La duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde sous Louis XIV/06
Nous avons dit l’admiration que devait, selon nous, continuer d’inspirer la machine diplomatique de Louis XIV, même à l’époque la moins brillante du règne. Nous n’en saurions dire autant de la machine militaire. Manifestement, elle fonctionnait mal, soit qu’elle fût usée pour avoir trop servi, soit qu’il ne se trouvât plus une main assez ferme pour en faire mouvoir les ressorts. La machine diplomatique demeura pendant près de vingt ans sous les ordres de Torcy, dont nous avons vu et verrons encore le rare mérite. Durant la même période, la machine militaire passe de Barbezieux à Chamillart, de Chamillart à Voysin. Avec Barbezieux, prématurément enlevé, avait disparu le dernier représentant de la grande école, celui qui avait la tradition. Chamillart était incapable, Voysin également, et Louis XIV, qui mettait toujours la main à toutes les besognes, n’était pas de force à suppléer par son intervention personnelle à l’insuffisance de ses lieutenans. Par sa gravité, par sa mesure naturelle, quand l’orgueil ne l’emportait pas, par sa discrétion poussée parfois jusqu’à la dissimulation, il était né diplomate, et un labeur incessant lui avait appris à connaître à merveille l’échiquier européen. Il n’était pas né militaire, et ce n’était pas sa présence à quelques sièges d’apparat qui avait pu lui apprendre à connaître le vaste théâtre des guerres continentales. Souvent aussi, il se trompa sur la valeur des hommes. Tandis qu’il choisissait à merveille ses ambassadeurs, il choisissait mal ses généraux. Ajoutons qu’obligé de soutenir la guerre à la fois en Espagne, en Italie, en Flandre, en Allemagne, il n’avait guère l’embarras du choix. Le génie militaire semblait avoir abandonné la France pour passer du côté de ses ennemis. Ni Vendôme, ni Villars, malgré des parties de génie, n’étaient les égaux de Marlborough et surtout du prince Eugène. De là des fautes et des revers imputables moins au système de gouvernement qu’à la longueur du règne, « Monsieur le maréchal, on n’est pas heureux à notre âge, » disait Louis XIV à Villeroy, au lendemain de Ramillies. Il avait raison. La fortune n’est pas tendre à la vieillesse, pas plus à celle des peuples qu’à celle des hommes. Nous entrons dans la vieillesse du règne.
L’armée qui allait avoir à repousser dans le nord de l’Italie l’effort des Impériaux est désignée par les historiens du temps sous le nom d’armée des Deux Couronnes. S’ils avaient tenu compte des prétentions du duc de Savoie à l’Altesse Royale, c’est l’armée des Trois Couronnes qu’ils auraient dû l’appeler. Elle était composée en effet de troupes espagnoles, savoyardes et françaises. Les troupes espagnoles étaient sous les ordres du prince de Vaudémont, qui, gouverneur du Milanais au moment de la mort de Charles II, avait fait reconnaître le nouveau roi d’Espagne par une population assez mal disposée. Les troupes françaises, qui étaient arrivées successivement par les passages des Alpes, avaient été placées d’abord sous les ordres de Tessé, mais Louis XIV venait d’envoyer tout récemment Catinat pour en prendre le commandement. Enfin, les troupes savoyardes étaient naturellement sous les ordres de Victor-Amédée, qui, de plus, exerçait, en vertu du traité du 6 avril 1701, les fonctions de généralissime. Pour maintenir l’unité de vue et d’action dans une armée d’origine et de composition si diverses, il aurait fallu une autorité indiscutée et une main singulièrement vigoureuse. Or, bien qu’il ne fût pas dénué de talens militaires, on a vu le peu de confiance qu’inspirait le généralissime. Quant au prince de Vaudémont, ce bâtard de Charles IV et de Béatrix de Cantecroix n’était pas non plus pour inspirer grande confiance. Lorrain d’origine, engagé un peu par hasard au service d’Espagne, son caractère intéressé et astucieux n’avait rien qui pût rassurer, sans qu’il faille cependant tenir pour tout à fait ressemblant le noir portrait qu’en a tracé Saint-Simon. Enfin, si le rang de maréchal que Catinat occupait depuis huit ans et ses glorieux services lui assuraient sans conteste la prééminence sur Tessé, simple lieutenant général, cependant ce dernier, toujours préoccupé de se pousser, n’était pas homme à voir sans mauvaise humeur un supérieur venir lui enlever un commandement sur lequel il avait compté pour se faire valoir, et Catinat, de son côté, à la fois par ses vertus et ses défauts, n’était pas non plus l’homme qu’il fallait pour venir à bout de la mauvaise volonté d’un subordonné. Il y avait donc, dans la composition de l’armée des Deux Couronnes, des causes de faiblesse, et dans le commandement, des germes de division qui allaient bientôt éclater au grand jour, et achever d’ébranler la fidélité déjà si chancelante de Victor-Amédée. Les lettres de Tessé, de Catinat, de Phelypeaux jettent un jour singulier sur ces divisions, et leur lecture suffit à expliquer les désastres de cette campagne[2].
La campagne était ouverte, les Impériaux, sous les ordres du prince Eugène, déjà descendus en Italie, et l’armée des Deux Couronnes ne s’ébranlait pas. « Il ne se fait rien de vif ici, » écrit à plusieurs reprises Tessé, et il dénonce le peu de bonne volonté que le duc de Savoie mettait à faire avancer ses troupes et à effectuer le traité « qu’il a fait de si mauvaise grâce et si à écorche-c… » Quand on le pressait, Victor-Amédée répondait que ses soldats n’avaient point de souliers. Les bataillons qu’il envoyait successivement ne rejoignaient l’armée qu’avec des détours infinis, « à pas de tortue, serpentant comme le Méandre, » disait Catinat. Lui-même demeurait à Turin, et n’avait point hâte de rejoindre l’armée dont il était cependant le généralissime. À sa cour, il se tenait des propos singuliers, que rapportait Phelypeaux. « On met en doute son départ ; d’autres blasment qu’il ait traité avec le Roy plutôt qu’avec l’Empereur, et ces propos, dans la cour d’un prince craint et obéi, marquent le peu d’attention à les faire cesser. » « M. le duc de Savoye, ajoutait Phelypeaux, se plaint qu’il me trouve sec, austère et pressant. Je continuerai à remplir mon devoir, sans me mettre en peine que M. le duc de Savoye en soit informé par mes lettres, et s’il a l’air de les intercepter et d’en avoir connaissance[3]. »
Les soupçons de Phelypeaux n’étaient pas sans fondement. Il existe aux Archives de Turin un dossier dont la rubrique est ainsi conçue : Précis des lettres de M. Phelypeaux qu’on avait interceptées en 1701 et 1702 par le moyen de son secrétaire qu’on avait gagné[4]. Dans ce dossier, se trouve en effet le résumé ou la copie de presque toutes les lettres de Phelypeaux dont les originaux sont à Paris. C’était là, il faut en convenir, un procédé assez singulier de la part d’un allié. Il se sentait, avec raison, suspect, et la méfiance dont il devait trouver la trace dans les dépêches interceptées par lui ne pouvait, d’autre part, que le disposer davantage encore à la trahison.
L’ennemi sut profiter de ces lenteurs. Par une marche habile, le prince Eugène se porta sur l’Adige, et, Catinat n’étant pas sur les lieux, attaqua brusquement un de ses lieutenans, Saint-Frémond, à Carpi (5 juillet). Bien que Tessé, à la tête de ses dragons, se fût porté vaillamment au secours de son camarade, les Français, accablés par un ennemi supérieur en nombre, durent se replier et le passage de l’Adige fut forcé. « La paternité, écrivait Tessé à Chamillart, exige de moi quelque satisfaction d’avoir vu mon fils se présenter de bonne grâce et se bien mesler avec les ennemis, pour la première fois qu’il les a vus. » Mais, tout en le chargeant d’assurer le Roi « que ses troupes ont bien montré les dents à ses ennemis[5], » il n’essayait pas de dissimuler l’échec, dont, au reste, il n’était pas responsable.
Cet échec des troupes à la tête desquelles il aurait déjà dû se trouver détermina le duc de Savoie à sortir de son inaction. Il rejoignit l’armée au camp de Goïto. Tessé, qui n’avait garde, même au milieu de ses occupations militaires, de se laisser oublier à Versailles et qui chargeait presque tous les courriers d’une lettre pour celle qu’il appelait « son adorable maîtresse, » rendait compte en ces termes à la duchesse de Bourgogne de l’arrivée de son père : « Il était en chaise, vêtu d’un camelot gris blanc, avec des boutons de deuil, une épée de même, ses cheveux noués par derrière, comme vous les lui avez vus souvent, et son chapeau de bon air, comme vous le portez. Madame, quand vous allez à la chasse, du reste fort poudreux, fort civil, très affable et ne perdant rien de sa taille, car de votre maison royale vous n’ignorez pas, Madame, qu’on se tient fort droit[6]. » Phelypeaux, qui, joignant les fonctions de lieutenant général à celles d’ambassadeur, accompagnait Victor-Amédée, rend compte, de son côté, de la bonne impression produite par l’arrivée du généralissime. « Ses manières honnestes, écrivait-il, ont beaucoup plu jusqu’à présent aux officiers de l’armée[7]. » Mais sa présence ne devait faire qu’ajouter aux incertitudes du commandement.
