La grande Pyramide d’Égypte

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LA GRANDE PYRAMIDE D’ÉGYPTE

Il y a 2 300 ans que Hérodote décrivit pour la première fois les Pyramides d’Égypte. Depuis vingt-trois siècles, on les a examinées, mesurées, fouillées dans tous les sens, et l’on ne sait guère mieux qu’au début quel était l’usage ou la destination de ces prodigieux monuments. Lorsque le père des historiens grecs visita l’Égypte, le peuple avait perdu le souvenir des traditions religieuses ou politiques auxquelles se rattachaient ces constructions. Bien plus, il paraît probable que toutes les petites pyramides, groupées autour de la plus grande ou dispersées en d’autres parties de la vallée du Nil, ne sont qu’une copie imparfaite de celle-ci. Elles ne sont ni construites avec tant d’art, ni percées d’autant d’ouvertures et de conduits souterrains, comme si elles avaient été l’œuvre d’une époque relativement récente et d’architectes ignorants des vieilles doctrines. La grande Pyramide de Djizeh est donc la seule que l’on étudie en détail et celle que l’on cherche à interpréter avec le plus de soin.

Les savants modernes ont remanié, comme on sait, toute la chronologie des anciennes dynasties égyptiennes. Ils prétendent que la grande pyramide remonte, pour le moins, à 4 500 ans avant Jésus-Christ. Quelle que soit l’antiquité de cette montagne factice, il est certain qu’elle a traversé les siècles sans presque subir d’altération. La masse en est si énorme, les pierres dont elle se compose sont si volumineuses, que les intempéries atmosphériques et la main des hommes en ont à peine excorié la surface. Tout au plus constate-t-on, en y regardant de très-près, que certains mouvements du sol ont dérangé quelques aplombs et fendillé le roc sur lequel elle repose.

Veut-on se faire une idée de la masse imposante de ce monument ? Il a 140 mètres de haut, et chaque côté mesure à la base 239 mètres de long. Volnev, l’un des premiers voyageurs français qui en ait parlé de visu, le compare à l’hôtel des Invalides vu du Cours-la-Reine, avec cette différence que, la longueur étant la même, la hauteur dépasse le dôme des deux tiers, et que le massif est plein, régulier sur chacune de ses quatre faces, n’offrant à l’extérieur qu’un immense talus disposé par gradins.

On a mis en avant toute sorte d’hypothèses pour expliquer la grande Pyramide. Les uns voulaient que ce fût un tombeau, et faisaient valoir que les Égyptiens ont toujours enterré leurs morts avec une magnificence extrême ; mais, si somptueux qu’aient été leurs mausolées, celui-ci dépasserait vraiment toute mesure ; d’ailleurs il y a des détails de construction, des rapports de grandeur bien étudiés en diverses parties, qui prouvent que l’architecte a eu en vue de faire autre chose qu’une sépulture.

D’autres ont prétendu que c’était un observatoire pour étudier les astres ; mais on leur a répondu que sur le ciel clair et sur le terrain presque plat de l’Égypte, il était bien inutile d’élever un observatoire d’une si grosse masse et d’une si grande hauteur. Sans doute les Égyptiens, qui furent quelque peu astronomes, comme tous les peuples pasteurs, ont combiné les lignes magistrales de la pyramide de Djizeh suivant certaines données astronomiques ; cela ne suffit pas à expliquer le monument tout entier.

Est-ce un temple consacré, selon des rites oubliés, à des dieux inconnus ? Serait-ce peut-être le moyen de perpétuer les mesures de longueur dont ou se servait alors, et de traduire sous une forme immuable les problèmes scientifiques que les savants de cette antiquité primitive avaient résolus ? Un savant de nos jours s’est attaché avec obstination à cette dernière hypothèse. M. Piazzi Smith, astronome royal d’Édimbourg, a mesuré la grande Pyramide en tous sens avec les instruments de précision dont il a l’habitude de faire usage dans son observatoire. La figure 1, qui donne une coupe verticale du monument, est le résultat de son travail. Quelques explications, outre la légende, feront comprendre d’abord quelle est la forme réelle de l’édifice et ce que l’on a trouvé dans l’intérieur jusqu’à ce jour.

Fig 1. — Coupe verticale de la grande Pyramide.
A. Passage d’entrée. — P Trou d’Al Mamoun. — C. Pierre d’angle. — D. Passage supérieur. — E. Passage horizontal. — F. Chambre de la Reine — C. Grande galerie. — H. Antichambre — I. Coffre, — K. Chambre du Roi. — L. Chambre de construction. — M N, Canaux de ventilation. — O. Chambre souterraine. — P. Puits oblique — Q. Fissures dans le rocher. — X. Excavation de Howard Vyse.

La base de la pyramide est un carré parfait, de 239 mètres de côté au raz du sol. Les faces sont également inclinées et forment avec la base un angle assez difficile à mesurer sur place, à cause des inégalités de la surface ; M. Piazzi Smith le fixe, d’après ses propres évaluations, à 51° 51′. Elle est bâtie en énormes pierres d’un calcaire blanchâtre, sauf quelques revêtements que l’architecte a faits en granit, probablement d’après un plan préconçu. Sur la face septentrionale, à une faible hauteur au-dessus du sol, s’ouvre un passage étroit A, incliné sur l’horizon de 26° 18′, qui mène à une chambre souterraine O, bien au-dessous du sol naturel. Un autre passage D, de la même inclinaison en sens contraire, mène d’abord, par une galerie horizontale, dans la chambre de la Reine F ; puis, plus haut encore, et au cœur même de la pyramide, dans la chambre du Roi K, où il existe un coffre en pierre. Deux conduits latéraux M et N servaient à ventiler cette chambre. Au-dessus, plusieurs voûtes plates en granité L paraissent n’avoir eu d’autre objet que de diminuer la pression sur le plafond de cette chambre assez vaste. Enfin un puits oblique P conduit du passage D au passage A.

