La grève, les salaires et le contrat de travail/La liberté du contrat de travail

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PREMIÈRE PARTIE

LA LIBERTÉ DU CONTRAT DU TRAVAIL

I

Les causes qui peuvent modifier les clauses du contrat de travail sont si nombreuses qu’il semble impossible de les prévoir ; elles varient et se multiplient avec les conditions économiques de la production ; elles varient encore et se multiplient avec raison de la diversité infinie des « espèces », des cas particuliers. Le seul moyen d’arriver à modifier les stipulations et, d’obtenir un accord entre l’employeur et l’employé c’est de laisser aux parties contractantes le soin de les discuter et de les régler.

Nul législateur n’est assez prévoyant et éclairé pour formuler les règles aussi nombreuses que les cas auxquels il conviendrait de les appliquer ; nulle autorité n’est assez puissante pour faire observer et respecter ces textes rigides qui ne sauraient se plier à toutes les exigences de la vie industrielle, commerciale, et agricole d’un peuple.

Qu’il s’agisse des statuts d’une corporation obligatoire, ou d’une législation ouvrière constituant un code du travail salarié, les objections sont aussi fortes, aussi pressantes, aussi nombreuses. Les contractants doivent être seuls juges des conditions qu’il leur paraît possible et utile d’offrir et d’accepter. Cet accord suppose une discussion et une lutte, il ne saurait être imposé à l’avance par un texte.

La seule règle qu’il faille poser c’est le respect de toutes les conventions. Elles doivent tenir lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Cette opinion résume toute une doctrine économique et sociale, celle de la liberté des contrats qui suppose, sans la démontrer, la pleine liberté des contractants.

C’est la doctrine du Code civil inspiré par l’esprit individualiste de la Révolution. Un seul article de cet immense recueil de textes vise le contrat de travail : c’est l’article 1780 ainsi libellé : « On ne peut engager ses services qu’à temps ou pour une entreprise déterminée. » Cette prescription a pour objet de prévenir le retour de la servitude ou du servage. Sur le contrat de travail tel qu’il pouvait normalement être conçu et réglé à cette époque, pas un mot. Le législateur n’a formulé que la théorie générale des contrats. C’est l’application logique, hardie, de la doctrine révolutionnaire qui a fait disparaître les corporations au nom de la liberté. Le décret des 2 et 17 mars 1791 décide qu’il « sera libre à toute personne de faire tel négoce, ou d’exercer tel profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ». La loi des 14-27 juin 1991 déclare que « l’anéantissement de toute espèce de corporations de citoyens de même état et profession étant l’une des bases fondamentales de la Constitution française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexte et sous quelque forme que ce soit ». La Constitution du 3 septembre 1791 comme celle du 24 juin 1793 consacre explicitement cette doctrine et la proclame en ces termes : « Il n’y a plus ni jurandes ni corporations de professions arts ou métiers. » Bien mieux, la législation révolutionnaire proscrit et punit toute entente qui risquerait de faire revivre les anciens groupements corporatifs : « Les citoyens d’un même état ou profession, lorsqu’ils se trouveront ensemble, ne pourront se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements pour leurs prétendus intérêts communs[1]. »

Enfin, la coalition, cette entente préalable et concertée qui peut avoir pour résultat la « grève », n’est pas moins soigneusement prévue et sévèrement proscrite par les hommes de la Révolution.

C’est un décret de 1791 qui déclare ces ententes « inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté ; et à la Déclaration des droits de l’homme » ; c’est la loi du 23 nivôse, an II qui décide dans son article 5 :

« Les coalitions entre ouvriers des différentes manufactures par écrit ou par émissaires pour provoquer la cessation du travail seront regardées comme des atteintes à la tranquillité publique qui doit régner dans les ateliers. Chaque ouvrier pourra individuellement dresser ses plaintes et former ses demandes, mais il ne pourra en aucun cas cesser le travail sinon pour cause de maladie ou infirmité dûment constatée. »

La loi du 22 germinal an XI sur les manufactures, fabriques et ateliers, punit : 1° les coalitions de patrons formées en vue de forcer injustement et abusivement l’abaissement des salaires ; 2° les coalitions d’ouvriers ayant pour objet d’interdire le travail dans certains ateliers et d’enchérir les travaux.

En somme, la législation ouvrière de la Révolution émancipe le salarié, l’affranchit de toute entrave, de toute tutelle corporative ou légale, elle efface toutes les différences qui séparaient le salarié ou l’artisan de métier des antres classes de la société.