Jusque-là, l’armée avait eu deux têtes, Catinat et Vaudémont. A en croire Tessé, ils s’entendaient à merveille : « Pour nous autres galopins du second ordre, ajoutait-il, nous sommes pareillement très unis[8]. » Mais il n’est pas certain que l’entente entre les deux chefs fût aussi cordiale que l’affirmait Tessé, fort ami de Vaudémont. En tout cas, l’arrivée du généralissime allait tout gâter. Jusqu’à son entrée en campagne, on n’avait rien fait. A partir de son arrivée, on ne fit que des fautes. Il est incontestable qu’au début de cette campagne, Catinat ne fut pas à la hauteur de lui-même. Etait-il, comme on l’a dit, encore accablé sous le coup du chagrin que lui avait causé la mort d’un frère tendrement aimé ? Le fardeau était-il plus lourd, pour reprendre une expression de Tessé, que son humanité ne pouvait porter ? Etait-il paralysé par le peu de confiance que lui inspiraient les deux autres commandans en chef ? Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il ne sut prévenir aucune des habiles manœuvres du prince Eugène, ni s’y opposer de vive force. Il le laissa passer successivement le Mincio, l’Oglio, l’Adda, par une marche de flanc audacieuse, et ne sut que reculer peu à peu devant lui, sans tirer un coup de mousquet, jusqu’aux frontières du Milanais. Versailles était dans l’étonnement de cette retraite désastreuse, l’armée dans l’indignation. On trouve l’expression des sentimens qui l’animaient dans les lettres de Tessé à Chamillart. Ce dernier avait encouragé Tessé, au mépris de toute hiérarchie, à continuer de correspondre directement avec lui, malgré que Catinat eût pris le commandement en chef de l’armée[9], et Tessé en profitait pour charger son chef direct, tout en professant pour lui un grand respect apparent et en affectant de s’abstenir de toute critique : « Je suis, écrivait-il, de l’avis de ceux qui tiennent le c… de la poêle, et suis persuadé que, quand l’omelette n’est pas tournée comme le maître le voudroit, c’est que cela n’a pu estre autrement[10]. » Mais, ces précautions de langage une fois prises, il ne se faisait pas faute d’attaquer son chef « à pleine écritoire, » dit Saint-Simon, écrivant qu’il voulait tout et ne faisait rien, que sa pauvre tête s’échauffait et s’embarrassait, qu’il n’y avait personne au logis[11]. Sachant bien ce qui était de nature à faire le plus de tort à son chef, il ajoutait : « Nous sommes déshonorés en Italie. Ce seroit peu s’il n’en retomboit quelque chose sur l’honneur des armées du Roy, plus belles, plus nerveuses, plus en volonté de combattre que dans aucune de ses armées[12]. » Chamillart (ce que n’eût jamais fait un véritable ministre de la guerre ayant quelque sens de la discipline) encourageait ces dénonciations en lui répondant : « Il semble, si j’ose dire, que M. de Catinat a perdu la tramontane… il n’a connoissance des ennemis que quand ils sont devant luy, et, quand il les voit, il est incapable de prendre aucune résolution. Je suis bien persuadé que M. de Savoye ne lui en fait pas prendre qui pourraient l’aider à terminer glorieusement et avantageusement cette affaire[13]. »
Ainsi soutenu, Tessé s’oubliait jusqu’à manquer de respect à son chef devant le duc de Savoie, par lequel il n’est pas impossible qu’il eût été secrètement encouragé, et le bruit de leur altercation arrivait jusqu’à Versailles[14]. La Gazette d’Amsterdam s’en emparait ; l’Europe entière en était informée. La situation devenait intolérable, Louis XIV eut raison d’y mettre un terme. Pour expliquer la disgrâce de Catinat, pas n’est besoin, comme Michelet, d’accuser à la fois Mme de Maintenon et la duchesse de Bourgogne, la première, hostile à Catinat parce qu’il ne craignait pas Dieu, et la seconde parce que, dans des dépêches qu’elle se serait fait montrer, il aurait dénoncé la trahison de son père. Cette accusation portée contre la duchesse de Bourgogne, que l’auteur des Mémoires de Catinat[15] a été chercher dans la Vie de Catinat, par le marquis de Créqui, et que Michelet a reproduite, ne s’appuie sur aucun fondement. La duchesse de Bourgogne était à cette époque en pleine période de dissipation et de fêtes. Il n’est guère probable qu’elle prît communication d’ennuyeuses dépêches. Cela fût-il, elle se serait également fait montrer celles de Tessé. Or, comme nous le verrons tout à l’heure, c’est Tessé qui chargeait son père, également à pleine écritoire. Catinat est, au contraire, extrêmement modéré dans ses appréciations de la conduite du duc de Savoie. Il se borne à dire « qu’il y a des ressorts secrets qui lui font tenir cette conduite[16]. » Tessé n’en conserva pas moins les bonnes grâces de la princesse, et rien ne montre qu’elle soit intervenue pour précipiter la disgrâce de Catinat. La vérité, c’est que la retraite de Catinat, devant une armée inférieure en nombre, avait humilié Louis XIV. L’orgueilleux roi n’avait pas encore appris à reconnaître la valeur de l’homme avec lequel ses généraux allaient cependant se mesurer pour la seconde fois, de ce petit abbé de Savoie qu’il avait laissé si dédaigneusement quitter sa cour, le cœur ulcéré et altéré de vengeance. Le prince Eugène était alors dans la pleine maturité de son génie. Catinat n’était pas de taille à lui tenir tête. Comme l’a très bien dit Sainte-Beuve[17], « dans cette campagne, c’est un bon général qui a affaire à un grand capitaine. » Louis XIV eut le sentiment juste de l’insuffisance de celui qui commandait son armée, et, pour laisser encore parler Sainte-Beuve, « ce n’est pas d’avoir remplacé Catinat, c’est de l’avoir remplacé par Villeroy qu’on peut le blâmer. »
Villeroy est une des faiblesses de Louis XIV, le seul homme qu’il ait appelé son favori et qu’il ait toujours soutenu. Cette faiblesse devait, à plusieurs reprises, lui coûter cher. « Tout le monde, monsieur le maréchal, vous fait des complimens d’aller en Italie, lui disait tout haut le maréchal de Duras. Moi, j’attends à votre retour à vous faire les miens[18]. » Les événemens ne devaient donner que trop raison à cette parole caustique. Villeroy arrivait plein d’arrogance et d’espoir. Ses premières dépêches respirent une confiance absolue : « Je vois, disait-il, des dispositions trop favorables à ce que nous allons entreprendre pour ne pas en donner de nouvelles à Votre Majesté par avance[19]. » Mal lui en prenait d’afficher cette confiance. Malgré l’avis de Catinat, qui avait continué à servir sous ses ordres avec une admirable abnégation (lors du siège de Sébastopol, notre armée a vu un pareil exemple), il s’obstina dans le projet d’attaquer le prince Eugène, fortement retranché dans Chiari. L’échec fut sanglant (9 septembre 1701). Villeroy essayait de s’excuser sur l’ordre qu’il avait reçu à Versailles de chercher les ennemis, mais le Roi lui répondait avec raison : « Je vous ai ordonné de chercher les ennemis, de vous tenir sur eux le plus près que vous pourrés, de leur donner bataille, mais cet ordre doit être aménagé avec prudence, et j’ai une assés grande confiance en vous pour m’en rapporter à vous du parti que vous croirés le meilleur[20]. »
Bien qu’il eût encore moins de confiance que Catinat dans la fidélité du duc de Savoie, Villeroy ne pouvait en cette occasion s’en prendre directement à lui d’un résultat aussi désastreux. Le généralissime, beaucoup meilleur capitaine que Villeroy, ne s’était guère montré partisan de l’attaque, mais, lorsqu’il fut question de retraite, et lorsque Vaudémont et Catinat eurent opiné en ce sens, il répondit qu’il était prêt à sacrifier sa personne et ses troupes pour le service du Roi, de la manière qu’on jugerait le plus convenable. « Ce sont paroles, ajoutait Villeroy, que je ne puis trop répéter[21]. » Phelypeaux, de son côté, ne rendait pas moins bon compte de la valeur déployée par Victor-Amédée pendant l’action. « Il a marqué pour votre service, disait sa dépêche au Roi, tout le zèle qu’auroit pu faire un de vos généraux, se portant sans cesse avec valeur, intrépidité et sang-froid dans les endroits les plus chauds, parlant aux troupes qui plioient et les ramenant à la charge comme auroit pu faire un simple officier ; son cheval a esté blessé, son justaucorps a esté percé d’un coup de mousquet. Enfin, Sire, ce prince a esté plusieurs fois prodiguer sa vie aux retranchemens des ennemis, imposant fièrement silence à ce que ses principaux courtisans voulurent au commencement lui représenter là-dessus[22]. »
La valeur personnelle que Victor-Amédée déploya au combat de Chiari a été souvent citée comme un trait de nature singulier. La plupart des historiens croient en effet à une trahison de sa part, non pas seulement préméditée, mais déjà accomplie à l’époque qui nous occupe. Quelques-uns vont même jusqu’à dire que non seulement il était en relations mystérieuses avec l’Empereur, mais qu’il faisait parvenir en secret des renseignemens au prince Eugène, favorisant ainsi l’armée qu’il combattait aux dépens de celle où il commandait. Au point de vue du personnage et de sa nature intime, il serait assurément curieux que la valeur personnelle et l’amour-propre militaire l’aient emporté au dernier moment sur les ruses de la diplomatie, et qu’après avoir préparé la défaite de ses propres troupes, Victor-Amédée ait tout fait au dernier moment pour leur assurer la victoire. Mais il faut, croyons-nous, renoncer à se complaire en ce cas de psychologie compliquée, et c’est confondre les temps que d’accuser Victor-Amédée de trahison formelle dès le début de la campagne de 1701. Telle est, du moins, la conclusion à laquelle nous a conduit une étude attentive des témoignages contemporains et des pièces, ainsi que du caractère de Victor-Amédée lui-même.
Sans doute, Phelypeaux et Tessé voyaient juste lorsqu’ils signalaient l’ambiguïté de la conduite de Victor-Amédée et le peu de sûreté de son alliance. Phelypeaux avait raison encore lorsqu’il disait, dès le début, « qu’il falloit acquérir ce prince avec sécurité ou l’opprimer d’abord sans ressources[23]. » Mais c’était précisément ce que Louis XIV n’avait pas su faire en lui imposant un traité d’alliance qui ne lui conférait aucun avantage, et en le mettant cependant à la tête de son armée. Aussi, dès le début de la campagne, la mauvaise foi de Victor-Amédée est-elle évidente. Il ne souhaite pas la victoire des troupes françaises et espagnoles et ne fait rien pour la préparer. Mais il n’a point non plus de raisons pour souhaiter le triomphe des Impériaux, alors qu’il vient précisément d’être mis au ban de l’Empire. Son intérêt est que la guerre se prolonge, que les deux puissans voisins entre lesquels son petit État est enserré s’affaiblissent réciproquement, tandis que lui-même, en ménageant ses forces, pourra s’agrandir à leurs dépens. Telle paraît avoir été sa préoccupation dominante. Tessé n’a pas tort sans doute lorsqu’il dénonce ses lanterneries, ses ricaneries suspectes, son indolence léthargique. Mais il va trop loin quand il l’accuse explicitement de trahison, sur des preuves incertaines. Ces preuves, ce sont les nouvelles qui lui arrivent de Vienne et d’après lesquelles le prince Eugène aurait écrit à l’Empereur « qu’il étoit en commerce avec M. de Savoye et que l’on pouvoit tout espérer de ce prince pour le service de Sa Majesté Impériale[24]. « Mais ce n’est là qu’un on-dit, dont Tessé n’établit point le bien fondé. C’est encore l’arrestation d’un courrier, surpris sans escorte à trois heures de l’armée, par lequel Victor-Amédée avertissait le commandant de son troisième bataillon des gardes que Tessé était parti pour aller surprendre la place de Castiglione. Le prince Eugène aurait été averti de la surprise, car il avait jeté 1 500 hommes dans cette place pour la défendre. Mais l’arrestation de ce courrier que Victor-Amédée adressait à l’un de ses officiers ne prouve pas qu’il eût averti en même temps le prince Eugène[25], et celui-ci pouvait fort bien avoir été prévenu par un de ses espions, qui étaient nombreux.
Villeroy porte, il est vrai, les mêmes accusations que Tessé. En effet, il écrivait au Roi : « Sire, ce qu’il y a de bien terrible et qu’on ne peut s’empescher de mander à Votre Majesté, c’est la connoissance parfaite qu’ont les ennemis non seulement des partis, des détachemens et des mouvemens que fait notre armée ; mais ils savent d’avance tout ce qu’on pense et tout ce qu’on imagine[26]. » Mais Catinat, bien que très soupçonneux à l’égard du duc de Savoie, s’était montré beaucoup moins affirmatif. À en croire l’éditeur de ses Mémoires, il aurait bien dit un jour, en plein conseil de guerre et en face du duc de Savoie : « Non seulement le prince Eugène est instruit à point de tous les mouvemens de notre armée, de la force des détachemens qui en sortent et de leur objet, mais il l’est encore de tous les projets qui sont discutés ici. » Mais rien ne démontre l’authenticité de ce propos rapporté dans une note, et dans ses dépêches, qui sont au Dépôt de la Guerre, Catinat se montre beaucoup plus réservé. S’il parle, Comme nous l’avons vu, des « ressorts secrets » qui expliquent la conduite du duc de Savoie, il rend compte également des discours que tient celui-ci, et qui sont « pleins de respect et d’attachement pour le service des Deux Couronnes[27]. » Il est impossible aussi de ne pas tenir compte de l’opinion de Phelypeaux, qui, ne quittant point Victor-Amédée, l’observait par conséquent de plus près qu’aucun autre, et n’avait point d’intérêt, comme les chefs militaires, à chercher dans la trahison l’explication de revers dont il n’était point responsable. Il était sans illusion sur les sentimens du duc de Savoie. Il signalait même un bruit qui lui était revenu de Paris et d’après lequel Vernon aurait échangé souvent, à des heures indues de la nuit, des visites avec Zinzendorf. Mais il ne croyait cependant pas à l’infidélité du duc de Savoie, et il prenait nettement sa défense dans une longue lettre à Chamillart : « Je ne réponds point, disait-il, des bons sentimens de M. de Savoye… Mais deux raisons, dont l’une très forte, l’autre sans réplique, ne marquent pas à mon sens qu’il soit dans l’infidélité et dans l’intelligence actuelle dont on le soupçonne. On ne s’expose point si aisément à cent mille coups de mousquet et de canon pour un party que l’on trahit ; on n’expose point des troupes qui font toute la tendresse et toute la ressource de ce prince[28] ; » et dans une autre lettre à Chamillart, il concluait avec beaucoup de sagacité : « Peut-estre, après avoir perdu plus de la moitié des hommes qui ont passé les monts, le Roy reconnaîtra que, pour n’en pas perdre davantage et oster le Milanais à l’Empereur en s’aidant d’un homme sur lequel on ne peut pas compter, il faudra proposer à M. le duc de Savoye le traité dont il étoit question il y a présentement un an[29]. »
A côté des témoignages contemporains, si l’on veut élucider ce procès rétrospectif de trahison, il faut aussi interroger les pièces. Sans doute la preuve matérielle d’une trahison est assez difficile à fournir. Cependant la démonstration historique n’en est pas impossible lorsque s’ouvrent les archives où cette preuve pourrait se trouver. Là, en effet, se cache souvent la vérité. C’est aujourd’hui le cas pour les Archives de Turin et de Vienne. Mais, ni à Turin, ni à Vienne, il n’y a trace d’intelligences ourdies, au cours de cette année 1701, entre le prince Eugène et Victor-Amédée. A Turin, où tout était conservé avec le plus grand soin, nous nous en sommes assuré par nos propres recherches. Les Archives contiennent bien onze lettres de Victor-Amédée au prince Eugène. Mais la première en date de ces lettres est du 11 novembre 1703, la dernière du 11 avril 1704. Dans aucune, il n’est fait allusion à quelque intelligence antérieure. De ces intelligences, au cours de la campagne de 1701, les Archives de Vienne ne renferment non plus aucun indice. C’est du moins ce qu’affirment positivement les auteurs de la très volumineuse publication entreprise par l’état-major autrichien sous ce titre : Feldzüge des Prinzen Eugen von Savoyen et qui a été traduite en italien[30]. A l’appui de leur dire, ils ont publié en appendice la correspondance militaire du prince Eugène et ses rapports à l’Empereur après les affaires de Carpi et de Chiari. Ni cette correspondance, ni ces rapports ne renferment aucune allusion à quelques renseignemens qui seraient arrivés au prince Eugène du camp ennemi. Il est fait souvent mention du nom du duc de Savoie, mais toujours comme d’un ennemi dont il faut déjouer les desseins, et le prince Eugène, dont les rapports sont au reste d’une concision remarquable, ne se fait pas faute d’expliquer ses succès par les manœuvres maladroites de l’armée adverse.
