les besoins généraux qu’une bonne constitution sociale doit, avant tout, satisfaire.

Les enseignements de l’histoire et de la raison condamnent la liberté pratiquée sans contrepoids, ou même sans entrave formelle. Partout on réprime, dans l’enfance et la jeunesse, les inclinations, et chez les hommes faits, les actes qui sont incompatibles avec la paix publique. D’un autre côté, chez les races modèles, ces contraintes nécessaires se trouvent en présence de libertés légitimes. On peut même dire que la liberté et la contrainte sont, en quelque sorte, enchevêtrées par leur nature même. C’est ainsi que les meilleurs régimes appliqués à la direction de la jeunesse peuvent être nommés avec la même exactitude : « liberté d’éducation » ou « coaction paternelle ». La liberté et la contrainte sont conciliées dans chaque élément de la vie sociale et s’y pondèrent l’une par l’autre dans un harmonieux équilibre. Le problème est résolu par la Constitution essentielle : les sept principes établissent les règles communes à tous les peuples ; les coutumes familiales et sociales imposent la pratique spéciale à chaque localité.

L’expérience et la raison conduisent à des conclusions identiques en ce qui concerne le second principe de 1789. Chez les races modèles, l’égalité des conditions ne se présente jamais avec un caractère absolu. « Les hiérarchies nécessaires » y sont toujours en présence des « égalités légitimes ». Souvent même, les deux conditions opposées sortent simultanément du même besoin. Ainsi, tous les plaideurs ont besoin de l’égalité civile qui leur assure une justice impartiale ; mais ils n’ont pas un moindre besoin île la hiérarchie qui élève leur juge au-dessus d’eux. Si d’ailleurs on recherche méthodiquement les coutumes qui procurent les juges les plus intègres et les plus clairvoyants, on y rencontre toujours un heureux mélange de hiérarchie et d’égalité, dérivant de la Constitution essentielle. Les hommes de 1789 sont les premiers législateurs qui aient mentionné expressément « le droit de révolte » dans une constitution écrite.

Les membres de l’Assemblée nationale l’ont formulé en 1790, dans leur déclaration des droits de l’homme. En adoptant cette nouveauté exprimée en termes vagues, ils voulurent justifier l’adhésion qu’ils avaient donnée à l’acte de violence du 14 juillet 1789 et à tous ceux qui en étaient la conséquence naturelle. Toutefois, ils faussèrent en cela l’esprit de la nation : ils élevèrent à la hauteur d’une coutume périodique la violation d’un principe permanent, indispensable, non seulement à la souveraineté de cette époque, mais encore à toutes les formes de la souveraineté. Ils substituèrent, en fait, dans le gouvernement de la société, l’esprit de violence à l’esprit de paix ; ils aggravèrent ainsi l’obstacle qui, depuis les désordres de la Fronde, empêchait la conciliation des classes dirigeantes et des gouvernants. Les novateurs se persuadent qu’ils peuvent user de ce prétendu droit selon leurs propres inspirations, pour renverser par la force une souveraineté établie. C’est là, à vrai dire, la nouveauté caractéristique de 1789. En effet, les deux premiers termes de l’erreur spéciale à cette époque étant irréalisables, il est résulté des tentatives d’application le mépris, et par suite l’instabilité des nouveaux gouvernants plutôt que le changement des institutions. Au contraire, l’esprit de révolte ayant envahi toutes les classes de la société, les partis réformistes ont été amenés à chercher leurs moyens d’action dans la violence plutôt que dans la paix. Ainsi s’est développé un régime entièrement nouveau, une ère d’instabilité où dix gouvernements ont été successivement institués, puis détruits par la violence. Les révoltes déchaînées par la révolution de 1789 ont donc complété les œuvres de tyrannie organisées, depuis 1661, par l’ancien régime. Les nouveautés de 1789 détruisent dans ses derniers fondements l’œuvre de paix inaugurée en 1598, complétée en 1629, admirée et récompensée par l’Europe reconnaissante en 1618. Elles perpétuent l’époque de souffrance la plus longue que la France ait subie. Plus que toute autre erreur, le droit de révolte augmente le danger qu’ont fait naître les défaillances actuelles de l’esprit français, à savoir : l’oubli des bienfaits attachés, à la pratique de la Constitution essentielle ; l’ignorance de la distinction qu’il faut établir, chez les nations compliquées, entre les principes permanents et les coutumes variables ; le mépris conçu pour toutes les formes de l’autorité ; enfin la perte de « l’esprit national », qui, chez les Anglais, malgré les révolutions, la corruption des rois et la mort violente infligée à l’un d’eux, fait plus que jamais vibrer tous les cœurs au nom de la « vieille Angleterre ».

Je me suis conformé au langage habituel des hommes de 1789, en choisissant le titre placé en tête du présent paragraphe. Cependant l’examen que je viens de faire au sujet de ces erreurs démontre qu’elles ne peuvent être classées au rang des principes sociaux, lui les jugeant ailleurs, je les ai souvent nommées « les trois faux dogmes de 1789 ».

§ 7

Le naturalisme.