« L’homme est né libre, avait dit Rousseau, et partout il est dans les fers. » Les hommes de la Constituante, de la Législative ou de la Convention ont pris à tâche de briser ces « fers», de rendre le salarié libre, de le délivrer des liens que les corporations les jurandes et les maîtrises avaient multipliés pour l’asservir sous prétexte de le protéger. Cette protection, les Révolutionnaires semblent l’ignorer, la redouter ou la confondre avec la servitude. Ils refusent môme au citoyen en général, aux salariés comme aux patrons, le droit de se grouper, de s’associer en vue de défendre leurs « prétendus intérêts communs ». L’individu reste isolé ; il doit comme employé « dresser ses plaintes individuellement » et formuler ses demandes, seul en présence de l’employeur !

L’œuvre de là Révolution est donc doublé et elle nous apparaît comme contradictoire. Elle affranchit l’individu, le salarié, et brise la corporation. C’est la liberté absolue de la personnalité humaine qu’elle proclame et édicté comme un dogme social aussi bien que comme une injonction souveraine.

Pour préserver le citoyen de toute servitude traditionnelle et même volontaire, elle prohibe l’association, en néglige la force et en parait nier les bienfaits.

C’est là liberté de l’entente, concertée, qu’elle repousse au nom de la liberté menacée et des droits de l’homme méconnus !

Il faut voir là une conséquence de l’ardeur sans mesure, de la violence et de la passion jalouse avec laquelle, dès la première heure, les hommes de la Révolution ont voulu rompre avec un passé détesté. La réglementation tracassière de l’ancien régime n’avait pas seulement froissé des intérêts, elle avait encore irrité les intelligences éprises de la liberté idéale mise à la mode par les philosophes et les économistes. Les corporations évoquaient le souvenir des classes, des ordres des privilèges que la Révolution se proposait précisément de faire disparaître.

La haine des réglementations conduisit les révolutionnaires à haïr également les associations qui imposent des règles.

L’optimisme philosophique leur commandait d’admettre que l’homme né bon ne devait ses misères sociales qu’à une organisation défectueuse de la société et qu’il fallait briser tous les liens s’opposant à la pleine liberté du citoyen si l’on voulait assurer sa félicité. C’est en obéissant a ces tendances, à ces opinions si généralement acceptées, que les hommes de la Révolution ont proscrit l’association. Il n’y a rien là qui doive nous surprendre. Les Français du xxe siècle raisonnaient-ils autrement quand il prétendaient, naguère justifier la proscription des congrégations religieuses en soutenant qu’on devait — par respect de la liberté — interdire aux religieux de renoncer volontairement a en conserver l’exercice ?

Les législateurs révolutionnaires ont été des philosophes plus que des politiques ; leur confiance dans les vertus de la liberté était absolue : ils ont eu foi dans cette liberté considérée comme régulatrice souveraine des rapports établis entre les hommes, entre les employés et les employeurs notamment. Et cela encore ne doit pas nous surprendre, Il est dans la nature de l’homme de grandir tout ce qu’il prétend honorer. C’est ce qu’on a fait après 1789 à l’égard dé la Liberté.

Est-il vrai, d’ailleurs, que l’individualisme révolutionnaire et l’isolement légal de l’ouvrier aient effectivement nui aux intérêts de ce dernier ?

Il faut poser cette question et tenir compte des faits au lieu de condamner sans phrases un régime que nous ne pouvons juger impartialement sans en étudier les conséquences au point de vue de la marche des salaires, et de l’élévation de la condition matérielle des ouvriers. Il n’est pas davantage permis d’oublier quelles étaient les circonstances politiques et les transformations sociales qui ont agi, an même moment sur le taux des salaires. La guerre civile et étrangère, le maximum, la Terreur, ont dû exercer à cet égard une influencé singulièrement plus décisive que l’interdiction dés coalitions de patrons ou des grèves d’ouvriers.

Les mêmes questions se posent, les mêmes réflexions viennent naturellement à l’esprit, à propos des conséquences de la législation du travail sous le premier Empire, Le Code civil, nous l’avons dit, applique au travail la théorie générale des contrats ; le Code pénal de 1810 reproduit les dispositions de la loi de germinal an XI relatives aux coalitions de patrons et d’ouvriers. Pour être punissable, l’entente concertée des employeurs devait tendre à forcer injustement et abusivement l’abaissement des salaires ; elle devait, en outre, être suivie d’une tentative ou d’un commencement d’exécution, double condition difficile à réaliser puisqu’il fallait à la fois démontrer le caractère abusif et injuste de la réduction des salaires, et prouver en même temps qu’une tentative ou un commencement d’exécution étaient certains.