Que si l’on s’obstinait cependant à soutenir que, dans des rapports officiels, il ne saurait être question de trahison, et que l’absence de preuve écrite n’est pas démonstrative, il ne s’ensuivrait pas nécessairement que le traître fût le duc de Savoie. Il n’y avait encore à l’armée des Deux Couronnes un personnage qui était singulièrement suspect, c’était le général des troupes espagnoles, le prince de Vaudémont lui-même. Ce fils de Charles IV n’avait certainement pas appris la fidélité à l’école de son père, et de plus il se trouvait dans une situation singulière. Son propre fils, le prince Charles-Thomas de Vaudémont, et son neveu, le prince de Commercy, servaient dans l’armée du prince Eugène et lui étaient directement opposés. Son caractère n’avait rien de ce qu’il fallait pour rassurer contre les soupçons que pouvait faire naître une situation aussi ambiguë. Aussi les opinions étaient-elles fort divisées dans le camp français sur le rôle qu’il jouait. Tandis que Tessé et Villeroy croyaient en lui et prenaient avec chaleur sa défense, Phelypeaux exprimait à plusieurs reprises des doutes sur sa fidélité[31]. Trois seigneurs espagnols, dont Vaudémont demandait le renvoi à Madrid, l’accusaient ouvertement. Ces soupçons paraissent même avoir fait impression sur l’esprit de Louis XIV, car il écrivait à Villeroy : « Les Espagnols disent hautement que le prince de Vaudémont est tout à fait dans les intérêts de l’Empereur. On m’assure qu’il entretient des liaisons étroites avec son fils. C’est à vous de l’observer d’assés près pour voir s’il y a quelque fondement aux bruits qui s’en sont répandus[32]. » En même temps, comme s’il avait eu peu de confiance dans la sagacité de Villeroy, il chargeait Bouchu, intendant à l’armée d’Italie, d’ouvrir une enquête discrète sur la conduite de Vaudémont. Bouchu lui adressait, par l’intermédiaire de Phelypeaux, un long mémoire où il ne concluait guère[33], et Louis XIV ne devait pas se trouver beaucoup plus éclairé qu’au jour où Phelypeaux lui écrivait : « Parmy tant d’obscurité, les lumières seules de Votre Majesté peuvent démesler la vérité[34]. »
Pour nous qui avons étudié la question avec des documens que n’avaient ni Tessé et Villeroy, les accusateurs de Victor-Amédée, ni Phelypeaux et les autres accusateurs de Vaudémont, nous croyons qu’il n’est juste d’imputer une trahison militaire ni au Savoyard ni au Lorrain. La défaillance momentanée de Catinat, l’incapacité habituelle de Villeroy, l’insuffisance de Vaudémont, qui ne pouvait monter à cheval, les dissensions entre chefs qui se jalousaient ou se soupçonnaient, la faiblesse de Chamillart dont la main ne savait pas remettre chacun à sa place, et par-dessus tout le génie supérieur du prince Eugène, suffisent parfaitement à expliquer les revers de la campagne de 1701. Quant à la trahison diplomatique, il est bien certain que Victor-Amédée la portait déjà dans son cœur et qu’il ménageait, sinon sa personne, du moins ses troupes. Encore incertain sur le point où il trouverait, suivant l’expression qu’il avait toujours à la bouche, ses avantages, de nouvelles fautes, dont Louis XIV ne devait pas être seul responsable, allaient le jeter définitivement du côté de l’Empire.
Pas plus qu’il n’avait su rétablir les affaires militaires que Catinat avait compromises, Villeroy ne parvint à imposer l’unité et l’entente aux trois chefs de l’armée des Deux Couronnes. Victor-Amédée n’aimait pas Catinat, mais le souvenir des rudes leçons qu’il avait reçues de lui à Staffarde et à la Marsaille lui imposaient le respect. Il n’en fut pas de même avec Villeroy, dont les manières arrogantes l’indisposèrent d’autant plus vite que rien ne les justifiait. Bientôt il se plaignait de lui à Phelypeaux. « M. le maréchal de Villeroy, lui disait-il, n’entend rien à la guerre, au moins à celle de ce pays-ci. C’est un impertinent, dont les faux et grands airs ne conviennent qu’avec des subalternes. La distance infinie qui est entre nous me le fait mépriser comme je le dois. Il est trop familier. Il escoute ce que je dis et répond en ricanant et en hochant la teste. Si cependant il continue, je saurai le mettre au pas et le faire rentrer dans son devoir. » Et Phelypeaux continue sa dépêche par le récit d’une scène qui fit grand bruit, car on la trouve rapportée dans Saint-Simon. Le duc de Savoie, causant avec Villeroy et d’autres généraux, ouvrit sa tabatière et allait prendre une pincée de tabac. Villeroy, allongeant la main, en prit également, sans que la tabatière lui eût été présentée. « M. de Savoie rougit, continue Saint-Simon, à l’instant renversa sa tabatière par terre, et puis la donna à un de ses gens à qui il dit de lui rapporter du tabac[35]. » A son ordinaire, Saint-Simon outre ici un peu les choses ; M. de Savoie fut mieux élevé. « Il n’a rien dit, rapporte Phelypeaux, témoin oculaire, mais il a changé de couleur, » et tous les généraux présens remarquèrent la confusion de Villeroy[36].
Quoi qu’il en soit de ce futile incident, il était évident que les dispositions du duc de Savoie devenaient de plus en plus mauvaises, car avant même que la campagne ne fût terminée, il allégua la mauvaise saison pour retirer ses troupes de l’armée et pour leur faire prendre leurs quartiers d’hiver, soi-disant pour les mettre en état de mieux servir l’année suivante, en réalité parce qu’il voulait les épargner. Lui-même rentrait à Turin et n’essayait pas de dissimuler sa mauvaise humeur. Il considérait sa réputation militaire comme flétrie par le mauvais succès de la campagne. « Madame Royale, mandait Phelypeaux, m’a dit hier au soir que M. le duc de Savoie estoit dans son particulier chagrin, pensif, embarrassé, et paroissoit occupé de choses point agréables, enfin dans une assiette ny tranquille, ny stable, » et il ajoutait fort judicieusement : « Il ne changera pas de party tant que le vostre ne succombera pas en Italie, mais, dans l’adversité, on ne peut compter sur sa foy, comme sur celle d’un sujet fidèle[37]. »
Les insinuations réitérées de son judicieux ambassadeur firent sans doute impression sur Louis XIV, qui comprit la nécessité de s’attacher un allié aussi peu sûr par des liens plus solides que ceux d’un traité onéreux. « Il est de la prudence, écrivait-il à Phelypeaux, de prévenir les liaisons qu’il pourroit avoir avec l’Empire, et de luy faire trouver, dans mon alliance et dans celle du Roy Catholique, des avantages bien plus solides que ne seroient ceux qu’il pourroit espérer de la maison d’Autriche[38]. » Aussi Phelypeaux était-il autorisé à provoquer les ouvertures de Victor-Amédée sur les modifications qui pourraient être apportées au traité du 6 avril. Victor-Amédée demandait le maintien intégral du subside qui lui avait été promis, mais la réduction des troupes qu’en échange de ce subside, il s’était engagé à fournir ; et, comme Louis XIV, peu soucieux de voir diminuer l’effectif des forces qu’il pourrait opposer aux Impériaux durant la campagne prochaine, proposait de prendre les soldats du duc de Savoie à sa solde, et de les incorporer dans ses troupes, Victor-Amédée répondait fièrement « qu’il n’était pas homme à vendre ses troupes au Roy, ny à qui que ce soit[39]. » Mais la négociation la plus délicate se poursuivait à Versailles sous les yeux du Roi, entre Torcy et Vernon. Torcy, qui naguère traitait de galimatias le langage de Victor-Amédée, lorsque celui-ci réclamait, d’une façon vague, quelque agrandissement, entamait avec Vernon, dans plusieurs longues conversations, la question des avantages que l’heureuse conclusion de la guerre pourrait rapporter à Victor-Amédée. Comme à l’époque des négociations qui avaient précédé la mort de Charles II, c’était toujours le Milanais que le duc de Savoie ambitionnait. Mais, Torcy ayant répondu « que les Espagnols sont si opposés à un démembrement que ce seroit les mettre contre soi que d’en parler, » Vernon, au nom de son maître, se rabattait sur le Montferrat et demandait que les droits héréditaires de Victor-Amédée sur cette possession du duc de Mantoue fussent reconnus de préférence à ceux du duc de Lorraine, pour lequel il serait facile à Louis XIV de trouver un dédommagement ailleurs[40]. Torcy entra dans ces vues, et les choses furent poussées assez loin pour qu’un projet de traité fût arrêté entre eux. Le préambule de ce traité, dont le texte est aux Affaires étrangères, portait : « Sa Majesté Très Chrétienne, voulant ajouter de nouvelles marques de son affection à celles qu’il a déjà données, et son intention estant d’augmenter encore l’étendue des estats de M. le duc de Savoye, etc., » et l’article 3 en était ainsi conçu : « Sa Majesté promet de travailler dès à présent efficacement, auprès de M. le duc de Mantoue, pour disposer ce prince à luy céder à Elle et au Roi d’Espagne, moyennant un dédommagement convenable, la souveraineté du Montferrat, que les Rois de France et d’Espagne transporteront aussitôt, avec tous les droits appartenant à cette souveraineté, à Son Altesse Royale pour en jouir, elle et ses successeurs, à perpétuité[41]. »
Le succès de la négociation dépendait donc du duc de Mantoue. Ce prince « pieux et charitable, écrivait Tessé[42], malgré trois cent soixante-huit maîtresses qu’il entretient, » était absolument dans les mains de la France, à laquelle il s’était lié par un traité. Cependant, il opposait résistance, et ne paraissait pas vouloir se laisser dépouiller. « M. le duc de Mantoue a déclaré, disait Torcy à Vernon, qu’il vouloit mourir avec les estats qu’il avoit reçus de ses prédécesseurs, et qu’il ne céderoit pas Casal, quand même on lui en donnerait une outre pleine d’or[43]. » La négociation échouait donc, mais il ne paraît pas que le duc de Mantoue ait été poussé bien vigoureusement. C’était une faute, car la cour de Versailles n’était pas seule à comprendre la nécessité de s’attacher solidement le duc de Savoie. La cour de Vienne avait aussi le sentiment de cette nécessité et allait s’y prendre mieux.
Le marquis de Prié, l’ancien ambassadeur de Victor-Amédée auprès de l’empereur Léopold, était revenu à Turin au mois de décembre, après avoir prolongé son séjour à Vienne de deux mois depuis son rappel officiel. Aussitôt arrivé, il avait pris une grande place dans les conseils de Victor-Amédée, supplantant même dans sa confiance Saint-Thomas, qui, par tradition, et aussi peut-être parce qu’il avait été amoureux de la comtesse de Verrue, demeurait fidèle à la France. Prié, suivant l’expression de Phelypeaux, ne cessait de montrer à son maître une porte ouverte du côté de l’Empire. Peut-être, bien que les Archives de Turin n’en portent aucune trace, fit-il usage des moyens de correspondance occulte qu’il s’était réservés avec le comte d’Harrach. Quoi qu’il en soit, ces archives nous apprennent que c’est au mois de février 1702 que la cour de Vienne prit soin d’expédier à Turin un certain comte Salvaï, admirablement choisi pour être l’agent d’une correspondance secrète, car il était à la fois conseiller des finances impériales, et cependant, par sa naissance et ses intérêts personnels, sujet du duc de Savoie. Sa présence à Turin ne pouvait donc éveiller aucun soupçon, et Phelypeaux, mis en éveil cependant sur une trahison possible de Victor-Amédée, ne paraît pas s’en être douté. Par ses instructions, dont copie se trouve aux Archives de Turin, Salvaï était autorisé à dire que Sa Majesté Impériale « tend derechef les bras à son Altesse Royale[44] » et à entrer en négociation. Après quelques délais tenant probablement à la négociation parallèle qu’il poursuivait avec la France, Victor-Amédée demandait tout à la fois le Montferrat et le Milanais. L’Empereur refusait le Milanais, mais il renvoyait Salvaï à Turin le 1er juillet avec autorisation d’offrir non seulement le Montferrat, mais la province d’Alexandrie. Or, Victor-Amédée venait précisément d’être informé par une dépêche de Vernon du refus opposé par le duc de Mantoue à la cession du Montferrat. Il se trouvait donc entre une déception du côté de la France et une proposition avantageuse du côté de l’Empire. C’est à ce moment qu’une nouvelle faute allait être commise envers lui. Victor-Amédée se croyait déjà lésé dans ses intérêts : on allait le blesser dans son orgueil.