Les partisans du naturalisme, comme ceux de l’évolutionnisme, contrastent, par leurs idées de réforme, avec les hommes de 1789. Ils ne prétendent point appliquer eux-mêmes leurs principes au gouvernement des sociétés. Ils ne songent guère à résumer leurs travaux dans des programmes que les gouvernants pourraient mettre en œuvre. En général, ils se bornent à publier des livres, où la critique des sociétés actuelles n’aboutit pas à une conclusion. Ils se rattachent à la catégorie des savants, plus qu’à celle des politiques. Les hommes qui, dans cette voie, ont acquis la renommée, ont étudié le monde physique et analysé les faits sociaux. Ils ne répugnent donc point à soumettre ces derniers au contrôle de la méthode d’observation ; et l’on peut espérer que les deux doctrines ne porteront pas leurs adeptes à la violence, comme l’ont fait les principes de 1789. Ceux que j’ai connus m’ont toujours fourni avec bonne foi les moyens de m’initier à l’idée maîtresse de leur doctrine et de découvrir les faits qui, suivant moi, en démontrent l’erreur.

Selon les renseignements que j'ai ainsi reçus au sujet du naturalisme, l’homme et l’animal n’offrent ni dans leur origine, ni dans leur existence actuelle, le contraste absolu que signalent les doctrines traditionnelles de l’humanité. D’un autre côté, l’homme comparé à l’animal est loin de s’élever au degré de bonheur que comporte la supériorité évidente de sa nature. Ainsi, par exemple, les animaux sociables de chaque espèce constituent avec succès des communautés pour se procurer la subsistance dans des conditions immuables de stabilité. Ce succès leur est assuré par leur organisme physique, qui est à la fois le principe de leurs besoins et le moyen de les satisfaire. Les facultés organiques de l’animal, l’intelligence, l’aptitude au travail, créée par l’expérience et l’éducation, grandissent à mesure que l’espèce s’élève dans la hiérarchie des êtres doués de vie et de mouvement. Enfin, l’homme est évidemment placé au sommet de cette hiérarchie.

Le rapprochement de ces faits indique une anomalie, et même une contradiction : les sociétés d’hommes sont les seules qui soient incapables de se perpétuer dans la paix. Les adeptes du naturalisme prétendent donner, au sujet de ce contraste, une explication toute simple : l’animal prospère dans la paix parce qu’il reste fidèle aux impulsions de sa nature ; l’homme souffre dans la discorde parce qu’il est dominé par des traditions qui le dépravent, sous prétexte de l’améliorer. Comme on le voit, celle explication n’est qu’une manifestation particulière de « l’erreur fondamentale ». J’ai exposé, dans les premiers chapitres de ce livre, comment elle est réfutée par la nature même de l’homme, par la pratique de la Constitution essentielle chez les anciens et les modernes.


§ 8

L’évolutionnisme.

Selon la pensée dominante de l’évolutionnisme, telle qu’elle m’est apparue dans les ouvrages et dans les conversations de ses adeptes, les défaillances actuelles de l’humanité ne constituent pas, comme l’enseigne le naturalisme, un régime de corruption et de décadence : elles ne sont que les restes d’une succession infinie de régimes antérieurs où apparaissait seulement le besoin du pain quotidien, où la notion de la loi morale n’existait pas encore. Au surplus, ce trait spécial à l’histoire du globe terrestre n’est qu’un incident de la théorie du « progrès », que la doctrine considère comme la loi suprême de l’univers. À ce point de vue, le monde physique continue à subir, dans la suite des temps, une transformation perpétuelle. Comme tous les êtres animés, l’homme est sorti d’un premier germe de vie, et il se modifie sans cesse conformément à cette loi.

Par l’ampleur même du champ qu’il embrasse, l’évolutionnisme ne répond guère aux questions que l’homme s’est adressées de tout temps sur sa destinée ; mais il se recommande à certains esprits, en leur offrant cette décevante perspective que l’humanité a une marche assurée vers la perfection et le bonheur. Pour justifier l’affirmation de cet avenir, les professeurs de la doctrine ont généralement recours au même procédé ; ils décrivent, avec des détails attrayants, les améliorations extraordinaires qui s’accomplissent sous nos yeux dans le régime du travail et le service du pain quotidien. Ils ne se montrent pas indifférents aux améliorations que comporte la pratique de la loi morale ; mais, sans s’étendre beaucoup sur ce point, ils admettent implicitement que les deux conditions du progrès ne sauraient être séparées, et qu’elles se produisent à la fois sous l’influence d’harmonies créées par les matériaux et les forces de la nature. Enfin, les partisans de l’évolutionnisme se montrent très prudents en ce qui concerne la critique des institutions traditionnelles que condamne ouvertement le naturalisme ; mais on entrevoit que, dans leur pensée, « le progrès » consistera surtout à les rendre inutiles.

La stabilité absolue, conservée chez les pasteurs nomades d’où étaient issus, il y a déjà quarante-deux siècles, les races sédentaires de l’empire chinois, concorde peu avec la doctrine de l’évolution continue. Quant aux faits exposés méthodiquement dans ce livre, ils ne s’accordent pas non plus avec les jugements portés par l’évolutionnisme sur l’avenir de l’humanité.

§ 9

Comment les trois doctrines propagent l’erreur, déchaînent la souffrance, et empêchent la réforme.

Depuis un siècle, les propagateurs des trois fausses doctrines se manifestent, par leurs idées et leurs actions, avec des nuances innombrables. C’est parmi eux que figurent les principales célébrités de l’époque actuelle. Leur influence croissante s’explique par la satisfaction que donnent leurs écrits et leurs discours à deux tendances actuelles des Européens : le mépris de la tradition et l’amour de la nouveauté. Dans cette partie de leurs travaux, ils ont été plus nuisibles qu’utiles à la réforme sociale. Toutefois, sur d’autres points, ils ont mieux répondu aux besoins vrais et permanents de l’humanité. Une part légitime de renommée restera acquise ; à deux catégories de novateurs : aux hommes sincères et modérés de 1789, qui apercevaient la corruption de l’ancien régime et voulaient la réprimer ; aux adeptes du naturalisme et de l’évolutionnisme qui, tout en adoptant de fausses conclusions en matière sociale, ont cultivé avec succès les sciences de la nature.