A l’égard des ouvriers, la coalition suivie de tentative ou de commencement d’exécution constituait à elle seule un délit, Les mots abusivement et injustement ont disparu dans le texte de 1810 comme dans celui de l’an XI quand il est question de l’ouvrier. Sa faute reste punissable dans tous les cas.

Les chefs ou moteurs de la coalition sont, en outre, frappés d’emprisonnement s’il s’agit d’une sédition ouvrière, et la loi n’atteint pas ceux qui dirigent une coalition patronale.

Le législateur du premier Empire a simplement maintenu les dispositions légales antérieures tant au point de vue civil qu’au point de vue pénal. Il n’est que juste de le reconnaître.

C’est seulement en 1849 que la loi du 27 novembre efface toute distinction entre employeurs et employés, supprime les mots « abusivement et injustement » à propos des coalitions de patrons, et fond en un seul les deux articles du Code pénal pour mieux marquer l’égalité des devoirs et la similitude des peines. De toutes façons, la coalition, l’entente concertée, même non suivie de refus de travail et d’emploi constituait encore un délit. Nous connaissons, d’ailleurs la pensée qui inspire à cette époque le législateur ; c’est encore le souci de la liberté et la confiance dans la justice de la cause qu’elle fait triompher, — Telle est la puissance d’une idée que celle-ci règne dans l’esprit de ceux qui succèdent — soixante ans plus tard — aux législateurs philosophes de la Révolution. Voici en quels termes M, de Vatimesnil exprimait, comme rapporteur, l’opinion de la majorité de ses collègues[2].

« La Commission s’est demandé si la coalition devait constituer un délit, lorsqu’elle n’était accompagnée ni de menaces, ni de violences, ni, en un mot, d’aucune des circonstances accessoires énoncées dans le projet de M. Leblond.

« La majorité de la Commission a adopté l’affirmative.

« Dans l’état régulier et normal de l’industrie et du commerce, deux éléments déterminent le prix de toutes choses, y compris le travail. Ces deux éléments sont :

1° La proportion entre les offres et les demandes ;

2° La concurrence, d’une part, entre ceux qui font les offres et, de l’autre, entre ceux qui font les demandés. Quand les éléments de la fixation du prix agissent sans entraves, l’industrie, le commercé, le travail sont libres et les prix s’établissent d’une manière vraie et loyale. Dans le cas contraire, la liberté de l’industrie, du commerce et du travail est altérée et les prix deviennent factices. Or, les coalitions ont pour effet manifeste de détruire ou de modifier les effets de la concurrence et de la proportion entre les offres et les demandes.

Elle sont donc contraires à la liberté du commerce, de l’industrie et du traçait, et par conséquent à la constitution qui dans son article 13 garantit cette liberté. »

C’est exactement l’esprit du décret de 1791 voté sur la motion de Chapellier parlant au nom du comité de constitution :

« Si contre les principes de la liberté et de la constitution, des citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers, prenaient des délibérations ou faisaient entre eux des conventions tendant à refuser de concert ou à n’accorder qu’à un moindre prix le secours de leur industrie ou de leurs travaux, lesdites délibérations ou conventions, accompagnées ou non de serment sont déclarées inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté et à la déclaration des droits de l’homme, et de nul effet… »

Cet argument de la liberté menacée qu’il faut faire respecter est encore invoqué par M. de Vatimesnil pour réfuter les objections opposées à cette doctrine qui restreint la liberté au nom de la liberté même. Le droit réservé et reconnu à chaque citoyen de refuser le travail n’implique-t-il pas la légitimité de la coalition ; ce qui est permis à chaque salarié devient-il criminel, lorsque plusieurs ouvriers exercent simultanément le même droit ?

L’argument sera utilisé plus tard par M. Emile Ollivier pour démontrer la légitimité de la coalition. Voici comment M. de Vatimesnil va le combattre en 1849 :

« Lorsqu’il y a une coalition établie pour exercer une pression, soit de la part des chefs d’atelier contrôles ouvriers, soit de la part de ceux-ci contre les chefs d’atelier, la liberté de la concurrence et par conséquent la liberté constitutionnelle seront étouffées par cette coalition. Un tel fait ne saurait donc être toléré. Aussi conclure de la liberté que chacun a de négocier personnellement les conditions du travail à la faculté de former une coalition pour imposer à autrui ces conditions, c’est faire un raisonnement évidemment faux. C’est comme si du droit que chacun a de stationner sur la voie publique on tirait la conséquence qu’il peut se réunir à d’autres individus pour y former des attroupements. »

Cette théorie n’est pas la nôtre, Nous croyons que la coalition est un droit, mais rien ne nous permet de suspecter la parfaite sincérité dés hommes qui l’ont interdite. Ils avaient derrière eux comme garants de leur libéralisme presque tous les hommes de la première Révolution.