Lorsque Louis XIV avait conclu le mariage de son petit-fils Philippe V avec la dernière fille du duc de Savoie, la sœur de la duchesse de Bourgogne, il avait pensé que cette double alliance contribuerait à maintenir Victor-Amédée dans les intérêts des Deux Couronnes. Quelle apparence qu’un beau-père aussi avisé s’engageât jamais dans le parti opposé à ses deux gendres ? Par un singulier défi aux prévisions les plus rationnelles, ce fut une blessure portée par le gendre au beau-père qui contribua pour beaucoup à rejeter la Savoie du côté de l’Empire.
Le mariage de la princesse Marie-Louise, à dessein retardé par Louis XIV, qui se servait de ces retards pour peser sur Victor-Amédée, avait été cependant conclu à Turin au cours de l’année 1701, le marquis de Castel-Rodrigo étant venu signer le contrat en juillet, et le prince de Carignan l’ayant épousée en septembre, tous deux en vertu d’une procuration de Philippe V. La princesse était partie deux jours après la célébration du mariage pour rejoindre son mari sous la conduite du marquis de Sirié et de la princesse des Ursins, qui devait les retrouvera Villefranche. Quelques-uns des incidens les plus piquans de ce voyage, qui eut lieu moitié par eau et moitié par terre, se retrouvent dans la correspondance de la princesse des Ursins. Le plus connu de tous, qui fit alors le tour de l’Europe et que Saint-Simon raconte tout au long, est celui de sa première rencontre avec Philippe V, venu au-devant d’elle jusqu’à Figuières. Piquée du départ de sa suite piémontaise, qui, tout entière, y compris le confesseur, avait dû la quitter à Perpignan, le soir du jour où l’évêque de Girone avait béni solennellement leur union, elle ferma tout net sa porte à son jeune et amoureux époux. Le lendemain, grand conseil entre la princesse des Ursins, Louville, Marsin, l’ambassadeur de France, le duc de Medina-Sidonia et le comte de San Estevan, qui accompagnaient le roi d’Espagne, sur la meilleure manière de vaincre la sauvagerie de cette enfant de treize ans. Leur avis unanime fut que le Roi se piquât de dignité, et qu’au lieu de solliciter à nouveau l’entrée de la chambre de la Reine, il demeurât la nuit suivante dans la sienne. L’avis eut un plein succès : « Le soir, dit Saint-Simon, la Reine fut affligée ; sa gloire et sa petite vanité furent blessées ; peut-être aussi avait-elle trouvé le Roi à son gré… Excuses, pardon, crainte, promesses, tout fut mis en règle et en respect… Le quatrième jour, comme tout se retrouva dans l’ordre où il devait être, ils retournèrent tous à Barcelone où il ne fut question que d’entrées, de fêtes, et de plaisirs[45]. »
Peu s’en fallut cependant que cette enfance, pour parler comme la duchesse de Bourgogne dans une lettre à sa grand’mère, n’eût des suites diplomatiques. Louis XIV soupçonna l’ambassadeur de Savoie auprès de Philippe V d’avoir subrepticement donné de mauvais conseils à la princesse, et il chargea Phelypeaux de faire des représentations à Victor-Amédée. Celui-ci prit la défense de son ambassadeur, ainsi que du marquis de Sirié, également accusé, et il ajouta : « Pour Madame la Duchesse et moy, nous n’avons jamais donné d’autres instructions à ma fille que d’être extrêmement soumise aux volontés du Roy son mari et toujours pénétrée de reconnaissance pour Sa Majesté Très Chrétienne qui a bien voulu luy faire une aussi haute fortune[46]. »
Pour peu que Philippe V ait partagé les soupçons, fondés ou non, de Louis XIV, il dut en conserver un certain ressentiment contre son beau-père, et ce ressentiment expliquerait pour partie les procédés dont il usa envers lui, l’année suivante, et dont les conséquences devaient être si fâcheuses. Au mois d’avril 1702, Philippe V sentit la nécessité d’aller se faire voir à ses nouveaux sujets d’Italie. Il devait commencer par Naples, puis de là se rendre en Lombardie. Une entrevue entre le gendre et le beau-père était inévitable ; aussi Victor-Amédée se préoccupait-il depuis longtemps du cérémonial de cette entrevue. On se souvient combien lui tenait à cœur le rang d’Altesse Royale auquel il prétendait. Ce rang lui avait été reconnu dans ses relations avec la France par le traité de Turin. Ce même traité lui avait promis les bons offices du Roi pour obtenir auprès du pape l’entrée de la Sala regia du Vatican où n’avaient accès que les représentans des têtes couronnées. Mais ce rang lui serait-il reconnu par la cour d’Espagne, réputée dans toute l’Europe pour sa morgue et son étiquette hautaine ? Dès qu’il fut averti des desseins de Philippe V, cette question devint pour Victor-Amédée un sujet de préoccupation et d’agitation. Il faisait rechercher dans le Cérémonial de la cour de Turin les précédens qui venaient à l’appui de ses prétentions. Il y trouvait qu’à l’époque où Charles-Emmanuel Ier s’était rendu en Espagne pour épouser la fille de Philippe II, non seulement celui-ci l’avait traité d’Altesse et lui avait donné la main, mais qu’en entrant dans Madrid, il lui avait donné la droite, et, comme le cheval du duc de Savoie dansait et s’agitait, à la remarque de Philippe II, Charles-Emmanuel avait répondu que son cheval s’agitait ainsi parce qu’il ne se sentait pas à sa place. Victor-Amédée alléguait également qu’en novembre 1658, la duchesse Christine étant venue à Lyon avec sa fille saluer la reine Anne d’Autriche et Louis XIV, le jeune Roi était venu au-devant des princesses, au lieu de les attendre dans son appartement. Il chargeait Vernon d’entretenir Torcy de cette question, « mais comme de lui-même, son maître étant supérieur à toutes ces formalités, et n’ayant témoigné aucune prétention, mais espérant cependant que de plus grands honneurs lui seraient accordés à raison tant de l’accroissement de sa maison que de sa parenté avec le roi de France. » Il voulait mettre ainsi Versailles dans ses intérêts. Mais Versailles se dérobait. Torcy répondait que le cérémonial suivi à la cour de France était tout différent de celui d’Espagne, et qu’on ne prétendait pas à régler le cérémonial des Espagnols[47]. Victor-Amédée échouait donc dans sa demande d’intervention, et, quand le roi d’Espagne, venant de Livourne, débarqua au port de Final, la question qui le préoccupait si fort n’était pas encore réglée.
De la première entrevue, Victor-Amédée n’eut point à se plaindre. Cette entrevue eut lieu dans la petite ville d’Acqui, à quelques milles d’Alexandrie. Victor-Amédée s’était rendu au-devant de son gendre. Quand il aperçut la chaise qui l’amenait, il mit pied à terre. Philippe V descendit de son côté, et embrassa son beau-père. Après d’assez courts complimens échangés, il lui fit ses excuses de ne pouvoir lui offrir une place dans sa chaise qui était trop petite, mais il l’invita pour le soir même à souper. C’était déjà pour Victor-Amédée un point de gagné, mais non pas le principal. À ce souper, quel siège lui serait donné ? Un fauteuil à bras, ce qui impliquait légalité, ou un pliant ? Tout était là. Victor-Amédée espérait un fauteuil. Il croyait savoir que la question avait été agitée et tranchée en sa faveur parmi les conseillers de Philippe V. Marsin, l’ambassadeur de France, qui l’accompagnait, avait été d’avis du fauteuil. Les deux seigneurs du Despacho qui faisaient partie de la suite royale ne s’y étaient point opposés. Victor-Amédée arrivait donc pour souper, plein d’espoir. Mais il trouva du changement. Chose singulière, ce fut un Français, Louville, ce gentilhomme de la manche du duc d’Anjou, amené par lui à Madrid, qui rappela les deux seigneurs du Despacho à la rigidité de l’étiquette espagnole. Par une argumentation pressante, il représenta à Philippe V « que les rois d’Espagne, plus que tous les autres monarques, étaient tenus à garder une haute étiquette, et qu’ils ne devaient manger qu’avec des rois et ne donner près deux de fauteuils qu’à des rois. Le duc de Savoie, qui n’était point couronné, ne pouvait donc souper avec son gendre, ni s’asseoir devant lui autrement que sur un pliant[48]. » Comment se passèrent exactement les choses ? Ici deux versions sont en présence.
Suivant Saint-Simon, le roi d’Espagne aurait fait enlever les deux fauteuils préparés. Il aurait reçu le duc de Savoie debout, et se serait excusé du souper sur ce que ses officiers n’étaient pas encore arrivés. Le duc de Savoie, comprenant qu’il n’avait plus de fauteuil à espérer, aurait abrégé sa visite et s’en serait allé, outré de dépit[49]. Au contraire, suivant un long récit que nous avons trouvé aux Archives de Turin[50], deux sièges égaux auraient été préparés en forme circulaire, et le roi d’Espagne aurait invité Victor-Amédée à s’asseoir, mais celui-ci, s’étant aperçu que le duc de Medina-Sidonia, grand écuyer, faisait adroitement signe au Roi de prendre le siège de droite, con molto naturale disinvoltura, il évita de s’asseoir. De même, le roi d’Espagne aurait assuré à Victor-Amédée qu’il lui ferait plaisir en restant avec lui à souper. Mais celui-ci se serait excusé sur le temps qu’il lui faudrait attendre, con maniera disinvolta e confidentiale, alléguant le besoin qu’il avait de se restaurer, car il n’avait rien pris depuis le matin.
Ce récit, que Victor-Amédée envoyait à Vernon, paraît bien avoir été fait en vue de pallier les choses et de ménager son orgueil blessé. La vérité, c’est que le beau-père s’en alla furieux contre le gendre, d’autant plus que, le lendemain, Philippe V aggrava encore l’affront en n’allant pas au-devant de Madame Royale et de la duchesse Anne, qui vinrent le voir, et en ne dépassant que de deux pas le seuil de sa chambre pour les rencontrer. Victor-Amédée était cependant trop orgueilleux pour témoigner ouvertement son dépit. Il proclamait au contraire qu’il n’avait point à se plaindre du roi d’Espagne, et que, n’ayant sollicité aucun traitement, rien ne lui avait été refusé[51]. Mais, dans son entourage, on tenait un langage moins réservé, et Vernon parlait ouvertement à Torcy du disgusto de Son Altesse qui avait été traitée, come si suol dire cavaliermente[52]. Aussi n’hésitons-nous pas à penser avec l’auteur des Mémoires de Noailles que ces procédés maladroits du roi d’Espagne achevèrent d’aliéner Victor-Amédée et de le déterminer à la trahison, qui fut dès lors résolue dans son esprit[53].