Les bonnes intentions et les travaux utiles, restent donc un sujet d’éloges ; mais les fausses doctrines, qui en sont la formule ou le résultat définitif, deviennent le sujet de graves inquiétudes et doivent être condamnées. Chez les peuples où se perpétue la corruption de l’ancien régime, la principale source du danger semble, au premier aperçu, résider dans l’esprit de violence érigé en dogme par les principes de 1789. En effet, les dix formes de gouvernement qui depuis cette date se sont succédé en France ont démontré l’impuissance absolue de ce prétendu moyen de reforme : on entrevoit donc le moment où les esprits renonceront à ce funeste remède, sous le salutaire enseignement de l’expérience et des catastrophes nationales.

Le naturalisme et l’évolutionnisme se présentent d’abord à la pensée avec des apparences moins dangereuses. Les doctrines sont, en effet, propagées par des hommes qui ne se mêlent point aux discordes sociales et s’adonnent exclusivement à la culture des sciences physiques. Beaucoup de condisciples dont j’ai suivi les travaux étaient dans cette situation d’esprit. Je la retrouve journellement chez les hommes de science. Absorbés dans leur spécialité, étrangers aux affaires et aux devoirs généraux qui, seuls, développent l’intelligence de la vie sociale, ils deviennent peu à peu incapables de comprendre les vérités fondamentales de la Constitution essentielle. Ils sont donc conduits à les nier dans les rapports qu’amène l’intimité du voisinage. Ceux qui se distinguent par la passion du vrai et l’activité de l’esprit sont, faute d’un enseignement préalable, choqués par l’affirmation journalière des vérités traditionnelles. Ils sont peu disposés à admettre les lois du monde moral, affirmées par des hommes qui ne connaissent pas les lois du monde physique. D’un autre côté, ils sont frappés des souffrances qui débordent autour d’eux, et ils les attribuent à l’état d’ignorance dans lequel se complaisent souvent ces hommes de tradition. Aussi, dès qu’ils ont aperçu le mal, ils en cherchent le remède, bien qu’ils soient eux-mêmes étrangers à la pratique de la vie sociale. Leur attention se porto alors naturellement sur les faits qu’ils connaissent le mieux. Ils voient les ressources merveilleuses dont dispose maintenant l’esprit humain pour découvrir les lois du monde matériel. Ils savent que ces lois, appliquées au régime du travail, ont centuplé récemment les moyens de subsistance et la force intellectuelle des sociétés. Malheureusement, ils n’ont point eu l’occasion de constater les défaillances morales qui sont trop souvent la contre-partie des aptitudes intellectuelles. Ils ignorent que la source incessante du mal est précisément l’abus de la richesse et de la force, produits habituels de l’intelligence. Par la ponte, naturelle de leur esprit, ils concluent donc à une série logique d’erreurs, savoir : à la perfection originelle de l’homme, au progrès continu des sociétés, puis enfin au mépris de la tradition, à la révolte contre la Constitution essentielle de l’humanité.

C’est ainsi que naissent et se développent les erreurs desquelles dérive la souffrance de notre temps. Malgré leurs talents et leurs bonnes intentions, les maîtres des trois doctrines suscitent progressivement, dans le cercle croissant de leur influence, des idées, des sentiments, des mœurs et des institutions qui n’ont jamais pu se concilier avec le bonheur ou, en d’autres termes, avec la stabilité et la paix d’une race d’hommes. Ils provoquent l’avènement d’un ordre de choses où la négation de la vérité se montre déjà plus dangereuse que ne le fut, dans le passé, la révolte contre la vertu. Le mal actuel se manifeste d’ailleurs par des caractères saisissants : toutes les activités sociales se privent elles-mêmes des satisfactions que procurent les deux besoins essentiels de l’humanité ; les familles dirigeantes deviennent indifférentes ou rebelles à la loi morale ; le peuple s’insurge contre les principes qui, de tout temps, lui ont assuré le pain quotidien.

Heureusement, les hommes qui déchaînent ainsi la souffrance possèdent parfois les aptitudes nécessaires au rétablissement de la prospérité. Les plus habiles ont acquis la partie légitime de leur renommée en pratiquant « la méthode scientifique », celle qui a pour base l’observation des faits spéciaux que « la science » doit grouper harmonieusement sous une même formule générale. Voués à l’étude de la matière, ils offrent, depuis un siècle, un concours précieux au développement matériel des sociétés humaines. Toutefois, plus les savants s’élèvent en s’attachant aux phénomènes physiques et en appliquant leurs découvertes au service du pain quotidien, moins ils sont aptes à remplacer les hommes qui savent gouverner les sociétés prospères. Souvent étrangers aux sciences naturelles, les meilleurs gouvernants, après avoir acquis méthodiquement la notion simple de la Constitution essentielle, ont consacré leur vie à rechercher comment, pour établir le règne de la paix, il faut modifier les coutumes, selon l’état des mœurs et la nature des lieux.

§ 10

Comment sera constituée l’Université de la réforme sociale.