Au moment où les législateurs de la seconde République maintenaient la prohibition des coalitions ouvrières et patronales, ils discutaient et se préparaient à voter toutes ces lois de solidarité sociale, de prévoyance, ou de réglementation du travail qui attestent l’esprit de philanthropie éclairée dont ils étaient animés : Loi d’assainissement des logements insalubres (13 avril 1850) ; loi sur les sociétés de secours mutuels (15 juillet 1850) ; loi sur l’assistance judiciaire (22 janvier 1851) ; loi sur le contrat d’apprentissage

(22 février 1851), etc., etc.

II

Quinze ans plus tard, sous le second Empire devenu libéral, des pensées politiques inspirent une mesure toute contraire : la suppression du délit de coalition, Celui-ci disparaît de notre code le 25 mai 1864, Les entraves à la liberté du travail constituent seules une infraction nettement caractérisée et visée par la loi pénale.

« Loin d’être une restriction du droit de se coaliser, dit le rapporteur, ces prescriptions en sont la garantie. Que dirait-on du propriétaire qui croirait son droit compromis parce qu’on punit le vol ? C’est ce qu’il faudrait penser de ceux qui trouveraient la liberté de se coaliser menacée parce qu’on’ punit les violences et les fraudes. »

Il est bon et juste de noter ici un fait qui a souvent passé inaperçu. Le droit de coalition fut reconnu au moment même où l’on établissait la liberté des sociétés anonymes financières ou industrielles. Le groupement des forces ouvrières surtout visées par le législateur était la contrepartie du groupement des puissances représentées par les capitaux associés désormais librement sans autorisation préalable et sans surveillance administrative. Les intentions réfléchies et nettement exprimées des hommes d’État du second Empire visaient une plus grande liberté obtenue par une action collective que la Révolution avilit entravée ou étouffée : action collective des capitaux groupés au moyen des initiatives individuelles ; action collectives des salariés abritant et multipliant la puissance individuelle grâce à la force de la coalition devenue un droit. Le gouvernement impérial reconnaît les dangers de l’individualisme révolutionnaire et semble répudier cette doctrine. Au dernier moment, il hésite. Le droit de coalition paraissait impliquer logiquement et nécessairement le droit d’association et de réunion. Napoléon III et ses ministres n’osent pas aller aussi loin dans la voie qu’ils ont, cependant, tracée et ouverte. Chose curieuse, ils se retranchent derrière la vieille théorie révolutionnaire qu’ils avaient combattue et repoussée pour autoriser la coalition ! C’est au nom de la liberté que M. Émile Ollivier maintient l’interdiction des associations professionnelles et du droit de réunion qui en est inséparable.

« L’association, dit-il, crée un intérêt collectif distinct de l’intérêt des associés ; la coalition donne simplement plus de force à l’intérêt individuel de chaque coalisé. L’association entre tous et un seul suscite l’être moral ; la coalition n’opère qu’un rapprochement fortuit entre des individus qui ne se fondent pas ensemble.

« Dans l’association, la majorité arrête dés résolutions qui lient ceux qui n’y ont pas pris part on qui les ont combattues. Dans la coalition, l’adhésion de chaque individu est indispensable ; ceux-là seulement sont liés qui ont expressément consenti, et ils sont toujours les maîtres de retirer leur consentement. Sans doute, l’association peut s’unir à la coalition, en devenir le résultat, le moyen ou l’origine, elle n’en est pas l’élément essentiel. La coalition trouve en elle plus de force. Elle peut naître et agir sans elle[3]. »

On le voit, l’homme d’État s’inspire ici de la théorie individualiste. L’Association supposé, dit-il, une contrainte exercée sur une minorité ; dans la coalition, au contraire, «  ceux-là seulement sont liés qui ont expressément consenti, et ils sont toujours les maîtres de retirer leur consentement ». Le logicien fait tort au politique. Le gouvernement des hommes suppose comme règle autre chose que des abstractions. L’individualisme absolu des révolutionnaires trouvait son explication et son excuse dans la crainte du réveil de l’esprit corporatif. Les ministres de Napoléon III ne pouvaient pas invoquer cet argument.