Pour le moment, il se bornait à témoigner de plus en plus ouvertement sa mauvaise humeur. Bien qu’il eût le titre de généralissime, il n’était pas retourné à l’armée et laissait ses troupes, réduites de moitié, sous le commandement de Castellamonte. À la vérité, on ne l’avait pas beaucoup pressé de diriger la campagne, mais la triste liberté qu’on lui laissait et où il voyait avec raison une preuve de méfiance était devenue un de ses griefs. Son amour-propre était aigri non moins que son ambition était déçue. Aussi se dédommageait-il de son inaction en s’abandonnant à des emportemens domestiques dont Phelypeaux rendait compte. « Une honneste femme, disait-il un jour à la pauvre duchesse Anne, ne doit avoir aucune attache ny confiance à qui que ce soit, ny vouloir que ce que veut son mari. » Et il exigeait d’elle le renvoi de sa sœur de lait qu’elle avait amenée de France et qui était demeurée toujours avec elle. « Il y a neuf mois, lui dit-il, que je projette d’éloigner cette femme. Si vous la voulés garder, je continueray de vivre avec vous dans la froideur où vous me voyés depuis longtemps. » Mme la duchesse répondit en pleurant : « Mais de quoi pouvés-vous vous plaindre ? Je suis toutte et toujours dans ma famille. Je ne vois que vous, mes enfans et Madame Royalle. Voulés-vous que je ne la voye plus ? — M. le duc de Savoye a repris froidement : « Non, voyés toujours ma mère, je n’ay point de sujets de plainte, mais j’ay des soupçons sur lesquels je ne puis estre en repos[54]. » Un autre jour, il s’oublia jusqu’à lui dire : « Ma mère et vous, êtes de maudites Françoises qui me trahissés. »
Vis-à-vis de la duchesse Anne, cette épouse soumise et dévouée, l’accusation était absolument injuste. Il n’en était pas de même vis-à-vis de Madame Royale. Il faut avouer que pour une mère elle jouait un rôle singulier, car non seulement elle renseignait Phelypeaux sur les dispositions de son fils, mais elle allait même jusqu’à en écrire directement à Louis XIV[55]. Mais, malgré ces intelligences, Phelypeaux ne pouvait parvenir à pénétrer le mystère dont Victor-Amédée s’enveloppait. « Il ne se communique à personne, écrivait-il au Roi. Il souppe régulièrement avec deux femmes de la cour, sans aucun goût pour elles ; il n’a ny maîtresse, ny favori, ny confesseur, ny ministre qu’il employe. Ce n’est pas ma faute, si je ne puis pénétrer un prince impénétrable[56]. » Dans cet embarras, le Roi lui suggérait un expédient assez singulier. C’était de corrompre une certaine comtesse d’Arco, qui passait pour avoir été honorée des bonnes grâces de l’Electeur de Bavière, et qui était venue, sans qu’on sût trop pourquoi, s’établir à Turin. Victor-Amédée avait paru pendant quelque temps s’occuper d’elle, et Louis XIV pensa sans doute qu’il pourrait obtenir de cette favorite d’un jour les mêmes renseignemens qu’il avait tirés autrefois de la comtesse de Verrue. « Il faudroit, écrivait-il à Phelypeaux, lui faire souhaiter de se faire un méritte auprès de moy et de s’assurer ma protection pour le reste de sa vie. Les marques qu’elle en recevroit ne seroient point éloignées, et je sçaurois récompenser les services qu’elle me rendroit. » Mais, après enquête, Phelypeaux réhabilita la dame, assurant qu’elle vivait noblement, qu’elle n’était point intéressée, et qu’il ne fallait rien engager mal à propos avec elle[57]. Réduit aux informations qu’il pouvait se procurer dans une cour manifestement hostile, il se bornait à rapporter les entrevues de plus en plus fréquentes de Victor-Amédée avec le marquis de Prié et un propos de la marquise, qui aurait dit : « Son Altesse Royale envoie souvent chercher mon mari ; je crains qu’il ne nous embarque et luy aussy dans quelque méchante affaire[58]. » Mais il ne paraît pas avoir pénétré le secret de la négociation poursuivie par l’intermédiaire du comte Salvaï, qui fit plusieurs fois pendant l’automne et l’hiver le voyage entre Turin et Vienne, ni de la véritable surenchère à laquelle la cour de Vienne se livrait avec une habileté et une diligence dont elle n’était pas coutumière. Au mois de juillet 1702, elle offrait, comme nous avons vu, le Montferrat et la province d’Alexandrie ; au mois de septembre, elle y ajoutait la ville de Valence. Au mois de février 1703, de nouvelles instructions signées Harrach, Mansfeld et Kaunitz, dont copie se trouve aux Archives de Turin[59], autorisaient Salvaï à lui offrir l’île de Sardaigne, en faisant valoir non seulement la fertilité et les revenus de cette île, mais encore qu’elle portait le titre de royaume et « mettroit par conséquent Son Altesse Royale et son successeur au rang des têtes couronnées. »
Victor-Amédée n’avait pas de marine. Il se souciait peu d’une acquisition qu’il était hors d’état de défendre. Aussi refusa-t-il cette offre peu tentante, et, en place de la Sardaigne, il demanda de nouveaux agrandissemens du côté du Milanais, avec la garantie de l’Angleterre et de la Hollande, le commandement de l’armée avec autorité sur le commissaire impérial, et la reconnaissance de ses droits éventuels à la couronne d’Espagne. « Sa Majesté Impériale ne s’attendait pas à ce que Son Altesse Royale accrochât ses bonnes intentions à des conditions aussi peu raisonnables[60], » répliquait la Cour de Vienne, et, pour triompher de ces difficultés, elle prenait le parti, au mois de mai, d’expédier à Turin un personnage plus considérable que Salvaï. C’était le comte Auersperg, qui avait été longtemps l’ambassadeur de Léopold auprès de Guillaume III. Par une lettre qu’il chargeait Prié d’écrire à Auersperg lui-même, Victor-Amédée se félicitait du digne choix fait du comte Auersperg… per la conclusione del trattato alla quale si di chiara sempre pronta[61], et l’envoyé impérial ainsi agréé arrivait à Turin le 12 du mois de juillet.
Il semble qu’avant de s’engager dans une aventure aussi périlleuse, Victor-Amédée ait eu un moment, sinon de remords, du moins d’hésitation. En effet, la veille même du jour où Auersperg devait arriver à Turin, le comte de Gubernatis, un des ministres qui avait la confiance de Victor-Amédée et qui avait été précédemment employé par lui à la conclusion du traité du 6 avril 1701, fit demander un entretien à Phelypeaux et l’emmena dans un jardin particulier. Il lui dit en substance : « L’intérêt est le fondement des alliances ; la guerre ne paroît pas près de finir ; avec 30 000 hommes de troupes du Roi et 15 000 hommes du duc de Savoye, on pourroit mettre les Allemands hors de l’Italie. Mais il faudroit que le duc de Savoye, en reconnoissance des services rendus par lui, fût nommé à perpétuité gouverneur du Milanois. » « Le Milanois, ajoutait-il, n’est d’aucune utilité au Roy d’Espagne ; il ne sert qu’à l’avance et au luxe de ceux qui y viennent comme gouverneurs pour le laisser perdre. Un prince souverain résident en cet estat seroit une forte barrière contre tous ceux qui voudroient revenir en Italie[62]. »
Ainsi Victor-Amédée en revenait à l’éternel objet de son ambition, à cette mainmise sur le Milanais que, sous une forme ou sous une autre, il ne cessait de réclamer depuis trois ans. Si avancé qu’il fût déjà dans les voies de la trahison, peut-être eût-il été encore possible de le ramener en arrière. Mais Louis XIV crut devoir laisser cette ouverture sans réponse. « Vous garderés le silence sur cette première ouverture, écrivait-il à Phelypeaux, et, si M. le duc de Savoye ou ses ministres vous pressent de luy faire sçavoir mes intentions, vous répondrés que vous ne m’en avés pas encore instruit et que vous attendes mes ordres. » Bien qu’il eût été directement avisé par les intelligences qu’il continuait d’entretenir à Vienne de l’envoi d’Auersperg à Turin, et qu’il en eût même donné avis à Phelypeaux[63], cependant Louis XIV ne croyait guère à cette rumeur, non pas qu’il estimât Victor-Amédée incapable d’une aussi noire trahison (ce sont les termes mêmes dont il se servait), mais parce que, trop confiant encore dans sa fortune, il ne pouvait s’imaginer que le duc de Savoie vît son intérêt à changer encore une fois de parti, et qu’il osât se ranger du côté des ennemis de la France. Les avis répétés de Phelypeaux ne pouvaient parvenir à ébranler son orgueilleuse sécurité, ni à le résoudre à choisir entre ces deux partis entre lesquels ce clairvoyant serviteur lui exposait nettement la nécessité de se déterminer : ou se rattacher Victor-Amédée par un nouveau traité, ou lui faire la guerre. Phelypeaux ne négligeait cependant aucun moyen d’éclairer son maître. Il lui rapportait ce propos de Victor-Amédée : « Je serois bien fou de me perdre, moy et ma maison, pour un party qui me méprise, me soupçonne, ne me donne pas le commandement qui m’est dû par mon traité, et qui, prest à se ruiner par ses fautes, m’enveloppera dans sa perte. » Fort habilement il avait su aussi se procurer sur le séjour d’Auersperg des renseignemens qui devaient vaincre la crédulité du Roi. Il tenait d’un perruquier français, qui était en relations avec le maître de poste de Turin, que celui-ci avait reçu récemment dans sa maison deux Allemands[64] qui s’y étaient tenus cachés pendant quelques jours. Le maître de poste avait commandé pour chacun une perruque blonde et une paire de bottes, mais sans laisser ni le bottier ni le perruquier prendre la mesure. Il savait également par la blanchisseuse le nombre de chemises qu’ils salissaient, et les jours où ils les faisaient redemander. Enfin, les deux Allemands ayant quitté l’hôtel du maître de poste, une personne sûre, dont la fenêtre s’ouvrait sur l’hôtel du marquis de Prié, affirmait avoir vu se promener dans le jardin deux personnes en robes, peignoirs et coiffures de femmes, mais qu’à leurs voix il avait parfaitement reconnues pour des hommes.
Phelypeaux signalait en même temps les sorties nocturnes de Victor-Amédée, ses rentrées tardives, ses fréquentes conférences avec Prié, ses levées de troupes, les travaux de fortification qu’il faisait effectuer à Turin, en un mot tout un ensemble de symptômes qui ne laissaient aucun doute sur les mauvais desseins de ce perfide allié[65]. Louis XIV finit par être convaincu, d’autant plus que les renseignemens fournis par Phelypeaux étaient corroborés par ceux qu’il recevait directement lui-même d’Angleterre et de Hollande et par le bruit public en Europe. Il le fut même au point de ne pas repousser de prime abord la proposition que lui fit Phelypeaux de faire arrêter Auersperg, quand il s’en retournerait par la route de Genève, comme il était venu, et de le dépouiller de vive force de ses papiers. Plusieurs dépêches furent échangées entre eux sur ce point[66]. Mais le séjour mystérieux d’Auersperg à Turin se prolongeait, au grand ennui de celui-ci, qui se plaignait dans ses lettres de la vie « d’ermite politique » qu’il était obligé de mener.
Victor-Amédée, en effet, hésitait toujours. Ce prince cunctateur, comme l’appelait Phelypeaux, renouvelait dans ses négociations avec Auersperg le jeu qu’il jouait autrefois avec Tessé, durant les négociations secrètes qui avaient abouti en 1696 au traité de Turin. Tessé allait jusqu’à prétendre dans ses lettres à Torcy que les entrevues avaient lieu dans la même maison. Ce n’était pas tout à fait exact, mais les procédés étaient les mêmes. Victor-Amédée se refusait à conclure, et, à chaque nouvelle concession, il répondait par de nouvelles exigences. Il demandait 100 000 écus une fois payés pour se mettre en état d’agir, et 100 000 écus de subsides par mois, la garantie de l’Angleterre et de la Hollande, et, en plus des territoires déjà concédés, la cession du Vigevanesque, à laquelle Auersperg se refusait, n’ayant point, disait-il, de pouvoirs pour cette cession[67]. Louis XIV ne sut pas profiter de ces lenteurs et de ces hésitations. Ce n’est pas qu’il ajoutât confiance aux assurances répétées de Vernon à Torcy que tous les bruits de traité entre l’Empereur et son maître étaient faux, que c’étaient des rumeurs malveillantes répandus par ceux qui voulaient détourner l’anima della Sua Maesta delle benefiche intenzioninelle quali Sua Altezza Reale ha sempre riposto et attualmente ripone ogni sua speranza. Il n’était pas dupe de ces assurances, pas plus que du démenti formel que Vernon opposait à la présence d’Auersperg à Turin[68]. Mais, comme il l’écrivait à Phelypeaux, il balançait encore sur la conduite à tenir, et ce ne fut qu’à la fin d’août qu’il se résolut, bien tardivement, à l’un des deux partis entre lesquels Phelypeaux lui conseillait depuis longtemps de choisir : celui de chercher à se rattacher Victor-Amédée.