Depuis quatorze siècles, l’histoire de l’Europe a démontré que les classes dirigeantes, appuyées sur l’autorité paternelle et le Décalogue, trouvent dans la religion la force prépondérante qui assure aux sociétés le bonheur fondé sur la paix. Les races qui, au Ve siècle, se partagèrent l’empire romain, furent tout d’abord placées dans cette heureuse condition. Elles comprirent que les rites du christianisme conserveraient à leurs familles le respect envers le père et la mère, et qu’ils développeraient la soumission à Dieu, en même temps que l’obéissance aux autres commandements de la loi suprême. Sous cette influence, l’occident de l’Europe retrouva en partie, dès le Xe siècle, la prospérité que lui avait parfois procurée le gouvernement des Romains. Les peuples reconnaissants prodiguèrent les richesses aux ministres de la religion, qui étaient les principaux auteurs de cette prospérité ; et dès lors commencèrent pour l’Église les épreuves qui aboutirent au schisme du XVIe siècle.

Pour remédier à la corruption de la classe dirigeante, du clergé et des gouvernants, la France, dès le XIIe siècle, appela la science à son aide : elle fonda l’université de Paris (1200). L’institution établie en toute indépendance, recrutée parmi des hommes tels que saint Thomas d’Aquin (1227-1274) et Albert le Grand (1205-1280), jeta tout d’abord un grand éclat. Elle fut imitée par les autres États européens, à mesure qu’ils sentirent le besoin de réprimer le développement des mêmes maux.

La crise du XVIe siècle eût été évitée par les Églises de France et des autres États européens, si les clergés eussent écoulé les enseignements donnés dans les Universités par Jean Gerson[3] (1363-1429) et ses émules, si d’ailleurs les familles dirigeantes avaient eu la sagesse de repousser les convoitises décevantes de la politique. Toutefois, les maux déchaînés par cette crise se trouvèrent guéris on Europe vers le milieu du XVIIe siècle. Assurément la rupture de l’unité religieuse se faisait encore sentir ; mais, par compensation, la paix rétablie entre les cultes rivaux avait développé une émulation salutaire ; parfois même elle avait produit des alliances qui contribuaient à la réforme des mœurs[4], et qui, depuis lors, comme je l’indiquerai ci-après, ont pris un caractère plus fécond. Les mœurs des clergés européens ont été réformées sous l’influence de contrôles réciproques ; et les conflits soulevés à l’époque de la Renaissance, entre la religion et les sciences physiques,’sont maintenant apaisés, grâce à une sage interprétation des textes du Livre saint.

Cette heureuse entente, rétablie d’abord en France de 1629 à 1685, mais compromise de nouveau par la révocation des édits de 1598 et de 1629, persiste dans la majeure partie des États du Nord. En résumé, les motifs des discordes religieuses survenues en Europe, notamment en France et en Allemagne, sont clairement indiqués par l’histoire : aux premiers rangs figurent la corruption des clergés, puis subsidiairement l’ambition des gouvernants et des classes dirigeantes. Toutefois, la cause prépondérante de la guerre et de la paix fut l’éternelle aspiration des pères de famille : le besoin de fonder sur les rites de la religion, et par le ministère d’un clergé moral, l’éducation de leurs enfants.

Cependant, voici qu’une crise nouvelle se manifeste dans le domaine de la religion : c’est celle que j’ai indiquée ci-dessus, en montrant ce qu’il y a d’erroné dans les enseignements du naturalisme et de l’évolutionnisme. Cette fois, le mal provient, non des clergés, puisqu’ils acceptent une interprétation du Livre saint conforme aux découvertes scientifiques, mais bien des lettrés, qui s’enorgueillissent outre mesure de ces découvertes. Ces lettrés, en effet, nient plus ou moins l’existence de Dieu, en affirmant que certaines races sauvages ne le connaissent pas. Or l’inexactitude de ce fait peut être démontrée par la méthode même à laquelle sont dues les récentes découvertes des sciences physiques. Le conflit qui s’élève maintenant entre la religion et les sciences physiques sera facilement apaisé par la méthode d’observation qu’adoptent comme une source commune de vérité les théologiens et les autres savants. Il y a donc lieu d’imiter ce qui s’est fait récemment à Londres : il faut créer une nouvelle Université, fondée exclusivement sur l’emploi de cette méthode. Cet enseignement nouveau mènera de front l’observation méthodique du monde matériel et celle des sociétés humaines qui sont le siège du monde moral. Les bienfaits que procurera ce nouveau régime sont déjà obtenus en partie là où les ministres des cultes rivaux apportent une certaine modération dans les controverses suscitées par la diversité des croyances. Ces bienfaits sont plus visibles encore dans les localités où les divers clergés se concertent pour améliorer l’étal moral de leurs ouailles. On peut constater, en effet, (pic les peuples placés de nos jours dans cette heureuse condition sont ceux qui résistent avec le plus de fermeté aux erreurs du naturalisme et de l’évolutionnisme.

Un enseignement constitué sur cette base complétera sur un point de première importance les nouvelles universités établies en Allemagne et en Angleterre. L’université actuelle de Paris, laquelle a son siège à la Sorbonne, a été fondée sur l’alliance de l’orthodoxie religieuse avec les vérités de l’ordre physique. L’une des plus récentes, l’université de Londres, créée par une charte royale de 1837, exclut spécialement du cadre qu’elle embrasse les connaissances relatives à la religion.

