La grève, les salaires et le contrat de travail/Au point de vue économique et social

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La grève les salaires et le contrat de travail
Au point de vue Economique et Social

La grève et le Contrat de travail sont des termes qu’il est naturel de joindre, de placer côte à côte, parce qu’il existe, en effet un lien entre les deux problèmes économiques et sociaux auxquels ils correspondent. La grève, c’est-à-dire la cessation concertée du travail des salariés a pour objet de modifier les conditions de ce travail. C’est donc bien le contrat — ou plus exactement encore, la convention relative au louage d’ouvrage — qui se trouvent mis en cause par les grévistes.

Nous n’envisageons ici que la grève des salariés parce que le mot « grève » ne se rapporte qu’au refus concerté de travail de la part des employés ou ouvriers. Il est clair que la « grève » de patrons ou d’employeurs vise également le contrat de travail, ses modalités, ses conditions générales ou spéciales, Quand on va au fond des choses il faut même reconnaître que la question des grèves ouvrières ou patronales se confond avec le problème du contrat de travail puisque tout refus concerté de l’offre en matière de main-d’oeuvre ou d’emploi n’est qu’un moyen de modifier les conditions de la convention précédemment acceptée et appliquée ; elle a également pour effet de suspendre — selon les uns, — de rompre, — suivant les autres — le contrat qui liait les deux parties en cause.

Etudier la «grève» c’est étudier le contrat de travail sous un aspect spécial, c’est examiner, notamment, et les causes qui peuvent provoquer un changement de ses conditions, et les moyens employés pour atteindre ce but.

Nous nous trouvons ici en présence de trois opinions, de trois principes économiques et sociaux correspondant à trois doctrines.

La première admet et affirme la pleine liberté des contrats. Suivant cette doctrine les conventions entre employeurs et employés doivent résulter du seul accord des volontés pour respecter pleinement la liberté de l’individu.

Au nom de ce principe on a même longtemps interdit, dans notre pays, les coalitions et les associations.

La seconde doctrine comporte l’intervention de l’Etat dans le but de protéger les plus faibles au moment où se forme le contrat de travail.

La puissance publique agit au nom des intérêts généraux pour ne pas laisser l’ouvrier succomber dans sa lutte contre l’employeur qui dispose du capital et emploie cette puissance sans autre souci que celui d’accroître ses profits [1]. La loi de la concurrence oblige, d’ailleurs, le patron à restreindre ses frais de production ; les lois économiques du salaire en abaissent nécessairement le taux, et la condition du salarié reste fatalement misérable. La mission tutélaire de l’Etat consiste à réagir contre ces lois économiques et à imposer des règles qui assurent un juste salaire ou des conditions de travail meilleures.

La troisième doctrine considère le contrat de travail comme un vestige de la servitude ou de l’esclavage. Le salariat n’est qu’un mode perfectionné de l’exploitation traditionnelle du faible par le fort, du pauvre par le riche.

L’amélioration définitive de la condition des classes ouvrières dépourvues des moyens de production, l’émancipation de l’individu et sa liberté, ne peuvent-être obtenues que par l’appropriation et la mise en oeuvre collective des capitaux.

Pour réaliser cette transformation sociale, une révolution est nécessaire, soit violente et immédiate, soit progressive et mesurée, subordonnée à la conquête des pouvoirs publics sous la poussée continue et irrésistible du nombre. La grève n’est plus l’exercice d’un droit destiné à améliorer les conditions du contrat de travail, c’est une arme servant à précipiter la chute du régime capitaliste en réduisant les profits, pour arriver sans indemnité à l’expropriation des instruments de production.

L'intervention de l’Etat dans la formation et la réglementation du contrat de travail ne peut être également acceptée qu’à titre d’auxiliaire pour hâter la transformation de la propriété individuelle en propriété collective ou commune.

«De même que l’Empire romain a péri sous les coups des barbares qu’il avait cru lier à sa défense, la société actuelle succombera sous les assauts des masses ouvrières qu’elle avait pensé désarmer par sa législation. Au lieu d’enrayer leur élan, elle aura décuplé leur force d’attaque ; au lieu d’endormir leurs énergies par des concessions successives, elle aura affermi chez elles, le sentiment de leur valeur, elle aura surexcité leur appétit de subversion[2]

  1. Bien entendu, nous résumons ici l’opinion d'autrui et non pas la nôtre.
  2. Paul Louis, L’ouvrier devant l'État, p. 474.