Le 21 août, il donnait audience à Vernon, et, celui-ci ayant protesté de nouveau que son maître n’avait fait aucun traité avec l’Empereur et voulant, dit Dangeau, « qu’on lui fasse couper le cou si les bruits qu’on répand sont vrais[69], » Louis XIV répondit qu’après avoir reçu de pareilles assurances, il était persuadé que le duc de Savoie était incapable de se déshonorer en contrevenant à ce qu’il faisait dire si positivement par son ambassadeur. Il ajoutait que, de son côté, il avait toujours souhaité véritablement les avantages du duc de Savoie et qu’il continuerait d’y apporter une attention dont Son Altesse aurait à se louer. Par la même dépêche qu’il adressait à Phelypeaux pour lui faire connaître cet entretien, il l’invitait à provoquer une explication du duc de Savoie, « m’engageant, ajoutait-il, à négocier avec le duc de Mantoue pour obtenir de lui la cession du Montferrat[70].
Il était bien tard pour parler seulement du petit Montferrat, alors, que, d’autre part, des propositions aussi avantageuses étaient faites à Victor-Amédée. En exécution des ordres reçus, Phelypeaux demanda cependant une audience au duc de Savoie, mais il le trouvait d’humeur mal commode. « Lorsque le Roy, lui dit Phelypeaux, verra que Votre Altesse Royale prend confiance entière dans l’affection que Sa Majesté a pour vous, il n’y a rien qu’il ne fasse pour vos avantages. Si Votre Altesse Royale est inquiète sur ce sujet et que vous vouliés stipuler quelques-nouvelles conditions, donnés vos ordres au comte de Vernon, ou faites-moi l’honneur de me parler et traiter avec moy. » Mais Victor-Amédée, dans sa réplique, se répandit d’abord en longues récriminations sur les fautes commises au début de la campagne, sur la méfiance qui lui avait toujours été témoignée, puis il continua : « Mais enfin, mon temps bourrasqueux est passé… vous me faites un plaisir infini de me dire que le Roi demande ce que je souhaite ; mais ce qui me met en peine (cecy, fait observer Phelypeaux, fut dit d’un ton moqueur), et modère ma joie dans le discours que vous venés de me tenir, est qu’il y a environ trois ans, vous me parlâtes dans les mêmes termes. Ils n’ont point eu d’effet… Mais, cette fois, ne vous trompés-vous point ? Avés-vous bien ordre de me dire que je demande au Roi ce que je souhaite ; » et, sur l’assurance réitérée de Phelypeaux : « Hé bien ! Monsieur, j’y penserai : la chose en vaut la peine. » Puis, pour mettre fin à la conversation, il demande sa Messe. « C’est comme il en use, ajoutait Phelypeaux, quand il a des affaires, puis il se retire promptement dans son cabinet, et met par écrit, luy-même et seul, ce qui luy a été dit et ce qu’il veut répondre[71]. »
A partir de cette conversation, il semble qu’un double mouvement, mais en sens inverse, se soit produit chez Victor-Amédée et chez Louis XIV, de rapprochement chez Victor-Amédée, et d’éloignement chez Louis XIV. Nous savons en effet que jamais Victor-Amédée ne passa par d’aussi cruelles perplexités que durant cette première quinzaine de septembre. Ses prévisions se trouvaient déjouées par les événemens. Il avait compté que les difficultés de la campagne de Flandre forceraient Louis XIV à rappeler 15 000 hommes de ses troupes d’Italie, et que, l’armée des Deux Couronnes opérant sa jonction avec celle de l’électeur de Bavière et de Villars par le Trentin et le Tyrol, le nord de l’Italie se trouverait presque entièrement dégarni de troupes espagnoles et françaises, ce qui lui permettrait d’agir librement. Or, la prise de Brisach, au commencement de septembre, assurait le succès de la campagne de Flandre, et, la jonction avec l’électeur de Bavière ayant échoué, l’armée des Deux Couronnes revenait camper à San Benedetto, près de Pavie. La terreur s’empara de Victor-Amédée. « Je vous dirai en peu de mots que le traité est rompu, écrivait Auersperg à Stepney, l’ambassadeur d’Angleterre à Vienne. Une sérieuse panique a saisi le duc de Savoie, et je n’ai jamais vu un homme qui a tellement perdu la tramontane tout à coup comme lui[72]. »
Tout le monde remarquait à la Cour l’abattement extrême de Prié. Il se plaignait que son maître, après l’avoir embarqué, l’abandonnait. C’est qu’il ne pouvait ignorer qu’en réponse à la communication de Phelypeaux, Victor-Amédée avait fait parvenir à Versailles un mémoire, où il semblait s’abandonner complètement à la générosité du Roi, tout en laissant entendre que l’objet de son ambition demeurait cependant le Milanais. Son langage paraissait changé. « Je n’ay confiance, disait-il à l’ambassadeur d’Espagne, qu’à la protection de Dieu et des deux Rois. » Ses perplexités se traduisaient encore de façon singulière : « M. le duc de Savoye, qui tout au plus communie une fois l’an, mandait Phelypeaux, communia le jour de la Notre-Dame de septembre et a ordonné ensuite des prières par toutes les églises de Turin, afin d’obtenir le secours du ciel dont il a, dit-il, un extrême besoin dans les embarras où il se trouve, » « C’est précisément, ajoute ce perspicace observateur des intrigues de Victor-Amédée, comme en usa ce prince lorsqu’en 1696 il changea de parti[73]. » Peut-être, dans cette crise suprême, n’eût-il donc pas été impossible de le regagner, mais Louis XIV avait pris son parti dans l’autre sens. Soit qu’il eût été blessé du ton railleur affecté par Victor-Amédée dans sa réponse à Phelypeaux, soit que cette dissimulation persévérante, encore aggravée par les dénégations formelles de Vernon, eût achevé de le dégoûter d’un allié en qui il devenait impossible de garder confiance, il avait résolu de le mettre hors d’état de nuire. Pour y parvenir, il s’adressa, par-dessus la tête de Phelyppaux, qu’il ne crut point devoir mettre dans la confidence, à quelqu’un dont la détermination et l’absence de scrupules lui semblaient propres à la réalisation d’un vigoureux coup de main.
Depuis le mois de février de l’année précédente, l’armée d’Italie avait changé de chef. Villeroy s’était laissé surprendre dans Crémone, et, si l’énergie déployée par son lieutenant, le marquis de Revel, avait arraché la ville aux Impériaux, lui-même était demeuré entre leurs mains et avait été emmené prisonnier par eux, d’où le couplet bien connu :
- Français, rendez grâce à Bellone.
- Votre bonheur est sans égal.
- Vous avez recouvré Crémone
- Et perdu votre général.
Pour le remplacer, Louis XIV avait envoyé Vendôme en Italie. Nous reviendrons plus tard sur le caractère de ce petit-fils de Henri IV, dont la singulière association avec le duc de Bourgogne devait, quelques années plus tard, produire tant de malheurs. Pour l’instant, nous n’avons qu’à montrer son rôle dans le dénouement de la crise savoyarde. Louis XIV avait en lui une juste confiance, et n’essayait point, comme avec d’autres il aimait à le faire, de lui dicter de loin des ordres : « Je ne puis vous déterminer, lui écrivait-il au moment de sa nomination, sur les affaires d’Italie comme je pourrois faire sur celles de Flandres. Vous devés prendre sur vous une partie des entreprises que vous faites. Je vous ay choisi pour commander mon armée par la grande confiance que j’ay en vous, et par la connoissance que j’ay de votre expérience qui me donne lieu de croire que vous ne risquerés rien mal à propos et que vous prendrés toujours les bons partis, et tout ce que je vous dirai dans la suitte, à moins que je ne vous donne des ordres précis, ne doit vous empescher d’exécuter vos projets, lorsque vous les croirés bons et que vous pourrés espérer de les rendre utiles pour le bien de mon service, et la gloire de mes armes[74]. » Vendôme ne se montra point indigne de cette confiance. Le prince Eugène trouva en lui un digne rival. A Santa-Vittoria, à Luzzara, il rétablit la renommée des armées françaises que la dernière campagne avait obscurcie, et, si celle de 1703 fut moins brillante, il tint cependant les Impériaux en respect. Ses lettres sont aussi précises et laconiques que celles de Villeroy sont confuses et verbeuses[75]. Au lieu de se livrer aux récriminations, il se montre sobre d’appréciations sur le compte des hommes. Personnellement il eut peu à faire avec le duc de Savoie, qui ne prit aucune part aux deux campagnes de 1702 et 1703, Mais il partageait à son endroit la défiance générale. « Votre Majesté sait, écrivait-il, à Louis XIV, si je suis disposé à me porter garand de la bonne foy de M. de Savoye[76]. » Louis XIV ne cessait du reste de lui recommander la méfiance. Le bruit s’était répandu, au mois de juin 1703, que les flottes anglaises et hollandaises réunies allaient venir croiser dans la Méditerranée, et que Victor-Amédée, sous prétexte qu’il était en guerre avec l’Empire seul, mais non point avec l’Angleterre ou les Pays-Bas, leur donnerait abri dans la baie de Villefranche. Louis XIV écrivait à Vendôme que, si ce bruit se confirmait, et si les troupes du duc de Savoie faisaient quelques mouvemens suspects, il ne devait pas hésiter à les désarmer[77].