L’université de la réforme sociale occupera entre ces deux établissements une situation intermédiaire. Elle différera de l’université actuelle de Paris, en laissant à ceux qui en sont chargés l’enseignement des vérités qui touchent directement à l’ordre surnaturel. Elle différera de l’université de Londres et comprendra dans son enseignement toutes les vérités qui, touchant à la fois à l’ordre physique, moral et religieux, peuvent être établies par la méthode d’observation. Elle tranchera avec l’université de Londres par deux caractères essentiels : elle ne sera pas seulement formée par un corps mobile d’examinateurs, conférant des grades à des élèves formés dans une clientèle d’établissements voués à l’instruction supérieure ; elle enseignera elle-même toutes les sciences qui peuvent être constituées par l’observation directe du monde physique et des sociétés humaines. Enfin, elle réunira autant que possible des professeurs qui, indépendamment de leur spécialité, auront une notion générale des autres connaissances enseignées dans le nouvel établissement. L’école de la paix sociale a formé depuis quinze ans, dans les conférences privées qu’elle organise, des maîtres qui réunissent la connaissance des sciences physiques à celle des sciences sociales. Ces maîtres sont donc prêts à soumettre au public un premier spécimen de renseignement, que l’école désirerait voir constituer par les autorités compétentes. Cet essai devrait être poursuivi avec les développements nécessaires, devant les représentants des pouvoirs publics qui auraient à intervenir dans la fondation de l’université nouvelle.

Comme toutes les universités étrangères, d’ancienne ou de nouvelle date, l’université de la réforme donnera à la fois renseignement scientifique qui concourt à l’apprentissage de la profession, et l’éducation morale qui dresse les élèves au respect de la paix sociale. Un enseignement préalable rappellera à nos gouvernants les coutumes qui régnent à cet égard dans tous les autres pays européens. Il indiquera notamment les libertés dont l’institution nouvelle aura besoin pour recruter des maîtres disposés à remplir envers leurs disciples les devoirs de la paternité. L’observation des peuples étrangers n’est donc pas seulement nécessaire à la constitution de l’enseignement nouveau : elle est indispensable à la création de l’établissement même où il sera donné. L’établissement formé dans ces conditions pourra être justement nommé « l’université sociale ».

§ 11

Comment doit être constituée la presse périodique de la réforme sociale.

L’enseignement méthodique de « l’université sociale » est nécessaire pour neutraliser l’effet des fausses doctrines, et surtout pour créer, chez les disciples, les énergiques convictions sans lesquelles on ne peut guère ramener l’opinion publique aux vérités méconnues. Cependant le moyen de réforme qui consiste à élever de vrais savants n’a point de résultats immédiats : il est sûr, mais lent. Il faut donc préparer l’œuvre de l’université sociale en employant des procédés dont l’action soit plus rapide : telles sont, de notre temps, les conférences orales et, mieux encore, les publications périodiques. Il ne faut point assurément s’exagérer l’importance que ces procédés peuvent acquérir dès leur début. La prudence conseille, en effet, de ne pas s’exposer au découragement qu’amène, en pareil cas, l’insuccès relatif des premiers efforts. La publicité orale ou écrite est souvent aujourd’hui une cause de corruption et de souffrance chez les peuples où domine l’erreur. Cependant, ce n’est point une raison pour laisser à celle-ci le champ complètement libre. Même chez ces peuples, certaines vérités, enseignées avec prudence et ténacité, offrent par leur nature même, à ceux qui les défendent, quelques éléments de supériorité. Tel est le cas des faits qui justifient la prépondérance attribuée, dans ce livre, à la Constitution essentielle et à son principal critérium, la paix sociale. Je vais dire dans ce dernier paragraphe comment doit être constituée la presse périodique de la réforme sociale. Je résumerai ensuite, dans la conclusion finale, les idées maîtresses dont les réformistes, novateurs ou traditionnels, doivent être pénétrées. Je commence par exposer sommairement les causes de mécompte et les conditions de réussite qui m’ont été révélées, pour cette sorte de presse, par le contact d’un demi siècle avec les hommes et les choses de mon pays.

Lorsque j’abordai l’œuvre de la réforme sociale avec les sentiments que l’appelle l’Aperçu préliminaire, mon plan de vie était nettement arrêté. Je me proposais de voyager six mois chaque année en Europe et en Asie, pour atteindre un double but. En premier lieu, je voulais me rendre capable d’enseigner la métallurgie, en me mettant à la seule école pratique de cette science, celle des ouvriers de la profession. En second lieu, j’espérais découvrir subsidiairement, dans ces voyages, la science des sociétés, pour déduire le système de réforme qui est indispensable à notre époque ; mais je ne voulais, à aucun prix, me livrer à la politique pour coopérer à la réalisation de ce système. Dans ma pensée, mes études sociales devaient être communiquées, à titre de renseignement, à ceux de mes amis qui seraient en situation d’en tirer parti : parmi ces derniers, Victor Lanjuinais, esprit sage et dévoué à la patrie, se trouvait au premier rang.

