La huronne/10

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Librairie Granger et frères limitée (p. 81-89).


X

LA CACHE



DÈS le lendemain, Marc se sentit tout à fait acclimaté dans le wigwam du chef oneyout. Il s’était pris d’amitié pour le Chamois et pour la jeune Huronne et comme l’Indien le questionnait un peu sur son passé, le petit Brestois, comme l’avait présumé le sergent, leur raconta à tous deux son histoire.

Le Chamois ne parlait pas français, mais il le comprenait bien, et comme Ginofenn ne comprenait pas l’anglais, Marc raconta ses aventures dans sa propre langue.

C’était le soir. Il faisait une douce chaleur à l’intérieur de la hutte, l’Indien, assis sur des branches de sapin, tirait de longues bouffées de sa pipe, tandis que Ginofenn, inoccupée, assise par terre auprès de lui, en face du conteur, écoutait avec intérêt son histoire. Lorsque Marc dit qu’il s’était engagé comme mousse, elle demanda ?

— Qu’est-ce que c’est, un mousse ?

— C’est un petit matelot qui grimpe dans les cordages et dans les mâts, et rend des services à bord d’un vaisseau.

— Aimais-tu cette vie ?

— Oui… sauf les nuits de tempête… et il y avait Martin qui était bon pour moi !

— Qui ça, Martin ?

— Un matelot… et Marc continua son histoire en disant le rôle que Martin y avait joué. Lorsqu’il raconta la prise de l’Alcide, la bataille en mer, sa crainte pour Martin à peine convalescent et ensuite sa blessure à l’épaule, le Chamois dit en indien à Ginofenn :

— C’est un brave, cet enfant !

— Oui… mais écoutons son récit ! Continue, petit mousse, dit-elle à Marc.

— Eh bien ! À partir de ce moment, je ne me rappelle rien du tout ! Je revins à moi dans la maison de Jim Gray… je me croyais encore à bord de l’Alcide.

— Tu avais été bien malade ?

— Oui, et Martin m’a raconté tout ce qui s’était passé.

Marc leur refit le récit de Martin et leur dit la bonté de Mistress Gray et de tous à la ferme, puis il ajouta :

— J’oubliais que j’étais prisonnier !

Ensuite, avec force détails, il leur raconta comment Martin avait découvert son identité au moyen du médaillon, la confidence du vieux marin au capitaine et enfin le récit que lui en avait fait le Bourru… Alors, prenant dans son paquet le précieux petit coffret noir, il l’ouvrit et fit voir à ses nouveaux amis le médaillon de ses parents et la lettre qui justifiait son père…

Le Chamois lui mit la main sur l’épaule et lui dit, en anglais :

— Ma tribu honore ton père et ton ami le matelot !

— Merci ! dit Marc, et maintenant écoutez comment est mort mon vieil ami Martin Le Bourru, et il narra les choses telles qu’elles s’étaient passées.

— C’est le mal du pays qui l’a fait mourir ! dit l’Indien.

— Je ne sais pas, dit Marc. En tous les cas, Mistress Gray avertit le capitaine anglais et c’est alors que ce dernier me donna ma liberté, pour en profiter si je le désirais.

— Tu n’as pas regretté la ferme ? demanda Ginofeen.

— Oh ! oui. J’ai eu du chagrin de partir !… mais je désire tant retourner en France,… à cause du nom de mon père… et à ce sujet, le sergent Jim m’a dit de vous demander où je pourrais mettre mon coffret pour qu’il soit en sûreté d’ici à mon départ ?

— Qu’en dis-tu, petite ? demanda l’Indien à la jeune fille.

Elle réfléchit un instant, puis dit quelques mots en indien, et continua en français, s’adressant à Marc :

— Nous irons ensemble demain le cacher en lieu sûr !

— C’est tout ce que j’ai au monde, le contenu de cette boîte ! Vous comprenez maintenant pourquoi elle m’est si précieuse !

— Oui, mon brave, dit paternellement le vieux sauvage, et nous t’aiderons à conserver ton trésor… mais il ne faut pas le garder ici, trop de passants viennent au wigwam… il vaut mieux le cacher ailleurs…

Le lendemain, Ginofenn et Marc, portant le précieux coffret, partirent ensemble.

— Où allons-nous le cacher ? demanda-t-il.