Ce fut à cette idée du désarmement qu’il en revint lorsque la trahison du duc de Savoie devint certaine pour lui. « Il n’y a aucun doute, écrivait-il à Vendôme, que M. le duc de Savoye n’ait traité avec l’Empire » ; et il lui prescrivait en conséquence toute une série de mesures à prendre pour le désarmement des troupes savoyardes qui étaient avec lui au camp de San-Benedetto. Il lui recommandait en particulier de s’emparer des chevaux de la cavalerie, sauf à rembourser plus tard aux officiers la valeur de leurs montures, et de répartir les soldats dans les places fortes. « Lorsque vous serés en état d’agir, ajoutait-il, je feray dire au duc de Savoye que je n’ay aucune intention de me rendre maître de ses estats, mais seulement de le mettre hors d’estat de faire un mauvais usage des trouppes qu’il a levées à mes dépens. » Deux jours après, il donnait à Vendôme des ordres encore plus formels. Il l’engageait à réunir un conseil de guerre et à profiter du moment où les principaux officiers seraient réunis pour les arrêter tous ensemble. Mais il fallait que le désarmement eût lieu à tout prix. « Tâchés cependant, ajoutait-il, d’éviter une scène sanglante[78]. »
Vendôme, sans faire aucune difficulté, demandait cependant du temps pour prendre ses mesures, et Louis XIV employait ce temps à poursuivre la négociation avec le duc de Savoie au sujet du Milanais. Il répugne de croire que cette négociation (ainsi que Victor-Amédée ne devait pas manquer de l’en accuser), n’eût d’autre but que de masquer l’acte de violence auquel il se préparait. Louis XIV semble bien avoir conservé l’illusion que Victor-Amédée, réduit à l’impuissance, romprait définitivement avec l’Empereur et prêterait les mains à l’ancien arrangement dont la mort de Charles II avait arrêté la conclusion, c’est-à-dire la cession à la France de Nice et de la Savoie, en échange de l’attribution du Milanais. Dans une dépêche à Phelypeaux datée du 13 septembre, c’est-à-dire du lendemain même du jour où il envoyait à Vendôme ces ordres formels, Louis XIV insistait sur le mutuel avantage que les deux pays trouveraient au succès de cette combinaison. « Mon intérest, disait-il, est donc conforme au sien (le duc de Savoie)… Une seule difficulté m’arreste. Je ne puis proposer en Espagne que le Roy catholique cède le Milanois au duc de Savoye. Cette difficulté peut cependant estre surmontée si le duc de Savoye trouve le moyen de faire luy-mesme cette proposition en Espagne. S’il veut prendre cette voie, je pourrois traiter en mesme temps de l’échange qu’il me donneroit en acquérant le Milanois, et cependant je trouverois le moyen de satisfaire le roi d’Espagne, de manière qu’on ne me reprocheroit pas de m’estendre à ses dépens[79]. »
À cette proposition Victor-Amédée répondait par l’envoi d’un second mémoire où il faisait observer, avec juste raison, que toute proposition faite par lui en Espagne dans son propre intérêt « s’en iroit en fumée » si le Roi ne l’appuyait. Cependant il se déclarait prêt à dépêcher à Madrid un envoyé extraordinaire sous prétexte de réclamer le payement des sommes dues depuis si longtemps à la Savoie par l’Espagne, mais en réalité pour soulever la question du Milanais. Et Louis XIV de répliquer, le 27 septembre, qu’il considérait ce mémoire comme une marque de déférence pour ses conseils, et que, si l’ambassadeur envoyé par Victor-Amédée voulait passer par Versailles et lui communiquer ses ordres, lui-même réglerait suivant ce qu’ils contiendraient ceux qu’il aurait à donner à son ambassadeur en Espagne pour faire réussir la négociation. Phelypeaux dut être cependant quelque peu surpris lorsque au bas de la dépêche, après la signature, il trouvait cette addition qui, sur la minute, est de la main même de Torcy : « Si pendant le temps de cette négociation M. le duc de Vendosme vous écrit de faire quelques démarches différentes et même contraires à ce que je vous escris, vous les exécuterés préférablement même aux ordres que je vous ay donnés jusqu’à présent. »
Phelypeaux ne devait pas tarder à recevoir le mot de cette énigme. Trois jours après, c’est-à-dire le 1er octobre, un courrier traversait Turin, porteur de deux lettres, l’une pour Louis XIV, l’autre pour Phelypeaux lui-même, dans lesquelles Vendôme rendait compte du désarmement des troupes savoyardes opéré le 29 à San-Benedetto. En même temps, le bruit de ce coup de force se répandait dans Turin. Aussi ce dut être une curieuse audience que celle où, le lendemain, Victor-Amédée reçut Phelypeaux. Nous en avons le récit par ce dernier. Les courtisans consternés ne cessaient de se parler à l’oreille. Prié et Saint-Thomas étaient pâles et tristes. Victor-Amédée lui-même avait l’air abattu et défait. Imperturbablement Phelypeaux reprit la conversation au point où il l’avait laissée lors de sa dernière audience, et insista pour que, dans l’échange projeté, la ville de Nice fût comprise. Victor-Amédée s’y était refusé jusque-là, faisant valoir le grand nombre de ports de mer que possédait déjà le roi de France. Cette fois, il répondit assez laconiquement qu’il y réfléchirait, puis il ajouta, d’une voix altérée : « Il se répand, Monsieur, des bruits auxquels je ne veux point ajouter foy dans un temps où j’ay tout à attendre des bontés de Sa Majesté. » Phelypeaux, qui ne voulait point paraître informé, ne répondit rien. Quelques propos indifférens s’échangèrent encore entre eux, et Victor-Amédée se retira. Mais Phelypeaux ne fut pas dupe de ce calme apparent, et il terminait sa dépêche en disant : « M. le duc de Savoye prendra le parti le plus extrême et s’exposera à tous risques plutôt que de baiser la main qui vient de le frapper d’un coup si rude et si diffamant, quoy que si justement mérité[80]. »
Phelypeaux avait raison, et cette dépêche était la dernière qu’il devait lui être permis d’écrire. Le lendemain, Victor-Amédée prenait un parti violent, mais assez justifié par les circonstances. Il faisait arrêter tous les Français qui se trouvaient dans ses États, et Phelypeaux lui-même était étroitement resserré dans son ambassade avec interdiction d’envoyer aucun courrier. À ce procédé, Louis XIV répliquait en décrétant également d’arrestation tous les Savoyards qui se trouvaient à Paris, à l’exception des ramoneurs, et le comte de Vernon, prévenu fort courtoisement par Torcy au cours d’une promenade dans le parc de Versailles, voyait s’installer chez lui un gentilhomme, le comte de Liboy, « qui en usoit avec toute l’honnêteté possible[81], » mais qui avait mission de l’accompagner partout où il irait[82]. Louis XIV avait cru sans doute qu’abattu par ce coup, Victor-Amédée se rendrait à merci. Il n’en fut rien. L’habile prince profita, pour continuer ses négociations, de l’embarras où se trouvait Vendôme. Celui-ci avait reçu ordre de demander au duc de Savoie deux places de sûreté, Verceil et Goni, et la réduction de ses troupes au chiffre que portait le traité d’alliance de 1697. En même temps, le Roi lui faisait parvenir, par le même Vendôme, cette assurance « qu’il vouloit cependant ses avantages et qu’il contribueroit à les lui procurer quand les occasions s’en présenteroient[83]. » Mais il aurait fallu appuyer ce langage par des mesures efficaces en marchant sur le Piémont. Or, Vendôme, qui était à Pavie et qui aurait été obligé de laisser une partie de ses forces en arrière pour contenir les Impériaux, trouvait la guerre en Piémont dangereuse, et, après s’être avancé jusqu’à la frontière, il demandait du renfort. Victor-Amédée sut mettre à profit ces retards. Il envoyait des ambassadeurs de tous les côtés, à Vienne, à la Haye, en Suisse ; il remplissait l’Europe du bruit de ses plaintes et faisait parvenir ses récriminations jusqu’à Versailles. Il parlait de la stupore que cette violation du droit des gens lui avait causée ; il accusait Phelypeaux, dont l’aveugle passion aurait prévenu le Roi contre lui ; et protestait des sentimens de son cœur. Il essayait même de faire intervenir son beau-frère, le duc d’Orléans, et, dans un mémoire qu’il le chargeait de remettre, il poussait l’effronterie jusqu’à dire : « Le comte Auersperg, ayant appris cet étrange événement, s’est rendu à Turin, où il est arrivé le 26 octobre. Il fait des propositions fort avantageuses de la part de Sa Majesté Impériale, et si Son Altesse Royale les accepte, on ne pourra s’en prendre qu’à la nécessité où des traitemens si durs et si violens l’auront mis[84]. » Mais, en même temps, il profitait de l’inaction de Vendôme pour conclure la négociation avec Auersperg, qui, depuis l’arrestation de Phelypeaux, se montrait ouvertement à Turin. Il faisait valoir auprès de celui-ci que les Impériaux avaient été la cause de sa ruine en répandant le bruit qu’il avait souscrit à la Ligue, et que le roi de France lui offrait encore les conditions d’un arrangement avantageux ; mais, si l’Empereur consentait à lui accorder le Vigevanesque, qu’il lui avait refusé jusqu’à présent, le traité serait signé par lui immédiatement ; sinon, il s’abandonnerait à la France pour toujours[85]. Auersperg commençait par répondre qu’il n’avait pas pouvoir pour céder le Vigevanesque, et que, certainement, l’empereur Léopold ne ratifierait pas cette cession. Mais Victor-Amédée le poussait si gagliardamente, dit Carutti, que, le 8 novembre[86], il apposait avec Prié et Saint-Thomas sa signature au bas d’un Tractatus fœderis intra Caesaream Majesiatem et Imperium ex una parte atque Regiam Suam celsitudinem Sabaudiæ ex altera. Par ce traité, non seulement tous les pays dont nous avons parlé, y compris le Vigevanesque, étaient cédés à la Savoie, avec la garantie de la Hollande et de l’Angleterre ; mais, en cas de guerre victorieuse, le démembrement de la France était prévu. Toutes les conquêtes faites en Franche-Comté et en Bourgogne demeureraient la propriété de l’Empereur ; toutes celles faites en Dauphiné et en Provence appartiendraient sans retour à la Savoie.
Ainsi Victor-Amédée stipulait en dernier lieu son agrandissement aux dépens du prince que, sept années auparavant, il avait agréé pour gendre, et dont il dépeçait à l’avance le patrimoine. C’est à ce singulier résultat que devaient aboutir sept années d’alliance. Assurément, la conduite tortueuse de Victor-Amédée n’est pas pour lui faire honneur, et si le succès en a été la récompense, si l’on comprend qu’il demeure aux yeux de ses compatriotes le principal auteur de la grandeur de sa maison et le précurseur de l’unité italienne, l’histoire, moins indulgente, ne saurait voir dans ce succès l’excuse de sa duplicité. Mais il faut reconnaître que, dans ses procédés avec le duc de Savoie au cours de la période d’entente, Louis XIV ne fut ni heureux, ni habile. Il méconnut l’importance de cet allié, sans le concours duquel rien n’était possible en Italie. Il eut le tort de le tenir systématiquement à part des négociations qui précédèrent la Succession d’Espagne, et de ne pas l’admettre à temps au partage anticipé en lui attribuant le Milanais, en échange de Nice et de la Savoie. Lorsque, la guerre avec l’Empire déclarée, il lui imposa son alliance, il eut le tort également de le désintéresser du succès de ses armes, en insérant dans le traité une clause qui lui enlevait tout espoir d’un agrandissement territorial. Quand il reconnut sa faute, il ne sut point se l’attacher définitivement par des concessions suffisantes, et se laissa gagner de vitesse par la diplomatie impériale. Enfin, quand il résolut de le réduire par la force, il ne sut pas davantage prendre des mesures assez vigoureuses pour le mettre à sa discrétion, et, en lui laissant le temps de se reconnaître, il perdit tout le fruit du parti violent auquel il s’était tardivement résolu. Il pécha d’abord par orgueil, ensuite par indécision. C’est qu’il ne pouvait se résoudre à compter avec un aussi faible adversaire, ni se rendre compte qu’un grand roi comme lui pût avoir besoin de ménager un si petit prince. Mais :
- On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
Louis XIV, qui appréciait à leur mérite Corneille, Racine et Boileau, ne faisait pas assez cas de La Fontaine.
Quelle impression fut produite par ces événemens si graves sur notre petite duchesse de Bourgogne, que nous semblons avoir un peu perdue de vue ? Les dépêches de Vernon à son père nous la montrent depuis quelques mois dans un état de cruelle agitation. « J’ai su de bon lieu, écrivait-il à Victor-Amédée, que, ces jours passés, Mme la duchesse de Bourgogne entra dans la chambre de Mme de Maintenon au moment où s’y trouvait Sa Majesté, se plaignant sans que ses larmes et ses sanglots leur permissent de comprendre ce qu’elle voulait dire. A la fin, un peu calmée par les manières affectueuses et obligeantes de Sa Majesté et de Mme de Maintenon, elle finit par leur dire qu’elle venait de recevoir un coup mortel au cœur par le discours qui lui avait été tenu relativement aux bruits qui couraient sur Votre Altesse Royale, et parce qu’il lui avait été dit que Sa Majesté avait pris le parti de la renvoyer parce qu’elle n’avait pas encore de fils. Et disant cela, elle retomba en sanglots désespérés. Sa Majesté fut également attendrie et indignée de ce récit, et donna aussitôt des ordres pour qu’on recherchât l’auteur de ce discours et pour qu’il fût puni sévèrement[87]. »
La duchesse de Bourgogne, comme toute jeune princesse, avait des ennemis, surtout dans la petite cour de Monseigneur. Il était certain que les torts de son père seraient exploités contre elle. Aussi tomba-t-elle dans la désolation, lorsque la nouvelle de ce qui venait de se passer en Italie fut connu à la Cour. « Mme la duchesse de Bourgogne, écrivait encore Vernon, est dans une affliction plus qu’ordinaire, qui apparaît aux yeux de tous. On sait qu’elle a beaucoup pleuré. Sa Majesté lui a dit à elle-même que, par considération pour elle, Elle avait longtemps tardé à prendre les résolutions qu’Elle a prises au regard de Votre Altesse Royale ; mais qu’Elle s’y était vue contrainte par une indispensable nécessité, pour prévenir les maux qui pouvaient résulter des engagemens que Votre Altesse Royale avait pris avec l’Empereur[88]. »
La bienveillance de Louis XIV pouvait rassurer ainsi la duchesse de Bourgogne sur sa situation personnelle. Mais elle était trop fière pour ne pas ressentir l’affront fait à son père, et trop attachée à lui pour ne pas en souffrir. « J’eus le cœur serré de la douleur de notre princesse depuis que M. de Savoie a déclaré la guerre au Roi », écrivait Mme de Maintenon, et elle s’efforçait de faire tourner cette douleur au profit de l’édification des dames de Saint-Cyr. « Mes chères filles, s’écriait-elle, que vous êtes heureuses d’avoir quitté le monde ! Il promet la joie et n’en donne point. Le roi d’Angleterre[89] jouait hier dans ma chambre avec Mme la duchesse de Bourgogne et ses dames à toutes sortes de jeux : notre Roi et la Reine d’Angleterre les regardaient ; ce n’étaient que danses, ris et emportemens de plaisirs, et presque tous se contraignaient et avaient un poignard dans le cœur. Le monde est certainement un trompeur ; vous ne pouvez avoir trop de reconnaissance à Dieu pour vous en avoir tirées[90]. »
Ce poignard, que la duchesse de Bourgogne avait déjà dans le cœur, devait y pénétrer encore plus avant. Bientôt elle allait voir le prince auquel sa destinée était unie accablé sous le poids de mésaventures cruelles, et elle-même en butte à la malveillance. Nous avons raconté ses années heureuses ; il nous reste à raconter ses années d’épreuves. Nous l’entreprendrons assez prochainement.
HAUSSONVILLE.
- ↑ Voyez la Revue des 15 mars et 15 avril.
