La fête de Saint-Martin

La bibliothèque libre.
La fête de Saint-Martin
Le Journal de la jeunesseI (p. 32).
FÊTES POPULAIRES DE LA FRANCE


LA FÊTE DE SAINT-MARTIN
À DUNKERQUE
___


Les villes de Flandre ont toutes leurs fêtes populaires d’abord les foires, kermesses ou ducasses, communes à tous les centres de population, grands ou petits mais de plus, chaque ville a sa solennité particulière. Lille à Notre-Dame de la Treille, qui se célèbre tous les cent ans, Douai a ses géants célèbres, Gayaut et sa famille Dunkerque a son géant Reuze, rival de Gavant et de plus, elle a la fête de saint Martin.

Pour ce qui est de Reuze, on ne le voit pas souvent. Il y a quelques années, on le sortit de la tour du carillon, seule demeure qui soit assez haute de plafond pour lui. On lui fit une grande toilette, et on le mena en cérémonie au-devant de M. et Mme Gayant qui, veinaient lui faire une visite. Il y eut de grandes réjouissances mais il paraît que la carcasse d’osier qui forme sa vaste personne fut endommagée ce jour-là, car Reuze est rentré dans sa tour et n’en est plus sorti. Pour saint Martin, c’est différent, et tous les ans, le 11 novembre, on célèbre sa fête à la tombée du jour, et l’on se raconte la légende qui a donné lieu à cette fête.

Il paraît que le vénérable évoque étant de son vivant venu à Dunkerque, s’égara dans les dunes, un jour qu’il était allé, monté sur son âne, visiter des pauvres et des malades aux environs de la ville. La nuit venue et le froid avec elle, saint Martin était fort embarrassé. Heureusement que les enfants de Dunkerque s’étaient aperçus de son absence ils avaient pris des lanternes et s’étaient mis à sa recherche. Ils le trouvèrent et le ramenèrent en triomphe, les uns guidant son âne, les autres éclairant la marche, tous célébrant les louanges du bon évêque.

En mémoire de cet événement, on fait encore faire aujourd’hui aux enfants une promenade aux lanternes. Dès que la nuit est venue, les enfants, petits et grands, sortent des maisons, portant au bout d’un bâton une lanterne allumée. On se croirait à Venise. Quelle variété de lanternes ! Il y en a eu verre de couleur il en a en papier, ornées, enjolivées de dessins, de peintures, de découpures, de franges de toutes sortes ; il y en a qui représentent une fleur, ou bien une tôle d’animal ; c’est à qui aura la plus belle ou la plus étrange. Les petits enfants pauvres, qui n’ont pas pu dépenser quelques sous, ne sont pas privés de ce plaisir une betterave ne coûte presque rien on en choisit une très-grosse, on la creuse jusqu’à ne plus laisser qu’une peau mince et transparente ; on l’attache au bout d’un bâton, on y installe un bout de chandelle, et voilà une belle lanterne à feu rouge comme celui des locomotives. Toutes ces lanternes vont et viennent dans les rues, s’éteignent, se rallument, s’enflamment quelquefois, mais l’incendie est vite éteint, elles marchands circulent avec des lanternes de rechange, prêts à réparer les accidents.

Il n’y a pas de limite d’âge pour célébrer la Saint-Martin ; les petits enfants qu’on porte au cou sont munis de leur lanterne tout comme le grand frère ou la grande sœur qui sont déjà hauts comme père et mère. Tout cela se presse sur la place autour de la statue de Jean Bart, et circule dans la rue des Capucins enchantant à lue-tête la chanson de saint Martin, dont le refrain est Donnez-nous des croquandouilles !

Quelle énorme consommation de croquandouilles on fait ce jour-là ! Les marchands ne savent plus à qui entendre : qui, n’en achète pas pour soi-même en achète pour distribuer aux enfants qui en demandent à tout venant. La croquandouille est une pâtisserie de la forme et de la grosseur d’une boule de loto, à peu près aussi dure et qui n’a guère plus de goût ; on la trouverait détestable en tout autre jour de l’année, mais elle fait partie de la fête, et il faut y goûter le 11 novembre. Pourquoi ? je l’ignore. Peut-être les enfants qui ont ramené le bon saint Martin lui en ont-ils offert pour le restaurer cela ne m’étonnerait pas, car c’est une pâtisserie assez mérovingienne.

J’ai ouï dire que de très-grands personnages, arrivant à Dunkerque le soir de la Saint-Martin, se crurent victimes d’un charivari préparé à leur intention, et qu’on eut beaucoup de peine à leur faire comprendre que cette fête enfantine n’avait rien que de très-innocent. C’est un grand tapage, mais un tapage gai, comme tous ceux que font les enfants. Longue vie donc à la fête de saint Martin