— Tu vas voir ! Près du fort, il y a un tout petit abri, une grotte, dont j’ai fait un sanctuaire comme celui que tu as vu près du wigwam. Je viens ici tous les jours prier le Dieu des Français, qui est aussi mon Dieu, de veiller sur Robe-Noire qui m’a donné le baptême… J’y prie aussi la sainte Vierge… Tu vas voir où je vais mettre ton trésor !


Comme dans le sanctuaire près du wigwam, il y avait là une croix de bois et de plus une petite statuette de la Vierge, encadrées aussi de belles branches vertes…

Ils marchèrent pendant quelques minutes, puis, un peu à l’écart, Marc vit l’ouverture d’une grotte à demi cachée par les branches basses et touffues d’un énorme sapin… Ginofenn se courba et se faufila sous les branches suivie de Marc… Ils se trouvèrent alors à l’intérieur d’une grotte de pierre… comme dans le sanctuaire près du wigwam, il y avait là une croix de bois et de plus une petite statuette de la Vierge, encadrée aussi de belles branches vertes.

— Tu vois cette statue ? dit Ginofenn. C’est Robe-Noire qui me l’a donnée. Je vais placer ton coffret dans la crevasse en arrière… Regarde, dit-elle, en le plaçant derrière la statue, il est complètement dissimulé !… Et il sera en sûreté ici ! Personne n’y vient ! Les Indiens ne viennent pas au fort et les soldats en sortent à peine… en tous les cas, quand ils sortent ils ne viennent pas ici ! D’ailleurs, on ne le voit pas du tout !

— Il est sous la garde de la sainte Vierge ! dit Marc.

— Oui, dit la Huronne et elle ne permettra pas qu’il te soit volé !

Les deux nouveaux amis sortirent de leur cachette et Marc voulut marcher vers le fort, mais Ginofenn lui dit :

— On n’approche pas du fort ! Il y a là une sentinelle, un soldat avec un fusil sur l’épaule et il ne laisse approcher personne !

— Je pensais le fort beaucoup plus gros que ça ! dit Marc.

— Oui ? Pourquoi ?

— Mais, parce que je pensais que pour défendre la frontière, il faudrait une forteresse ! Puis, soudain, il demanda à sa compagne :

— Qu’est-ce que ça veut dire votre nom Ginofenn ? Est-ce un nom huron ?

La jeune fille se mit à rire…

— Je ne sais pas si mon nom est un mot huron, dit-elle, et je crois bien que ça ne veut pas dire grand’chose… mais, je suis née dans les plus beaux jours de l’été, et mère m’appelait Ginofenn du nom qu’elle donnait aux petites fleurs des bois qui étaient alors écloses…

— Alors, Ginofenn, dit Marc, cela veut dire : Petite Fleur des Bois !

— Je ne sais pas, Marc… Mère aimait à donner comme ça des noms étranges…

— Le vôtre n’est pas étrange, il est joli ! Moi, je vous appellerai toujours Fleur des Bois !

— Comme tu voudras, petit Français !

— Parle-moi du Canada, Fleur des Bois, tu sais, c’est là que nous devions atterrir si l’Alcide n’avait pas été pris.

— C’est un beau pays ! dit la Huronne.

— Toujours l’hiver, par là hein ?

— Toujours l’hiver ? Mais non, c’est comme ici, il y a le printemps, l’été…

— L’été véritable ? La chaleur ?

— Mais oui !… je viens de te dire que je suis née durant l’été… et je suis du Canada… Qui donc t’a dit qu’il n’y avait pas d’été en Nouvelle-France ?

— C’est Martin… mais il n’y était jamais allé… et il n’était pas très sur ! et dites-moi, est-ce qu’il y a beaucoup d’Indiens ?

— À certains endroits, oui ; à Québec, c’est plutôt des visages pâles qu’on rencontre… à Montréal aussi !

— Québec… Montréal… ce sont des villes françaises, ça ?

— Oui… sur les bords du Grand Fleuve… les vaisseaux pour ton pays partent de là !

— Oui ? Alors je devrai me rendre vers une de ces villes ?

— J’espère que ce ne sera pas trop tôt… En tous les cas dit la Huronne, les vaisseaux ne voyagent que l’été, l’hiver le fleuve est couvert de glace…

— Près de quelle ville demeuriez-vous, Fleur des Bois ?

— Près de Québec, à Lorette.

— Alors, c’est à Québec que je veux aller… mais je n’aurai sans doute pas le choix… je n’ai pas d’argent… je ne sais pas trop ce que je vais faire…

— Robe-Noire t’aidera, dit Ginofenn, c’est un sage aussi bien qu’un saint !