La huronne/12

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Librairie Granger et frères limitée (p. 96-101).


XII

APRÈS L’EXPLOSION



LES détonations cessèrent peu à peu. Il était environ six heures du soir… Le fort n’était plus qu’un informe amas fumant… À moins d’une lieue de distance les militaires étaient campés…

— A-t-on retrouvé le corps du Capitaine Shirley ? demanda monsieur de Léry, le jeune commandant du détachement français qui venait de s’emparer du fort Bull et de le détruire.

— Non, mon Commandant, l’explosion du magasin a tout détruit.

— Nous avons pourtant jeté dans la rivière plus de deux cents barils de poudre ! dit monsieur de Léry.

— Oui, mon Commandant, fit le soldat, mais il a dû en rester une assez grande quantité si on en juge par la force des détonations… Il y a aussi les grenades éparpillées un peu partout par l’explosion et qui éclatent quand on s’y attend le moins !

— Les autres sont-ils de retour ?

— Il y a encore monsieur de Montigny et quatre soldats qui cherchent s’il reste quelque chose dans les ruines.

— Bien, dit le commandant, qu’on m’avertisse dès qu’ils reviendront !

Autour des ruines fumantes, des soldats circulaient avec précaution… De temps à autre, une légère explosion les faisait subitement reculer, mais ils reprenaient les recherches, guidés par l’officier qui les commandait. Un des soldats s’était aventuré un peu en arrière de ce qui avait été le fort, et il se jeta par terre au moment d’une légère explosion… Avant de se relever, il regarda autour de lui et fut surpris de voir une grotte à demi écroulée… s’avançant, se traînant un peu dans la brousse, il aperçut à travers les branches roussies d’un sapin, un bras cuivré étendu sur le sol noirci…

— Ohé… Ohé ! cria-t-il. Il y a quelque chose ici !

Monsieur de Montigny accourut avec trois soldats et se courbant, ils virent l’entrée d’une grotte et le bras d’un Indien…

— Il faut entrer là-dedans ! dit monsieur de Montigny. Hâtons-nous !

Tous se baissèrent et pénétrèrent dans la grotte à la suite de l’officier.

La toiture rocheuse du petit sanctuaire n’existait plus, mais les murs étaient intacts. Les militaires virent le corps d’un Indien couché près de l’entrée et plus loin celui d’un petit garçon renversé sur le dos… Personne ne remarqua, dans une crevasse de la muraille, une petite statuette de la Vierge au pied de laquelle gisait l’enfant…

— Sortez ces deux corps au plus vite et couchez-les par terre un peu plus loin ! dit l’officier à ses soldats.

À quelques arpents de l’endroit, on les coucha sur le sol… monsieur de Montigny les examina…

— Ils vivent ! s’écria-t-il. Ils ne sont qu’évanouis !

— Qui sont-ils ? demanda un des soldats.

— Je ne sais pas, dit un autre. Le gamin est un blanc… un petit Anglais, sans doute !

Pendant ce temps, monsieur de Montigny essayait de ranimer les blessés. L’Indien ouvrit les yeux. « Ginofenn » ! murmura-t-il… et il s’évanouit de nouveau. Le petit garçon avait une blessure à l’épaule et ne paraissait pas blessé ailleurs, mais il demeurait évanoui…

— Allez chercher un des Indiens au camp. Ils savent peut-être qui sont ceux-ci… Hâtez-vous, car il va falloir songer au retour ! Qu’on avertisse le Commandant de ce qui se passe !

Un soldat partit en courant et revint, moins d’une heure plus tard avec un jeune Huron à l’air intelligent et éveillé.

— Connais-tu cet homme ? dit l’officier en désignant l’Indien couché sur le sol.

Le Huron le regarda attentivement.

— Je crois le reconnaître, dit-il. Je pense que c’est lui qui est venu à Lorette chercher sa petite-fille qui venait de perdre ses parents.

— C’est un Huron ?

— Non… Oneyout…

— Sais-tu où il demeure ?

— Non.

— Connais-tu ce garçon ?

— Non.

À ce moment, l’Indien ouvrit de nouveau les yeux et il murmura : Ginofenn…

— C’est lui ! s’écria Karagomak, le jeune Huron, Ginofenn, c’est sa petite-fille, dont les parents sont morts à quelques semaines d’intervalle et il est venu chercher Fleur des Bois !… et se penchant sur le blessé il dit en langue huronne :

— Tu es Le Chamois ?

— Oui, murmura l’Indien.

— Où est ton wigwam ?

— À un demi-mille du fort.

— Tu as Ginofenn chez toi ?

— L’Indien fit un signe affirmatif et ferma de nouveau les yeux.

Karagomak traduisit et monsieur de Montigny reprit après un moment de réflexion :

— Reste ici auprès de lui. Nous allons nous rendre au camp et prendre les ordres du Commandant. Ce jeune garçon est probablement un petit Anglais, nous allons le faire soigner en attendant de connaître son identité… Allons, mes gars, emportez ce pauvre gosse, je vous suis !

Les soldats portèrent facilement le petit blessé jusqu’au camp où on le coucha sur un lit de branches.

Monsieur de Léry, le jeune Commandant, fit aussitôt mander le chirurgien qui examina l’enfant et déclara qu’il ne voyait pas autre chose qu’une légère blessure à l’épaule… mais continuant son examen, il dit :

— Diable ! Il y a ici une grosse cicatrice… cet enfant a été blessé déjà… et presque au même endroit !…

— Quelle espèce de blessure ? demanda le Commandant.

— La blessure actuelle est une déchirure causée, je crois, par un fragment de pierre… elle serait très peu grave à elle seule… mais l’autre… si près de celle-ci… on dirait le trou d’une balle… mais il paraît si jeune, ce doit être autre chose !

— Pauvre petit ! dit monsieur de Léry, va-t-il pouvoir supporter le voyage du retour ?

— Je le crois, fit le chirurgien, je vais lui faire préparer un brancard et nous le ferons porter.

— Et l’Indien ? dit monsieur de Montigny. Qu’allons-nous faire de ce pauvre diable ?

— Je dois laisser deux gardiens ici pour vingt-quatre heures afin de prévenir les gens de ne pas approcher des ruines du fort à cause du danger des explosions. J’ai l’idée de laisser deux Indiens qui nous ont été très fidèles ; ils trouveront la demeure de ce pauvre vieux et l’y ramèneront… Karagomak, le jeune Huron, auprès de lui maintenant, nous est plus nécessaire et reviendra avec nous… Qu’en dites-vous ?

— Je ne vois rien de mieux, mon Commandant… Quand repartons-nous ?

— Demain matin, dès six heures. Veuillez envoyer les deux Iroquois de Saint-Régis avec les ordres nécessaires pour la garde des ruines, le retour ici du jeune Huron et le transport du blessé à sa hutte.

— Tout de suite, mon Commandant… et permettez-moi, comme votre aîné, de vous offrir mes félicitations… Votre jeunesse a fait preuve de beaucoup de bravoure et de sagacité !

— Merci, mon ami, répondit en souriant le jeune Chaussegros de Léry, mais quand on commande des braves, c’est à eux qu’appartient l’honneur ! Bonsoir !