J’ai dit, avec quelques détails, dans le tome premier des Ouvriers européens (deuxième édition), comment ce plan de travaux fut ponctuellement suivi pendant dix-huit années. En 1848, les deux résultats désirés avaient été obtenus : j’avais été nommé dès 1840, sous le ministère de M. Thiers, professeur de métallurgie à l’École des mines de Paris, et la méthode que j’avais créée pour l’enseignement de cet art avait été signalée comme un modèle dans les pays étrangers (Aperçu préliminaire, § 2) ; d’un autre côté, mon enseignement social était écouté avec faveur par un groupe d’hommes voués aux arts usuels, à la politique, à l’administration, aux sciences et aux lettres. Cette situation donnait une satisfaction complète à mes goûts ; mais elle fut changée, à cette époque, par les deux effusions de sang survenues aux mois de février et de juin 1818. Le mouvement imprimé aux idées des classes dirigeantes par ces terribles événements, exerça sur ma situation personnelle une réaction à laquelle je ne pus résister. En juillet 1818, les hommes d’ordre et de liberté, de nouveauté et de tradition se trouvaient, pour la première fois en France, réunis par une commune pensée de réforme sociale. M. Thiers écrivait alors son livre sur la propriété ; et il se distinguait entre tous les réformistes par son ardeur. Averti et amené par Victor Lanjuinais, il vint me presser de résumer dans un livre renseignement social que lui vantaient ses amis ; il insista vivement, dût ce travail interrompre les études métallurgiques auxquelles il avait puisé plusieurs fois des arguments pour la défense du régime douanier qui avait ses sympathies. Je cédai, en outre, à l’opinion qui me fut alors exprimée, d’une manière plus ou moins directe, par beaucoup d’hommes de bon conseil[5].

J’ai également indiqué avec détail, dans le même volume, les conséquences de cette résolution. Je consacrai sept nouveaux voyages à poursuivre mes études en Europe et à l’occident de l’Asie. Dans ces voyages, j’ai complété mes monographies de familles et contrôlé, auprès des Autorités sociales de toutes ces régions, les conclusions que j’en avais déjà déduites, en ce qui touche la réforme sociale de la France et de l’Europe. L’ouvrage qu’on avait réclamé de moi fut terminé à la fin de 1854. Il avait pour titre les Ouvriers européens ; il comprenait les faits sociaux qui établissaient la vérité, la méthode scientifique qui m’avait permis de les découvrir, et le plan de réforme que j’en avais induit. C’est alors que commença la série des mécomptes qui se renouvelèrent pendant quinze années.

Les résultats obtenus pendant les sept derniers voyages avaient été communiqués chaque hiver au petit groupe d’amis qui, en 1848, avait gagné les notabilités de la politique à l’idée d’une réforme sociale. Chez ses amis, le dévouement accordé à cette réforme avait grandi ; mais il se trouva éteint chez M. Thiers et les autres politiques. Ce changement avait été produit par l’acte de violence survenu en décembre 1851. La division régnait de nouveau entre les hommes d’ordre et de liberté, de tradition et de nouveauté. La réforme qui, sous le régime de 1848, pouvait être opérée facilement par l’union de tous les hommes de paix, resta impossible pendant toute la durée du second empire. Puis, quand celui-ci s’abîma, comme le premier, au milieu des catastrophes nationales, l’initiative de cette révolution fut dévolue, par une réaction naturelle, aux hommes de violence.

La nation, appelée à constituer un nouveau gouvernement, délégua, il est vrai, cette mission à une majorité formée par des hommes d’ordre, de liberté et de tradition ; mais ceux-ci ne montrèrent ni la sagesse ni l’esprit de conciliation qui animaient la majorité des représentants en juillet 1848. Ils ne surent pas réprimer la manifestation des sentiments qui les attiraient vers quatre formes distinctes de gouvernement ; en sorte que l’état de division qui régnait sous le précédent régime se trouva aggravé plutôt qu’amoindri. Les hommes de tradition, notamment, ne ménagèrent pas assez les justes susceptibilités des hommes de nouveauté, et ils leur offrirent trop peu de garanties contre le retour des abus criants qui avaient déconsidéré l’ancien régime social. Enfin, quelques-uns se montrèrent plus imprudents encore : selon l’opinion qu’ils ne dissimulaient pas tissez, la réforme qui ramènerait le gouvernement de leur choix n’était pas nécessairement subordonnée à l’esprit de paix.

Cet état de division, en se perpétuant parmi des hommes qui devaient, à tout prix, rester unis, a entraîné plusieurs conséquences regrettables. Il a éloigné du but qu’ils voulaient atteindre les trois éléments principaux de la majorité élue en 1871. Les hommes de nouveauté ont été généralement enclins à refuser leur concours à cette majorité ; et cependant, ils ont aujourd’hui à jouer un rôle important, ne fût-ce que pour la restauration îles libertés nationales et locales, détruites à l’envi par tous les gouvernements qui se sont succédé en France depuis deux cent dix-neuf années. La nation ne semble pas plus disposée qu’elle ne l’était en juillet 1848 à opérer la réforme sociale dans le domaine de la vie publique, bien que, depuis cette époque, le nombre de ses adhérents ait centuplé dans le domaine de la vie privée. Enfin, symptôme le plus grave, l’école de la paix n’a pu recruter ses disciples qu’à l’aide de sa bibliothèque et de son enseignement oral. Quant au moyen d’action fourni par la presse périodique, il n’avait point présenté jusqu’à ce jour une chance appréciable de succès. Ce fait a une explication naturelle : l’école ne pouvait guère recruter des rédacteurs ou des abonnés parmi ses adhérents. Ceux-ci, en effet, se composent surtout d’hommes absorbés par la pratique d’un art usuel ; ils trouvent difficilement le temps nécessaire pour donner l’enseignement de la science sociale ; d’un autre côté, ils n’ont guère besoin de le recevoir, car, subissant eux-mêmes l’état présent de corruption et d’erreur, ils nous ont fourni la matière de notre enseignement, en ce qui touche les conditions de la réforme. Quant aux hommes de loisir qui sont venus à nous, parce qu’ils sentent le besoin de l’ordre, de la liberté, de la nouveauté ou de la tradition, ils espèrent, en général, que nous leur fournirons tôt ou tard le moyen d’établir l’un des quatre gouvernements de leur choix ; mais ils nous secondent peu, quand il s’agit des réformes sociales qui peuvent les servir tous, en fortifiant la nation qu’il s’agit de gouverner. Or tel est le but de la presse périodique que nous voulons organiser : cette presse, si elle est une fois fondée, sera une œuvre nationale qui laissera à chaque parti politique le soin d’assurer son avenir en se montrant sage dans le présent et en disant son meâ culpâ pour le passé.

