La langue française et les écoles de la Basse-Bretagne

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LA LANGUE FRANÇAISE ET LES ÉCOLES
DE LA BASSE-BRETAGNE.

Le français, qui, par sa clarté et sa précision, est depuis plusieurs siècles la langue diplomatique de l’Europe, et qui, il y a quelques années à peine, a été exclusivement adoptée par les savants de toutes les nations pour leurs relations scientifiques, est demeuré jusqu’à ce jour complètement ignoré dans un grand nombre de nos communes rurales. Il y a encore aujourd’hui en France des départements entiers où cette langue n’est connue et usitée que dans les villes : telle est la Basse-Bretagne, c’est-à-dire le Finistère et la plus grande partie du Morbihan et des Côtes-du-Nord. Là le vieux celtique a résisté au temps et à tous les efforts qui ont été tentés jusqu’ici pour le supplanter ; il s’est sans doute altéré, mais il domine toujours.

On ne rencontre encore actuellement dans les campagnes basses-bretonnes qu’un très-petit nombre de personnes familiarisées avec le français ; et, même à quelques pas des villes, un étranger éprouve souvent beaucoup de peine à se faire comprendre. Parmi les jeunes générations, ceux-mêmes qui ont fréquenté l’école durant plusieurs années, redeviennent vite, sous ce rapport, aussi ignorants que leurs concitoyens moins favorisés : au bout d’un temps très-court il leur est impossible de s’exprimer autrement qu’en patois.

Cette situation est surtout la conséquence inévitable de la tolérance qui existe et qui permet l’introduction du breton dans la classe. — Les lois qui régissent l’instruction primaire ne reconnaissent que le français comme la seule langue de l’école ; mais cette utile prescription n’est malheureusement pas encore partout observée. Par un préjugé regrettable, notre langue nationale, au lieu de régner en maîtresse, est considérée ici, par certaines personnes influentes, comme une étrangère que l’on n’admet en quelque sorte qu’à son corps défendant.

Je ne demande certes pas l’abandon complet du breton, qui est, je crois, une de nos curiosités les plus intéressantes ; je lui souhaite même, si cela est possible, de durer aussi longtemps que ces autres monuments de pierre qui nous restent d’un âge et d’un peuple peu connus. Mais, si cette vieille langue peut être en usage dans les relations du foyer, il me semble que ce serait rendre un grand service aux élèves de l’exclure de l’école.

L’enfant qui arrive en classe a besoin, il est vrai, de trouver dans l’instituteur un homme qu’il puisse comprendre et dont il soit lui-même compris ; mais tous les efforts du maître devraient tendre à amener cet enfant, aussi promptement que possible, à pouvoir se servir exclusivement du français pour tous les exercices scolaires. Or, il n’y a pas, actuellement, dans les écoles rurales, une moyenne supérieure à 10 ou 12 % des élèves connaissant le français et pouvant s’en servir d’une manière satisfaisante.

Je le répète, ce fâcheux état de choses vient principalement de ce que les prières et le catéchisme ne sont appris qu’en breton. Un assez grand nombre de familles n’envoient encore leurs enfants en classe que pendant le temps où ils doivent se préparer à la première communion : ces élèves, en quittant l’école, ne savent que quelques mots de français qu’ils ne tardent pas à oublier.

On a souvent dit que les populations bretonnes abandonnent très-difficilement leurs usages et se laissent lentement entraîner dans la voie du progrès. Cela est un peu vrai et l’on ne saurait toujours les blâmer de cette prudence ; mais je crois que ce serait se montrer trop sévères envers elles que de les rendre entièrement responsables de l’ignorance où elles sont encore du français. Quoi qu’il en soit, les paysans montrent généralement aujourd’hui un assez vif désir de connaître cette langue. Ils en comprennent enfin l’utilité, grâce surtout à la nouvelle loi militaire qui appelle tous les jeunes gens sous les drapeaux.

Ne serait-ce pas, pour l’administration supérieure, le moment d’exiger que la loi soit observée et que le français soit désormais la seule langue de l’école ? Je sais bien que l’on rencontrera d’abord quelques difficultés ; mais j’ai la ferme conviction que, en présence d’une résolution bien arrêtée et nettement affirmée, la résistance ne tardera pas à s’évanouir. Ceux qui se montrent aujourd’hui les plus rebelles à cette substitution en reconnaîtraient bientôt les immenses avantages. D’ailleurs, en supposant même de leur part une hostilité personnelle persistante, ils seraient certainement entraînés par les intérêts de toutes sortes et le patriotisme de la population.

A. Richard,
Inspecteur primaire à Pontivy.