La chambre du Roi — ainsi qu’on l’appelle aujourd’hui sans que ce nom ait peut-être aucun rapport avec sa destination primitive — la chambre du Roi mérite une attention particulière. Elle mesure 10m,41 de long, 5m,08 de large et 5m,84 de hauteur. La fig. 2 montre combien la construction en est compliquée. Les pierres de granit polies dont elle est garnie sur toutes ses faces ont des dimensions cyclopéennes ; quelques-unes des pierres calcaires interposées entre les assises supérieures portent des hiéroglyphes se rapportant aux rois de la quatrième dynastie. On voit sur le dessin diverses excavations que des explorateurs ont creusées, dans l’espoir de découvrir de nouveaux passages. La première des chambres supérieures conserve le nom de Davison, un consul anglais du dix-huitième siècle ; les autres chambres ont été découvertes par le colonel Howard.

Le coffre qui repose sur le sol de la chambre du Roi serait, selon les uns, un sarcophage, et selon les autres une mesure de capacité. Il est malheureusement fort entamé sur l’une de ses faces, parce que les touristes ne manquent guère d’en détacher un fragment pour l’emporter en guise de souvenir.

Aux quatre coins extérieurs de la pyramide, les explorateurs modernes ont déterré des pierres d’angle fort volumineuses qui déterminent probablement le niveau primitif du sol. Tout au pourtour, des débris récents se sont amassés, en sorte que les premières assises sont enterrées. L’extérieur de la pyramide se présente actuellement sous forme de gradins très-élevés, où l’on ne grimpe pas sans peine. M. Piazzi Smith se croit en mesure d’assurer qu’il y avait jadis un revêtement plat en petits matériaux dont il a représenté les limites sur le dessin par un trait ponctué.

On fut longtemps à ignorer qu’il y eût des galeries à l'intérieur. L’un des souverains turcs de l’Égypte, le sultan Al Mamoun, fit creuser en B une excavation qui amena la découverte de la galerie A et des autres caveaux. Plus tard, un Anglais, le colonel Howard Vyse, découvrit les canaux de ventilation M et N et les chambres L superposées à la chambre du Roi K. Il fit de plus creuser une excavation en X sur la face méridionale, mais sans résultat.

Fig. 2. — La chambre du roi.

Depuis quelques années, le gouvernement du khédive interdit aux touristes et aux archéologues de faire aucune dégradation dans cet antique édifice. Il se réserve de diriger lui-même toutes les recherches que la science pourrait réclamer, et ceux qui savent avec quel talent M. Mariette, l’explorateur officiel des antiquités égyptiennes, exécute les travaux de ce genre, ne peuvent qu’applaudir à cette réserve. La vallée du Nil est si riche en débris du passé qu’il se passera peut-être encore bien des années avant que l’on entreprenne une nouvelle et définitive exploration des pyramides.

Après avoir étudié, jaugé, mesuré la grande Pyramide tant à l’intérieur qu’a l’extérieur, M. Piazzi Smith en est venu à prétendre que c’est un édifice unique dans le monde, construit par des ouvriers que Dieu inspirait, pour conserver à perpétuité, au centre de la terre habitable, au point de croisement de toutes les grandes routes commerciales du globe, les poids et les mesures révélés au genre humain dès les premiers temps que l’homme apparut sur la terre. Cette curieuse hypothèse, on le conçoit, s’appuie sur des preuves si légères qu’on peut la tenir en suspicion ; mais M. Piazzi Smith, outre cette théorie bizarre, signale des coïncidences extraordinaires entre les proportions de la pyramide et certaines données scientifiques. En voici des exemples : La hauteur est, avec la moitié de la diagonale de base, dans le rapport de 9 à 10, ce qui semble une intention d’indiquer le système décimal ;

La hauteur est, avec le double d’un côté de la base, dans le rapport de 1 à 3,1429, ce qui exprime le rapport du diamètre à la circonférence d’un cercle d’une façon presque exacte.

L'antichambre II qui précède la chambre du Roi est pavée en partie en pierre calcaire et pour le reste en granit. Suivant M. P. Smith, la longueur du granit est exprimée par le nombre 103,03 et la longueur totale de la chambre par le nombre 110,20. Quel est le rapport entre ces deux nombres ? 110,20 est le diamètre d’un cercle dont la surface est 10,616, et 103,03 est le côté d’un carré dont la surface est aussi 10,616. Ainsi la pyramide contient sous forme matérielle une expression de la quadrature du cercle.

Fig. 3.

Ce n’est pas tout : ce même chiffre 116,26 multiplié par 3,1415, rapport de la circonférence au diamètre d’un cercle, donne 325,24, nombre exact des jours contenus dans l’année. Enfin, pour ne pas trop nous étendre, citons une dernière coïncidence. Si l’on conçoit un triangle rectangle tel qu’en abaissant deux fois une perpendiculaire du sommet sur l’hypoténuse, il en résulte deux petits triangles égaux, le plus grand angle de ces triangles rectangles (fig. 3) est de 51° 49′, ce qui se rapproche de très-près de l’angle des pyramides. Ces coïncidences sont singulières sans contredit, surtout s’il est bien vrai que les observateurs ne se soient pas laissés aller à corriger des chiffres en vue d’obtenir un résultat voulu. Mais en faut-il conclure tout de suite que les architectes inconnus de la grande Pyramide connaissaient la quadrature du cercle, le rapport de la circonférence au diamètre, la durée exacte de l’année à un centième près ? Beaucoup de gens peut-être en douteront encore.H. Blerzy.