Mes amis m’ont souvent demandé depuis 1865 de créer, pour la réforme sociale, un organe de publicité. Je n’avais pas cru pouvoir, jusqu’à ce jour, me rendre à ce désir. Les rancunes politiques qui, en décembre 1851, avaient rompu l’union du groupe réformiste, constitué en juillet 1848, persistaient avec toute leur force. Sous cette influence le plan de réforme que j’avais préparé pour la première édition des Ouvriers européens avait dû être supprimé. Le travail de réforme qui devait être inauguré par cette publication avait été remplacé par l’enquête organisée dans la société d’économie sociale, sous le patronage de l’Académie des sciences de Paris. En principe, l’union de 1848 a été rétablie parmi quelques notabilités de la politique ; en fait, la division s’est perpétuée parmi elles ; et je n’avais pas cru pouvoir créer avec des chances suffisantes de succès la presse de la réforme.

Les circonstances paraissent être en ce moment plus favorables. La seconde édition des Ouvriers européens a été terminée en 1879, avec des monographies supplémentaires et avec le plan de réforme supprimé en 1855. Un groupe d’économistes a publié récemment un Programme de gouvernement et d’organisation sociale, extrait, en grande partie, de la bibliothèque publiée depuis 1855 (voir le document annexé), et je mets aujourd’hui la dernière main à la Constitution essentielle de l’humanité. L’ensemble de ces écrits suffira pour donner aux lecteurs studieux de la nouvelle presse tous les compléments d’information. D’un autre côté, la rédaction du Programme indiqué ci-dessus a mis en lumière les talents et l’activité d’un homme jeune, disposé à diriger une revue en qualité de gérant et de rédacteur en chef. Le capital nécessaire à l’exécution a été aussitôt réuni. La société qui a constitué ce capital a décidé que sa revue serait nommée La Réforme sociale, et que le premier numéro de cette revue paraîtrait le 15 janvier 1881. Le succès de la nouvelle publication me semble probable si deux conditions sont remplies. En premier lieu, si nos amis des quatre partis politiques échappent, par un généreux effort, à la discorde, pour revenir à l’esprit d’union qui les animait en 1848. En second lieu, si les rédacteurs restent fidèles aux engagements qu’ils ont pris envers moi, en réclamant mon patronage et ma coopération financière.

Aux termes de ces engagements, le rédacteur en chef et les collaborateurs, sous son contrôle, s’inspireront exclusivement des « faits sociaux », ou du moins se soustrairont autant que possible à la pression des ce idées préconçues». Ils se proposent pour but le progrès moral, l’enseignement et la récréation intellectuelle de toutes les classes de la société. Souvent ils auront en vue les classes dirigeantes de la vie privée et de la vie publique, auxquelles incombe spécialement le devoir d’accomplir la réforme.

Pour le passé, ils insisteront sur les défaillances que ces classes ont montrées en France, depuis près de trois siècles, dans leurs rapports avec le peuple et les gouvernants. Ainsi ils indiqueront comment, de 1661 à 1789, elles n’ont point assuré au peuple la protection nécessaire ; comment, au temps de la Fronde et à l’époque actuelle, depuis 1830, elles ont parfois fait aux gouvernants une opposition injuste. Pour l’avenir, les rédacteurs de la Réforme sociale continueront l’enseignement traditionnel de notre école, en tout ce qui ne sera pas démenti par la découverte de nouveaux faits. Quant aux rapports futurs des classes dirigeantes avec le et les gouvernants, ils appuieront leur enseignement sur la Bibliothèque sociale, qui est résumée dans le présent livre et qui peut à la rigueur se réduire aux termes suivants.

Selon les enseignements de l’histoire, confirmés par l’observation des sociétés contemporaines, toutes les races prospères ont vu, dans les dix commandements du Décalogue, les formules de la distinction qui doit être établie entre « le bien » et « le mal ». Depuis le premier âge de l’humanité, les sages ont considéré «la paix » comme le criterium du bien ; la « discorde » comme le criterium du mal. La prospérité reste acquise aux races humaines, tant que les gouvernants assurent le respect dû à la Constitution essentielle. La souffrance survient dès qu’ils ne donnent plus l’exemple de la vertu ou manquent de vigilance contre l’invasion du vice et de l’erreur. Ces défaillances sont rares chez les races simples de l’Asie centrale, où chaque patriarche exerce à la fois dans sa famille le pontificat et la souveraineté. Dans ce cas, en effet, le souverain, inspiré par l’amour paternel, est moins défaillant que ses sujets ; en sorte que le caractère dominant de la constitution sociale est l’obéissance de ces derniers. Il en est autrement chez les races compliquées, où l’autorité du père de famille doit être complétée par celle des classes dirigeantes et des gouvernants, où le sol disponible est incessamment réduit par l’agglomération des familles. Chez les races ainsi constituées, les gouvernants sont plus corruptibles que les deux classes de sujets. Il est donc nécessaire que les sujets se concertent avec les gouvernants pour trouver les garanties qu’il faut opposer à la corruption toujours imminente. Les améliorations qui peuvent amener la réforme sous de tels régimes ont pour base principale la conciliation de l’esprit de tradition avec l’esprit de nouveauté, c’est-à-dire la distinction qui, à cette époque, doit être établie, dans la Constitution essentielle, entre les principes permanents et les coutumes variables selon le changement des mœurs et la transformation des lieux.