Un passage du rapport de M. Émile Ollivier porte même la trace des préoccupations légitimes que doit inspirer l’isolement du citoyen en présence des forces collectives qui se dressent devant lui

« Il n’est pas vrai, dit-il, qu’il n’y ait que des individus — grains de poussière sans cohésion — et la puissance collective de la nation. »

Ajoutons qu’il n’est pas davantage exact que dans la coalition : « Ceux-là seuls soient liés qui ont expressément consenti », et que ces derniers soient « toujours les maîtres de retirer leur consentement ».

M. de Vatismesnil écrivait en 1849 : « Ce n’est pas seulement sur le chef d’atelier que la coalition exerce cette contrainte, c’est aussi sur les ouvriers paisibles et qui voudraient continuer de travailler à des conditions raisonnables. Ils n’ont pas la liberté morale de rester en dehors de la coalition et de continuer à fréquenter les ateliers.

« Lors’même qu’on n’a employé envers eux aucun moyen d’intimidation formel, le danger résulte a leurs yeux du fait même de la coalition, du nombre de ceux qui la composent, de l’agitation qu’elle produit et des passions qu’elle soulève. »

On petit vérifier presque chaque jour l’exactitude de ce tableau. L’intimidation et les violences caractérisent le plus souvent les faits de grève ou de simple coalition. La distinction subtile et toute philosophique de M. Emile Ollivier n’a donc pas de valeur. Ajoutons que la liberté accordée aux sociétés anonymes de se constituer sans autorisation rendait plus choquante l’interdiction des associations de salariés.

III

Il faut attendre vingt ans pour voir reconnaître et affirmer solennellement, dans un texte législatif, le droit d’association et de réunion. La loi du 21 mars 1884 proclame ce droit et crée l’organe que l’on a nommé Syndicat professionnel. Les syndicats sont même autorisés à former entre eux des unions. La vie ouvrière, les intérêts des employés, à tous les points de vue, trouvant là un organe, un centre, un instrument d’action ou de défense. Les patrons ont les mêmes droits et possèdent les mêmes armes.

Nous sommés arrivé au dernier période de l’évolution que pouvait comporter le contrat de travail considéré comme un accord de volonté intervenant après un débat individuel ou une lutte entre des collectivités auxquelles l’individu a pu s’agréger spontanément et librement.

Ce débat reste en effet individuel jusqu’en 1864 ; il devient une lutte collective après la reconnaissance du droit de coalition, et a fortiori après la ^prbhiriîgàtiph de là loi de 1884 sur les’• syndicats, prbfcssiprirtéls ; I/indiv idéalisme absolu de . la Révolution est donc aûjéurd’huicondarané — au Page:Zolla - La greve les salaires et le contrat de travail.djvu/38 Page:Zolla - La greve les salaires et le contrat de travail.djvu/39 Page:Zolla - La greve les salaires et le contrat de travail.djvu/40 Page:Zolla - La greve les salaires et le contrat de travail.djvu/41 Page:Zolla - La greve les salaires et le contrat de travail.djvu/42 il nous semble bon d’en apprécier les résultats. Il y a lieu de se demander comment s’est transformée la condition du salarié sous le régime de l’article 1580 du Code civil et malgré les entraves apportées longtemps aux coalitions et aux grèves. Il est nécessaire de savoir ; il sera bon, et courageux d’affirmer au besoin que l’amélioration de la condition matérielle de l’ouvrier n’a pas été retardée par l’hostilité égoïste de la classe qui a rédigé ce code « bourgeois et non populaire »[4].

Sous l’empire de ce Code, sous le régime de la liberté des contrats, est-il vrai que la répartition des richesses soit injuste et mauvaise ?

Peut-on affirmer, au contraire, que la production des richesses était et est encore insuffisante ?

C’est là, pour nous, le problème attachant entre tous. Il s’agit de savoir si le salarié ne se fait pas illusion en affirmant sans preuves que la masse des richesses produites et autrement distribuées assurerait à tous le bien-être et les loisirs qu’ils ambitionnent. Il s’agit de savoir si un Code différent, plus juste et plus humain, n’aurait pas depuis longtemps servi ses intérêts et élevé sa condition.

  1. Décret des 14-17 juin 1791.
  2. Rapport du 28 octobre 1849. 1re lecture le 11 novembre, 2e lecture le 16, 3e lecture le 26. Adoption le 27.
  3. Émile Ollivier. Rapport sur la loi de 1864. — Démocratie et Liberté, 1 vol. Paris, 1867 à la Librairie Internationale.
  4. Glasson.