- ↑ Les lettres de Catinat et de Tessé ont été publiées, partie dans les deux ouvrages intitulés : Mémoires de Catinat et Mémoires de Tessé, partie dans le tome Ier des Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, publiés par le général Pelet. Les originaux de la plupart de ces lettres sont au Dépôt de la Guerre. Celles de Phelypeaux, dont les originaux se trouvent aux archives des Affaires étrangères, sont inédites. C’est généralement des originaux que nous avons tiré nos citations, ainsi que des papiers de Tessé que nous avons eus entre les mains. Quelques-unes des lettres adressées par ce dernier à Chamillart ont été également publiées par l’abbé Esnault dans l’ouvrage intitulé : Michel Chamillart. Correspondance et papiers inédits (2 vol.).
- ↑ Afr. étrang., Corresp. Turin, vol. 107. — Phelypeaux au Roi, 25 Juin 1701.
- ↑ Archives de Turin, Malvrie politiche, Negoziasioni con la Francia, mazzo 19.
- ↑ Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 9 juillet 1701.
- ↑ Lettres du maréchal de Tessé, publiées par le comte de Rambuteau, p. 53.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 107. — Phelipeaux au Roi. 28 juillet 1701.
- ↑ Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 30 mai 1701.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1514. — Chamillart à Tessé, 10 mai 1701.
- ↑ Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 2 juillet 1701. Dans une autre lettre à Chamillart, publiée par l’abbé Esnault, t. Ier, p. 30, Tessé se sort de la même comparaison qui revient encore plusieurs fois sous sa plume.
- ↑ Pelet, Mémoires relatifs à la succession d’Espagne, t. Ier, p. 586. Extraits de la Correspondance de Tessé dans Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 361.
- ↑ Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 2 août 1701.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1515. — Chamillart à Tessé, 13 août 1701.
- ↑ Voyez le récit, d’après Tessé, de cette altercation dans Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 363. — Voyez aussi Dangeau, t. VIII. p. 180, et Sourches, t. VII, p. 107.
- ↑ L’ouvrage improprement appelé Mémoires de Catinat n’a pas été rédigé par le maréchal lui-même, mais par Le Bouhelier de Saint-Gervais, d’après les lettres et manuscrits conservés dans la famille du maréchal. La première édition a paru en 1816.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1514. — Catinat à Chamillart.
- ↑ Nouveaux Lundis, t. VIII, p. 476.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 57.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1515. — Villeroy au Roi, 26 août 1701.
- ↑ Ibid., Italie. Minutes 1528. — Le Roi à Villeroi, 11 sept. 1701.
- ↑ Ibid., Italie, 1515. — Villeroy au Roi. Relation de l’affaire de Chiari.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 13 sept. 1701.
- ↑ Ibid., Corresp. Turin, vol. 107. — Phelypeaux au Roi, 13 janvier 1701.
- ↑ Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 19 juillet 1701.
- ↑ Ibid., Tessé à Chamillart, 6 oct. 1701.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie 1515. — Villeroi au Roi, 25 septembre 1701.
- ↑ Dépôt de la Guerre. Italie, 1515. — Catinat au Roi, 7 août 1701.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. Phelypeaux au Roi, 26 sept. 1701.
- ↑ Ibid., — Phelypeaux au Roi, 11 sept. 1701.
- ↑ Cette importante publication, qui contient un grand nombre de pièces inédites, comprend vingt et un volumes. Elle est précédée d’une introduction dont les auteurs se sont livrés à des considérations historiques peu exactes sur l’état politique de la France au XVIIe siècle. Mais il n’y a aucune raison de suspecter la bonne foi et l’exactitude de leurs affirmations. Le roi Humbert a ordonné la traduction de cette publication en italien sous le titre de : Campagne del principe Eugenio di Savoia.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 16 et 25 nov. 1701.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1528. — Le Roi à Villeroy, 14 nov. 1701.
- ↑ Voyez ce Mémoire dans la publication de l’abbé Esnault, t. Ier. p. 64.
- ↑ Ibid., p. 53.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 84.
- ↑ Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 20 oct. 1701.
- ↑ Ibid., Phelypeaux au Roi, 10 décembre 1701.
- ↑ Ibid., vol. 110. — Le Roi à Phelypeaux, 5 février 1702.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 110. — Phelypeaux au Roi, 26 mars 1702.
- ↑ Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 132. — Vernon à Victor-Amédée, 5 janvier-4 février 1702.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, t. 111. Supplément. — Projet de traité entre Sa Majesté Très Chrétienne et Son Altesse Royale M. le duc de Savoye.
- ↑ Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 2 nov. 1701.
- ↑ Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, mazzo 134. — Vernon à Victor-Amédée, 8 juin 1702.
- ↑ Carutti, Storia della diplomazia della corle di Savoia, t. III, p. 328 et suiv.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 109.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 3 décembre 1701.
- ↑ Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 131. — Vernon à Victor-Amédée, 8 mai 1702, mazzo 132. — Victor-Amédée à Vernon, 3 mai 1702.
- ↑ Mémoires de Louville, t. Ier, p. 284.
- ↑ Saint-Simon, édition Boislisle, t. X, p. 174.
- ↑ Lettere Ministri Francia, mazzo 133, 23 juin 1702.
- ↑ Aff. étrangères. Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 15 juillet 1702.
- ↑ Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 133. — Vernon à Victor-Amédée, 10 juillet 1702.
- ↑ Mémoires politiques et militaires, pour servir à l’Histoire de Louis XIV et de Louis XV, t. II, p. 282. Cet ouvrage a été rédigé d’après les papiers du maréchal de Noailles par l’abbé Millet.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 110. — Phelypeaux au Roi, 16 sept. 1702.
- ↑ Ibid., vol. 113. Ce volume contient une lettre de Madame Royale à Louis XIV, pleine, au reste, de judicieux conseils.
- ↑ Ibid., vol. III. Phelipeaux au Roi, 23 déc. 1702.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 110. — Le Roi à Phelypeaux, 10 oct. 1702. — Phelypeaux au Roi, 21 octobre-10 novembre 1702.
- ↑ Ibid., vol. 110. — Phelypeaux au Roi, 21 oct. 1702.
- ↑ Archives de Turin, Negoziazioni con Vienna, mazzo 6, 21 février 1703. Ces instructions débutent ainsi : « Sa Majesté Impériale ayant ouy le rapport de ce que le comte Salvaï a opéré à Turin et en ayant apris la continuation du sincère désir de Son Altesse Royale de se réunir à elle,… après avoir assuré Son Altesse Royale de la véritable inclination que Sa Majesté Impériale conserve de la recevoir dans son ancienne amitié et alliance et de luy procurer en même temps tous les avantages raisonnables et possibles, etc. »
- ↑ Archives de Turin. Negoziazioni con Vienna, mazzo 6.
- ↑ Ibid., mazzo 6, no 5.
- ↑ Aff. étrangères, Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi, 11 juillet 1703.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 112. — Le Roi à Phelypeaux, 16 juillet 1703.
- ↑ Le nom du compagnon d’Auersperg est demeuré inconnu.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 112. Phelypeaux au Roi, 30 juillet 1703, et passim.
- ↑ Ibid., — Phelypeaux au Roi, 8 et 16 août 1703.
- ↑ Archives de Turin, Negoziazioni con Vienna, mazzo 6, no 8.
- ↑ Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, Vernon à Victor-Amédée, 3 août-7 août. À ces assurances, Torcy répondait en souriant que les ambassadeurs sont souvent les premiers ingannati. Il semble en effet, à lire ces dépêches où Vernon rend compte de ses conversations avec Torcy, qu’il fût de bonne foi et, véritablement, trompé par son maître.
- ↑ Dangeau, t. IX, p. 273.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol, 112. — Le Roi à Phelypeaux, 22 août 1703.
- ↑ Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi. 30 août 1703.
- ↑ The diplomatie correspondance of Richard Mill. London, 1845, t. Ier p. 10.
- ↑ Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi. Dépêches des 6, 13 et 20 sept. 1703.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1528. — Le Roi à Vendôme, 4 mars 1702.
- ↑ La correspondance de Vendôme se trouve partie en original au Dépôt de la Guerre, partie en copie à la Bibliothèque nationale (Manuscrits Français). Nous détachons d’une lettre à Louis XIV ce passage qui donnera une idée de leur ton. Il s’agit de quelques prêtres que Vendôme avait fait arréter sous la prévention d’espionnage et dont le Pape réclamait la mise en liberté : « Je ferai moi-même tout ce qu’il faudra pour réhabiliter leur mémoire, répondait Vendôme, moyennant que Votre Majesté trouve bon qu’on commence d’abord par les pendre. » Dépôt de la Guerre, Italie, 1592, novembre 1702.
- ↑ Bibliothèque nationale. Manuscrits français 14177.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1640. — Le Roi à Vendôme. 24 juin 1703.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1641. — Le Roi à Vendôme, 10 et 12 sept. 1703.
- ↑ Aff. étrangères, Corresp. Turin, vol. 112. — Le Roi à Phelypeaux. 13 sept.
- ↑ Affaires étrangères. Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi. 2 octobre 1703.
- ↑ Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 134. — Vernon à Victor-Amédée et à Saint-Thomas (1er octobre 1703).
- ↑ La captivité de Phelypeaux et la surveillance de Vernon devaient durer jusqu’au mois de mars 1704, époque à laquelle les deux ambassadeurs furent échangés. Dans un assez long mémoire, Phelypeaux a raconté ou fait raconter par un de ses secrétaires toutes les tribulations auxquelles il fut soumis. Ce mémoire a été publié au t. II, p. 8 des Mémoires de Tessé. Le texte manuscrit se trouve à Paris dans plusieurs dépôts publics, entre autres aux affaires étrangères. Corresp. Turin, vol. 114.
- ↑ Dépôt de la Guerre, Italie, 1692. — Le Roi à Vendôme, 5 octobre 1703. — Le marquis de Quincy, dans son Histoire militaire du règne de Louis le Grand, t. IV, p. 175, Sainte-Hilaire dans ses Mémoires, t. II, p. 335, le chevalier de Quincy, dans ses Mémoires actuellement en cours de publication, t. I, p. 316, reproduisent, mais sans indication d’origine, le texte d’une lettre hautaine de Louis XIV à Victor-Amédée qu’au moment d’envahir le Piémont, Vendôme aurait fait parvenir à ce prince par un officier accompagné d’un trompette. Ils font mention également d’une fière réponse de Victor-Amédée. Cette lettre a été insérée par Grimoard au t. VI des Œuvres de Louis XIV, p. 133 et au t. II, p. 4, des Mémoires de Tessé. La Hode, Histoire de Louis le Grand, t. V, p. 316 ; Botta, Histoire d’Italie, L. 33, p. 286 ; et Sismondi, Histoire des Français, t. XXVI, p. 315, l’ont également citée. Cette lettre est ainsi conçue : « Monsieur, puisque la religion, l’honneur, l’intérêt, les alliances et votre propre signature ne sont rien entre nous, j’envoie mon cousin le duc de Vendôme à la tête de mes armées pour vous expliquer mes intentions. Il ne vous donnera que vingt-quatre heures pour vous déterminer. » Victor-Amédée aurait répondu verbalement à l’officier : « Les menaces ne m’intimident point. Le traitement indigne qu’on fait à mes troupes et la conduite pleine de hauteur et de mépris qu’on a tenue à mon égard, m’ont porté à songer à ma sûreté. Je n’ai point d’autres ouvertures à faire, ni d’autres propositions à écouter. » Elle ne se trouve en minute ni aux Archives des affaires étrangères, ni au Dépôt de la Guerre. Elle n’est pas davantage en original à Turin où toutes les pièces relatives à cet épisode ont été soigneusement conservées. Il n’en est fait mention dans aucune des lettres échangées entre Louis XIV et Vendôme, qui n’aurait pas manqué de rendre compte au Roi de la réponse du duc de Savoie. Nous devons dire cependant qu’elle se trouve in extenso, ainsi que la réponse de Victor-Amédée, dans la copie manuscrite de la correspondance du duc de Vendôme qui se trouve à la Bibliothèque nationale. (Manuscrits français, no 14 177, fol. 347, verso.
- ↑ Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 134 ot 135. — Victor-Amédée à Vernon, 8 octobre et 14 novembre.
- ↑ Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia. t. III, p. 342.
- ↑ Plusieurs historiens, entre autres Henri Martin, donnent à ce traité la date du 25 octobre. C’est une erreur. L’original du traité en latin est à Turin (Negoziazioni con Vienna, mazzo 6), et les traductions du traité qui sont aux Archives des Affaires étrangères, portent également la date du 8 novembre 1703.
- ↑ Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, mazzo 134. — Vernon à Victor-Amédée, 17 août 1703.
- ↑ Ibid. — Vernon à Victor-Amédée, 10 oct. 1703.
- ↑ Il s’agit ici du jeune fils de Jacques II.
- ↑ Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 113.