Le régime actuel de guerres internationales et de paix armée est le mal le plus aigu dont souffrent aujourd’hui les petits États de l’Europe continentale. En présence du développement inouï que prennent sous nos yeux, grâce aux voies ferrées, les « quatre grands empires», ce régime y est le fait qui contribue le plus à tarir, chez les populations européennes, les sources du pain quotidien et de l’ordre moral. Or la cause première de cette souffrance est l’esprit de violence incarné dans tous ces États. Il est également développé chez tous les gouvernants, malgré la diversité de leurs tendances. Les uns voient dans la guerre le moyen d’arracher aux États voisins des lambeaux de territoire et d’accroître le prestige de leur propre nation. Les autres portent la guerre au dehors pour faire diversion aux discordes qu’ils perpétuent au dedans. Une influence toute nouvelle tend d’ailleurs à déchaîner le fléau de la guerre, c’est celle de certains manieurs d’argent qui, appuyés sur l’agiotage des « Bourses européennes », fondent des fortunes scandaleuses sur les emprunts contractés pour les frais de la guerre et pour les rançons excessives imposées de nos jours aux vaincus. Les classes dirigeantes qui possèdent la propriété foncière, celles, notamment, qui se livrent aux travaux agricoles ou manufacturiers, sont portées, il est vrai, à combattre ces intérêts subversifs. Malheureusement, l’action pacifique des hommes voués au travail productif se restreint de plus en plus en Europe. Les maîtres repoussent encore avec la même énergie les fléaux de la guerre ; mais il en est autrement de leurs ouvriers. Au fond, ceux-ci supportent autant que leurs maîtres le poids de ces fléaux. Toutefois l’antagonisme social qui divise de plus en plus les deux classes amoindrit chez les ouvriers l’horreur de la guerre. Privées maintenant de toute sécurité en ce qui concerne le pain quotidien, les populations se préoccupent plutôt du mal qui les frappe exclusivement que des fléaux qui frappent également leurs maîtres. Chez les peuples les plus désorganisés par l’antagonisme, on voit même ces populations accorder leur sympathie à des gouvernants qui, voulant à tout prix fonder une organisation sociale contraire aux vœux des classes dirigeantes, déchaînent simultanément à l’intérieur le fléau de la discorde et au dehors celui de la guerre.

Si telle est la cause dominante du mal qui désole maintenant l’Europe, le plan de réforme que doivent adopter les divers partis de la classe dirigeante est tout tracé : garantir au peuple le pain quotidien, en restaurant dans les cœurs les vieilles traditions de patronage. Trois conséquences se produiront alors spontanément : les nations seront réorganisées par l’entente mutuelle des patrons et des clients ; les classes dirigeantes, appuyées sur leurs ouvriers et leurs serviteurs, inculqueront aux gouvernants l’esprit de paix qui les anime ; les gouvernants, enfin, s’emploieront sans arrière-pensée à établir l’Union européenne de petits États.



  1. « C’était la conviction du XVIIIe siècle et de la génération formée à son école, que l’homme est essentiellement bon et que, dans les sociétés humaines, le mal provient, non de la nature humaine, mais de la mauvaise organisation sociale et du mauvais régime politique. La confiance dans la bonté naturelle de l’homme était, en 1789, une des colonnes de l’orgueil humain. » (Guizot, Mémoires, introduction.)
  2. Les opinions qui dominent chez mes concitoyens, en ce qui touche l’autorité paternelle, sont parfaitement caractérisées dans le passage suivant : « Telle est la rapidité du progrès des connaissances, qu’aux deux tiers de sa carrière, le père de famille n’est plus au niveau de ce qu’il faut savoir ; ce n’est pas lui qui enseigne ses enfants, ce sont ses enfants qui refont son éducation ; il représente pour eux la routine ancienne, la pratique usée, la résistance qu’il faut vaincre. » (R. de Fontenay, Journal des Économistes, juin 1850, page 401.) — Notre temps d’erreur a fourni peu d’assertions aussi fausses et aussi dangereuses.
  3. « De notre temps, le pape et ses cardinaux méprisent la crainte et l’amour de Dieu ; ils aiment mieux complaire aux princes, aux rois et aux autres puissances pour obtenir des bénéfices, des évêchés et l’accomplissement de leurs autres demandes, quelque injustes qu’elles soient, plutôt que de plaire à Dieu, que de suivre les règles de la justice, que de veiller à l’exécution des saints statuts de la primitive Église. » Traduit du traité de Jean Gerson sur les Dommages causés à l’empire romain par la corruption des Pontifes. Joannis Gersonii Opera omnia, Anvers, édit. 1706, p. 197.
  4. Les Ouvriers européens, III, iv, 17.
  5. Parmi eux, j’ai à citer particulièrement MM. François Arago et Lamartine, H. Carnot et Jean Reynaud, Victor Lanjuinais et Alexis de Tocqueville, de Montalembert et Sainte-Beuve, Agénor de Gasparin, James de Rothschild, l’abbé Dupanloup et Augustin Cochin, J.-B. Dumas, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, et Charles Dupin, auteur du rapport d’après lequel l’Académie a accordé, en janvier 1856, le prix de statistique à l’ouvrage intitulé : les Ouvriers européens.